Livv
Décisions

CA Lyon, 2e ch. civ., 7 janvier 1993, n° 92-368

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Printemps (SA)

Défendeur :

Chambre Syndicale de l'Habillement du Havre et de la Région

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Magendie

Conseillers :

Dragne, Mme Masselin

Avoués :

Me Reybel, SCP Hamel, Fagoo

Avocats :

Mes Lagon, Vincent

T. com. Le Havre, du 17 janv. 1992

17 janvier 1992

La société Le Printemps, bénéficiaire d'un arrêté du Maire du Havre du 14 janvier 1992 l'autorisant à procéder à une vente au déballage dans les locaux de l'Armée du Salut, a organiser du 15 au 18 janvier 1992 une opération commerciale présentée dans ses publicités comme "Une grande braderie exceptionnellement hors magasin" pour faire "place nette dans ses réserves".

Sur assignation en référé de la CHAM Syndicale de l'Habillement du Havre et de la Région, le Président du Tribunal de commerce du Havre a dit que cette vente braderie constituait en fait une "vente liquidation", les marchandises vendues provenant des stocks des deux dernières années des magasins du Printemps du Havre.

Il a retenu qu'en la matière, les dispositions légales faisaient obligation aux commerçants de procéder aux ventes sur les lieux où lesdits commerçants exercent habituellement leur commerce. Par ordonnance du 17 juin 1992, il a en conséquence statué comme suit :

- constatons que la SA Le Printemps, qui procède actuellement à des opérations de vente de braderie est en infraction aux dispositions de l'article 8 du décret du 26 novembre 1962 relatif aux ventes au déballage,

- ordonnons la suspension immédiate de la vente braderie organisée dans les locaux situés 55, avenue René Coty, au Havre,

- Disons que, faute de satisfaire à cette décision, la SA Le Printemps sera condamnée à payer à la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre une astreinte provisoire de 5 000 F par jour.

Appelante de cette décision, la société Le Printemps fait valoir que le premier juge a fait une inexacte appréciation du décret du 26 novembre 1962 applicable en la matière.

L'obligation de procéder à une vente sur les lieux où le commerçant exerce habituellement son commerce ne vaudrait que pour les soldes et liquidations. Elle ne concernerait pas les ventes au déballage.

En tout état de cause, il existerait une difficulté sérieuse quant à la qualification de la vente braderie en l'espèce organisée. En présence de l'arrêté municipal ayant autorisé cette dernière, il appartiendrait à la cour de :

- Dire et juger que monsieur le Président du Tribunal de commerce du Havre était incompétent en référé pour statuer sur la demande qui lui était soumise et qu'en tout état de cause aucun trouble illicite n'était établi,

- Rejeter en conséquence les demandes de la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre et décharger la concluante des Condamnations contre elle prononcées par l'ordonnance du 17 janvier 1992,

- Condamner la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Pour la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre et de la Région, la qualification de la vente ne souffrirait pas la moindre difficulté.

Le courrier par lequel la société Le Printemps a sollicité du Maire l'autorisation qui lui a été accordée aurait fait expressément référence à une liquidation. Ses publicités s'y seraient elles-mêmes implicitement référées.

Aux termes de l'article 8 alinéa 2 du décret du 26 novembre 1962, il ne pourrait être procédé aux soldes ou liquidations que sur les lieux ou le commerçant exerce habituellement son commerce.

C'est abusivement que la société Le Printemps aurait poursuivi la vente malgré l'injonction reçue.

La cour devrait donc :

- Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

- y ajoutant,

- Liquider l'astreinte à la somme de 5 000 F x 2 jours, soit 10 000 F, et condamner la société Le Printemps au paiement de ladite somme,

- Condamner également la société Le Printemps au paiement d'une indemnité de 7 116 F par application de l'article 700 NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que par lettre du 18 décembre 1991, la société Le Printemps a sollicité de Monsieur le Député Maire du Havre "l'autorisation d'effectuer une vente braderie de l'extérieur de ses locaux pendant la période des soldes".

