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Décisions

TPICE, 1re ch. élargie, 18 décembre 1997, n° T-178/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Asociación Telefónica de Mutualistas

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

Mme Tiili, M. Moura Ramos, MM. Pirrung, Kalogeropoulos

Avocats :

Mes Blanco Rodríguez, Hernández Bataller, Lorang.

TPICE n° T-178/94

18 décembre 1997

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

Faits à l'origine de la plainte

1. L'association requérante dénommée Asociación Telefónica de Mutualistas (ATM) a été créée en 1987 en vue d'assurer la défense des droits des adhérents de l'Institución Telefónica de Previsión (ci-après "ITP"), une mutuelle de prévoyance sociale créée par la CompaÄnia Telefónica de EspaÄna, SA (ci-après "TESA") au bénéfice de ses salariés et pensionnés.

2. TESA est une société commerciale anonyme à participation de l'État. Elle a obtenu de l'État espagnol la concession du service public téléphonique de base. En 1992 la participation de l'État a atteint 32 % du capital social de cette société, le restant du capital étant réparti entre 300 000 autres actionnaires qui détiennent chacun moins de 0,5 % des parts sociales. La requérante a expliqué à l'audience que l'État possède actuellement 21 % du capital social. Par ailleurs, l'État nomme la majorité des membres des organes administratifs de TESA.

3. L'ITP a été créée par TESA en 1944, sur le fondement d'une loi du 6 décembre 1941 relative aux caisses de secours et mutuelles de prévoyance sociale et de son règlement d'application, approuvé par décret du 26 mai 1943. Aux termes dudit règlement, ces caisses et mutuelles étaient régies par leurs dispositions statuaires et réglementaires, à condition pour ces dernières d'être conformes au prescrit de la loi et dudit règlement d'application. Cette réglementation prévoyait, par ailleurs, que les prestations servies par ces organismes étaient considérées comme compatibles avec les avantages que leurs membres pouvaient retirer du régime des assurances sociales obligatoires établi par l'État, à moins que des dispositions légales de teneur contraire ou des dispositions expresses du ministère du Travail ne déclarent que lesdites prestations se substituaient à celles des assurances sociales obligatoires.

4. Depuis 1966 l'ITP revêt, pour ce qui est de la sécurité sociale en matière de retraite, d'invalidité permanente ainsi que de décès et de survie découlant d'une maladie courante, le caractère d'organisme de substitution par rapport à la sécurité sociale générale. Par ailleurs, les prestations octroyées par l'ITP auraient été supérieures aux prestations octroyées par le système public.

5. Les prestations servies par les mutuelles, de même que les cotisations qui leur étaient versées étaient fixées dans leur propre règlement. La cotisation de TESA à l'ITP, a initialement été fixée dans le règlement de l'ITP à 7 %, puis successivement portée à 8 et à 9 % des salaires payés aux travailleurs.

6. Il découle également du dossier que les organismes et entreprises qui, ayant une mutuelle qui dans une certaine mesure se substitue au régime général de sécurité sociale, sont exclus de la couverture par le régime général de certains risques, bénéficient de l'application d'un coefficient réducteur sur le taux général de cotisation. Les coefficients étaient déterminés chaque année par un arrêté du ministre en charge de la Sécurité sociale. Il n'a pas été contesté que la réduction pouvait atteindre 14 % des salaires.

7. L'objectif de la loi générale de sécurité sociale de 1966, a été de coordonner et d'unifier les assurances sociales générales. Cette loi prévoit, en principe, que sont intégrés dans le régime général de sécurité sociale les groupes inclus dans le champ d'application du système de sécurité sociale mais non encore couverts par ce régime.

