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Décisions

CCE, 1 juillet 1998, n° 1999-195

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

Aides que l'Italie a déjà accordées ou envisage d'accorder à Keller SpA et à Keller Meccanica SpA

CCE n° 1999-195

1 juillet 1998

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 93, paragraphe 2, premier alinéa, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a), après avoir invité les parties intéressées à présenter leurs observations conformément aux articles susmentionnés, considérant ce qui suit:

I

Par lettres du 12 avril 1996 et du 2 mai 1996, le Gouvernement italien a notifié à la Commission son intention d'accorder des garanties du Trésor sur la base de l'article 2 bis de la loi n° 95-1979 aux sociétés Keller SpA et Keller Meccanica SpA, toutes deux déclarées insolvables et placées sous le régime de l'administration extraordinaire depuis 1994.

Les deux entreprises faisaient partie du groupe Keller, qui exerce ses activités dans le secteur de la construction de matériel ferroviaire roulant. Keller SpA, la société mère, a son siège social en Sicile et emploie 294 personnes. Keller Meccanica SpA, contrôlée par Keller SpA, a son siège social en Sardaigne et emploie 319 personnes.

En application de la loi n° 95-1979, un commissaire extraordinaire a été nommé afin d'élaborer des plans de redressement pour les deux entreprises. Ces plans, approuvés par décret ministériel le 22 décembre 1994, prévoyaient, entre autres, l'exécution des commandes en cours afin de rétablir la rentabilité des deux sociétés en vue de leur transfert à un acquéreur ou de leur liquidation. La mise en œuvre de ces plans a été retardée du fait des difficultés rencontrées pour trouver les financements nécessaires.

Parmi les financements obtenus, Keller SpA a bénéficié d'un prêt bonifié de 33 839 millions de lires italiennes accordé par l'Irfis-Mediocredito della Sicilia, et Keller Meccanica SpA, d'un prêt bonifié de 6 500 millions de lires italiennes accordé par la Società Finanziaria Industriale Rinascita Sardegna-Sfirs SpA. Ces deux prêts ont été octroyés à un taux d'intérêt inférieur au taux de référence correspondant pratiqué en Italie (11,35 % en 1995).

II

Le 10 février 1997, en raison du caractère inadéquat des informations fournies par les autorités italiennes et des doutes sérieux que lui inspiraient les mesures notifiées, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2 du traité à l'égard:

- du prêt bonifié d'un montant de 33 839 millions de lires italiennes accordé par l'IrfisMediocredito della Sicilia SpA à Keller SpA à un taux d'intérêt annuel de 4 %,

- du prêt bonifié d'un montant de 6 500 millions de lires italiennes accordé par la Società Finanziaria Industriale Rinascita Sardegna-Sfirs SpA à Keller Meccanica SpA à un taux d'intérêt annuel de 5 %,

- du projet d'octroyer des garanties du Trésor à Keller SpA et à Keller Meccanica SpA sur la base de l'article 2 bis de la loi n° 95-1979 afin de couvrir 50 % des prêts bonifiés susmentionnés.

À l'époque, la Commission ne pouvait considérer les mesures incluses dans les plans de redressement comme des mesures de restructuration, du fait que les conditions définies dans les lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (1) n'étaient pas satisfaites, notamment en l'absence d'un plan viable, cohérent et de grande envergure, propre à rétablir la viabilité à long terme des entreprises en question. Il semblait, en outre, que les deux prêts bonifiés avaient été accordés en violation de l'obligation prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité, de communiquer à la Commission les projets tendant à instituer ou à modifier des aides.

III

Par lettre du 5 mars 1997, la Commission a informé les autorités italiennes de sa décision d'engager la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'égard des mesures susmentionnées. Une copie de cette lettre a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (2). Aucune observation de tiers n'est parvenue à la Commission dans le cadre de la procédure.

