Cass. crim., 20 novembre 2001, n° 00-87.433
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Chemithe
Avocats :
SCP Vincent, OHL
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par la société X France, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 6 septembre 2000, qui, dans la procédure suivie contre elle pour soldes en dehors des périodes autorisées, l'a condamnée à 200 000 F d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire produit; - Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er du Code civil, 4 du Code pénal, 10, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1 et 2 de l'arrêté n° 97-7560 du 24 novembre 1997 du préfet de l'Isère, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué, par confirmation du jugement dont appel, a déclaré la société X France (dénommée brevitatis causa, société X, dans le jugement) coupable d'avoir procédé à des soldes en dehors des périodes légales du 30 décembre 1997 au 5 janvier 1998, l'a condamnée à une amende de 200 000 F, a ordonné la publication du jugement dans deux journaux régionaux et, sur l'action civile de la Chambre syndicale de l'ameublement de l'Isère, l'a condamnée à payer à celle-ci la somme de 3 000 F à titre de dommages-intérêts;
"aux motifs que "la Cour ne partage absolument pas l'analyse juridique de la défense sur une prétendue obligation d'information individuelle de chaque commerçant par le préfet pour que l'arrêté portant fixation de la date des soldes autorisées lui soit opposable; il s'agit, en effet, par sa généralité (l'ensemble des commerçants du département) d'un acte administratif réglementaire et non d'un acte administratif individuel ne s'adressant qu'à quelques individus en nombre limité, et sauf exception prévue par une disposition légale ou réglementaire que la Cour, malgré ses recherches, n'a pas retrouvée en l'espèce et que la SA X France n'indique pas dans ses conclusions, les actes administratifs réglementaires sont opposables à tous les administrés à compter de leur publication dans l'organe de presse prévu pour les recevoir; s'agissant d'un arrêté préfectoral, sa publication effective au Recueil périodique des actes administratifs de la préfecture de l'Isère suffit, et il appartient aux professionnels de s'y référer, étant rappelé que la circulaire visée est manifestement interne à l'Administration et dénuée de tout caractère réglementaire; en outre, s'agissant d'une professionnelle parfaitement outillée au point de vue juridique, d'une part la SA X France ne saurait sérieusement soutenir qu'elle ignorait que la date des soldes périodiques est fixée par arrêté préfectoral, département par département, et d'autre part, ne serait en tout état de cause pas excusable de ne pas s'être renseignée sur le régime juridique d'une forme de vente ayant l'importance des soldes, notamment dans l'ameublement; il est au contraire évident que l'opération en cause a été manifestement calculée de façon délibérée pour devancer de quelques jours la période des soldes légales, commençant le 2 janvier 1998 afin de s'octroyer un avantage indu sur les concurrents respectant la loi" (arrêt attaqué, p. 3, dernier et p. 4 1 et 2);
"alors que les actes réglementaires pris par l'autorité préfectorale ne deviennent obligatoires qu'après avoir été portés à la connaissance des personnes qu'ils concernent; qu'en se limitant à énoncer, pour écarter l'exception tirée par la société X France de ce que l'arrêté du 24 novembre 1997 fondant les poursuites ne lui était pas opposable, que cet arrêté avait été publié au Recueil périodique des actes administratifs de la préfecture de l'Isère, alors que cette seule insertion n'établissait pas que l'arrêté préfectoral litigieux avait été porté à la connaissance des organes ou représentants de la société X France, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé";
Attendu que, poursuivie pour avoir fait réaliser des soldes en dehors des périodes fixées par l'arrêté du préfet de l'Isère, en date du 24 novembre 1997, la société X France a fait valoir que cet arrêté, base de la poursuite, ne lui était pas opposable, au motif qu'il n'avait pas été porté à la connaissance de ses organes ou de ses représentants;