8. Un décret royal du 20 novembre 1985 dispose que les institutions dont relèvent les groupes à intégrer seront obligées d'opérer en faveur de la sécurité sociale la compensation financière correspondant aux charges et obligations qui seront assumées par elle et que, dans l'hypothèse où les ressources disponibles pour assurer le paiement des obligations pour lesquelles lesdites institutions se substituent à la sécurité sociale ne seraient pas suffisantes pour couvrir les coûts de l'intégration, la différence serait apportée par les organismes ou entreprises qui sont obligés de couvrir financièrement le paiement des prestations que les institutions en question octroyaient.

9. Entre-temps, en 1977, le ministère du Travail a approuvé le règlement modifié de l'ITP. Le point 4 des dispositions transitoires contient désormais la mention selon laquelle TESA "apporte son aval au service des prestations que l'ITP aura à assurer pendant une période de dix ans et, pour concrétiser cette responsabilité, le montant maximal garanti sera fixé chaque année, et l'aval sera renouvelable chaque année de telle façon que sa durée couvre le délai de dix ans à partir de chaque renouvellement". Selon la requérante, la constitution de l'aval a même été exigée par l'administration publique pour que le règlement puisse être approuvé.

10. Selon le procès-verbal de la réunion du comité directeur de l'ITP du 24 juillet 1979, ce comité a constaté que TESA avait assuré, dans le cadre de l'acquisition par l'ITP d'un paquet d'actions de TESA, qu'elle souscrivait certains engagements à l'égard de l'ITP. Ces engagements consistaient, notamment, "en l'extension de l'aval susvisé afin de couvrir les réserves techniques mises en évidence dans les études actuarielles" et en l'obligation de maintenir cet aval, actualisé annuellement, comme indiqué dans la disposition transitoire citée au point précédent.

11. La requérante fait valoir, sans être contredite sur ce point par la Commission, que TESA n'a fixé le montant de l'aval que pour son budget de l'exercice 1977, chiffrant celui-ci à 8 milliards de PTA.

12. La requérante fait valoir également que le Conseil d'administration de TESA a considéré, au cours de sa réunion du 28 janvier 1987, que le délai de dix ans, pendant lequel l'aval initialement accordé en 1977 devait rester en vigueur, avait expiré et qu'il a alors annulé cet aval.

13. Le 27 décembre 1991 le Conseil des ministres espagnol a décidé d'intégrer dans le régime général de sécurité sociale les groupes des actifs et des pensionnés de l'ITP. Le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a ensuite déterminé les effets de l'intégration dans un arrêté du 30 décembre 1991. La direction générale de la planification et de l'aménagement économique de la sécurité sociale, habilitée à cet effet, a fixé, par la résolution du 25 mai 1992, les coûts de cette intégration. Cette résolution disposait en outre que, si les ressources de l'ITP se révélaient insuffisantes, TESA serait obligée de verser la différence entre les versements effectués par l'ITP et le montant total à acquitter pour les pensionnés. En ce qui concerne le système de prévoyance complémentaire, un accord a été conclu le 8 juillet 1992 par lequel TESA s'est engagée à verser certaines prestations en faveur des bénéficiaires.

14. Le 10 juin 1992, le ministère de l'Économie et des Finances a prononcé la dissolution d'office et la liquidation de l'ITP. La requérante a, cependant, fait remarquer, sans être contredite sur ce point par la défenderesse, que la procédure de dissolution n'était, toutefois, pas encore définitivement close.

Procédure administrative

15. C'est dans ces conditions qu'une plainte a été déposée à la Commission, le 1er juillet 1993, au nom de l'ATM, faisant grief aux pouvoirs publics espagnols d'avoir permis une diminution des charges sociales de TESA, constitutive d'une aide d'État. Les mesures critiquées dans la plainte, décrites à la lumière des précisions apportées au cours de la procédure administrative et contentieuse, sont les suivantes.