Le 19 mai 1997, les autorités italiennes ont répondu à l'ouverture de la procédure en apportant les précisions suivantes:

- en ce qui concerne l'aide accordée à Keller SpA, la région de Sicile a fait savoir que le prêt bonifié d'un montant de 33 839 millions de lires italiennes a été accordé, le 22 avril 1996, sur la base de la loi régionale (LR) n° 25-1993, qui institue un régime d'aides approuvé par la Commission. Cette loi, notifiée à la Commission le 14 mars 1995, a ensuite été modifiée par la LR n° 20-1995, qui a étendu les avantages du régime de 1993 aux entreprises assujetties à l'administration extraordinaire. Contrairement à ce que la Commission a affirmé lors de l'ouverture de la procédure, le prêt n'a donc pas été accordé en application de la LR n° 20-1995, mais bien de la LR n° 25-1993. Les autorités siciliennes ont aussi communiqué leur intention de ne pas accorder de garanties de l'État à Keller SpA,

- pour ce qui est de l'aide en faveur de Keller Meccanica SpA, la région de Sardaigne a soutenu que le prêt bonifié d'un montant de 6 500 millions de lires italiennes avait été accordé sur la base de la LR n° 66-1976, autre régime d'aides approuvé par la Commission, qui a ensuite été modifié afin d'en adapter les critères, qui remontaient à 1976, aux conditions économiques actuelles. Les autorités sardes n'ont pas fait référence à la garantie de l'État dont Keller Meccanica SpA devait bénéficier,

- les autorités italiennes et les autorités sardes ont, en outre, expliqué que les plans de restructuration portaient uniquement sur la période de quatre ans pendant laquelle la loi n° 95-1979 prévoit le maintien de l'activité. L'objectif de ces plans était donc seulement de permettre l'exécution des commandes en cours ainsi que la vente des entreprises à des tiers ou leur liquidation à l'expiration de cette période.

Le 23 juin 1997, une réunion s'est tenue avec les autorités sardes. Ces dernières ont souligné qu'il n'existait de fait aucun lien entre Keller Meccanica SpA et Keller SpA. En ce qui concerne le prêt bonifié accordé à Keller Meccanica SpA dans le cadre de la LR n° 66-1976, ces autorités ont répété que les conditions sur la base desquelles la Commission avait, en 1985, autorisé le régime de 1976 avaient été adaptées en respectant la définition donnée par la Commission à la notion de "petites et moyennes entreprises" (PME) dans l'encadrement communautaire des aides aux petites et moyennes entreprises (3).

Au cours de la réunion, les autorités sardes se sont engagées à notifier les modifications apportées à la LR n° 66-1976 et à présenter un plan de restructuration pour Keller Meccanica SpA. Elles ont aussi évoqué la possibilité de ne pas accorder de garantie de l'État à cette société.

Le 27 janvier 1998, après plusieurs demandes de la Commission, les autorités italiennes ont envoyé un complément d'informations sur les deux sociétés et ont, en particulier, confirmé que les garanties de l'État notifiées ne seraient pas accordées, que les deux sociétés mettaient en œuvre les plans de redressement approuvés en 1994 et que la procédure de mise en vente avait déjà été engagée, la cession à des tiers devant être finalisée avant juin 1998. Les autorités italiennes ont, par conséquent, estimé qu'il n'était plus nécessaire de communiquer à la Commission de nouveaux plans de restructuration et ont annoncé qu'elles retiraient la notification relative aux garanties de l'État s'appuyant sur l'article 2 bis de la loi n° 95-1979.

Les autorités italiennes ont joint un document de la région de Sardaigne montrant que les modifications apportées au régime d'aides de 1976 - qui couvrait le prêt bonifié octroyé à Keller Meccanica SpA - seraient notifiées en même temps qu'une nouvelle modification qui n'a pas encore été adoptée pour des raisons politiques. Elles ont, toutefois, rappelé que les modifications ne visaient qu'à adapter les critères établis dans le régime initial de 1976. Jusqu'à ce jour, aucune notification n'a été faite au sens de l'article 93, paragraphe 3, du traité: la Commission a simplement été "informée" des modifications en question par lettre du 27 janvier 1998.

IV

A. La garantie de l'État au sens de la loi n° 95-1979

Les garanties du Trésor italien dont devaient bénéficier Keller SpA et Keller Meccanica SpA sur la base de la loi n° 95-1979 ont été notifiées à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité. La Commission est d'avis que les autorités italiennes ont satisfait à l'obligation prévue par cet article.

Par lettre du 27 janvier 1998, les autorités italiennes ont confirmé à la Commission que les garanties de l'État ne seraient pas accordées et ont donc retiré leur notification. Par conséquent, la Commission a clos la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité qui avait été engagée à l'égard de ces garanties.