Attendu que, pour écarter l'exception, les juges d'appel énoncent que l'arrêté préfectoral portant fixation des deux périodes annuelles de soldes dans le département a régulièrement été publié au recueil périodique des actes administratifs de la préfecture de l'Isère et que cette insertion est suffisante à le rendre opposable à tous les commerçants, sans qu'une information individuelle soit nécessaire;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision;que le moyen ne saurait être admis;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 28-1, alinéa 1er, de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué, par confirmation du jugement dont appel, a déclaré la société X France (dénommée brevitatis causa, société X, dans le jugement) coupable d'avoir procédé à des soldes en dehors des périodes légales du 30 décembre 1997 au 5 janvier 1998, l'a condamnée à une amende de 200 000 F, a ordonné la publication du jugement dans deux journaux régionaux et, sur l'action civile de la Chambre syndicale de l'ameublement de l'Isère, l'a condamnée à payer à celle-ci la somme de 3 000 F à titre de dommages-intérêts;
"aux motifs qu'"il résulte clairement des énonciations du procès-verbal des agents de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et même des conclusions de la défense, que la société X France a organisé à partir du 30 décembre 1997 jusqu'au 5 janvier 1998 une grande "opération prix barrés" portant sur des articles identifiés par des affichettes portant l'ancien prix, le nouveau et le pourcentage de réduction appliqué; cette opération concernait, d'une part, des articles d'exposition, d'autre part, des articles en stock, et parmi ceux-ci des articles susceptibles de suivis et d'autres qui n'étaient pas réapprovisionnables; le procès-verbal retient que 21 produits, soit la majorité de ceux pour lesquels les représentants de la SA X France ont bien voulu répondre aux questions posées, étaient présentés comme de la marchandise en stock ou d'exposition et n'étaient pas susceptibles de réapprovisionnement; l'opération promotionnelle de la SA X France s'analyse en une vente en solde, encore que son objectif ait pu être légalement de se faire prendre pour des soldes, mais la publicité de nature à induire en erreur n'est pas visée par la poursuite et la Cour n'est donc pas saisie des faits correspondants; une telle opération de solde constitue un tout; elle tombe globalement sous le coup de la loi dès lors qu'elle a été délibérément lancée avant la période "autorisée et quand bien même elle se serait achevée durant la période autorisée" (arrêt attaqué, p. 3, 6 et 7);
"alors qu'aux termes de l'article 28-1, 1er alinéa, de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, sont considérées comme soldes les ventes accompagnées ou précédées de publicité et annoncées comme tendant, par une réduction de prix, à l'écoulement accéléré de marchandises en stock; qu'en statuant par les motifs susvisés, desquels il ne ressort pas que les ventes réalisées par la société X France du 30 décembre 1997 au 5 janvier 1998 auraient été annoncées comme tendant à l'écoulement accéléré de marchandises en stock, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions du texte susvisé";
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article L. 310-3 du Code de commerce; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision, que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société X France a organisé une campagne publicitaire annonçant une "grande opération prix barrés" du 30 décembre 1997 au 5 janvier 1998;qu'à la suite de l'exécution de cette opération commerciale dans un magasin, elle est poursuivie pour avoir fait réaliser des soldes en dehors des périodes autorisées, délit prévu et puni par les articles 28 et 31, I, 3, de la loi du 5 juillet 1996, devenus les articles L. 310-3 et L. 310-5, 3, du Code de commerce;
Attendu que, pour la déclarer coupable de l'infraction, les juges d'appel relèvent que les réductions de prix, signalées par une affichette, portaient sur des articles d'exposition et sur des marchandises en stock, pour certaines insusceptibles de réapprovisionnement;qu'ils énoncent que cette opération promotionnelle constitue une vente en soldes, "encore que son objectif ait pu être également de se faire prendre pour des soldes", lancée délibérément quelques jours avant la période autorisée par arrêté préfectoral;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs emprunts de contradiction et qui ne caractérisent pas une vente annoncée comme tendant, par une réduction de prix, à l'écoulement accéléré de marchandises en stock, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision; d'où il suit que la cassation est encourue;
Par ces motifs, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Grenoble, en date du 6 septembre 2000 et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.