16. En premier lieu, l'aide consisterait dans le fait que les autorités publiques ont permis à TESA de bénéficier, entre 1982 et la fin de l'année 1991, de la différence entre le montant qu'elle a effectivement versé à l'ITP en tant que cotisations, d'une part, et le montant des cotisations qu'elle n'a pas eu, grâce à un coefficient réducteur, à verser au système général de sécurité sociale, d'autre part. Cette aide s'élèverait à 270 milliards de PTA. Par ailleurs, la requérante a demandé à la Commission d'ordonner à TESA de verser à l'ITP cette différence.

17. En second lieu, les autorités publiques auraient permis l'annulation d'un aval que TESA aurait été obligée de maintenir en vigueur afin que l'ITP puisse toujours compter sur une couverture suffisante des prestations qu'elle doit fournir pour les dix années suivantes. Cette mesure étatique aurait procuré à TESA un bénéfice s'élevant à 8 milliards de PTA.

18. Dans la plainte, la requérante a en outre affirmé que lesdites mesures d'aide avaient conduit l'ITP à une situation déficitaire, et que cette dernière avait, en conséquence, été mise en liquidation.

19. La Commission a, par lettre du 12 août 1993, invité la requérante à présenter des observations complémentaires à sa plainte. A la suite d'une réunion qui s'est tenue le 15 septembre 1993, la requérante a communiqué des informations supplémentaires par lettre du 29 octobre 1993. Par lettre du 12 novembre 1993, la Commission a encore invité la requérante à compléter ses informations, ce qu'elle a fait par lettre du 3 décembre 1993.

20. Selon la réponse de la Commission à une question posée par le Tribunal, il n'y a pas eu de correspondance avec l'État espagnol ni de décision formelle adressée à l'État.

21. A l'issue de l'échange de correspondance entre la Commission et la requérante, la Commission a, par lettre D-30508 du 15 février 1994 (ci-après "lettre du 15 février 1994"), adressée au représentant de la requérante, M. Molina del Pozo, communiqué que, après examen de toutes les informations soumises, aucune preuve de l'existence d'une aide d'État en faveur de TESA n'était apparue. Aussi la Commission a-t-elle classé sans suite la plainte de la requérante.

22. La motivation de la lettre du 15 février 1994 est libellée comme suit:

"Il n'existe aucune intervention de l'État dans l'annulation de [l'aval ... S]i TESA est une entreprise détenue en majorité par l'État, ni l'État ni aucun autre de ses actionnaires n'est en principe responsable des actes ou des engagements contractés par TESA, qui a une personnalité juridique distincte.

Si l'ITP et les employés s'estiment lésés dans leurs droits par l'inexécution d'un engagement imputable à TESA, ils peuvent en demander réparation, comme ils l'ont fait, auprès des juridictions nationales compétentes qui, si elles le jugent bon, rétabliront les plaignants dans leurs droits."

"L'exonération du paiement de certains montants à la sécurité sociale [générale] a été décidée par le Gouvernement espagnol conformément à la législation espagnole générale en matière sociale, les conditions requises par ces dispositions étant remplies par TESA. Sur la question de l'éventuelle non-exécution par TESA des engagements qu'elle avait souscrits aux termes de la législation générale citée, le Tribunal Supremo espagnol a jugé, par arrêt du 26 décembre 1990, que, à la lumière de la législation générale applicable, TESA n'était pas tenue de faire à l'ITP des apports supérieurs à ceux qu'elle a effectivement effectués. Par conséquent, la Commission ne peut conclure que la différence mentionnée constituerait une aide de l'État, puisque cette situation n'est pas contraire à la législation générale applicable.

[...] en tout Etat de cause, la demande de la plaignante, tendant à ce que la Commission ordonne à TESA de verser à l'ITP le montant de la différence, n'est pas conforme au droit communautaire, puisque la Commission, dans l'hypothèse de l'existence d'une aide et de l'incompatibilité de celle-ci, en ordonnerait le remboursement à l'État."

Procédure

23. C'est dans ces circonstances que la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 avril 1994, introduit le présent recours.

24. La partie défenderesse a, par acte séparé, conformément à l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre du présent recours, enregistrée au greffe du Tribunal le 28 juillet 1994.

