CA Paris, 4e ch. A, 14 mai 2003, n° 2001-12885
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Soto
Défendeur :
Christien, Salon, Savignac, Editions Dalloz (SA), Editions Berger-Levrault Communication (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Schoendoerffer
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Narrat-Peytavi, Huyghe
Avocats :
Mes Gregoire-Triet, Dequire-Portier, Boissard, Simonin, Matthyssens.
Vu l'appel interjeté, le 15 juin 2001, par Christine Soto d'un jugement rendu le 27 février 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris qui:
- l'a déboutée ainsi que Robert Christien de leurs demandes en contrefaçon et les a condamnés in solidum à payer à Serge Salon et Jean-Charles Savignac à chacun la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 20 000 F au même titre à la société Editions Dalloz,
- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- l'a condamnée in solidum avec Robert Christien à payer à Serge Salon et Jean-Charles Savignac la somme de 30 000 F et à la société Editions Dalloz celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 décembre 2002, par lesquelles Christine Soto, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour, au visa de l'article 1382 du Code civil, de:
- constater que Serge Salon, Jean-Charles Savignac et les Editions Dalloz ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à son encontre en publiant en 1999 le Code Dalloz de la fonction publique,
En conséquence, de:
- les condamner solidairement à lui payer la somme de 1 000 000 euros en réparation de son préjudice,
- désigner éventuellement un expert afin de déterminer si la publication du Code litigieux constitue un acte de concurrence déloyale,
En toute hypothèse, de:
- débouter Serge Salon, Jean-Charles Savignac de l'ensemble de leurs demandes,
- de les condamner solidairement avec les Editions Dalloz à lui verser une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois revues ou journaux de son choix et aux frais exclusifs de Serge Salon, Jean-Charles Savignac, à concurrence de 10 000 euros HT par insertion,
- les condamner aux dépens de première instance et d'appel.
Vu les uniques conclusions, en date du 14 décembre 2001, par lesquelles Robert Christien sollicite de la cour que acte lui soit donné de ce qu'il s'en rapporte à justice sur les mérites de l'appel de Christine Soto et qu'il soit statué ce que de droit sur les dépens d'appel;
Vu les uniques conclusions signifiées le 26 février 2002 dans l'intérêt de la société les Editions Berger-Levrault Communication tendant à sa mise hors de cause et à la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les ultimes conclusions signifiées le 15 mars 2002, par lesquelles Serge Salon et Jean-Charles Savignac, demandent à la cour de:
- déclarer, au visa des articles 564 et 31 du nouveau Code de procédure civile et L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, Christine Soto irrecevable en ses prétentions fondées sur une prétendue concurrence déloyale,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, exception faite de celle relative à leur demande reconventionnelle pour parasitisme,
- condamner Christine Soto à leur payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices financiers et moraux que ses agissements parasitaires et/ou fautifs leur ont causés, ainsi que, à chacun, la somme complémentaire de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 3 février 2003,
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que:
- les Editions Berger-Levrault Communication ont, à partir de 1986, publié un Code pratique de la fonction publique en huit tomes, connu sous le nom des Codes gris, les quatre premiers ayant été conçu et rédigé personnellement par Serge Salon et Jean-Charles Savignac, alors que les tomes suivants ont été réalisés, sous la direction de Serge Salon, par d'autres auteurs, dont en ce qui concerne les tomes V et VII, par Christine Soto et Robert Christien,
- le 21 février 1996, les Editions Berger-Levrault Communication ont, pour formaliser un projet ayant vu le jour en 1994, conclu avec Christine Soto et Robert Christien un ensemble de contrats d'édition en vue d'assurer le remplacement, à compter de 1996, des premiers tomes du Code pratique de la fonction publique,
- en 1994, Serge Salon et Jean-Charles Savignac ont contracté avec les Editions Dalloz aux fins de permettre la parution chez cet éditeur d'un Code de la fonction publique en un seul volume;
- sur la concurrence déloyale et le parasitisme:
Considérant que Serge Salon et Jean-Charles Savignac relèvent, avec pertinence, que, si aux termes de leurs dernières écritures devant le tribunal, Christine Soto et Robert Christien ne leur faisaient plus grief, ainsi que les premiers juges l'ont expressément mentionné, "de l'atteinte aux droits moraux qu'ils détiennent sur les ouvrages de la collection du "Code pratique de la fonction publique" dont ils sont les auteurs et dont le caractère protégeable au titre du Code de la propriété intellectuelle n 'est pas contesté, atteinte portée prétendument par l'édition du Code Dalloz de la fonction publique dont MM Salon et Savignac sont coauteurs et qui serait contrefaisant" de sorte que le tribunal a retenu que la demande est fondée sur la violation de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle. L'appelante "considère", aux termes de ses dernières conclusions signifiées dans le cadre de la procédure d'appel, que "après une analyse plus en profondeur, les multiples emprunts, s'ils ont bien relevé d'une décision délibérée des auteurs de faire l'économie d'un travail monumental, relèvent plus d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil que d'un acte de contrefaçon" substituant ainsi une action en concurrence déloyale à celle en contrefaçon initialement engagée;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 561 du nouveau Code de procédure civile que l'appel soumet à la cour le litige qui a été porté devant les premiers juges; que si l'article 563 du nouveau Code de procédure civile permet aux parties d'invoquer des moyens nouveaux, l'article 564 du même Code leur interdit de soumettre à la cour de nouvelles prétentions; que, selon l'article 565, ne sont pas nouvelles des prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent;