Qu'à cette occasion, son directeur a expliqué : "le caractère exceptionnel de ma démarche est motivé par le niveau préoccupant de nos stocks du aux méventes des trois dernières saisons, qui met gravement en péril l'équilibre de gestion de notre magasin et nécessite une liquidation d'envergure" ;

Que c'est dans ces conditions que, par arrêté municipal du 14 janvier 1992, la société Le Printemps a été autorisée à procéder à une vente au déballage sur les lieux qu'elle avait indiqués et qui étaient ceux des locaux de l'Armée du Salut ;

Attendu que par ordonnance de référer, rendue sur demande de la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre et de sa Région, injonction a été faite à la société Le Printemps d'avoir à cesser la vente ainsi organisée ;

Qu'à l'appui de la confirmation de cette ordonnance, la CHAM syndicale se prévaut des prescriptions de la loi du 30 décembre 1906 et des textes pris pour son application, subordonnant à diverses conditions dont une autorisation spéciale du Maire les ventes de marchandises neuves sous la forme de soldes, liquidations, ventes forcées ou déballages ;

Qu'elle invoque plus particulièrement l'article 8 du décret du 26 novembre 1962 prévoyant que "en ce qui concerne les soldes et liquidations", l'autorisation "précise qu'il doit être procédé dans les lieux où le requérant exerce habituellement son activité" :

Qu'elle souligne que, dans sa demande, la société Le Printemps avait précisément qualifié de "liquidation" l'opération qu'elle projetait ; que cette qualification correspondrait d'ailleurs à ses publicités ;

Attendu que l'on peut déjà sérieusement douter qu'en droit, l'opération évoquée puisse recevoir la qualification suggérée par l'intimée et retenue par le premier juge ;

Qu'en effet, la liquidation doit notamment tendre ou se présenter comme tendant à l'écoulement d'un stock "à la suite d'une décision de cesser un commerce, d'en modifier la structure ou les conditions d'exploitation" (art. 3 du décret précité), circonstances étrangères à la présente espèce ;

Qu'en l'état du dossier, la vente organisée par la société Le Printemps à supposer qu'il ne s'agisse pas d'une vente au déballage comme dit dans l'arrêté municipal semblerait plutôt se rapprocher des soldes dont l'objet est l'écoulement accéléré de tout ou partie d'un stock de marchandises (art. 2 du décret précité);

Mais attendu que, quelle que soit la qualification à retenir, il n'est pas contesté que cette même vente correspond à celle pour laquelle la société Le Printemps a sollicité l'autorisation du Maire ; qu'il n'est pas plus contesté que la société Le Printemps a respecté les conditions sous lesquelles cette autorisation a été donnée ;

Que le juge des référés ne saurait se prononcer sur la légalité de l'autorisation en cause dont il n'est d'ailleurs pas manifeste qu'elle ait irrégulièrement retenu la qualification de vente au déballage ; qu'en effet, cette dernière se définit précisément comme celle effectuée sur des emplacements ou dans des locaux non habituellement destinés au commerce considéré et présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel ou exceptionnel (art. 4 du décret) ;

Qu'au surplus, même en matière de soldes et de liquidations, il n'apparaît pas que la législation qu'invoque la Fédération de l'Habillement du Havre et de la Région édicte, au moins directement, une quelconque interdiction quant aux lieux dans lesquels ces opérations peuvent être réalisées ;

Qu'en effet, le décret de 1962, qui se présente d'ailleurs comme simplement destiné à préciser les modalités d'application de la loi de 1906, énonce seulement que les Maires doivent indiquer dans leurs arrêtés qu'il doit être procédé aux soldes et liquidations qu'ils autorisent dans les lieux où le requérant exerce habituellement son activité (art. 8 du décret) ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations de droit et de fait, la vente braderie organisée par la société Le Printemps ne pouvait être considérée comme constitutive d'un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 809 du NCPC, qui seul aurait publiquement justifier la compétence du juge des référés pour la mesure d'interdiction sollicitée ;

Que la société Le Printemps sera donc déclarée bien fondée en son appel, et l'ordonnance entreprise infirmée ;

Qu'en conséquence, la Fédération de l'Habillement du Havre et de la Région sera déboutée de sa demande de liquidation d'astreinte ;

Attendu que l'équité ne justifie pas qu'il soit fait application de l'article 700 NCPC ;

Que la Fédération de l'Habillement du Havre et de la Région, qui succombe doit supporter les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit la société Le Printemps en son appel, Infirme l'ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal de commerce du Havre du 17 janvier 1992, Déboute la demande de la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre et de la Région comme portant sur un litige ne ressortissant pas à la compétence du juge des référés, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la CHAM syndicale de l'Habillement du Havre et de la Région aux dépens de première instance et d'appel ; dit que ceux d'appel pourront être recouvrés par Maître Reybel, avoué, dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.