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Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 11 mars 1999, n° T-156/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Siderúrgica Aristrain Madrid SL

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bellamy (faisant fonction)

Juges :

MM. Potocki, Pirrung

Avocats :

Mes Creus, Ruiz Calzado, Lacalle, Vicente.

TPICE n° T-156/94

11 mars 1999

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (deuxième chambre élargie),

Faits à l'origine du recours

A - Observations liminaires

1 Le présent recours tend à l'annulation de la décision 94-215-CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après "Décision"), par laquelle elle a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes et d'une de leurs associations professionnelles à une série d'accords, de décisions et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et d'échange d'informations confidentielles sur le marché communautaire des poutrelles, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, et a infligé des amendes à quatorze entreprises de ce secteur pour des infractions commises entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.

2 D'après la Décision, la requérante Siderúrgica Aristrain Madrid, SL (ci-après "Aristrain Madrid"), anciennement connue sous le nom de José Maria Aristrain Madrid, SA, et Siderúrgica Aristrain Olaberría, SL (ci-après "Aristrain Olaberría"), anciennement connue sous le nom de José Maria Aristrain, SA, sont des sociétés soeurs appartenant au groupe sidérurgique Aristrain (ci-après "Aristrain"), dont le capital est détenu par la famille Aristrain.

[...]

D - Décision

3 La Décision a été notifiée à la requérante sous couvert d'une lettre de M. Van Miert datée du 28 février 1994 (ci-après "lettre"). La requérante en a accusé réception le 7 mars 1994.

4 Bien que la Commission ait, dans la motivation de la Décision, estimé que deux sociétés appartenant au groupe Aristrain, à savoir Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría, avaient participé aux infractions en cause, seule Aristrain Madrid est destinataire de la Décision, qui comporte le dispositif suivant:

"Article premier

Les entreprises suivantes ont pris part, dans la mesure décrite dans la présente décision, aux pratiques anticoncurrentielles indiquées sous leur nom, qui empêchaient, restreignaient et faussaient le jeu normal de la concurrence dans le Marché commun. Lorsque des amendes sont infligées, la durée de l'infraction est indiquée en mois, sauf dans le cas de l'harmonisation des suppléments, où la participation à l'infraction est indiquée par `X'.

[...]

Aristrain

a) Échange d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la Commission poutrelles (24)

b) Fixation des prix à la Commission poutrelles (24)

c) Répartition des marchés, British Steel, Ensidesa et Aristrain (8)

h) Harmonisation des suppléments (X)

[...]

Article 4

Pour les infractions décrites à l'article 1er commises après le 30 juin 1988 (après le 31 décembre 1989 dans le cas d'Aristrain et d'Ensidesa) (2), les amendes suivantes sont infligées:

[...]

Siderúrgica Aristrain Madrid, SL 10 600 000 écus

[...]

[...]

Article 6

Sont destinataires de la présente décision:

[...]

* Siderúrgica Aristrain Madrid, SL

[...]"

[...]

Sur la demande tendant à l'annulation de l'article 1er de la Décision

[...]

A - Sur la violation des droits procéduraux de la partie requérante

Sur la violation du droit à un Tribunal impartial

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

5 La requérante fait valoir que la Décision a été adoptée en violation du droit fondamental à un Tribunal indépendant et impartial. Ce droit, qui trouverait son origine dans le principe du "procès équitable", serait consacré par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après "CEDH") et, plus généralement, par les traditions constitutionnelles communes aux États membres, auxquelles renvoie l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, en tant que principe général du droit communautaire.

6 La violation de ce droit résulterait essentiellement de ce que la procédure menée par la Commission n'attribue pas à des organes ou personnes différents les fonctions d'instruction et de décision, alors même que les dispositions du traité ne prévoient pas de recours de pleine juridiction, de la nature de celui exigé par la CEDH, contre les décisions de la Commission.

7 La requérante commence par écarter l'objection selon laquelle la Commission ne serait pas un "Tribunal" au sens littéral de l'article 6 de la CEDH et n'aurait pas, dans cette mesure, à se conformer aux exigences de cet article, ainsi que la Cour l'a affirmé dans ses arrêts des 19 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission (209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125), et 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100-80, 101-80, 102-80 et 103-80, Rec. p. 1825, ci-après "arrêt Pioneer").

8 Il conviendrait, en effet, d'opter pour une conception "matérielle", et non "formelle", de la notion d'"accusation" visée audit article, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après "Cour européenne") [arrêts Deweer/Belgique du 27 février 1980 (n° 35, série A, p. 23 et 24), Öztürk/Allemagne du 21 février 1984 (n° 73, série A), Engel e.a./Pays-Bas du 8 juin 1984 (n° 22, série A), Campbell et Fell/Royaume-Uni du 28 juin 1984 (n° 80, série A), et Funke, Crémieux et Miailhe/France du 25 février 1993 (nos 256-A à C, série A)]. Ainsi, le fait que les sanctions prévues par les traités CECA et CE ne soient pas formellement qualifiées de pénales par le droit "interne" - en l'occurrence le droit communautaire - n'exclurait pas qu'elles présentent une telle nature sur le plan matériel, au regard de la CEDH.

9 La requérante fait ainsi valoir que les décisions de la Commission européenne des droits de l'Homme (ci-après "Commission européenne") dans les affaires SA Stenuit/France (requête n° 15598-85, déc. 11.7.89, D.R 61, p. 125 à 131, § 62) et M. & Co./Allemagne (requête n° 13258-87, déc. 9.2.90, D.R. 64, p. 146 à 153) ont reconnu que les sanctions administratives en droit de la concurrence relevaient de la matière pénale, en tenant compte, d'une part, de l'objectif d'intérêt général des dispositions en cause et, d'autre part, de la nature et de la sévérité de l'amende administrative imposée.

10 En l'espèce, les amendes imposées par la Commission au titre de l'article 65 du traité constitueraient l'un des instruments de la réalisation des objectifs dudit traité et, notamment, de l'établissement d'un Marché commun. Elles seraient également de nature dissuasive et répressive, comme en témoignerait le communiqué de presse publié par la Commission le 16 février 1994. Enfin, elles seraient d'un montant particulièrement élevé puisque la somme de 10,6 millions d'écus représenterait 11,9 % du chiffre d'affaires de la requérante, alors que dans l'affaire SA Stenuit/France, précitée, la Commission européenne a considéré qu'une amende pouvant atteindre 5 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises contrevenantes montrait "très clairement que la sanction en question avait pour objet d'être dissuasive" (au point 62 de la décision précitée). Ces amendes présenteraient ainsi le caractère d'une sanction pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH, dont les garanties seraient dès lors applicables aux procédures conduisant à leur imposition.

11 Se fondant ensuite sur les arrêts de la Cour européenne Piersack/Belgique du 1er octobre 1982 (n° 53, série A), Albert et Le Compte/Belgique du 10 février 1983 (n° 58, série A), De Cubber/Belgique du 26 octobre 1984 (n° 86, série A), Hauschildt/Danemark du 24 mai 1989 (n° 154, série A), la requérante expose que, dans les affaires à caractère "pénal" impliquant l'intervention d'un organe administratif, les systèmes procéduraux conformes à l'article 6 de la CEDH sont soit ceux dans lesquels la phase de l'instruction est séparée de celle de la décision, soit, à tout le moins, ceux prévoyant un contrôle ultérieur par un Tribunal ayant pleine juridiction sur toutes les questions de fait et de droit ainsi que sur le pouvoir discrétionnaire de l'organe administratif concerné (voir également l'arrêt de la Cour européenne Obermeier/Autriche du 28 juin 1990, n° 179, série A).

12 Or, la Commission aurait adopté la Décision en assumant à la fois les pouvoirs d'instruction et de décision, exercés par les mêmes personnes, et sans que cette Décision puisse faire l'objet d'un recours de pleine juridiction au sens où l'entend la jurisprudence de la Cour européenne.

13 La requérante estime, tout d'abord, qu'un système confiant à un même organe administratif les pouvoirs d'instruction et de décision n'offre pas les garanties suffisantes pour pouvoir être qualifié d'impartial d'un point de vue objectif et fonctionnel.

14 Pour établir l'absence d'un recours de pleine juridiction en droit communautaire de la concurrence, la requérante se fonde, d'une part, sur le renvoi opéré par l'article 36 du traité CECA à son article 33 et, d'autre part, sur une jurisprudence constante selon laquelle, dans l'appréciation d'une situation complexe, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation, de sorte que, lorsqu'elle contrôle les conditions d'exercice de ce type de compétence, la Cour se limite à la vérification du respect des règles de procédure, du caractère suffisant de la motivation, de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir. Elle invoque, en ce sens, les arrêts de la Cour du 18 mai 1962, Comptoirs de vente du charbon de la Ruhr "Geitling" e.a./Haute Autorité (13-60, Rec. p. 165), du 22 janvier 1976, Balkan (55-75, Rec. p. 19), et du 11 juillet 1985, Remia/Commission (42-84, Rec. p. 2545). La requérante cite également le point 23 de l'arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225-91, Rec. p. I-3203), dans lequel la Cour a précisé qu'elle ne pouvait "substituer son appréciation en fait, notamment sur le plan économique, à celle de l'auteur de la décision". Elle se réfère également, à cet égard, aux arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission (T-30-89, Rec. p. II-1439, point 136), et du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission (T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Rec. p. II-1403), en ce que le Tribunal a estimé qu'il n'avait pas compétence pour réformer la décision litigieuse et qu'il ne lui appartenait pas de porter une nouvelle appréciation d'ensemble sur les preuves dont il avait eu à connaître, ni d'en tirer les conséquences au regard des règles de concurrence. Elle fait valoir qu'un Tribunal contrôlant véritablement les questions de fait et de droit, ainsi que le pouvoir discrétionnaire de l'administration, serait entré sans difficulté dans l'appréciation de la réalité de l'affaire, à savoir les raisons pour lesquelles la Commission avait imposé une amende aussi importante.

15 Il en irait ainsi malgré les termes de l'article 36 du traité. D'une part, la Cour aurait affirmé, dès son arrêt du 10 décembre 1957, ALMA/Haute Autorité (8-56, Rec. p. 179), qu'elle ne pouvait contrôler et revoir la sanction dans le cadre du traité que dans les cas où la Haute Autorité aurait commis une "iniquité manifeste". La Commission disposerait ainsi d'une importante liberté pour déterminer le montant des amendes, sans que le Tribunal puisse contrôler les raisons exactes pour lesquelles un montant déterminé a été infligé (voir aussi les conclusions de l'avocat général M. Warner sous l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission, 32-78 et 36-78 à 82-78, Rec. p. 2435, 2484, et les conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d'avocat général sous l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc e.a./Commission, T-1-89, Rec. p. II-867, II-869, II-1026 - conclusions communes aux arrêts dits "polypropylène" du 24 octobre 1991, T-2-89, T-3-89, Rec. p. II-1087, II-1177, du 17 décembre 1991, T-4-89, T-6-89, T-7-89, T-8-89, Rec. p. II-1523, II-1623, II-1711, II-1833, et du 10 mars 1992, T-9-89 à T-15-89, Rec. p. II-499, II-629, II-757, II-907, II-1021, II-1155, II-1275). D'autre part, le contrôle exercé dans le cadre du recours de pleine juridiction visé à l'article 36 du traité ne porterait pas sur tous les éléments de la décision attaquée, mais aurait pour seul et unique objet une éventuelle modification de la sanction économique infligée. Le contrôle du Tribunal sur les autres éléments, tels que la base légale sur laquelle cette sanction est fondée, ne pourrait s'exercer que de la manière prévue à l'article 33 du traité.