25. La requérante a présenté ses observations sur l'exception d'irrecevabilité le 12 septembre 1994.

26. Par ordonnance du Tribunal du 14 juin 1995 l'exception d'irrecevabilité a été jointe au fond.

27. Les parties ont déposé les mémoires en défense, en réplique et en duplique au greffe du Tribunal respectivement le 21 août 1995, le 9 octobre 1995 et le 15 décembre 1995.

28. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a ouvert la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, le Tribunal a posé certaines questions écrites aux parties, auxquelles celles-ci ont dûment répondu.

29. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience du 30 septembre 1997.

Conclusions des parties

30. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer le recours recevable et fondé;

- annuler la lettre du 15 février 1994 par laquelle la Commission déclare avoir classé la plainte introduite par la requérante;

- condamner la Commission aux dépens.

31. La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- à titre principal, déclarer le recours irrecevable;

- à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé;

- condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

32. La défenderesse soulève deux fins de non-recevoir à l'encontre du recours. Premièrement, la requérante n'aurait pas d'intérêt à agir. Deuxièmement, il n'y aurait pas d'acte attaquable par la requérante et, en tout Etat de cause, elle ne justifierait pas de la qualité pour agir au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE.

33. Quant à la première fin de non-recevoir, l'absence d'intérêt à agir résulterait, en premier lieu, du fait que, même dans l'hypothèse où les interventions financières de l'État espagnol en faveur de TESA seraient effectivement des aides d'État incompatibles avec le Marché commun, une injonction éventuelle de remboursement ne bénéficierait en rien à la partie requérante, étant donné que les charges sociales non perçues devraient être remboursées à l'État espagnol et non à l'ITP ou à l'ATM. Selon la défenderesse, l'ordre juridique espagnol ne prévoit pas de possibilité de compenser la différence entre la cotisation normale à la sécurité sociale et la cotisation inférieure versée par TESA à l'ITP, ainsi que l'aurait établi le Tribunal Supremo dans son arrêt susmentionné.

34. La défenderesse ajoute que, en tenant compte de la dissolution de l'ITP, un remboursement en sa faveur est même juridiquement impossible depuis 1992. Même si les prétendues aides à restituer devaient être versées dans les caisses de l'ITP, leur montant devrait, du fait de la liquidation, être versé à la sécurité sociale pour faire face au coût de son intégration dans le système général de sécurité sociale.

35. L'absence d'intérêt à agir résulterait, en second lieu, du fait que la prétendue aide d'État bénéficierait uniquement à TESA, entreprise avec laquelle ni la partie requérante ni ses membres ne se trouveraient, directement ou indirectement, dans un rapport de concurrence. La défenderesse invoque, à cet égard, les ordonnances de la Cour du 30 septembre 1992, Landbouwschap/Commission (C-295-92, Rec. p. I-5003), et du 8 avril 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./CEE (197-80, 198-80, 199-80, 200-80, 243-80, 245-80 et 247-80, Rec. p. 1041), en faisant valoir que l'analyse des rapports de concurrence, en vue de déterminer l'existence ou l'absence d'un intérêt à agir, doit être faite par rapport à la partie requérante et non par rapport à des personnes ou entreprises qui pourraient, le cas échéant, être effectivement ou potentiellement affectées par l'acte en cause. En l'espèce, ni l'ATM ni ses membres ne se trouveraient directement ou indirectement dans un rapport de concurrence avec TESA, ni dans un autre rapport pertinent sous l'angle de la protection de la libre concurrence. Il en résulte, selon la défenderesse, que le maintien ou l'annulation de la décision attaquée n'affecte en aucune manière les intérêts de l'ATM.