B. Le prêt bonifié de 33 839 millions de lires italiennes accordé à Keller SpA

Au moment de l'ouverture de la procédure, la Commission a déclaré que les autorités italiennes avaient auparavant affirmé que le prêt avait été accordé le 22 avril 1996 sur la base de la LR n° 20-1995, par laquelle la région de Sicile a étendu les avantages offerts par les articles 30 et 31 de la LR n° 25-1993 aux entreprises placées sous le régime de l'administration extraordinaire. Les mesures prévues aux articles 30 et 31 de la LR n° 25-1993 ont été approuvées par la Commission en 1994 (aide d'État C 12-92, ex NN 113-A-93 - Italie). Étant donné que la LR n° 20-1995 modifiait la LR n° 25-1993, la Commission avait alors estimé qu'elle relevait du régime initial faisant encore l'objet d'un examen (aide d'État NN 113-A-93 - Italie).

Comme elles l'ont déjà indiqué dans leurs observations relatives à l'ouverture de la procédure, les autorités italiennes ont soutenu que le prêt bonifié de 33 839 millions de lires italiennes concédé à Keller SpA n'avait pas été accordé sur la base de la loi n° 20-1995, mais bien sur celle de la LR n° 25-1993. En réalité, l'accord entre l'Irfis-Mediocredito della Sicilia et Keller SpA, déjà assujettie à l'administration extraordinaire, a été signé le 30 décembre 1994, sort un jour avant l'échéance fixée par la Commission dans sa décision de 1994 relative au régime des aides à finalité régionale institué par la LR n° 25-1993 (lequel portait modification de la LR n° 119-1983).

Selon les autorités italiennes, il convient, afin de vérifier la conformité de la mesure en question avec le régime, de prendre en considération le moment où l'accord relatif au versement a été finalisé, et non celui où le prêt bonifié a été octroyé effectivement. Cette interprétation a été confirmée par les services de la Commission par lettre du 19 janvier 1995. Par conséquent, étant entendu qu'il faut tenir compte uniquement du premier de ces deux moments, il est impossible de prétendre que le prêt bonifié a été accordé dans le cadre de la LR n° 20-1995, qui n'avait même pas encore été adoptée à l'époque par les autorités régionales.

En ce qui concerne la LR n° 20-1995, les autorités italiennes affirment qu'elle ne prévoit pas l'octroi de nouvelles aides d'État, mais se borne à confirmer expressément que les entreprises assujetties à l'administration extraordinaire peuvent elles aussi bénéficier des mesures prévues par la LR n° 25-1993. En d'autres termes, la LR n° 20-1995 ne vise qu'à expliciter la LR n° 25-1993. Ces mêmes autorités ajoutent que rien, dans la législation italienne, ne prive les entreprises placées sous le régime de l'administration extraordinaire de la possibilité d'obtenir de nouveaux financements pour leur gestion courante. En particulier, la LR n° 119-1983 et la LR n° 25-1993 n'interdisent pas l'octroi de crédits bonifiés aux entreprises assujetties à l'administration extraordinaire.

Selon la Commission, les arguments avancés par les autorités italiennes contredisent les informations communiquées précédemment. Par lettre du 20 septembre 1996 (transmise à la Commission par lettre de la représentation permanente de l'Italie du 12 décembre 1996), la région de Sicile a indiqué que la LR n° 20-1995 étendait aux entreprises assujetties à l'administration extraordinaire les avantages offerts par la LR n° 25-1993. En outre, dans une lettre du 21 avril 1997 (transmise à la Commission par lettre de la représentation permanente de l'Italie du 19 mai 1997), la région de Sicile a précisé que la LR n° 20-1995 avait pour objectif de permettre l'exécution d'une opération conclue précédemment.

Il est ainsi démontré que la LR n° 25-1993 n'était pas applicable aux entreprises placées en administration extraordinaire sur la base de l'article 2 bis de la loi n° 95-1979. Cette conclusion est aussi confirmée par le fait que les autorités italiennes ont décidé, le 14 mars 1995, de notifier à la Commission, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité, les modifications prévues par la LR n° 25-1993.

En tout état de cause, la Commission considère que la LR n° 20-1995 ne pouvait pas être appliquée rétroactivement. La position de la Commission a été communiquée par ses services aux autorités italiennes par lettre du 2 mai 1996, où l'on peut lire que "la modification introduite par l'article 1er de la LR n° 20-1995, qui étend l'applicabilité de ce régime aux entreprises assujetties à la procédure de l'administration extraordinaire prévue par la loi n° 95-1979, constitue au contraire une modification d'un régime existant qui, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité CE, doit être notifiée et approuvée par la Commission. L'entreprise Keller SpA ne peut donc pas, pour le moment, bénéficier du régime d'aide en question (LR n° 20-1995)".