16 La requérante fait par ailleurs valoir que, compte tenu de la nouvelle perspective ouverte en droit communautaire par le traité sur l'Union européenne, qui consacre en son article F, paragraphe 2, la nécessité pour l'Union de tenir compte des traditions constitutionnelles des États membres en tant que principes généraux du droit communautaire, le Tribunal ne devrait pas, en l'espèce, se contenter d'apprécier la Décision à la lumière de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne.

17 A cet égard, la requérante fait valoir que les garanties procédurales prévues par les ordres juridiques des États membres en matière de sanctions administratives, et plus particulièrement en matière de concurrence, sont nettement au-delà de celle résultant de l'interprétation "de minimis" du droit à un Tribunal indépendant retenue par la Cour européenne. En effet, les États membres prévoiraient, en règle générale, que les amendes pour violation du droit de la concurrence sont imposées par un organe différent de celui qui a assuré l'instruction et prévoiraient tous, en outre, dans les phases ultérieures de la procédure, un recours de pleine juridiction devant les tribunaux ordinaires, conforme aux exigences de l'article 6 de la Cour européenne. La requérante invoque, à cet égard, les droits français, grec, belge, portugais, espagnol, danois, allemand et italien, tout en soulignant que les systèmes britannique, irlandais et néerlandais ne prévoient pas d'amendes en cette matière. Par conséquent, même si le Tribunal devait considérer que l'adoption par la Commission de la Décision ne constitue pas violation du droit à un Tribunal impartial selon les critères énoncés par la Cour européenne, la requérante conclut que, en toute hypothèse, elle constitue violation du droit fondamental à un Tribunal impartial tel qu'il est défini par les traditions constitutionnelles des États membres, qui se reflètent dans leurs procédures d'application du droit de la concurrence.

18 Il s'ensuit, selon la requérante, que la Décision a été adoptée en violation des droits de l'Homme, dont il appartiendrait au Tribunal d'assurer le respect (voir, par exemple, les arrêts de la Cour du 12 novembre 1969, Stauder, 29-69, Rec. p. 419, du 18 juin 1991, ERT, C-260-89, Rec. p. I-2925, et du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283).

Appréciation du Tribunal

19 Le présent grief doit être rejeté comme irrecevable dans la mesure où il vise à mettre en cause la légalité du système de répression des ententes mis en place par les articles 65 et 66 du traité, ou encore la légalité du système de contrôle juridictionnel des actes de l'administration mis en place par les articles 33 et 36 du traité.

20 En effet, le traité lui-même n'est pas un acte de la Commission et il n'est donc pas susceptible d'être contrôlé par le juge communautaire en vertu des articles 33 ou 36 du traité (voir, pour le traité sur l'Union européenne, l'ordonnance de la Cour du 13 janvier 1995, Roujansky/Conseil, C-253-94 P, Rec. p. I-7, point 10).

21 Or, c'est le traité lui-même qui, en matière de répression des ententes, prévoit le cumul des fonctions d'instruction, d'accusation et de décision en les confiant à une même institution, à savoir la Commission (voir article 65, paragraphes 1 à 5).

22 La requérante ayant, néanmoins, soutenu que son grief n'avait pas pour objet de contester la légalité du traité, il y a lieu de considérer que, par ledit grief, elle vise à mettre en cause le fait que, en matière de répression des ententes, les fonctions d'instruction et de décision ne sont pas confiées à des personnes ou organes distincts, au sein de la Commission, et non le fait qu'une même institution communautaire assume ces deux fonctions.

23 A cet égard, s'il est vrai que la Communauté n'a pas adhéré à la CEDH et qu'elle n'a, d'ailleurs, pas compétence pour ce faire en l'Etat actuel du droit communautaire (avis 2-94 du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 36), il n'en demeure pas moins que, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.

24 Il résulte également d'une jurisprudence constante (voir, outre l'avis 2-94, précité, point 33, arrêts de la Cour du 1er février 1996, Perfili, C-177-94, Rec. p. I-161, point 20, et du 18 décembre 1997, Annibaldi, C-309-96, Rec. p. I-7493, point 12) que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect. A cet effet, la Cour et le Tribunal s'inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'Homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. Dans ce cadre, la Cour a indiqué que la CEDH revêtait une importance particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222-84, Rec. p. 1651, point 18, et du 29 mai 1997, Kremzow, C-299-95, Rec. p. I-2629, point 14). Comme la Cour l'a également précisé, il en découle que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect des droits de l'Homme ainsi reconnus et garantis (voir, notamment, arrêt ERT, précité, point 41).

25 Il importe encore de souligner que, lors de la procédure administrative devant la Commission, celle-ci est tenue de respecter les garanties procédurales prévues par le droit communautaire (voir arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 39).

26 Il ressort toutefois de l'arrêt Pioneer (points 6 à 8) que le cumul, par la Commission, de l'exercice des fonctions d'accusation et de décision n'est pas contraire aux garanties procédurales prévues par le droit communautaire. De même, il ressort de l'arrêt Shell/Commission, précité (point 40), que ces garanties procédurales n'imposent pas à la Commission de se doter d'une organisation interne empêchant qu'un seul et même fonctionnaire puisse agir dans une même affaire en qualité d'enquêteur et de rapporteur.

27 Compte tenu de ce qui précède, à supposer même que les amendes imposées au titre de l'article 65 du traité aient le caractère d'amendes pénales, le grief de la requérante ne saurait être retenu que si les décisions de la Commission imposant ces amendes ne peuvent pas faire l'objet d'un recours devant une instance juridictionnelle dotée d'une compétence de pleine juridiction, au sens de la CEDH.

28 A cet égard, il convient de rappeler que l'article 65, paragraphe 5, du traité investit la Commission du pouvoir de prononcer, contre les entreprises qui auraient commis une infraction aux dispositions de l'article 65, paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de l'infraction en cause, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d'un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l'amende, et de 20 % du chiffre d'affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes.

29 L'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles communautaires de la concurrence susmentionnées constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 juin 1995, Guérin automobiles/Commission, T-186-94, Rec. p. II-1753, point 23).

30 En l'espèce, ce principe général de droit communautaire n'a pas été violé.

31 En premier lieu, le Tribunal est une juridiction indépendante et impartiale, établie par la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1, rectificatifs au JO 1989, L 241, p. 4). Comme cela ressort du troisième considérant de ladite décision, il a été institué, notamment, afin d'améliorer la protection juridictionnelle des justiciables dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

32 En deuxième lieu, le Tribunal exerce, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, sous b), de la même décision, les compétences conférées à la Cour par les traités instituant les Communautés et par les actes pris pour leur exécution, "pour les recours formés par des personnes physiques ou morales en vertu de l'article 33, deuxième alinéa [...] du traité CECA".

33 En troisième lieu, l'article 4 de ladite décision rend applicables aux procédures devant le Tribunal les dispositions de l'article 36 du traité CECA, lequel dispose, en son paragraphe 2, que "les sanctions pécuniaires et les astreintes prononcées en vertu des dispositions du présent traité peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction".

34 Dans le cadre d'un recours fondé sur les articles 33, deuxième alinéa, et 36, deuxième alinéa, du traité CECA, le contrôle de la légalité d'une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et infligeant, à ce titre, une amende à la personne physique ou morale concernée doit être considéré comme un contrôle juridictionnel effectif de l'acte en cause. En effet, les moyens susceptibles d'être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d'annulation ou de réformation d'une sanction pécuniaire sont de nature à permettre au Tribunal d'apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de toute accusation portée par la Commission dans le domaine de la concurrence (voir, dans le cadre du traité CE, l'arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T-348-94, Rec. p. II-1875, point 63).

35 A cet égard, il convient de rejeter l'argument de la requérante, selon lequel l'absence d'un recours de pleine juridiction peut être déduite du renvoi fait par l'article 36, paragraphe 3, du traité à son article 33, paragraphe 1. En effet, en disposant que "les requérantes peuvent se prévaloir, à l'appui [du recours de pleine juridiction contre les sanctions pécuniaires et les astreintes], dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 33 du présent traité, de l'irrégularité des décisions et recommandations dont la méconnaissance leur est reprochée", l'article 36, paragraphe 3, du traité n'a nullement pour effet de limiter aux seuls moyens admissibles dans le cadre du recours en annulation les moyens susceptibles d'être soulevés dans le cadre du recours de pleine juridiction, mais seulement d'aménager les conditions dans lesquelles une exception d'illégalité peut être soulevée à l'appui d'un tel recours.

36 Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la Cour n'a nullement, dans son arrêt ALMA/Haute Autorité, précité, jugé qu'elle ne pouvait contrôler et revoir la sanction que dans les cas où la Haute Autorité aurait commis une "iniquité manifeste". Au contraire, la Cour y a constaté (p. 191) qu'elle était saisie d'un recours de pleine juridiction (article 36, deuxième alinéa, du traité) et que, de ce fait, elle était "investie du pouvoir non seulement d'annuler, mais encore de réformer la décision entreprise", ajoutant que "même en l'absence de conclusions formelles, [elle] serait autorisée à réduire le montant d'une amende excessive". La Cour a ensuite (p. 192) estimé que le montant de l'amende n'était pas excessif dans le cas d'espèce, eu égard à la gravité de l'infraction et à la situation financière de la requérante, avant de conclure: "[A]ucune iniquité manifeste n'étant établie, la Cour n'entend pas substituer son appréciation à celle prononcée par la Haute Autorité."

37 L'argument subsidiaire de la requérante, selon lequel le contrôle exercé dans le cadre du recours de pleine juridiction visé à l'article 36 du traité aurait pour seul objet une modification de la sanction économique infligée et ne porterait pas sur les autres éléments de la décision attaquée, tels la base légale sur laquelle cette sanction est fondée, qui resteraient soumis au seul contrôle de légalité visé à l'article 33 du traité, doit également être rejeté.

38 En premier lieu, en effet, il ne saurait être contesté que la sanction elle-même peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction, conformément à l'article 36 du traité.

39 En second lieu, le Tribunal considère que le contrôle de pleine juridiction de la sanction exercé au titre de l'article 36 du traité, combiné, le cas échéant, avec le contrôle de légalité des autres éléments de la décision, exercé au titre de l'article 33 du traité, est conforme au principe consacré à l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH. En effet, outre la compétence de pleine juridiction exercée au titre de l'article 36 du traité, l'article 33 du traité habilite le juge communautaire, par le contrôle de l'erreur de droit et de fait, à procéder à un examen exhaustif de la légalité des décisions qui lui sont déférées. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le contrôle exercé, dans la pratique, sur l'exactitude et la matérialité des faits retenus par la Commission.