36. La seconde fin de non-recevoir est tirée de l'absence d'acte attaquable par la requérante. La défenderesse fait valoir, en premier lieu, que la lettre du 15 février 1994 n'est pas une décision adressée à la requérante car, à la différence de ce qui est prévu par le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), il n'existe, dans le secteur des aides d'État, aucune procédure de plainte pouvant conduire, si la requérante le désire, à une décision dont celle-ci pourrait être le destinataire et qui serait susceptible d'un recours en annulation. Cette position est, selon la Commission, clairement confirmée par les arrêts de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C-313-90, Rec. p. I-1125), et du 19 mai 1993, Cook/Commission (C-198-91, Rec. p. I-2487), et synthétisée dans les conclusions de l'Avocat général M. Tesauro sous l'arrêt Cook/Commission, précité (Rec. p. I-2502).

37. En fait, une lettre telle que celle de l'espèce ne serait qu'une information relative à une décision adressée à l'État membre, unique destinataire des décisions dans le secteur des aides d'État. Elle ne ferait que porter le contenu d'une décision proprement dite à la connaissance de ceux qui ont dénoncé l'existence de l'aide. La lettre du 15 février 1994 ne mettrait donc pas en soi un terme à la procédure, laquelle pourrait d'ailleurs être rouverte si l'entreprise plaignante apportait de nouveaux éléments de fait ou de droit justifiant cette réouverture.

38. En outre, la défenderesse estime que, en tout Etat de cause, la requérante n'est pas individuellement concernée ainsi que l'exige l'article 173, quatrième alinéa, du traité. En tant qu'association privée agissant dans la présente procédure dans l'intérêt de ses membres et non dans son propre intérêt, la requérante ne serait pas concernée individuellement par une décision déclarant que la prétendue intervention financière de l'État en faveur de TESA ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 92 du traité. Plus précisément, elle n'aurait pas joué le rôle d'interlocuteur privilégié au sens de l'arrêt de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission (67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219). De même, si l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995 AITEC e.a./Commission (T-447-93, T-448-93 et T-449-93, Rec. p. II-1971), a confirmé qu'une association professionnelle pouvait être considérée comme concernée individuellement, dans la mesure où elle pouvait démontrer que la position concurrentielle de certains de ses membres avait été sensiblement affectée par les aides en question et où un éventuel recours desdits membres aurait été recevable au sens de l'arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391), la Commission estime néanmoins que tel n'est pas le cas en l'espèce.

39. La requérante ne serait pas non plus concernée directement ainsi que l'exige l'article 173, quatrième alinéa, du traité, puisqu'il n'existerait aucun lien de causalité entre la décision de ne pas soulever d'objections, en l'absence d'aides d'État, et le préjudice découlant éventuellement de la législation espagnole en matière de sécurité sociale. En effet, à supposer que la Commission ait commis une erreur dans sa qualification de l'intervention financière de l'État espagnol en faveur de TESA et doive donc ordonner la récupération de l'aide, l'ordre juridique espagnol ne prévoit aucun mécanisme rendant possible la réparation du préjudice allégué par la requérante.

40. La requérante soutient que son recours est recevable. Dans le cadre de la première fin de non-recevoir, elle fait valoir son intérêt à agir. Tout d'abord, c'est à cause de l'annulation de l'aval et des cotisations trop basses, c'est-à-dire les aides dénoncées, que l'ITP n'aurait pu assumer les prestations aux ayants droit et aurait été intégrée dans le régime général de sécurité sociale. Le remboursement par TESA des aides d'État qu'elle estime incompatibles avec le Marché commun lui bénéficierait parce que l'administration espagnole reverserait ces montants à l'ITP, au bénéfice, en définitive, des membres de la requérante.

41. La requérante fait valoir que l'arrêt du Tribunal Supremo susmentionné a été interprété erronément par la Commission. Selon la requérante, cet arrêt ne porte pas sur la question de savoir s'il y a ou non lieu de rembourser. La juridiction nationale aurait seulement basé sa décision sur une règle de procédure et estimé que ceux qui auraient dû formuler la demande n'étaient pas les travailleurs et les pensionnés requérants mais les organes de direction de l'ITP.