Pour conclure, le prêt bonifié a été accordé à Keller SpA, alors déjà placée en administration extraordinaire, sur la base d'un régime qui ne permettait pas de lui octroyer une aide de ce genre. Le régime en question autorisait l'octroi d'aides sous la forme de prêts bonifiés à hauteur de 30 % du prix contractuel total des commandes déjà acquises par les entreprises exerçant leurs activités en Sicile. Comme il s'agissait d'aides au fonctionnement, la Commission avait décidé de limiter son approbation au déblocage d'une somme de 50 000 millions de lires italiennes disponible à cette époque et à des interventions devant intervenir avant le 31 décembre 1994.

De surcroît, le prêt bonifié a été accordé avant l'adoption des modifications qui l'autorisaient et avant que la Commission ne puisse prendre position sur ces dernières. L'élément d'aide contenu dans le prêt bonifié doit donc être considéré comme illégal, puisque celui-ci a été accordé sans satisfaire aux conditions prévues par le régime approuvé et en violation de l'obligation faite aux États membres par l'article 93, paragraphe 3, du traité de communiquer à la Commission, en temps utile pour lui permettre de présenter ses observations, les projets visant à instituer ou à modifier des aides. La Commission doit donc considérer l'aide en question comme une mesure individuelle nouvelle non couverte par le régime. Étant donné que la société se trouve de toute évidence en difficulté et que les autorités italiennes ont défini la garantie de l'État supposée couvrir une partie du prêt comme une aide à la restructuration, ce prêt doit être apprécié sur la base des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté.

C. Le prêt bonifié de 6 500 millions de lires italiennes accordé à Keller Meccanica SpA

Les mêmes conclusions que celles tirées au point B sont valables pour le prêt bonifié de 6 500 millions de lires italiennes octroyé par la Società Finanziaria Industriale Rinascita Sardegna-Sfirs SpA à Keller Meccanica SpA.

Lors de l'ouverture de la procédure, la Commission a observé que le prêt bonifié ne satisfaisait pas aux conditions sur la base desquelles elle a autorisé le régime d'aide (aide d'État C 4-85 - Italie), en particulier celle relative à la taille des bénéficiaires. Le régime d'aide, tel qu'approuvé par la Commission, disposait que seules pouvaient en bénéficier les entreprises dont les investissements fixes ne dépassaient pas 7 milliards de lires italiennes et qui n'employaient pas plus de 100 salariés. Selon les informations fournies par les autorités italiennes avant l'ouverture de la procédure, Keller Meccanica SpA avait un effectif de 319 salariés et ses investissements fixes s'élevaient au total à 53 466 millions de lires italiennes.

Dans leurs observations relatives à l'ouverture de la procédure, les autorités italiennes ont signalé à la Commission qu'elle avait commis une erreur concernant le critère relatif au nombre maximal de salariés. En effet, selon elles, dans son approbation des mesures prévues par la LR n° 66-1976, la Commission a d'abord fixé le montant maximal pouvant bénéficier d'une aide par unité de travail (14 000 ou 18 000 écus), puis a adopté une base de 100 salariés pour établir le montant maximal admissible par entreprise, indépendamment du nombre de salariés. En outre, une limitation stricte du nombre des salariés à 100, comme le propose la Commission, serait en contradiction avec la définition que celle-ci donne à la notion de PME (moins de 250 salariés) et empêcherait nombre de ces dernières de bénéficier des prêts bonifiés en question.

De surcroît, d'après les autorités italiennes, ce que la Commission considère comme des modifications postérieures du régime, ayant permis à Keller Meccanica SpA de bénéficier des aides au titre de celui-ci, n'était, en fait, qu'une mise à jour visant à en adapter les paramètres (investissements fixes et montant des aides par salarié). Le critère de taille initial relatif aux investissements fixes (7 milliards de lires italiennes) ne correspondait même plus à une entreprise artisanale moyenne. Par conséquent, les critères ont été réévalués avec circonspection afin de tenir compte de la perte constante du pouvoir d'achat de la lire italienne. Il convient de noter que cette réévaluation reste inférieure à la dévaluation subie par la monnaie italienne pendant la période qui va de 1980 à 1992 (130,6 % selon l'ISTAT).