40 Il convient d'ailleurs de relever que le rapport de la délégation française sur le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la convention relative aux dispositions transitoires signés à Paris le 18 avril 1951 (Paris, ministère des Affaires étrangères, octobre 1951, p. 41) indique, à propos du recours de pleine juridiction prévu par le traité en matière de sanctions pécuniaires, que "des garanties particulières devaient, ici, être prévues en faveur des intéressés et les règles normales du recours en annulation ne pouvaient convenir. C'est pourquoi un recours de pleine juridiction a été admis, qui permet à la Cour, non seulement d'apprécier les faits sans aucune restriction, mais encore de supprimer ou de modifier l'amende à son gré".

41 L'argument de la requérante, selon lequel les systèmes procéduraux nationaux en matière de concurrence offriraient actuellement des garanties plus étendues que la protection "de minimis" assurée par l'article 6 de la CEDH, dont le Tribunal aurait à tenir compte en tant que traditions constitutionnelles communes des États membres, doit être rejeté comme non fondé dès lors que, comme le relève la Commission, le système communautaire en la matière n'est qu'une variante d'un certain nombre de systèmes nationaux, qui s'en sont d'ailleurs ouvertement inspirés.

42 Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le moyen doit être rejeté comme non fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si les amendes imposées au titre de l'article 65 du traité ont le caractère d'amendes pénales, au sens de la CEDH.

Sur l'imputation des infractions alléguées et sur l'imposition d'une amende à la seule partie requérante

Résumé sommaire de l'argumentation des parties

43 La requérante relève que, bien qu'étant seule destinataire de la Décision (voir son point 323), elle s'est vu infliger une amende dont le montant tient compte non seulement de son comportement et de son chiffre d'affaires, mais aussi du comportement et du chiffre d'affaires de sa société soeur, Aristrain Olaberría (voir point 2 ci-avant), ce qui serait contraire aux dispositions de l'article 65, paragraphe 5, du traité.

44 En procédant de la sorte, la Commission lui aurait imputé le comportement d'une société soeur, juridiquement indépendante et seule responsable de son activité commerciale. Se référant à la jurisprudence de la Cour en matière de responsabilité au sein d'un groupe de sociétés (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619, et BMW Belgium e.a./Commission, précité), la requérante considère qu'une filiale membre d'un groupe d'entreprises ne saurait être tenue pour responsable des infractions prétendument commises par une autre filiale du même groupe.

45 Elle relève que, tout au long de la procédure administrative, et notamment dans la communication des griefs, la Commission a fait référence soit au groupe Aristrain en tant que tel, soit à Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría comme étant deux entreprises distinctes au sein de ce groupe. De plus, la communication des griefs et la convocation en vue de l'audition auraient été adressées aux deux entreprises séparément. En considérant Aristrain Madrid comme seule destinataire de la Décision, la Commission aurait, dès lors, limité délibérément les effets de ladite Décision à cette entreprise, ce qui lui aurait interdit de prendre en considération le comportement et le chiffre d'affaires d'Aristrain Olaberría lors de la fixation du montant de l'amende.

46 Elle fait, en outre, valoir que l'argument tiré par la Commission de l'unité de représentation et de défense des deux sociétés du groupe Aristrain au cours de la procédure administrative contredit les règles procédurales les plus élémentaires, une telle unité n'impliquant pas l'identité des défendeurs.

47 La Commission aurait, dès lors, imposé à tort à la seule Aristrain Madrid une amende s'élevant à 11,9 % de son chiffre d'affaires de 1993, dépassant tant le plafond de 10 % prévu à l'article 65, paragraphe 5, du traité que le maximum de 7,5 % mentionné par le membre de la Commission M. Van Miert lors de sa conférence de presse du 16 février 1994.

48 La partie défenderesse fait valoir que l'argumentation de la requérante méconnaît la jurisprudence communautaire en vertu de laquelle c'est l'unité économique qui est tenue pour responsable des infractions au droit de la concurrence, quand bien même cette unité économique est, du point de vue juridique, constituée de plusieurs sociétés (arrêts de la Cour ICI/Commission, précité, et du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170-83, Rec. p. 2999), à moins que ne soit prouvée la responsabilité exclusive de l'une desdites sociétés dans les infractions reprochées (arrêt BMW Belgium e.a./Commission, précité). Tout au long de la Décision, la Commission se serait tenue à un concept conforme à cette jurisprudence, en considérant le "groupe Aristrain", composé de Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría, comme une unité économique [voir point 16, sous b), et article 1er du dispositif de la Décision].

49 La Commission souligne que, de l'aveu même de la requérante, Aristrain Olaberría agit "toujours à l'intérieur d'un groupe" (voir point 131 de la requête), et qu'il existe une unité du point de vue de la représentation et de la défense des deux sociétés. Leurs actions auraient donc été conjointes, comme le prouverait le fait qu'elles ont envoyé une réponse commune à la communication des griefs.

50 La partie défenderesse nie avoir considéré et traité les deux sociétés en cause comme des "entreprises indépendantes". La seule preuve en ce sens serait une convocation séparée de chacune des deux sociétés à l'audition. Il résulterait, par ailleurs, clairement du point 323 de la Décision que la Commission ne sanctionne pas la conduite d'Aristrain Madrid isolément. Au contraire, les comportements illicites concerneraient la totalité du groupe Aristrain, et la sanction pécuniaire refléterait le comportement des deux sociétés.

51 La Commission estime que la prise en considération du chiffre d'affaires d'Aristrain Olaberría est conforme aux prescriptions du droit communautaire de la concurrence.

52 Dans son mémoire en réplique, la requérante fait valoir que, par sa lettre du 22 juin 1994 (voir point 54 ci-dessus), la partie défenderesse lui a donné raison en marge de la présente procédure, en exprimant l'intention de modifier la Décision dans le but d'inclure Aristrain Olaberría parmi ses destinataires et d'infliger à chacune des deux sociétés du groupe une amende dont le montant total serait égal à celui infligé à la seule requérante.

53 Dans sa duplique, la partie défenderesse souligne que la raison d'être de la mesure envisagée n'est pas la correction d'une quelconque erreur, mais le souci de disposer de garanties plus importantes au moment d'exiger l'exécution de la sanction.

54 Lors de sa plaidoirie devant le Tribunal, le Conseil de la requérante a également fait Etat d'une audition qui s'est tenue à Bruxelles le 23 janvier 1995 devant M. Johannes, conseiller-auditeur à la Commission, au cours de laquelle a été débattue la question de savoir s'il y avait lieu pour celle-ci de modifier la Décision de manière à inclure également Aristrain Olaberría parmi les destinataires. Il ressort du procès-verbal de cette audition, qui a été produit par la Commission à la demande du Tribunal et versé au dossier, que le Conseil de la requérante s'est opposé à toute modification de la Décision. La Commission a également produit, et le Tribunal a versé au dossier, une lettre du membre de la Commission M. Van Miert au Conseil de la requérante du 27 avril 1995, ainsi libellée:

"Après le déroulement de la procédure de modification de la Décision et au vu de vos allégations, j'ai décidé de ne pas proposer pour le moment à la Commission la modification prévue, mais bien d'attendre la résolution de l'affaire par le Tribunal de première instance des Communautés européennes."

Appréciation du Tribunal

55 Les deux sociétés productrices de poutrelles du groupe Aristrain, à savoir Aristrain Madrid, requérante dans la présente espèce, et Aristrain Olaberría, ainsi que le groupe Aristrain lui-même, sont décrits en ces termes, au point 16, sous b), de la Décision:

"José Maria Aristrain Madrid, SA et José Maria Aristrain, SA (désignées ensemble ci-après sous le nom de `Aristrain') sont des sociétés sidérurgiques appartenant au groupe Aristrain dont le capital est détenu par la famille Aristrain (...) José Maria Aristrain Madrid, SA et José Maria Aristrain, SA sont connues maintenant respectivement sous les noms de Siderúrgica Aristrain Madrid, SL et Siderúrgica Aristrain Olaberría, SL."

56 Par la suite, la Décision se réfère simplement à "Aristrain", visant ainsi tant Aristrain Madrid que Aristrain Olaberría. Au point 323 de la Décision, la Commission indique, toutefois, que seule Aristrain Madrid en est destinataire, mais que l'amende qui lui est infligée tient également compte du comportement de sa société soeur Aristrain Olaberría.

57 Aux termes de l'article 1er du dispositif de la Décision, la constatation d'infractions vise, en l'espèce, "Aristrain" et, par conséquent, tant Aristrain Madrid qu'Aristrain Olaberría. Toutefois, ainsi que l'annonçait déjà le point 323, l'article 4 du dispositif de la Décision inflige l'amende uniquement à "Siderúrgica Aristrain Madrid SL", et l'article 6 du dispositif de la Décision désigne cette seule société comme destinataire.

58 Il ressort, par ailleurs, des explications des parties à l'audience que Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría, dont la production représente respectivement 36 et 64 % du chiffre d'affaires réalisé sur les poutrelles en 1990 dans la CECA par Aristrain, développent leurs activités, sur les mêmes marchés, dans le cadre d'une politique commerciale intégrée au niveau du groupe, en s'appuyant sur un même réseau de distribution. Ainsi, le fait qu'une commande de poutrelles enregistrée par les services de vente du groupe dans les différents États membres soit exécutée et livrée par Aristrain Madrid ou par Aristrain Olaberría dépend d'une décision interne au groupe, en fonction des programmes de production et de la taille des poutrelles concernées (Aristrain Madrid étant davantage spécialisée dans la production de poutrelles de petites dimensions).

59 Il ressort, en outre, du dossier que le groupe Aristrain et ses filiales ont participé, dans une mesure égale, aux infractions imputées à la seule Aristrain Madrid dans la Décision, sans qu'il soit possible de distinguer entre les diverses composantes du groupe selon leur degré de participation individuelle auxdites infractions. Ainsi, vis-à-vis des autres entreprises membres de la Commission poutrelles, "Aristrain" apparaissait comme un groupe unique englobant tant Aristrain Madrid qu'Aristrain Olaberría, qui étaient représentées par la ou les mêmes personnes aux diverses réunions.

60 Il y a lieu de considérer que, dans ces circonstances, les deux sociétés Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría constituent une unité économique et, par conséquent, une seule "entreprise" au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité (voir arrêts de la Cour Hydrotherm, précité, point 11, et du 24 octobre 1996, Viho/Commission, C-79-95 P, Rec. p. I-5457, points 15 à 18).

61 Il y a également lieu de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, en considération de l'unité du groupe économique formé par une société mère et ses filiales, les agissements des filiales peuvent, dans certaines circonstances, être imputés à la société mère (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 135). Ces circonstances sont effectivement réunies en l'espèce. En effet, les deux filiales productrices de poutrelles, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché, mais appliquent pour l'essentiel les instructions qui leur sont imparties par le groupe, lequel assume un rôle d'impulsion et de coordination (voir les arrêts ICI/Commission, précité, point 133, et Shell/Commission, précité, point 312).

