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Décisions

TPICE, 1re ch. élargie, 28 janvier 1999, n° T-230/95

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bretagne Angleterre Irlande

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

M. Bellamy, M. Moura Ramos, M. Pirrung, M. Mengozzi

Avocat :

Me Payre.

Comm. CE, du 7 juin 1995

7 juin 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

Faits et procédure

1. La requérante exploite depuis plusieurs années, sous le nom commercial de "Brittany Ferries", une ligne maritime entre les ports de Plymouth au Royaume-Uni et de Santander en Espagne. Par lettre du 21 septembre 1992, elle a adressé une plainte à la Commission dénonçant les subventions importantes qui devaient être octroyées par le conseil provincial de Biscaye et par le Gouvernement basque à Ferries Golfo de Vizcaya SA, une société de droit espagnol créée par Vapores Surdíaz Bilbao, SA, une société de droit espagnol, et P & O European Ferries (Portsmouth) Ltd, une société britannique, en vue de l'exploitation, à partir du mois de mars 1993, d'une ligne de navigation régulière entre les ports de Portsmouth et de Bilbao.

2. La plaignante a, ainsi, porté à la connaissance de la Commission divers éléments d'information dont elle disposait à propos de l'accord qui devait être signé entre Ferries Golfo de Vizcaya et les autorités régionales basques, tendant à subventionner, pendant les trois premières années d'exploitation, le fonctionnement de la ligne Bilbao-Portsmouth. En outre, elle demandait formellement à la Commission d'ouvrir une procédure d'application des articles 92 et 93 du traité CE.

3. Le 11 février 1993, la requérante a adressé à la Commission des observations complémentaires au sujet des aides octroyées à Ferries Golfo de Vizcaya, dans lesquelles elle insistait sur l'urgente nécessité d'ouvrir la procédure d'examen demandée dans sa plainte, compte tenu du démarrage imminent des services de transport sur la ligne Bilbao-Portsmouth. Elle précisait, à cet égard, que, cette ligne se trouvant en concurrence directe avec celle qu'elle exploite, son ouverture, dans les conditions convenues avec les autorités espagnoles, était susceptible de nuire gravement à ses intérêts économiques.

4. Le 29 septembre 1993, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. Au vu des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission estimait que l'aide financière apportée à Ferries Golfo de Vizcaya constituait une aide d'État au sens de l'article 92 du traité et ne remplissait pas les conditions pour pouvoir être déclarée compatible avec le marché commun. Par lettre du 13 octobre 1993, cette décision a été notifiée au Gouvernement espagnol, lequel a été invité à confirmer qu'il suspendrait tous les versements au titre du régime d'aide en question jusqu'à l'adoption par la Commission de sa décision finale, ainsi qu'à présenter ses commentaires et à fournir toutes les données nécessaires à l'appréciation de ce régime.

5. La décision d'ouvrir une procédure concernant les aides octroyées par l'Espagne à Ferries Golfo de Vizcaya a fait l'objet d'une communication de la Commission adressée aux autres États membres et aux parties intéressées, laquelle a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1994, C 70, p. 5), afin qu'ils présentent leurs observations.

6. La requérante n'ayant obtenu aucune information précise sur l'évolution de la procédure, elle a, le 28 février 1995, formellement invité la Commission, au titre de l'article 175, deuxième alinéa, du traité, à adopter une décision finale

7. Par lettres des 12 et 16 juin 1995, la requérante a demandé à la Commission de lui transmettre le texte de la décision rendue dans la procédure, dont elle n'avait pas encore été officiellement avisée. Elle s'inquiétait du fait que la presse espagnole faisait état de l'adoption par la Commission d'une décision finale dans cette affaire, à la suite de la conclusion d'un nouvel accord entre Ferries Golfo de Vizcaya et les autorités régionales. Selon les informations parues dans la presse, cet accord était comparable à celui de 1992. Les autorités espagnoles s'engageaient à acheter à son concurrent un nombre important de titres de transport pendant une période de trois ans, ce qui lui permettrait de compenser les pertes subies en dehors de la pleine saison. La requérante souhaitait, par conséquent, connaître les mesures que la Commission envisageait de prendre à l'égard du nouvel accord.