42. L'affirmation de la Commission, selon laquelle la restitution de montants à l'ITP serait juridiquement impossible depuis 1992, ne pourrait non plus être soutenue en droit, car la liquidation de l'ITP ne serait pas imminente. Même dans le cas où les exigences légales seraient remplies et les décisions juridiques relatives à la liquidation seraient prises, un arrêt favorable du Tribunal en l'espèce pourrait donner lieu à la révision des actes administratifs ayant entraîné la dissolution de l'ITP.

43. En ce qui concerne la situation concurrentielle sur le marché, la requérante constate qu'elle a subi un préjudice réel et certain à cause de l'aide d'État en faveur de TESA, étant donné que la diminution des contributions sociales a affecté les droits de ses membres. La requérante invoque, dans ce contexte, l'arrêt Cook/Commission, précité, selon lequel les intéressés, au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, ont été définis comme les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi de l'aide, c'est-à-dire les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles. Comme la requérante est une association professionnelle créée pour assurer la défense des mutualistes, tout ce qui affecte l'ITP ou TESA présenterait un intérêt direct pour elle.

44. La requérante aurait également un intérêt à agir en l'espèce, parce qu'elle aurait été constituée pour défendre les droits de l'ITP, dans des circonstances où la défense desdits droits aurait, autrement, été impossible, en raison de la domination exercée par TESA sur l'ITP.

45. La requérante fait valoir, dans le cadre de la seconde fin de non-recevoir, qu'elle est la destinataire de la lettre du 15 février 1994 qui est une décision produisant des effets juridiques obligatoires. En effet, cet acte mettrait un terme à la procédure de plainte et contiendrait une appréciation des aides contestées et, partant, empêcherait les membres de la requérante d'obtenir satisfaction de leurs intérêts à l'avenir.

46. La requérante invoque, à cet égard, l'arrêt de la Cour du 16 juin 1993, France/Commission (C-325-91, Rec. p. I-3283, point 9), en faisant valoir que l'existence d'un acte attaquable au sens de l'article 173 du traité dépend de la question de savoir s'il produit des effets juridiques, et l'arrêt de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission (166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, point 11), dans lequel la Cour avait qualifié le refus d'ouvrir une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, de mesure produisant des effets juridiques. La requérante renvoie aussi à l'arrêt de la Cour du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission (C-39-93 P, Rec. p. I-2681, points 27 et 28), selon lequel une institution qui est dotée du pouvoir de constater une infraction et de la sanctionner et qui peut être saisie sur plainte de particuliers, comme c'est le cas de la Commission dans le domaine du droit de la concurrence, adopte nécessairement un acte qui produit des effets juridiques lorsqu'elle met fin à l'enquête qu'elle a engagée à la suite de cette plainte, et l'acte de classement d'une plainte ne saurait être qualifié de préliminaire ou de préparatoire car il constitue le stade ultime de la procédure: il ne sera suivi d'aucun acte susceptible de donner lieu à un recours en annulation.

47. La requérante affirme de plus qu'elle est intervenue activement dans la procédure engagée par la Commission à la suite de sa plainte. Cette circonstance la rendrait recevable à attaquer la décision prise à l'issue de la procédure (arrêt Cofaz e.a./Commission, précité).

48. Enfin, la requérante fait valoir que le présent recours devrait être recevable afin de garantir le droit de la requérante à un recours effectif, conformément à l'article 13 de la convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour car, en Espagne, il n'y aurait aucune voie de droit adéquate, en matière d'aides d'État, lui permettant de contester la diminution des charges sociales autorisée par omission par le Royaume d'Espagne.