62 Il ressort, toutefois, des explications données par l'agent de la partie défenderesse tant à l'audience de référé devant le président du Tribunal qu'à l'audience devant le Tribunal, et non contestées par la requérante, que, si la Commission avait effectivement l'intention d'imputer au "groupe" Aristrain les infractions commises par ses filiales Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría, il ne lui a pas été possible d'identifier la société mère du groupe, laquelle n'existait pas en tant que "société holding", "au sens traditionnel du terme", à l'époque de l'envoi de la communication des griefs, étant donné que le capital était entre les mains de la famille Aristrain. Elle a, dès lors, adressé ladite communication des griefs à chacune des deux sociétés Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría, par lettres du 6 mai 1992, et elle a également convoqué chacune d'elles à l'audition administrative. Il convient de relever, à cet égard, qu'une réponse unique a été faite, au nom des deux sociétés, à ladite communication des griefs et que celles-ci ont manifesté le souhait d'être représentées par les mêmes avocats lors de l'audition administrative (voir les lettres des avocats de la requérante à la Commission des 22 juillet et 3 septembre 1992).

63 Il ressort des mêmes explications non contestées que la "société holding" du groupe a été créée ultérieurement, mais que la Commission a préféré ne pas l'inclure parmi les destinataires de la Décision, dès lors qu'elle n'avait pas été destinataire de la communication des griefs. La Commission aurait alors choisi une "société représentative du groupe", à savoir Aristrain Madrid, à qui elle aurait imputé l'ensemble des infractions et infligé une amende qui tient également compte du comportement et du chiffre d'affaires de sa société soeur Aristrain Olaberría.

64 Dès lors que la Commission avait dûment établi une égale participation d'Aristrain Madrid et d'Aristrain Olaberría aux diverses infractions retenues à leur charge à l'article 1er du dispositif de la Décision, et que ces deux sociétés doivent être considérées comme constituant une seule "entreprise", au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité, le Tribunal estime que, dans les circonstances spécifiques de l'espèce, la Commission était fondée à imputer à la première la responsabilité des comportements de la seconde et, comme elle l'a fait à l'article 4 du dispositif de la Décision, à tenir compte du chiffre d'affaires de cette dernière dans le calcul du montant de l'amende due par la première.

65 Le Tribunal considère, en effet, que, dans une situation dans laquelle, en raison de la composition familiale du groupe et de la dispersion de son actionnariat, il était impossible ou excessivement difficile d'identifier la personne juridique qui, à sa tête, aurait pu, en tant que responsable de la coordination de l'action du groupe, se voir imputer les infractions commises par ses diverses sociétés composantes, la Commission était en droit de tenir les deux filiales Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría pour solidairement responsables de l'ensemble des agissements du groupe, afin d'éviter que la séparation formelle entre ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne puisse s'opposer à la constatation de l'unité de leur comportement sur le marché aux fins de l'application des règles de concurrence (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 140).

66 Il s'ensuit que la Commission était fondée, en l'espèce, à imposer aux deux sociétés soeurs une amende unique d'un montant calculé par référence à leur chiffre d'affaires cumulé, en les rendant solidairement responsables de son paiement.

67 Il s'ensuit également que, en n'incluant qu'Aristrain Madrid dans le cercle des destinataires de la Décision, tout en calculant son amende par référence à son chiffre d'affaires cumulé avec celui d'Aristrain Olaberría, la Commission n'a commis aucune illégalité, mais s'est simplement privée de la disposition d'un codébiteur solidaire en la personne de cette dernière société.

68 Quant à l'éventuelle intention de la Commission, évoquée dans la lettre du membre de la Commission M. Van Miert à Aristrain du 22 juin 1994, de modifier la Décision dans le sens indiqué ci-dessus, elle n'a pas connu de suites et ne saurait dès lors être prise en considération aux fins du présent arrêt.

69 Il découle de l'ensemble de ce qui précède que le présent grief doit être rejeté.

[...]

Sur la violation des droits de la défense [...]

Appréciation du Tribunal

70 Il convient de rappeler que les droits de la défense invoqués par la requérante sont, en l'espèce, garantis par l'article 36, premier alinéa, du traité, aux termes duquel, avant de prendre une des sanctions pécuniaires prévues audit traité, la Commission doit mettre l'intéressé en mesure de présenter ses observations(voir arrêts de la Cour du 16 mai 1984, Eisen und Metall Aktiengesellschaft/Commission, 9-83, Rec. p. 2071, point 32, et du 12 novembre 1985, Krupp/Commission, 183-83, Rec. p. 3609, point 7).

71 S'agissant du respect de cette garantie en l'espèce, il convient tout d'abord de relever que la communication des griefs adressée aux intéressées le 6 mai 1992 a été personnalisée à l'égard de chacun de ses destinataires par l'indication des comportements et des preuves les concernant respectivement. Le chapitre VIII de ladite communication des griefs contient, par ailleurs, une description détaillée des infractions aux règles de concurrence, avec indication pour chacune d'elles des éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde.

72 La Commission a annexé à la communication des griefs, d'une part, une copie des documents qu'elle retenait concrètement à charge de chacune des entreprises concernées (annexe 3 à la communication des griefs) et, d'autre part, la liste récapitulative de l'ensemble des pièces composant le dossier constitué dans la présente affaire ("liste d'accès", annexe 2 à la communication des griefs). Outre la date d'établissement de chacune des pièces et leur identification très sommaire, cette dernière liste regroupait ces pièces, selon leur nature, en douze rubriques, signalées par un numéro, et précisait leur degré d'accessibilité à l'égard de chacune des entreprises concernées. La Commission a, en outre, invité les entreprises à venir consulter, en ses locaux, l'ensemble des documents accessibles.

73 Il ressort de ce qui précède que, dans la présente affaire, la Commission s'est conformée à la procédure d'accès au dossier décrite dans son Douzième Rapport sur la politique de concurrence (p. 40 et 41), telle qu'elle a été approuvée par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal dans le cadre du traité CE (voir arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7-89, Rec. p. II-1711, points 53 et 54, du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10-92, T-11-92, T-12-92, et T-15-92, Rec. p. II-2667, points 38 à 41, du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65-89, Rec. p. II-389, points 29 à 33, confirmé par l'arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310-93 P, Rec. p. I-865, points 12 à 33, et l'arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30-91, Rec. p. II-1775, points 77 à 104), sans qu'il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur des déclarations de la Commission postérieures à l'adoption de la Décision, contenues dans le XXIIIe Rapport sur la politique de concurrence, 1993, du 5 mai 1994 (notamment point 202) et relatives à l'envoi des documents à charge et à décharge avec la communication des griefs.

74 Le Tribunal a en outre pu vérifier, en l'espèce, que tous les documents qui, dans le dossier que la Commission lui a transmis au titre de l'article 23, concernaient la requérante ont été classés, à l'annexe 2 à la communication des griefs, comme "accessibles" ou, s'agissant d'un petit nombre de documents internes de British Steel, comme "partiellement accessibles" à la requérante. En ce qui concerne cette dernière catégorie, la requérante n'a pas contesté que les griefs sont fondés uniquement sur des extraits de ces documents qui lui ont été rendus accessibles.

75 Force est de constater, par ailleurs, que les documents portant les n°s 1888 et 1892 du dossier de la Commission concernent, d'une part, les flux commerciaux de British Steel entre les marchés français et britannique et, d'autre part, un tableau des livraisons de British Steel. Ces deux documents ne concernent en aucune manière la requérante, ni à charge ni à décharge, et pouvaient donc, à bon droit, être classés comme inaccessibles à son égard dans la liste de l'annexe 2 à la communication des griefs, dès lors que, en vertu de l'article 47 du traité, la Commission est tenue de protéger les secrets d'affaires des autres entreprises impliquées dans la présente procédure. Le document daté du 1er mars 1990, cité au paragraphe 40 de la communication des griefs, porte quant à lui le n° 3370 du dossier de la Commission et apparaît classé comme accessible à la requérante, à laquelle il a, d'ailleurs, été communiqué d'après la liste de l'annexe 3 à ladite communication des griefs.

76 Il est constant, par ailleurs, que la requérante a eu accès au dossier selon les modalités indiquées dans la lettre de la Commission du 6 mai 1992. Elle a donc pu obtenir copie de tous les documents considérés par la Commission comme "accessibles" ou "partiellement accessibles".

77 Pour le surplus, la requérante n'a pas spécifié, devant le Tribunal, en quoi la présentation des documents énumérés à l'annexe 2 à la communication des griefs était insuffisante pour lui permettre de retrouver les documents concernés lors de sa consultation du dossier.

78 Quant au reproche fait à la Commission d'avoir, dans la communication des griefs comme dans la Décision, cité les documents à charge par référence à leur seule date, sans mentionner en même temps le numéro qu'ils portent dans le dossier de la Commission, il est vrai qu'un tel système rend l'identification des documents en cause plus malaisée, tant pour les parties concernées que pour le Tribunal, surtout dans une affaire où, comme en l'espèce, des milliers de documents sont en jeu, et qu'il serait plus conforme à une bonne pratique administrative que, dans de telles circonstances, la Commission identifie les documents qu'elle cite non seulement par référence à leur date, mais aussi par référence à leur numérotation dans le dossier.

79 Toutefois, l'absence de référence, dans la communication des griefs et dans la Décision, à la numérotation des documents établie par la Commission aux fins de la constitution de son dossier n'est pas de nature, en l'espèce, à avoir porté atteinte aux droits de la défense de la requérante, dès lors que, par la seule référence à leur date, celle-ci était en mesure d'identifier les documents en cause, tant dans la liste jointe en annexe 2 à la communication des griefs que dans le dossier de la Commission. Force est de constater, en particulier, que les documents énumérés à l'annexe IV au mémoire en réplique peuvent être identifiés sans aucune difficulté particulière.

80 S'agissant de l'absence de traduction en espagnol de certains documents, il convient tout d'abord de souligner qu'il ne saurait être exigé de la Commission qu'elle traduise plus de documents que ceux sur lesquels elle fonde ses griefs. Ces derniers documents doivent, par ailleurs, être considérés comme des pièces à conviction sur lesquelles la Commission s'appuie et, partant, doivent être portés à la connaissance du destinataire tels quels de façon à ce que le destinataire puisse connaître l'interprétation que la Commission en a faite et sur laquelle elle a fondé tant sa communication des griefs que sa Décision. Dans le cas d'espèce, il y a lieu de relever que l'annexe I à la communication des griefs contenait une traduction de tous les extraits des documents cités en langue originale dans ladite communication. Le Tribunal estime que cette façon de procéder a permis à la requérante de savoir avec précision sur quels faits et sur quel raisonnement juridique la Commission s'est fondée et, partant, de défendre utilement ses droits (voir arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148-89, Rec. p. II-1063, point 21).

81 Le Tribunal estime que, dans ces circonstances, la requérante n'a pas établi qu'elle n'a pas été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue en ce qui concerne les documents invoqués à sa charge dans la communication des griefs.