Pour ce qui est du prêt bonifié accordé à Keller Meccanica SpA, la Commission fait observer que les critères d'admissibilité étaient établis clairement dans sa décision de 1985 (aide d'État C 4-85 - Italie). La lettre envoyée aux autorités italiennes pour les informer de la décision de la Commission indique explicitement que "la Commission a pris acte des limites fixées en ce qui concerne la taille des entreprises bénéficiaires (un maximum de 100 salariés et de 7 milliards de lires italiennes d'investissements fixes)". La limite de 100 salariés doit donc être entendue comme un critère de taille et un plafond. À supposer que les autorités italiennes aient estimé que la décision de la Commission ne reflétait pas l'esprit du régime notifié, elles ne l'ont pas contestée devant la Cour de justice des Communautés européennes dans le délai imparti. La décision est donc définitive et irrévocable.

Comme le régime approuvé ne prévoyait pas de mécanisme d'adaptation pour les paramètres relatifs à l'octroi des aides et à l'admissibilité des bénéficiaires, les modifications qui y ont été apportées ultérieurement portent sur le fond et devaient être notifiées à la Commission, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Étant donné que cette notification n'a pas été effectuée, on ne saurait considérer que le prêt bonifié déjà octroyé à Keller Meccanica SpA est couvert par l'autorisation accordée à la Commission audit régime. Les informations fournies par les autorités italiennes ne permettent pas de modifier la position exprimée lors de l'ouverture de la procédure. Le prêt ne satisfait pas aux conditions sur la base desquelles la Commission a approuvé le régime d'aide, en particulier en ce qui concerne la taille des bénéficiaires éventuels.

Comme les conditions prévues par le régime approuvé n'ont pas été respectées, la Commission est d'avis que le prêt bonifié de 6 500 millions de lires italiennes en faveur de Keller Meccanica SpA est une mesure individuelle nouvelle ne relevant pas dudit régime. De surcroît, dans la mesure où la société se trouve à l'évidence en difficulté, le prêt doit être apprécié sur la base des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté.

V

La bonification d'intérêts appliquée aux prêts accordés à Keller SpA et à Keller Meccanica SpA doit être considérée comme une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

Il convient d'ajouter que, durant la présente procédure, les autorités italiennes n'ont jamais contesté le fait que la bonification d'intérêts appliquée aux deux prêts en question constitue une aide. Elles n'ont pas demandé à bénéficier de dérogations spécifiques et se sont limitées à observer que les deux prêts bonifiés ont été accordés sur la base de régimes d'aide régionaux approuvés par la Commission.

Les lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté indiquent que ces aides, par leur nature même, faussent la concurrence et affectent les échanges entre États membres. Ces effets sur la concurrence et les échanges sont encore renforcés par la situation qui existe dans le secteur où opèrent les deux sociétés.

Le secteur du matériel roulant comprend la construction d'équipements pour les chemins de fer et les transports urbains sur rails (4). Après une période de stagnation dans la seconde moitié des années 80, la demande a crû rapidement entre 1991 et 1994. La production et la consommation ont enregistré une légère baisse en 1994 (de 4,7 et 1,7 % respectivement) avant de s'effondrer - moins 16,5 % pour la production et moins 13,9 % pour la consommation - pour se retrouver à des niveaux inférieurs à ceux de 1992.

Dans ce secteur, la demande se concentre sur un nombre restreint de clients: entreprises de chemins de fer nationales et régionales, sociétés de transport urbain, sociétés privées de location et de location-vente et industries possédant leur propre matériel ferroviaire roulant. La demande de matériel ferroviaire roulant dépend des politiques d'infrastructure et de transport à long terme, qui à leur tour sont influencées par le climat politique et économique.

Comme le marché est constitué d'un nombre plutôt limité de clients réalisant de temps en temps de grands projets généralement étalés sur plusieurs années, la concurrence entre fournisseurs est toujours extrêmement vive. Pour les constructeurs de matériel roulant, chaque contrat est critique en raison de ces délais. L'expérience acquise et les économies d'échelle obtenues en remportant plusieurs marchés sont essentielles pour déterminer la force de l'offre suivante du fabricant et obtenir un nouveau contrat.

Des décennies de dépendance mutuelle entre les chemins de fer et leurs fournisseurs ont créé une surcapacité de matériel fourni, seulement compensée en partie par les exportations vers des pays tiers. Dans le passé, peu de commandes transfrontalières émanaient de pays disposant de leurs propres constructeurs de matériel ferroviaire roulant, à l'exception des Pays-Bas, de l'Espagne et, plus récemment, du Royaume-Uni. L'accès, à titre individuel, d'un fournisseur à de nouveaux marchés nationaux s'effectuait par le biais d'une acquisition, d'une participation ou d'un consortium.