8. Par télécopie du 19 juin 1995, les services de la Commission ont transmis à la requérante le communiqué de presse IP-95-579, du 7 juin 1995, s'engageant à lui faire parvenir le texte de sa décision aussitôt que possible. Le communiqué de presse annonçait que la Commission avait décidé, ce même jour, de clore la procédure concernant les aides en faveur de Ferries Golfo de Vizcaya. Il contenait un résumé des motifs de la décision dont il ressortait, entre autres, que l'accord entre les autorités et le transporteur espagnol avait été modifié de façon à prendre en compte les préoccupations de la Commission. Celle-ci se déclarait alors convaincue que Ferries Golfo de Vizcaya ne bénéficiait pas d'une aide d'État. La décision rapportée par ce communiqué de presse a été notifiée au Gouvernement espagnol par lettre du 11 juillet 1995.

9. Le 21 juin 1995, la requérante a accusé réception du communiqué de presse et a confirmé son attente du texte de la décision de la Commission auquel il faisait référence. En réponse, les services de la Commission, après avoir indiqué que la décision ferait l'objet d'une publication au Journal officiel des Communautés européennes au cours des semaines suivantes, ont réaffirmé qu'ils lui feraient parvenir une copie du texte dès que possible.

10. C'est dans ces conditions que, le 28 novembre 1995, date à laquelle le texte de la décision ne lui avait toujours pas été transmis ni publié, la requérante a procédé à l'envoi par la poste de la requête introductive du présent recours. Toutefois, en raison des grèves ayant affecté à l'époque l'acheminement du courrier en France, ledit recours n'a été enregistré au greffe du Tribunal que le 18 décembre 1995.

11. Entre-temps, la décision de la Commission du 7 juin 1995 a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 1er décembre 1995 (JO C 321, p. 4). Le 8 décembre 1995, les services de la Commission ont, par télécopie, envoyé à la requérante le texte de la décision tel qu'il avait été publié.

12. Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 1er février 1996, la requérante a alors introduit un second recours, enregistré sous le numéro T-14-96, lequel tend à l'annulation de la décision de la Commission portant clôture de la procédure concernant les aides en faveur de Ferries Golfo de Vizcaya.

13. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a ouvert la procédure orale. Les parties ont étés entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 16 juin 1998.

Conclusions des parties

14. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- condamner la Commission à réparer le préjudice qu'elle a subi du fait du retard avec lequel la décision du 7 juin 1995 lui a été communiquée;

- fixer le délai dans lequel les parties devront transmettre au Tribunal les chiffres du montant de la réparation établis d'un commun accord, ou, à défaut d'accord, le délai dans lequel les parties devront lui faire parvenir leurs conclusions chiffrées;

- condamner la Commission aux dépens.

15. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter comme non fondé le recours en indemnité formé par la requérante;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

Arguments des parties

16. En substance, la requérante soutient que, en s'abstenant de porter immédiatement à sa connaissance les termes de la décision rendue à la suite de la plainte qu'elle avait déposée, malgré plusieurs demandes et une mise en demeure, la Commission a commis une faute engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l'article 215, deuxième alinéa, du traité.

17. La requérante estime que le retard avec lequel la Commission lui a transmis sa décision, prise le 7 juin 1995 et notifiée au Gouvernement espagnol le 11 juillet 1995, est anormal. Le fait que le texte de la décision n'ait pas été disponible dans toutes les langues de la Communauté ne pourrait justifier valablement un tel retard. Elle fait valoir, d'une part, que les arguments tirés d'une carence manifeste dans le fonctionnement des services internes d'une institution ne sont pas admis par la jurisprudence (arrêt de la Cour du 22 mai 1985, Parlement/Conseil, 13-83, Rec. p. 1513) et, d'autre part, que le texte de la décision était certainement disponible en langue espagnole, puisqu'il a été notifié à l'État membre concerné. La requérante considère, par ailleurs, qu'il aurait dû être disponible en langue française, langue de la procédure dont elle avait déclenché l'ouverture. Selon elle, l'absence d'une justification sérieuse démontre que la Commission s'est volontairement abstenue de lui communiquer sa décision finale, alors qu'aucun obstacle de fait ne s'y opposait et qu'elle l'a communiquée aux autres parties à la procédure.