82 Enfin, il y a lieu de souligner que la Décision contient, notamment, une énumération individualisée des diverses infractions imputées à la requérante, ainsi que de leur durée exprimée en mois. L'article 4 de son dispositif indique la date par référence à laquelle les sanctions ont été appliquées, soit, abstraction faite d'une erreur de plume (voir point 226 ci-dessous), le 31 décembre 1988 dans le cas d'Aristrain. La question de la cessation des infractions est, par ailleurs, abordée au point 318 de la Décision. Ladite Décision contient également un examen détaillé de chacune des infractions dénoncées, tant sur le plan des faits que sur le plan de l'analyse juridique, et ce dans le chef de chacun des participants. Enfin, le point 313 de la Décision reconnaît des circonstances atténuantes aux producteurs espagnols concernés, tandis que les points 305 à 307 indiquent les circonstances aggravantes retenues, en mentionnant les preuves justifiant chacune des accusations. Il y a lieu de considérer que, par ces diverses indications, la Commission a mis la requérante en mesure de faire valoir utilement ses droits devant le Tribunal.

83 Pour le surplus, l'allégation selon laquelle la Commission n'aurait pas établi la participation de la requérante aux faits qui lui sont imputés, à l'appui de laquelle la requérante a joint, en annexe V au mémoire en réplique, un tableau reprenant les documents à charge, relève du contrôle de légalité interne de la Décision et ne saurait en aucun cas, à la supposer même établie, constituer la preuve d'une violation des droits de la défense.

84 Il ressort de tout ce qui précède que le présent grief doit être rejeté dans sa totalité.

Sur la caducité de la procédure administrative

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

85 La requérante fait valoir que l'obligation pour la Commission, en tant qu'administration chargée de l'instruction des procédures qu'elle engage, de ne pas retarder indûment l'adoption de ses décisions découle du droit fondamental, qui serait reconnu dans tous les États membres et notamment en droit espagnol, à un procès équitable et sans retard injustifié. L'absence de réglementation communautaire en la matière ne pourrait dispenser la Commission du devoir d'agir avec la diligence requise dans le but d'éviter à l'administré d'être persécuté sans fin par l'autorité d'instruction, sous peine de produire une situation d'insécurité juridique enfreignant les droits fondamentaux.

86 En l'espèce, la chronologie de la procédure révélerait une paralysie de celle-ci, pour des causes uniquement imputables à la Commission et non justifiées par des éléments objectifs, nécessaires et déterminants, pendant des laps de temps qui oscilleraient entre cinq mois (entre la réponse des parties à la communication des griefs et leur audition) et treize mois (entre l'audition des parties et l'adoption de la Décision). La requérante estime que de tels délais excluent que la Commission puisse imposer une amende.

Appréciation du Tribunal

87 Bien qu'aucune disposition du droit communautaire ne se réfère à la notion de caducité de la procédure administrative, au sens où l'entend la requérante, le respect par la Commission d'un délai raisonnable lors de l'adoption de décisions à l'issue des procédures administratives en matière de politique de concurrence constitue un principe général du droit communautaire(arrêts du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213-95 et T-18-96, Rec. p. II-1739, point 56, et la jurisprudence citée, et du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T-95-96, Rec. p. II-3407, point 73).

88 Dès lors, il convient d'examiner si, en l'espèce, la Commission a violé le principe général de respect d'un délai raisonnable dans la procédure précédant l'adoption de la Décision, étant entendu que le caractère raisonnable de la durée de la procédure administrative s'apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission a suivies, de la conduite des parties au cours de la procédure, de la complexité de l'affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêts SCK et FNK/Commission, précité, point 57, et Gestevisión Telecinco/Commission, précité, point 75).

89 La durée totale de la procédure administrative dans la présente affaire a été d'environ 36 mois.Les premières inspections ont été effectuées en janvier 1991. D'autres vérifications ont été effectuées en mars 1991. Des informations complémentaires ont été fournies par certaines des entreprises et associations d'entreprises en cause à la suite de demandes formulées par la Commission au titre de l'article 47 du traité CECA. Ce fut, notamment, le cas de la requérante, qui a répondu par courriers des 17 et 19 septembre 1991 aux demandes de la Commission des 24 juillet et 6 août 1991. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements ont amené la Commission à adresser une communication des griefs aux 19 entreprises et associations concernées, parmi lesquelles la requérante, le 6 mai 1992. La requérante y a répondu par lettre du 22 juillet 1992. L'audition des entreprises destinataires de la communication des griefs, initialement prévue pour le mois de septembre 1992, a été reportée au mois de janvier 1993 à la demande de certaines des intéressées, pour permettre à leurs conseils de se consacrer à leur défense dans le cadre d'une procédure antidumping ouverte contre elles, à l'époque, par les autorités américaines. A la demande des intéressées également, le conseiller-auditeur a ensuite ordonné l'engagement d'une enquête interne sur le rôle de la DG III, laquelle a été menée de janvier à avril 1993. Le compte rendu de l'audition a été envoyé aux intéressées les 8 juillet et 8 septembre 1993. Entre-temps, le projet de décision a été rédigé, approuvé et traduit par les services compétents de la Commission, en vue de son adoption par le collège des membres de la Commission, qui est finalement intervenue le 16 février 1994.

90 Au vu de tous ces éléments, il y a lieu de considérer que la Commission a, dans la procédure administrative qui a précédé l'adoption de la Décision, agi conformément au principe du respect d'un délai raisonnable. Eu égard, notamment, à l'importance et à la complexité de l'affaire ainsi qu'au nombre d'entreprises concernées, le Tribunal estime, en particulier, que l'écoulement d'un délai d'environ treize mois, dont plusieurs ont été consacrés à une enquête interne menée à la demande des intéressées elles-mêmes, entre l'audition administrative et l'adoption de la Décision, ne constitue pas une violation de ce principe (voir également l'arrêt SCK et FNK/Commission, précité, point 66).

91 Il s'ensuit que le présent grief doit être rejeté.

[...]

C - Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité

[...]

Fixation de prix (prix cibles) au sein de la Commission poutrelles

1. Sur la matérialité des faits

92 Aux termes de l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une infraction de fixation de prix au sein de la Commission poutrelles. La période retenue aux fins de l'amende est de 24 mois, compris entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1990 (voir les points 80 à 121, 223 à 243, 311, 313, 314 et l'article 1er de la Décision). A cet égard, il est vrai que l'article 4 de la Décision, dans ses versions espagnole et française, indique que l'amende infligée à la requérante l'est pour les infractions commises "après le 31 décembre 1989". Toutefois, il ressort tant des versions allemande et anglaise dudit article 4 que de la motivation de la Décision (voir les points 313 et 314, relatifs aux conséquences de la période transitoire prévue à l'acte d'adhésion de l'Espagne, et l'article 1er, aux termes duquel Aristrain a pris part à l'infraction de fixation de prix à la Commission poutrelles pendant 24 mois), à la lumière de laquelle doit être interprété son dispositif, que la mention de cette date, au lieu de celle du 31 décembre 1988, constitue une simple erreur de plume sans incidence sur le contenu de l'acte attaqué (voir arrêt de la Cour du 2 juin 1994, AC-ATEL Electronics Vertriebs, C-30-93, Rec. p. I-2305, points 21 à 24).

[...]

Sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation de l'article 4 de la Décision ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende

[...]

D - Sur l'appréciation incorrecte des divers critères et circonstances que la Décision retient comme pertinents dans la détermination du montant de l'amende

[...]

Sur l'appréciation du chiffre d'affaires pertinent aux fins du calcul de l'amende

[...]

Appréciation du Tribunal

93 Selon l'article 65, paragraphe 5, du traité:

"La Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d'appliquer, [...] un accord ou une décision nuls de plein droit [...] ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de l'accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d'un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l'amende, et de 20 % du chiffre d'affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes."

94 Bien que la Décision n'indique pas expressément lequel des deux plafonds de l'article 65, paragraphe 5, du traité a été appliqué en l'espèce (voir le point 299, qui se borne à reproduire ladite disposition), il ressort des explications fournies par la Commission en cours d'instance que celle-ci a eu recours au premier d'entre eux, à savoir le double du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de la pratique en cause (voir également le point 322 de la Décision, où la Commission se réfère au "chiffre d'affaires des produits en cause"). Par conséquent, le premier grief de la requérante doit être rejeté.

95 Il y a lieu de relever, par ailleurs, que, aux termes mêmes de l'article 65, paragraphe 5, du traité, le plafond de 200 % du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de l'infraction en cause constitue l'élément de référence principal aux fins de la fixation de l'amende, qu'il est loisible à la Commission d'utiliser en toutes circonstances. En revanche, le recours au plafond de 10 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises en cause n'est laissé au libre choix de la Commission que dans des circonstances bien précises. Dès lors que de telles circonstances faisaient défaut en l'espèce, la Commission n'était pas autorisée à tenir compte du chiffre d'affaires global des entreprises en cause. Partant, le deuxième grief de la requérante doit également être rejeté.

96 Il convient d'ajouter que, contrairement à ce que soutient la requérante, le système du traité ne pénalise pas en soi les entreprises "monoproductrices" par rapport aux entreprises dont la production est diversifiée. Le traité part du principe que le chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet d'une pratique restrictive donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence sur le Marché commun, sauf dans le cas particulier d'accords de type malthusien ayant pour objet la restriction de la production, du développement technique ou des investissements, lesquels, de par leur nature même, sont plus adéquatement sanctionnés par le second plafond de l'article 65, paragraphe 5, du traité. En revanche, il est indifférent que l'atteinte au jeu normal de la concurrence ait été commise par une entreprise à la production diversifiée ou "monoproductrice". En principe, en effet, les restrictions de concurrence découlant de la participation d'une entreprise à une infraction dépendent moins de sa dimension globale que de son importance sur le marché des produits concernés par l'infraction en cause.

97 La mise en œuvre de ce système dans le cas d'espèce n'est pas davantage discriminatoire à l'égard de la requérante. Ayant commencé par déterminer, conformément à l'article 65, paragraphe 5, du traité, le pourcentage du chiffre d'affaires pertinent qu'il convenait de retenir aux fins de la fixation des amendes, la Commission aurait, au contraire, injustement sanctionné les entreprises à la production diversifiée si elle avait majoré ce pourcentage d'un facteur destiné à tenir compte de leurs autres productions, que ce soit pour leur "adresser un avertissement" ou pour toute autre raison.

98 La Commission reconnaît, en outre, avoir calculé le montant de son amende en se basant sur le chiffre d'affaires des deux sociétés Aristrain Madrid et Aristrain Olaberría qui, selon elle, ont enfreint les règles de la concurrence dans la même mesure, bien que seule la première soit destinataire de la Décision (voir point 323).

99 Ainsi que le Tribunal l'a déjà constaté (voir points 143 et 144 ci-dessus), la Commission était fondée à imposer à la requérante une amende unique d'un montant calculé par référence au chiffre d'affaires cumulé d'Aristrain Madrid et d'Aristrain Olaberría.