49. La défenderesse rétorque, dans son mémoire en duplique, que l'arrêt SFEI e.a./Commission, précité, concerne la procédure d'application des articles 85 et 86 du traité, dans laquelle est prévue notamment la possibilité de déposer des plaintes. Cette jurisprudence ne serait pas applicable en l'espèce. En ce qui concerne l'arrêt de la Cour Irish Cement/Commission, précité, la défenderesse observe que si la Cour n'avait pas, dans cet arrêt, considéré que le recours avait été formé en dehors des délais, elle aurait eu à examiner si la partie requérante était directement et individuellement concernée par la lettre de la Commission.

50. Enfin, quant à l'argument de la requérante tiré de l'absence de possibilité de contrôle juridictionnel au cas où le présent recours serait irrecevable, la défenderesse constate que l'article 92, paragraphe 1, du traité est directement applicable et peut par conséquent être invoqué par la requérante devant les juridictions nationales si elle l'estime utile.

Appréciation du Tribunal

51. Le Tribunal relève, tout d'abord, qu'une décision mettant un terme à l'examen de la compatibilité avec le traité d'une mesure d'aide a toujours pour destinataire l'État membre concerné et qu'un particulier est recevable à l'attaquer devant le juge communautaire si les conditions de l'article 173, quatrième alinéa, du traité sont réunies.

52. Il y a lieu de relever, à ce stade, que la lettre du 15 février 1994 constitue simplement, vis-à-vis de la partie requérante, une communication reflétant le contenu d'une décision ayant pour destinataire l'État membre concerné. Le Tribunal estime, dès lors, qu'il est raisonnable de comprendre les conclusions de la requérante tendant à l'annulation de la lettre du 15 février 1994, par laquelle la Commission déclare avoir classé la plainte introduite par la requérante, comme visant en réalité à l'annulation de la décision dont le destinataire est l'État membre concerné et que ladite lettre reproduit.

53. Or, peuvent seuls être attaqués par une personne physique ou morale, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, les actes qui produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.

54. Ainsi, il y a lieu d'examiner si la décision de mettre un terme à l'examen de la compatibilité avec le traité des aides étatiques dénoncées par la requérante, décision communiquée à la requérante par la lettre du 15 février 1994, mais ayant en réalité pour destinataire le Royaume d'Espagne, affecte les intérêts de la requérante en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Tel doit être le cas pour que la requérante justifie d'un intérêt à l'annulation de l'acte attaqué.

55. En l'espèce, la requérante fait valoir que la décision de la Commission contient une appréciation des aides contestées et, partant, empêche ses membres d'obtenir satisfaction de leurs intérêts à l'avenir. Il convient donc de résumer le cadre factuel de l'espèce afin de déterminer quel est le lien entre la décision de la Commission et le prétendu préjudice de la requérante.

56. La requérante est une association formée par les ayants droit de la mutuelle de prévoyance ITP. Ces ayants droit sont tous des travailleurs ou des pensionnés de TESA, société qui a créé l'ITP afin d'organiser la prévoyance sociale de ses travailleurs. Le Tribunal constate donc que, en réalité, les membres de l'association requérante se plaignent des prétendues aides d'État profitant à leur actuel ou ancien employeur.

57. La requérante affirme que, en l'absence des prétendues aides illégales, l'ITP n'aurait pas été intégrée dans le régime général de sécurité sociale et les ayants droit auraient pu continuer à bénéficier de prestations supérieures à celles octroyées par ledit régime général. Elle ajoute que, si le montant des aides était remboursé à l'État, ce que la Commission, à son avis, aurait dû ordonner, l'État verserait ces montants à l'ITP. Cette dernière serait en conséquence ressuscitée et les ayants droit seraient réintégrés dans leur droit à des prestations d'un niveau élevé.