Or considérant que l'action en contrefaçon et l'action en concurrence déloyale ne constituent pas, sous des formes différentes, l'exercice du même droit et ne tendent pas aux mêmes fins; que la première a pour fondement l'atteinte à un droit privatif tandis que la seconde sanctionne une faute commise à l'encontre d'une personne qui ne peut justifier d'un droit privatif ou en tout cas qui peut justifier d'une faute distincte de l'atteinte portée à un tel droit;que, en l'espèce, ces deux actions procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins, l'action en concurrence déloyale n'étant ni l'accessoire, ni la conséquence, ni le complément de l'action initiale en contrefaçon;
Qu'il s'ensuit que le moyen tiré par Serge Salon et Jean-Charles Savignac de l'irrecevabilité des prétentions de Christine Soto au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme est fondé;
- sur l'action en parasitisme de Serge Salon et Jean-Charles Savignac:
Considérant que Serge Salon et Jean-Charles Savignac impute à Christine Soto des actes de parasitisme dès lors que, selon eux, elle aurait pour rédiger le nouveau Code pratique de la fonction publique, publié chez les Editions Berger-Levrault Communication "puiser largement" dans leur propre ouvrage;
Mais considérant que Christine Soto leur oppose, à bon droit, le moyen tiré de l'irrecevabilité de leur action pour défaut de qualité à agir;
Qu'en effet, il résulte de l'article 5 du contrat conclu, le 13 janvier 1986, entre Serge Salon et Jean Charles Savignac, d'une part, et les Editions Dalloz, d'autre part, portant sur leur ouvrage le Code de la fonction publique que "pour le prix de la cession des droits d'édition, de reproduction, d'adaptation, de représentation et de traduction ci-dessus prévue, l'Editeur versera à l'Auteur un droit forfaitaire et définitifs de 30 000 F", étant précisé que l'avenant à ce contrat signé le 6 mai 1986 stipulait que" les droits forfaitaires fixées par le contrat sont répartis de la façon suivante:
- 15 000 F à Monsieur Serge Salon à remise du manuscrit (montant déjà versé par lettre du 3 avril 1986)
- 15 000 F à Monsieur Jean-Charles Savignac à sortie de l'ouvrage";
Qu'il s'ensuit que Serge Salon et Jean-Charles Savignac ayant cédé aux Editions Berger-Levrault Communication la titularité de leurs droits patrimoniaux, seule cette dernière aurait qualité à dénoncer les faits de parasitisme par eux allégués;
Que leur action à ce titre sera donc déclarée irrecevable;
- sur les autres demandes:
Considérant qu'il convient de donner à Robert Christien l'acte par lui demandé;
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que, en premier lieu, Christine Soto qui a été condamnée par le tribunal à verser différentes indemnités à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, les premiers juges ayant notamment retenu à son encontre et à celle de Robert Christien que leur légèreté se retrouve dans leurs écritures où les griefs qu 'ils articulent ont fait l'objet de modifications incessantes, a, au cours de la présente procédure, persévéré dans cette pratique, de sorte que son appel revêt un caractère manifestement abusif; qu'il convient en conséquence de confirmer sur ce point le jugement déféré et de condamner l'appelante à verser à titre de dommages et intérêts complémentaires au titre de la procédure abusive, les sommes suivantes:
- 3 000 euros aux Editions Dalloz.
- 5 000 euros à Serge Salon,
- 5 000 euros à Jean-Charles Savignac
Que, en second lieu, Christine Soto sera condamnée aux dépens d'appel, ce qui l'exclut du bénéfice des dispositions de l'article au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que, en revanche, l'équité commande, sur ce même fondement, de la condamner à verser les indemnités complémentaires suivantes:
- 1 000 euros aux Editions Berger-Levrault Communication,
- 1 000 euros aux Editions Dalloz,
- 5 000 euros à Serge Salon et Jean-Charles Savignac;
Par ces motifs: Donne à Robert Christien l'acte par lui sollicité; Déclare irrecevable l'action de concurrence déloyale de Christine Soto; Déclare irrecevable l'action en parasitisme de Serge Salon et Jean-Charles Savignac; Confirme le jugement déféré; Et, y ajoutant, Condamne Christine Soto à verser les indemnités complémentaires suivantes: au titre de la procédure d'appel abusive: 5000 euros à Serge Salon, 5 000 euros à Jean-Charles Savignac; 3 000 euros à la société Editions Dalloz; au titre au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile: 1 000 euros aux Editions Berger-Levrault Communication; 1 000 euros aux Editions Dalloz, 5 000 euros à Serge Salon et Jean-Charles Savignac; La condamne en outre aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.