100 Or, il ressort de la certification de ses commissaires aux comptes que la requérante a réalisé, en 1990, un chiffre d'affaires de 9 921 millions de PTA, soit 76 563 000 écus [au taux de change moyen de 1 écu pour 129,58 PTA qui doit être utilisé en l'espèce (voir point 663 ci-après)] sur ses ventes communautaires de poutrelles. L'amende de 10 600 000 écus qui lui a été infligée représente 13,84 % de ce chiffre d'affaires, et se situe donc nettement en deçà du plafond de 200 % dudit chiffre d'affaires prévu par l'article 65, paragraphe 5, du traité.

101 Le Tribunal estime, par ailleurs, que, dans le respect de ce plafond, la Commission était fondée à appliquer le "taux de base" de 7,5 % du chiffre d'affaires pertinent retenu en l'espèce pour le calcul de l'amende (voir point 535 ci-dessus) au chiffre d'affaires cumulé d'Aristrain Madrid et d'Aristrain Olaberría. Ces deux sociétés ayant réalisé, en 1990, un chiffre d'affaires cumulé de 27 749 millions de PTA, soit 214 145 700 écus, sur leurs ventes communautaires de poutrelles, l'amende de 10 600 000 écus qui a été infligée à la requérante représente 4,95 % de ce chiffre d'affaires, et se situe donc nettement en deçà de la "limite" de 7,5 % que la Commission s'était imposée à elle-même.

102 Il s'ensuit que le troisième grief de la requérante doit être rejeté.

103 Il ressort, enfin, du dossier et des explications fournies en cours d'instance par la partie défenderesse que l'amende infligée à la requérante a été calculée sur la base d'un chiffre d'affaires de 34 468 millions de PTA, qu'elle avait elle-même indiqué à la Commission, dans ses lettres des 30 juillet 1992, 2 décembre 1993 et 28 janvier 1994, comme étant celui réalisé par le groupe Aristrain en 1990 sur le marché communautaire des poutrelles.

104 Dans sa lettre de réponse du 24 février 1998 à une question écrite du Tribunal, la requérante a fait valoir que cette indication était erronée, le chiffre de 34 468 millions de PTA incluant les exportations vers des pays tiers et ne concernant donc pas exclusivement les ventes de poutrelles réalisées dans la CECA. Elle a joint à cette réponse une lettre de ses commissaires aux comptes datée du 27 janvier 1995, certifiant que le chiffre d'affaires réalisé par le groupe Aristrain en 1990 sur le marché communautaire des poutrelles s'élevait en réalité à 27 748 915 000 PTA, dont 17 827 510 000 PTA pour Aristrain Olaberría et 9 921 405 000 PTA pour Aristrain Madrid.

105 En réponse aux questions posées par le Tribunal à l'audience, la partie défenderesse a soutenu que le montant de l'amende infligée à la requérante par la Décision devait être considéré comme correct, dans la mesure où il avait été calculé sur la base des données fournies par la requérante au cours de la procédure administrative. La Commission dit partir du principe que les chiffres initialement communiqués étaient exacts et refuse de reconnaître les chiffres ultérieurement certifiés par les commissaires aux comptes de la requérante.

106 Le Tribunal considère qu'il ne saurait être fait grief à la Commission d'avoir calculé le montant de l'amende sur la base des données chiffrées concordantes fournies à trois reprises par la requérante elle-même, en réponse à des demandes de renseignements formulées au titre de l'article 47 du traité.

107 Il y a toutefois lieu de reconnaître que les renseignements ainsi communiqués étaient entachés d'une erreur puisqu'ils tenaient compte des ventes extracommunautaires de poutrelles du groupe Aristrain, lesquelles ne faisaient pas l'objet de la demande de renseignements de la Commission et ne devaient donc pas être prises en considération aux fins du calcul des amendes infligées en l'espèce. A cet égard, le Tribunal ne voit aucune raison de mettre en doute la véracité ou l'exactitude des chiffres certifiés le 27 janvier 1995, après révision par les commissaires aux comptes de la requérante.

108 Il s'ensuit que la requérante s'est vue infliger, par erreur, une amende dont le montant ne reflète pas adéquatement sa position sur le marché communautaire des poutrelles ni, par conséquent, l'étendue et la gravité de sa participation aux infractions en cause. Bien que la responsabilité de cette erreur incombe à la requérante, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu d'en réparer les conséquences et de réduire à due concurrence le montant de l'amende qui lui a été infligée.

[...] Sur l'appréciation de la durée des infractions

[...]

109 Pour les raisons déjà exposées au point 226 ci-avant, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'erreur matérielle figurant dans les versions espagnole et française de l'article 4 de la Décision. En conséquence, la période retenue par la Commission aux fins de l'amende est bien de 24 mois, compris entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1990, dans le cas des producteurs espagnols, alors qu'elle est normalement de 30 mois, compris entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990, dans le cas des autres producteurs.

110 Il ressort, par ailleurs, des explications détaillées fournies par la Commission en cours d'instance que celle-ci a modulé les amendes en fonction, notamment, de la durée de chaque infraction, sauf en ce qui concerne les accords d'harmonisation des prix des suppléments. La Commission a ainsi dûment tenu compte de la moindre durée de la participation des producteurs espagnols aux accords de fixation de prix cibles et aux échanges d'informations confidentielles au sein de la Commission poutrelles, le montant de l'amende qui leur a été infligée de ce chef s'élevant à 80 % (24-30) du montant de l'amende dont elles auraient été passibles si, à l'instar de la majorité des autres producteurs, elles avaient participé à ces infractions depuis le 1er juillet 1988.

111 La partie défenderesse a, par ailleurs, indiqué, au point 252 de la Décision: "Pour les raisons exposées au point 313, Ensidesa et Aristrain ne seront pas tenues pour responsables de leur participation à l'accord du 15 novembre 1988." En revanche, la participation de la requérante aux quatre autres accords d'harmonisation des suppléments conclus entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1990 a été établie. Il apparaît, toutefois, que la Commission n'a pas tenu compte de cette moindre participation de la requérante auxdits accords lorsqu'elle a calculé le montant de l'amende qui devait lui être infligée de ce chef, celle-ci ayant été fixée de manière forfaitaire à 0,5 % du chiffre d'affaires pertinent, pour toutes les entreprises en cause (sous réserve d'une réduction distincte de 10 % accordée à Aristrain et à Ensidesa vu l'absence d'harmonisation des suppléments en Espagne: voir point 356 ci-dessus).

112 Eu égard à ces considérations, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu de réduire de 20 % le montant de l'amende infligée à la requérante au titre de sa participation aux accords d'harmonisation des suppléments.

113 Pour le surplus, le Tribunal estime qu'un comportement infractionnel qui s'est manifesté par la participation à une série d'accords et de pratiques restrictives de fixation des prix, de répartition des marchés et d'échange d'informations confidentielles, dans le cadre institutionnalisé de nombreuses réunions entre producteurs, pendant une durée de deux ans, peut à juste titre être considéré comme étant de longue durée. Il convient dès lors de rejeter comme non fondés les autres arguments de la requérante.

[...]

Sur l'absence de prise en compte de la dévaluation de la peseta

114 La requérante fait valoir que, en exprimant le montant des amendes en écus et en ne corrigeant pas les effets des dévaluations consécutives à la crise du système monétaire européen des années 1992 et 1993, la Commission a adopté une attitude discriminatoire, préjudiciable aux entreprises qui, comme elle, réalisent la majeure partie de leur chiffre d'affaires dans des monnaies dévaluées, et favorable aux entreprises utilisant des monnaies revalorisées, comme le mark allemand.

115 Selon la requérante, le principe d'égalité de traitement impose à la Commission de veiller à ce que des situations ou des facteurs extérieurs à la volonté, à l'attitude ou au degré de participation de chaque entreprise à une infraction collective ne produisent, en fait, aucune différence de traitement pouvant affecter négativement leurs relations de concurrence. Elle estime que les dévaluations monétaires, en particulier, devraient avoir un effet neutre sur le développement d'une procédure d'application des règles de concurrence.

116 La requérante expose, à cet égard, que, lors du calcul de l'amende, la Commission a pris en compte le chiffre d'affaires du groupe Aristrain pour l'année 1990, choisie comme exercice de référence (voir point 16 de la Décision), soit 34 468 millions de PTA, l'a converti en écus au taux de change de 129,58 PTA par écu qui avait cours en 1990, et, appliquant au résultat obtenu, soit 266 millions d'écus, le pourcentage retenu aux fins de la sanction, à savoir 4 % , est finalement parvenue au chiffre de 10 600 000 écus, amende imposée par la Décision en février 1994. Le taux de conversion monétaire étant passé à 158,24 PTA par écu en 1994, le paiement de l'amende ou la constitution de la garantie bancaire entraîneraient pour la requérante un surcoût de l'ordre de 22 %, correspondant à 1,92 million d'écus, et même de 30 % si l'on compare le traitement qui lui est réservé avec celui des entreprises allemandes.

117 L'erreur de la Commission, qualifiée par la requérante de négligence grave, serait d'avoir exprimé les amendes en écus, qui seraient une simple unité de compte et n'auraient d'autre utilité que de vérifier le respect des plafonds du règlement n° 17, à l'encontre de la jurisprudence de la Cour fondée sur la réalité des phénomènes monétaires (voir l'arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 9 à 17, et les conclusions de l'avocat général M. Warner sous cet arrêt, ainsi que l'arrêt de la Cour du 13 février 1980, Misenta/Commission, 256-78, Rec. p. 219). D'après la requérante, la discrimination aurait pu être évitée soit en exprimant le chiffre d'affaires en monnaie nationale, soit en ayant recours au taux de change de l'écu en vigueur à la date d'adoption de la Décision, de façon à neutraliser les effets de la dévaluation.

118 Elle fait encore valoir que le risque de change est acceptable dans les transactions internationales parce que celles-ci prévoient des mécanismes correcteurs, mais non à l'issue d'une procédure administrative très longue, dans le cadre de laquelle les entreprises n'auraient pas pu prévoir le montant record des sanctions historiques qui allaient leur être imposées, et contre lesquelles elles ne pouvaient se prémunir.

119 Le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 4 de la Décision, les amendes infligées sont payables en écus.

120 Il y a lieu de relever que rien n'empêche la Commission d'exprimer le montant de l'amende en écus, unité monétaire convertible en monnaie nationale. Cela permet, d'ailleurs, aux entreprises de comparer plus facilement les montants des amendes infligées. De plus, la conversion possible de l'écu en monnaie nationale différencie cette unité monétaire de l'"unité de compte" mentionnée à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, dont la Cour a expressément reconnu que, n'étant pas une monnaie de paiement, elle impliquait nécessairement la détermination du montant de l'amende en monnaie nationale (arrêt de la Cour du 9 mars 1977, Société anonyme générale sucrière e.a./Commission, 41-73, 43-73 et 44-73 - Interprétation, Rec. p. 445, point 15).