58. Or, force est de constater que le Tribunal Supremo a jugé qu'"il n'existe aucun droit de demander en faveur de l'[ITP] des versements [...] autres que ceux légalement prévues par [le texte] qui la régit, et il est notoire que le décalage qui existe entre la cotisation normale à la [caisse générale de sécurité sociale] en raison du fait qu'elle assume intégralement les risques assurés et la cotisation partielle qui a été effectuée en l'espèce à [la mutuelle] de TESA [...] constitue un problème de modification législative qui n'est pas susceptible d'être réglé par voie judiciaire" (le point 3 en droit de l'arrêt précité). Le Tribunal constate que la Commission avait raison de conclure que, en vertu de la législation nationale, TESA n'était pas tenue de faire à l'ITP des apports supérieurs à ceux qu'elle a effectivement effectués. En outre, la législation nationale ne prévoit pas le versement à l'ITP de la différence entre la cotisation normale au régime général de sécurité sociale et la cotisation inférieure qui était due à cette mutuelle, conformément aux dispositions qui lui étaient applicables à l'époque (voir ci-dessus points 5 et 6).

59. A supposer même que la décision soit annulée et que la Commission doive prendre des mesures d'exécution de l'arrêt, rien n'indique que cette procédure pourrait raisonnablement conduire à son terme à un versement de la différence en cause à l'ITP.

60. En effet, comme l'affirme à juste titre la Commission, dans l'hypothèse où un remboursement serait ordonné, les charges sociales non perçues devraient être remboursées à l'État espagnol, qui, selon la législation nationale, n'aurait aucune obligation de les verser par la suite à l'ITP. Qui plus est, étant donné que l'intégration des caisses de prévoyance privées dans le système général de sécurité sociale poursuivait un but politique (voir ci-dessus point 7), rien ne permet de considérer que l'ITP pourrait être ressuscitée.

61. S'agissant de l'autre volet de la prétendue aide, le Tribunal relève que, même si la Commission avait constaté que l'annulation de l'aval constituait une aide étatique et en avait ordonné la restitution, celle-ci n'aurait consisté qu'à faire garantir par TESA que les prestations sociales dues aux ayants droit soient payées. Or, TESA a déjà l'obligation, en vertu des actes nationaux cités aux points 8 et 13 ci-dessus, de couvrir le coût de l'intégration de l'ITP au système général de sécurité sociale. Les prestations sont, depuis l'intégration de l'ITP, payées par le système général de sécurité sociale. Comme la requérante n'a pas démontré que l'annulation de l'aval avait entraîné des pertes concrètes pour ses membres, elle n'a pas davantage démontré qu'une éventuelle restitution aurait créé des bénéfices exigibles par ces mêmes membres. Elle n'a pas démontré non plus que l'ITP n'aurait pas été intégrée dans le système général si l'aval avait été maintenu en vigueur.

62. Dans les circonstances exposées ci-dessus, la décision, bien qu'elle ait pour effet de classer la plainte de la requérante, n'affecte de toute évidence pas sa sphère juridique. Il s'ensuit que le maintien ou l'annulation de cette décision n'est en aucune manière susceptible d'affecter les intérêts de la requérante ou de ses membres. Partant, la requérante n'a aucun intérêt à obtenir l'annulation de la décision qu'elle attaque et ne remplit, dès lors, pas les conditions de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

63. Le Tribunal constate, de surcroît, que, la requérante étant en réalité une association des travailleurs de l'entreprise prétendument bénéficiaire d'une aide étatique, elle n'est aucunement une concurrente de cette entreprise et elle ne peut justifier non plus d'un intérêt à agir résultant d'effets concurrentiels (voir, en ce qui concerne le rapport entre les effets concurrentiels et la recevabilité, par exemple, l'ordonnance Landbouwschap/Commission, précitée, point 12, et l'arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T-435-93, Rec. p. II-1281, point 63).

64. Dans ces circonstances la requérante ne justifie pas d'un intérêt à l'annulation de la décision qui lui a été communiquée par la lettre du 15 février 1994.

65. Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu'il soit nécessaire d'analyser les autres arguments développés par la requérante et la Commission.

Sur les dépens

66. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu, conformément aux conclusions de la Commission, de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

Déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2°) La requérante est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.