La mise en œuvre de la directive 90-531-CEE du Conseil (5) relative aux marchés publics dans les secteurs auparavant exclus, y compris les transports, modifiée en dernier lieu par la directive 94-22-CE (6), a créé de nouveaux débouchés commerciaux pour les fournisseurs européens après des années d'accès limité aux marchés nationaux. En outre, la tendance aux achats transfrontaliers devrait se renforcer grâce à une plus grande séparation entre la gestion de l'infrastructure ferroviaire et l'exploitation des services de transport sur rail, prévue par la directive 91-440-CEE du Conseil (7) relative au développement de chemins de fer communautaires.

Les échanges intracommunautaires de matériel roulant (8) s'élevaient à quelque 1,5 milliard d'écus en 1993, 2,6 milliards en 1994, 1,4 milliard en 1995 et 1,2 milliard en 1996. La part de l'Italie s'établissait comme suit:

EMPLACEMENT TABLEAU

Il y a lieu de noter que, selon les déclarations des autorités italiennes, Keller SpA a exporté du matériel roulant en Allemagne pour l'équivalent de 7 414 millions de lires italiennes en 1991, 18 968 millions en 1992 et 6 820 millions en 1993.

VI Les autorités italiennes ont qualifié d'aide à la restructuration la garantie de l'État qui devait couvrir une partie des prêts bonifiés accordés à Keller SpA et à Keller Meccanica SpA. Par conséquent, les prêts doivent eux aussi être considérés comme des aides financières à la restructuration. Même si les éléments d'aide attribués aux deux prêts bonifiés devaient être assimilés à des aides au sauvetage, ils ne pourraient pas être autorisés à la lumière des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté. En effet, les prêts ne respectent pas toutes les conditions énumérées dans ces lignes directrices; ils n'ont, en particulier, pas été accordés pour la période nécessaire à la mise au point du plan de redressement viable requis. Ce n'est que dans le cas où la Commission examine encore le plan de restructuration à l'expiration de la période pour laquelle l'aide au sauvetage a été accordée qu'elle peut considérer favorablement une prolongation de cette aide jusqu'au moment où l'examen prend fin.

En l'espèce, l'aide vise à permettre aux deux sociétés d'honorer les commandes en cours. Tant le laps de temps prévu pour ce faire (de trente et un à trente-neuf mois) que la durée des prêts vont bien au-delà de la période de six mois pour laquelle les aides au sauvetage sont normalement approuvées. En outre, comme il est expliqué ci-après, les plans communiqués à la Commission ont pour seul objectif d'honorer les commandes et ne peuvent pas être considérés comme des plans de restructuration en mesure de rétablir la viabilité à long terme des sociétés.

Les lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté disposent qu'une aide à la restructuration ne devrait, en général, être autorisée que dans les cas où l'on peut démontrer qu'il est dans l'intérêt de la Communauté qu'elle le soit. Cela n'est donc possible que si cette aide satisfait à des critères stricts et que si l'on a pleinement tenu compte des distorsions éventuelles qu'elle pourrait entraîner.

Pour que la Commission approuve l'aide, le plan de restructuration doit satisfaire à toutes les conditions générales suivantes:

- permettre de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise sur la base d'hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d'exploitation futures. En conséquence, l'aide à la restructuration doit être liée à un programme de restructuration ou de redressement viable, qui doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires,

- prévenir les distorsions de concurrence indues découlant de l'aide,

- être proportionné aux coûts et aux avantages de la restructuration,

- être mis en œuvre complètement. Il est, en outre, prévu que des rapports annuels détaillés soient envoyés à la Commission.

En l'espèce, en ce qui concerne tant Keller SpA que Keller Meccanica SpA, les autorités italiennes ont présenté des plans de redressement destinés à honorer les commandes existantes en vue de rétablir la rentabilité des deux sociétés. De surcroît, il n'était pas exclu que de nouvelles commandes soient acceptées en fonction des progrès accomplis dans l'exécution des commandes en cours. Toutes les interventions envisagées, y compris celles qui portent sur la rénovation des outils de production et la modernisation des équipements, visent à atteindre cet objectif. Le plan financier présenté par Keller SpA à la Commission prévoit, lorsque les commandes auront été honorées, un résultat final positif de 1 805 millions de lires italiennes. Dans le cas de Keller Meccanica SpA, le résultat final devrait être de 8 300 millions de lires italiennes.