121 Les critiques formulées par la requérante, mettant en cause la légalité de la méthode de la Commission consistant à convertir en écus le chiffre d'affaires de référence des entreprises au taux de change moyen de cette même année (1990) ne sauraient être retenues, ainsi que le Tribunal l'a déjà jugé dans son arrêt du 14 mai 1998, Sarrió/Commission (T-334-94, Rec. p. II-1439, points 394 et suivants).

122 Tout d'abord, la Commission doit normalement utiliser une seule et même méthode de calcul des amendes infligées aux entreprises sanctionnées pour avoir participé à une même infraction (voir arrêt Pioneer, point 122).

123 Ensuite, afin de pouvoir comparer les différents chiffres d'affaires communiqués, exprimés dans les monnaies nationales respectives des entreprises concernées, la Commission doit convertir ces chiffres d'affaires dans une seule et même unité monétaire. La valeur de l'écu étant déterminée en fonction de la valeur de chaque monnaie nationale des États membres, la Commission a converti à bon droit en écus le chiffre d'affaires de chacune des entreprises.

124 A bon droit également, elle s'est fondée sur le chiffre d'affaires de l'année de référence (1990) et a converti ce chiffre d'affaires en écus sur la base des taux de change moyens de la même année. D'une part, la prise en compte du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l'année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d'infraction retenue, a permis à la Commission d'apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l'infraction commise par chaque entreprise (voir arrêt Pioneer, points 120 et 121). D'autre part, la prise en compte, aux fins de la conversion en écus des chiffres d'affaires en cause, des taux de change moyens de l'année de référence retenue a permis à la Commission d'éviter que les éventuelles fluctuations monétaires survenues depuis la cessation de l'infraction affectent l'appréciation de la taille et de la puissance économique relatives des entreprises ainsi que l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles et, partant, l'appréciation de la gravité de cette infraction. L'appréciation de la gravité de l'infraction doit en effet porter sur la réalité économique telle qu'elle apparaissait à l'époque de la Commission de ladite infraction.

125 Par conséquent, l'argument selon lequel le chiffre d'affaires de l'année de référence aurait dû être converti en écus sur la base du taux de change à la date d'adoption de la décision ne peut être accueilli. La méthode de calcul de l'amende consistant à utiliser le taux de change moyen de l'année de référence permet d'éviter les effets aléatoires des modifications des valeurs réelles des monnaies nationales qui peuvent survenir, et sont effectivement survenues en l'espèce, entre l'année de référence et l'année de l'adoption de la décision. Si cette méthode peut signifier qu'une entreprise déterminée doit payer un montant, exprimé en monnaie nationale, nominalement supérieur ou inférieur à celui qui aurait dû être payé dans l'hypothèse d'une application du taux de change de la date d'adoption de la décision, cela n'est que la conséquence logique des fluctuations des valeurs réelles des différentes monnaies nationales.

126 Il convient d'ajouter que les entreprises destinataires de la décision exercent généralement leurs activités dans plus d'un État membre, par l'intermédiaire de représentations locales. Elles opèrent par conséquent dans plusieurs devises nationales. La requérante elle-même réalise une partie considérable de son chiffre d'affaires sur les marchés d'exportation (d'après la lettre de ses commissaires aux comptes du 27 janvier 1995, la requérante a réalisé un chiffre d'affaires "poutrelles" de 6 067 974 000 PTA en Espagne, et de 3 853 431 000 PTA dans le reste de la CECA en 1990; ces chiffres sont, respectivement, de 12 717 803 000 PTA et de 5 109 707 000 PTA dans le cas de sa société soeur, Aristrain Olaberría). Or, lorsqu'une décision comme la Décision litigieuse sanctionne des violations de l'article 65, paragraphe 1, du traité et que les entreprises destinataires de la décision exercent généralement leurs activités dans plusieurs États membres, le chiffre d'affaires de l'année de référence converti en écus au taux de change moyen utilisé au cours de cette même année est constitué par la somme des chiffres d'affaires réalisés dans chacun des pays où l'entreprise est active. Il rend donc parfaitement compte de la réalité de la situation économique des entreprises concernées au cours de l'année de référence.

127 Au vu de ce qui précède, l'argument de la requérante doit être rejeté.

Sur l'appréciation incorrecte de diverses circonstances atténuantes

[...]

128 Pour les raisons déjà exposées ci-dessus, il y a lieu de considérer que la Commission a dûment apprécié la nature, l'étendue, l'importance et la durée de la participation de la requérante aux infractions mises à sa charge dans la Décision.

129 Il convient de rappeler, par ailleurs, que le fait pour une entreprise de ne pas avoir joué un rôle particulièrement actif ou de ne pas avoir servi d'instigateur ne la disculpe pas de sa participation à l'infraction (arrêts de la Cour BMW Belgium e.a./Commission, précité, points 49 et suivants, et du 1er février 1978, Miller/Commission, 19-77, Rec. p. 131, point 18).

130 De plus, le fait qu'une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger (voir arrêts du Tribunal Petrofina/Commission, précité, point 173, et du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308-94, Rec. p. II-925, point 230). En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit.

131 En l'espèce, les éléments fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son comportement réel sur le marché a été susceptible de contrarier les effets anticoncurrentiels de l'infraction constatée. Il est constant qu'elle a pris effectivement part aux initiatives concertées en matière de prix, alors même qu'elle est, en ordre d'importance, le deuxième fabricant de poutrelles de la Communauté.

132 Quant à la contrainte exercée sur la requérante par les autres entreprises du secteur et son entrée forcée dans la Commission poutrelles, la requérante n'en a rapporté aucune preuve.

133 Quant à l'argument tiré de l'absence d'attitude délibérée ou négligente de la part de la requérante, il convient de rappeler que, pour qu'une infraction puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre l'interdiction édictée par l'article 65 du traité; il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée tendait à fausser le jeu normal de la concurrence sur le Marché commun (voir, dans le domaine du traité CE, arrêt Belasco e.a./Commission, précité, point 41, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Gruber + Weber/Commission, T-310-94, Rec. p. II-1043, point 259).

134 En l'espèce, il suffit de constater que la requérante a participé aux réunions de la Commission poutrelles, organe dont l'objet anticoncurrentiel a été établi par la Commission, ainsi qu'à un accord de répartition de marchés avec Ensidesa et British Steel.

135 En outre, la violation constatée de l'article 65, paragraphe 1, du traité par la requérante présentait un caractère patent.

136 S'agissant de la prétendue coopération de la requérante avec la Commission, il y a lieu de rappeler que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante n'a admis le bien-fondé d'aucune des allégations de fait dirigées contre elle.

137 La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne n'est pas comportée d'une manière justifiant la réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt Cascades/Commission, précité, points 255 et suivants).

138 Enfin, la décision de la requérante, consécutive à la communication des griefs, de ne plus assister aux réunions de la Commission poutrelles et de contrôler la diffusion de l'information à l'extérieur de l'entreprise est sans incidence sur l'appréciation qu'il convient de porter sur des comportements antérieurs, surtout lorsque ceux-ci ont été volontairement cachés à la Commission. En tout Etat de cause, la cessation d'une infraction commise de propos délibéré ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante lorsqu'elle a été déterminée par l'intervention de la Commission.

139 Au vu de ce qui précède, les arguments de la requérante doivent être rejetés dans leur totalité.

Sur la violation du principe de l'égalité de traitement entre les entreprises sanctionnées par la Décision

140 La requérante se plaint tout d'abord d'avoir été traitée de la même façon que les entreprises membres d'Eurofer, alors qu'elle ne serait pas membre de cette association. Elle se réfère au point 317 de la Décision, dans lequel la Commission déclare qu'elle ne juge pas nécessaire d'imposer d'amendes supplémentaires aux entreprises membres d'Eurofer pour le comportement de leur association, "étant donné que ses membres reçoivent déjà une amende pour ces infractions". Le fait de ne pas tenir compte des infractions commises par l'association entraînerait une augmentation du niveau de la sanction imposée du chef des autres infractions, au préjudice des entreprises non membres d'Eurofer.

141 La requérante estime, en deuxième lieu, qu'elle a fait l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport aux entreprises scandinaves. Par rapport à tous les autres accords de fixation de prix sanctionnés dans la Décision, la Commission aurait appliqué des critères inégaux aux accords de fixation de prix sur le marché danois, conclus par ces entreprises au sein du groupe Eurofer/Scandinavie, et aurait imposé à celles-ci des amendes dérisoires (750 écus pour Norsk Jernverk AS, 600 écus pour Inexa Profil AB), d'un montant sans commune mesure avec celui de sa propre amende qui, selon elle, ne saurait s'expliquer par une simple différence de chiffre d'affaires.

142 En troisième lieu, la requérante estime que la Commission n'aurait pas dû traiter de façon égale les grands groupes sidérurgiques "pluriproducteurs", fortement subventionnés, et une entreprise familiale "monoproductrice" qui, comme elle, n'a jamais reçu aucun type d'aide publique ni de subvention. Ayant à faire face au paiement de l'amende et/ou à la constitution d'une garantie sans appui étatique quelconque, et sans possibilité de recourir à des techniques de subventions croisées entre entreprises d'un même groupe, la requérante serait touchée plus durement que d'autres pour des raisons non liées à la gravité et à la durée des infractions. Dans son mémoire en réplique, la requérante soutient que l'amende infligée au groupe Aristrain, par rapport à son chiffre d'affaires total, est égale à 28 fois celle d'Usinor Sacilor, 17 fois celle de NMH, 18 fois celle de Thyssen, presque 11 fois celle de TradeARBED, environ 6 fois celle de Saarstahl, près de 5 fois celle de British Steel et 4 fois celle de Preussag.

143 Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Moritz J. Weig/Commission, T-317-94, Rec. p. II-1235, points 287 à 289), le principe général d'égalité de traitement s'oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente, ou que des situations différentes soient traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié.

144 En l'espèce, il y a lieu de rappeler, sur la base des explications détaillées fournies par la partie défenderesse en cours d'instance, que la Commission a utilisé la même méthode de calcul pour la détermination de l'amende de chaque entreprise en cause, en appliquant les mêmes pourcentages du chiffre d'affaires pertinent modulés en fonction de la durée, de la gravité et de la couverture géographique des infractions auxquelles l'intéressée a participé.

145 S'agissant ainsi, en premier lieu, de la prétendue discrimination par rapport aux entreprises membres d'Eurofer, il suffit de constater que toutes les entreprises qui ont pris part aux systèmes d'échange d'informations confidentielles mis en cause dans la Décision, qu'elles soient ou non membres d'Eurofer, ont été sanctionnées d'une manière identique, en fonction de la durée de l'infraction commise. La décision de la Commission de ne pas infliger d'amendes supplémentaires aux entreprises membres d'Eurofer pour le comportement de leur association, consistant à avoir facilité les échanges d'informations entre elles, a, quant à elle, pour seul objet de ne pas sanctionner indirectement deux fois lesdits membres pour les mêmes comportements. Il ne s'ensuit pas pour autant que l'amende infligée au titre des échanges d'informations en cause ait été majorée au préjudice des entreprises non membres d'Eurofer.

146 S'agissant, en deuxième lieu, de la prétendue discrimination par rapport aux entreprises scandinaves, il convient de relever qu'il existe des différences objectives entre la requérante et les entreprises scandinaves Norsk Jernverk AS et Ovako AB, étant donné que celles-ci n'ont participé qu'à des accords de fixation de prix sur le marché danois, dont l'étendue géographique est relativement limitée, pendant respectivement 30 et 28 mois, tandis qu'il est reproché à la requérante des accords de fixation de prix sur les divers marchés de la CECA pendant 24 mois, l'échange d'informations confidentielles au sein de la Commission poutrelles pendant 24 mois, un accord de répartition de marchés avec British Steel et Ensidesa pendant 8 mois, et l'harmonisation des suppléments. En outre, le chiffre d'affaires de ces entreprises pour le produit en cause, facteur important dans l'appréciation des sanctions, est nettement inférieur à celui de la requérante, et plus encore à celui du groupe Aristrain.

147 Quant au troisième argument de la requérante, il doit être rejeté faute de preuve pour autant qu'il repose sur une allégation, nullement établie ni même caractérisée, d'atteinte portée par des États membres non identifiés aux conditions de la concurrence, au sens de l'article 67 du traité, en faveur d'entreprises elles aussi non identifiées. Dans la mesure où cet argument se fonde sur une distinction entre les entreprises "monoproductrices" et les groupes à la production diversifiée, il doit être rejeté pour les raisons déjà exposées, en substance, au point 576, ci-dessus. S'agissant, enfin, des comparaisons faites par la requérante quant à l'impact de l'amende en fonction du chiffre d'affaires des diverses entreprises, elles ne sont pas pertinentes, dès lors qu'elles se fondent sur le chiffre d'affaires total et non sur celui du produit concerné, qui devait seul être pris en considération par la Commission (voir point 575 ci-dessus).

Sur la violation du principe de proportionnalité

[...]

148 Le Tribunal a déjà constaté que le niveau général des amendes infligées en l'espèce a été calculé en fonction d'un ensemble de considérations pertinentes, notamment la durée, la gravité et le caractère patent des infractions commises, ainsi que l'importance économique des entreprises sur le marché en cause, reflétée par leur chiffre d'affaires "poutrelles", et leur connaissance du caractère infractionnel de leurs comportements.

149 De plus, le Tribunal rappelle qu'il ressort des explications détaillées fournies en cours d'instance par la Commission que celle-ci est partie d'un "taux de base" de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé sur le produit concerné, taux qui a ensuite été modulé en fonction de l'étendue géographique et de la durée des diverses infractions individuelles.

150 Dans le cas particulier de la requérante, le Tribunal a déjà constaté que la durée de sa participation aux infractions en cause est bien de deux ans et non d'une année, que le chiffre d'affaires à prendre en considération est celui réalisé tant par Aristrain Madrid que par Aristrain Olaberría et que l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux diverses infractions représente 4,95 % de ce chiffre d'affaires cumulé.

151 Eu égard à l'ensemble de ces considérations, le Tribunal estime que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation lorsqu'elle a fixé le niveau de l'amende à infliger à la requérante.

152 Par ailleurs, rien ne permet de considérer que la Commission s'est fondée sur des considérations étrangères à la présente affaire lors de la détermination du montant des amendes. Il convient d'ajouter que, même si les amendes infligées dans la présente espèce devaient être considérées comme exemplaires et dissuasives, ce ne serait pas un motif suffisant pour y voir une violation du principe de proportionnalité (voir arrêt Hilti/Commission, précité).

153 Enfin, il convient de rappeler que la capacité d'une entreprise à payer l'amende ne doit pas nécessairement influencer la détermination de la sanction (arrêt IAZ e.a./Commission, précité). En tout Etat de cause, la Commission a pris cet élément en due considération en donnant aux entreprises la possibilité d'échelonner le paiement des amendes.

154 Il découle de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas violé le principe de proportionnalité en fixant le niveau général des amendes, y compris celui de l'amende à infliger à la requérante.

Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction

155 Il convient de relever, tout d'abord, que ni l'article 1er de la Décision ni le premier tableau, récapitulant les divers accords de fixation de prix, figurant sous le point 314 de la Décision, ne retiennent la participation de la requérante à un accord de fixation de prix sur le marché espagnol. Or, il ressort des explications détaillées fournies par la Commission en cours d'instance que la requérante s'est vu infliger une amende d'un montant de 212 800 écus pour une telle infraction. Selon la Commission, qui se réfère aux points 174 et 276 de la Décision, c'est apparemment à la suite d'une erreur que ces éléments n'ont pas été repris au point 314 et à l'article 1er de la Décision.

156 Dès lors que le dispositif de la Décision ne constate pas la participation de la requérante à ladite infraction, il n'y a pas lieu d'en tenir compte aux fins du calcul de l'amende. Celle-ci devrait donc être réduite de 212 800 écus, d'après la méthode de calcul utilisée par la Commission.

157 Pour les raisons exposées au point 598 ci-dessus, il y a par ailleurs lieu de réduire de 20 % le montant de l'amende infligée à la requérante au titre de sa participation aux accords d'harmonisation des suppléments. Celle-ci devrait donc être réduite de 239 400 écus, compte tenu de la circonstance atténuante particulière aux producteurs espagnols, d'après la méthodologie employée par la Commission.

158 Pour les raisons exposées aux points 619 et suivants (3) ci-dessus, le Tribunal estime, en outre, qu'il y a lieu de réduire de 15 % le montant total de l'amende infligée pour les accords et pratiques concertées de fixation de prix, en raison du fait que la Commission a, dans une certaine mesure, exagéré les effets anticoncurrentiels des infractions constatées. En tenant compte des réductions déjà évoquées ci-dessus en ce qui concerne le prétendu accord de fixation de prix sur le marché espagnol et les accords d'harmonisation des suppléments, cette réduction s'élève à 941 164 écus selon la méthode de calcul utilisée par la Commission.

159 Pour les raisons exposées ci-dessus aux points 586 et suivants, le Tribunal estime qu'il y a lieu de calculer l'amende de la requérante sur la base d'un chiffre d'affaires pertinent de 27 748 917 000 PTA, soit 214 145 700 écus, et non de 34 468 000 000 PTA. En tenant compte des réductions déjà évoquées, l'amende infligée à la requérante devrait ainsi être ramenée, selon la méthode de calcul utilisée par la Commission, à un montant de 7 412 184 écus.

160 Il y a lieu, enfin, de relever que la Commission n'a pas reproché à la requérante la pratique concertée de fixation de prix applicables au Royaume-Uni au deuxième trimestre de 1990, alors qu'une telle infraction a été retenue à charge de certaines autres entreprises (voir point 276 ci-dessus). Bien que cet élément n'affecte pas la durée de l'infraction consistant en la fixation de prix au sein de la Commission poutrelles, reprochée à la requérante à l'article 1er du dispositif de la Décision, il est de nature à réduire l'intensité de la participation de la requérante à ladite infraction, par rapport à celle des autres entreprises concernées. A ce titre, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il convient de réduire l'amende de 300 000 écus, selon la méthodologie utilisée par la Commission.

161 Par nature, la fixation d'une amende par le Tribunal, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, n'est pas un exercice arithmétique précis. Par ailleurs, le Tribunal n'est pas lié par les calculs de la Commission, mais doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce.

162 Le Tribunal estime que l'approche générale retenue par la Commission pour déterminer le niveau des amendes est justifiée par les circonstances de l'espèce. En effet, les infractions consistant à fixer des prix et à répartir des marchés, qui sont expressément interdites par l'article 65, paragraphe 1, du traité, doivent être considérées comme particulièrement graves dès lors qu'elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné. De même les systèmes d'échange d'informations confidentielles reprochés à la requérante ont eu un objet analogue à une répartition des marchés selon les flux traditionnels. Toutes les infractions prises en compte aux fins de l'amende ont été commises, après la fin du régime de crise, après que les entreprises eurent reçu des avertissements pertinents. Comme le Tribunal l'a constaté, l'objectif général des accords et pratiques en cause était précisément d'empêcher ou de fausser le retour au jeu normal de la concurrence, qui était inhérent à la disparition du régime de crise manifeste. En outre, les entreprises avaient connaissance de leur caractère illégal et les ont sciemment cachés à la Commission.

163 Compte tenu de tout ce qui précède, d'une part, et de la prise d'effet, à compter du 1er janvier 1999, du règlement (CE) n° 1103-97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro, d'autre part, le montant de l'amende doit être fixé à 7 100 000 euros.

[...]

Sur les dépens

164 La requérante demande que la Commission soit condamnée non seulement aux entiers dépens de la présente procédure, conformément à l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, mais aussi aux dépens exposés par elle au cours de la procédure administrative. Elle fonde sa demande sur le principe d'équité, sur les vices entachant la Décision attaquée, qui seraient révélateurs d'une activité administrative déficiente, et sur l'article 34 du traité.

165 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la partie requérante supportera ses propres dépens et les trois quarts des dépens de la partie défenderesse, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

166 Il convient, par ailleurs, de souligner que, aux termes de l'article 91, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, sont considérés comme dépens récupérables "les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d'un agent, Conseil ou avocat".

167 Il en découle que, au sens de cette disposition, les dépens récupérables sont limités, d'une part, à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal, à l'exclusion de ceux relatifs à la phase précontentieuse (ordonnance de la Cour du 20 novembre 1994, SFEI e.a./Commission, C-222-92 DEP, Rec. p. I-5431, point 12, et ordonnance du Tribunal du 25 juin 1998, Altmann e.a./Commission, T-177-94 (92) et T-377-94 (92), non publiée au Recueil, point 18), et, d'autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins (ordonnance de la Cour du 9 novembre 1995, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89-95 DEP, non publiée au Recueil, point 14).

168 Il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande de la partie requérante tendant à ce que la partie défenderesse soit condamnée aux dépens exposés au cours de la procédure administrative.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

Déclare et arrête:

1) Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 4 de la décision 94-215-CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles, est fixé à 7 100 000 euros.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts des dépens de la partie défenderesse, y compris ceux afférents à l'instance de référé. La partie défenderesse supportera le quart de ses propres dépens.

(1) - Ne sont reproduits que les points des motifs du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile. Les autres points sont largement identiques ou semblables à ceux de l'arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen/Commission (T-141-94, Rec. p. II-0000), à l'exception, notamment, des points 74 à 120, 331 à 365, 373 à 378, 413 à 454 et 614 à 625, qui n'ont pas d'équivalent dans le présent arrêt. De même, les infractions à l'article 65, paragraphe 1, du traité reprochées à la requérante sur certains marchés nationaux ne sont pas identiques à celles reprochées à la requérante dans l'affaire Thyssen/Commission.

(2) - Date mentionnée dans les versions française et espagnole de la Décision. Les versions allemande et anglaise indiquent la date du 31 décembre 1988.

(3) - Voir arrêt Thyssen/Commission, points 640 et suivants.