Lors de l'ouverture de la procédure, aucune des deux sociétés n'avait de nouvelles commandes. La Commission ne pouvait pas conclure que les plans de restructuration conçus dans les deux cas rétabliraient la rentabilité à long terme, les résultats prévus ne suffisant pas pour permettre aux deux sociétés d'éponger les pertes accumulées, même en cas d'exécution des commandes déjà acquises.

Dans leurs observations relatives à l'ouverture de la procédure, les autorités italiennes ont indiqué le caractère particulier des dispositions prévues par la loi n° 95-1979, en précisant que l'administration extraordinaire avait pour objectif de permettre à l'entreprise insolvable de poursuivre ses activités lorsqu'il semblait envisageable de la redresser en vue de transférer ses actifs à des tiers privés dans les plus brefs délais possibles. Il va donc de soi que le programme de redressement ne peut couvrir un laps de temps supérieur à la durée de l'assujettissement à l'administration extraordinaire (quatre années au maximum). Toute décision portant sur l'avenir des deux sociétés après l'expiration de cette période devra être prise par l'éventuel acquéreur privé. Par ailleurs, les autorités sardes ont expliqué que, en ce qui concerne Keller Meccanica SpA, les interventions du commissaire dans le cadre de l'administration extraordinaire ne sont pas de nature structurelle, mais visent à exécuter les commandes acquises.

Dans leur dernière lettre, datée du 27 janvier 1998, les autorités italiennes ont informé la Commission de l'ouverture de la procédure de vente des établissements de Keller SpA et de Keller Meccanica SpA, en ajoutant qu'il n'était donc plus nécessaire d'envoyer les plans de restructuration.

Sur la base des informations présentées ci-dessus, la Commission ne peut pas modifier ses conclusions préliminaires, à savoir que le "programme de redressement" conçu par le commissaire extraordinaire pour Keller SpA et Keller Meccanica SpA dans le cadre de la loi n° 95-1979 ne constitue qu'un plan de financement destiné à permettre l'exécution des commandes acquises au moment de l'application de la loi.

Le programme de redressement ne saurait être considéré comme un plan de restructuration au sens des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un plan viable, cohérent et de grande envergure, à même de rétablir la rentabilité à long terme de l'entreprise. Pour satisfaire au critère de viabilité, le plan de restructuration doit permettre à l'entreprise de couvrir tous ses coûts, y compris les coûts d'amortissement et les charges financières, ainsi que d'obtenir une rentabilité minimale des capitaux investis afin qu'elle puisse, une fois restructurée, se passer de nouvelles aides d'État et affronter la concurrence sur le marché en ne comptant plus que sur ses propres forces.

De toute évidence, tel n'est pas le cas en l'espèce. La mesure vise à maintenir en activité les deux entreprises pendant une période transitoire limitée, jusqu'au moment où un acheteur privé se présentera. Les autorités italiennes admettent, enfin, que toute initiative visant à garantir la rentabilité à venir des entreprises devra être prise par l'éventuel acheteur privé, une fois que l'assujettissement à l'administration extraordinaire aura pris fin. Par conséquent, il convient de conclure que la condition la plus importante fixée par les lignes directrices communautaires (à savoir, l'élaboration d'un plan de restructuration à même de rétablir la viabilité à long terme des entreprises) n'est pas satisfaite.

La condition relative à la prévention des distorsions de concurrence indues n'est pas davantage satisfaite, en ce que les deux sociétés sont maintenues artificiellement en vie pendant la période transitoire au détriment des concurrents non subventionnés du même secteur. En outre, il n'est pas exclu que les deux sociétés reçoivent de nouvelles commandes.

Par conséquent, les éléments d'aide contenus dans les prêts bonifiés (de 33 839 millions de lires italiennes dans le cas de Keller SpA et de 6 500 millions de lires italiennes dans le cas de Keller Meccanica SpA) ne peuvent pas bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, point c), du traité qui est la seule susceptible d'être appliquée aux aides au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté. La dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, du traité n'est pas applicable, car l'aide n'est pas destinée à promouvoir le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas.

Il y a lieu de préciser que, si les deux sociétés avaient été privatisées à l'issue de la période de quatre ans pendant laquelle elles étaient soumises au régime de l'administration extraordinaire, la Commission aurait tiré les mêmes conclusions, pour les motifs présentés ci-dessus. Cela n'aurait pas dispensé la Commission de prendre position sur les mesures prises au cours de la période transitoire de l'administration extraordinaire, lesquelles doivent être appréciées en fonction de leurs caractéristiques, indépendamment de la possibilité d'une cession.

Le fait que les deux sociétés soient assujetties à l'administration extraordinaire ne modifie pas davantage les conclusions de la Commission. Dans un cas antérieur d'aides d'État [aide d'État C 8-96 Ferdofin Srl (9)], la Commission a estimé que les aides accordées à Ferdofin en application de la loi n° 95-1979 constituaient des aides d'État, parce que les mesures prises sur la base de cette loi ne sont pas destinées à toutes les sociétés, mais seulement aux plus grandes (plus de 300 salariés) et que la procédure dépend du pouvoir discrétionnaire des pouvoirs publics. La Commission, en l'absence d'un véritable plan de restructuration, a clos le cas en exigeant la récupération de l'aide accordée par les autorités italiennes à Ferdofin. Dans un souci de cohérence avec cette décision, des cas présentant des caractéristiques analogues, comme celui qui est visé ici, ne sauraient donner lieu à une prise de position différente de la part de la Commission.

VII Les éléments d'aide équivalent à la différence entre les taux d'intérêt appliqués aux sociétés et le taux de référence utilisé pour calculer l'équivalent-subvention net des aides à finalité régionale en Italie en 1995, soit 11,35 %. L'élément d'aide s'élève donc à 4 288 millions de lires italiennes pour le prêt bonifié accordé à Keller SpA et à 903 millions de lires italiennes pour le prêt bonifié accordé à Keller Meccanica SpA.

Les bonifications d'intérêts, de 4 288 millions de lires italiennes en ce qui concerne le prêt bonifié accordé à Keller SpA et de 903 millions de lires italiennes pour ce qui est du prêt bonifié accordé à Keller Meccanica SpA, doivent, par conséquent, être considérées comme illégales et incompatibles avec le Marché commun.

Lorsqu'elle constate qu'une aide accordée illégalement est incompatible avec le Marché commun, conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Commission ordonne à l'État membre concerné de la récupérer auprès du bénéficiaire, comme l'a établi la Cour de justice dans les arrêts prononcés dans les affaires 70-72, Commission contre Allemagne (10), 310-85, Deufil contre Commission (11), et C-5-89, Commission contre Allemagne (12).

Les autorités italiennes sont donc invitées à adopter les dispositions nécessaires pour récupérer l'aide illégale et incompatible,

A arrêté la présente décision:

Article premier

Les conditions auxquelles ont été accordés les prêts bonifiés d'un montant de 33 839 millions de lires italiennes en faveur de Keller SpA et de 6 500 millions de lires italiennes en faveur de Keller Meccanica SpA ne correspondent pas aux conditions prévues par les régimes d'aides à finalité régionale approuvés par la Commission. En outre, ces prêts ont été concédés avant que la Commission ne présente ses observations conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité sur les modifications apportées postérieurement auxdits régimes.

Article 2

Les aides accordées sous la forme d'une bonification d'intérêts, d'un montant de 4 288 millions de lires italiennes en ce qui concerne Keller SpA et de 903 millions de lires italiennes en ce qui concerne Keller Meccanica SpA, sont illégales.

Ces aides ne peuvent bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité ou à l'article 61, paragraphes 2 et 3, de l'accord EEE et sont donc incompatibles avec le Marché commun en application de l'article 92, paragraphe 1, du traité et de l'article 61, paragraphe 1, de l'accord EEE.

Article 3

L'Italie adopte les mesures appropriées pour garantir le recouvrement des aides versées illégalement visées à l'article 2. Ce recouvrement se fait selon les procédures et les dispositions en vigueur en Italie.

Les sommes à récupérer produisent des intérêts à compter de la date d'octroi des aides jusqu'au moment du recouvrement effectif. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention net des aides à finalité régionale applicable en Italie à la date de restitution.

Article 4

Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, l'Italie communique à la Commission les mesures qu'elle aura prises pour s'y conformer.

Article 5

La République italienne est destinataire de la présente décision.

(1) JO C 368 du 23.12.1994, p. 12.

(2) JO C 140 du 7.5.1997, p. 12.

(3) JO C 213 du 19.8.1992, p. 2.

(4) Commission européenne: Panorama de l'industrie communautaire 1997.

(5) JO L 297 du 29.10.1990, p. 1.

(6) JO L 164 du 30.6.1994, p. 3.

(7) JO L 237 du 24.8.1991, p. 25.

(8) Eurostat : Statistiques intra-Union européenne.

(9) JO L 306 du 11.11.1997, p. 25.

(10) Recueil 1973, p. 813.

(11) Recueil 1987, p. 901.

(12) Recueil 1990, p. I-3437.