18. Elle expose que ce comportement fautif de la part de la Commission l'a empêchée de contester dans les plus brefs délais la validité de la décision en cause, faute d'en connaître la motivation (arrêt de la Cour du 6 juillet 1988, Dillinger Hüttenwerke/Commission, 236-86, Rec. p. 3761, point 14). En effet, il aurait été indispensable qu'elle disposât, à cette fin, du texte même de la décision de la Commission et non pas d'un simple communiqué de presse la résumant. Elle fait observer que, pour constater que ce communiqué reprenait l'essentiel de ladite décision, ainsi que la Commission l'a signalé dans son mémoire en défense, il lui aurait fallu être en possession du texte correspondant, ce qui, précisément, n'était pas le cas. Or, pour attaquer la décision, il aurait été nécessaire de connaître sa motivation et tout particulièrement de savoir pourquoi la Commission avait estimé que le nouvel accord conclu entre les autorités espagnoles et Ferries Golfo de Vizcaya ne contenait aucun élément d'aide d'État.

19. A cet égard, la requérante souligne, dans son mémoire en réplique, que la Commission n'a toujours pas donné suite à sa lettre du 21 décembre 1995, dans laquelle elle lui avait demandé la transmission du texte du nouvel accord, estimant que la portée de la décision rendue par la Commission ne pouvait pas être comprise ni appréciée sans le texte de cet accord.

20. La requérante précise que le comportement qu'elle reproche à la Commission lui a causé un préjudice certain et grave, qui réside dans la circonstance que sa nouvelle et unique concurrente, Ferries Golfo de Vizcaya, a pu continuer à percevoir illégalement des aides lui permettant d'assurer son implantation sur le marché. Étant donné que seules les trois premières années d'exploitation sont prévues comme devant être déficitaires, et à supposer même que Ferries Golfo de Vizcaya soit un jour tenue de restituer les subventions qui lui ont été illégalement accordées, elle a pu profiter des délais de procédure pour s'installer sur le marché et fidéliser une clientèle. Le délai de plusieurs mois pris par la Commission pour porter à la connaissance de la requérante sa décision finale a retardé d'autant la possibilité pour celle-ci de faire cesser la concurrence anormale dont elle est victime.

21. En ce qui concerne la réalité du préjudice allégué, la requérante estime que la Commission n'est pas fondée à soutenir que les deux lignes maritimes en cause ne se trouvent pas en concurrence directe et que, partant, elle n'a pas subi de préjudice. En tout état de cause, le préjudice dont elle se plaint n'est pas celui qui résulte d'une concurrence irrégulière, mais celui qui résulte de la faute commise par la Commission. En ne lui communiquant pas immédiatement et spontanément le texte de sa décision, l'institution aurait traité la requérante de manière inéquitable. Même si le préjudice ainsi causé ne devait être que moral, il n'en serait pas moins certain et indemnisable, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres.

22. En outre, la requérante fait valoir que, à défaut de l'accord par lequel les autorités espagnoles se sont engagées à compenser les pertes de la nouvelle ligne maritime pendant au moins trois ans, cette ligne n'aurait pas été créée, puisque la demande n'était pas suffisante. Bien que la décision d'ouverture d'une procédure d'examen ait théoriquement mis un terme au versement des aides, la requérante souligne que sa concurrente, ainsi qu'il ressort de la décision du 7 juin 1995, s'est limitée à constituer une provision en vue de la restitution des premiers éléments d'aide, mais qu'elle ne les a effectivement pas restitués. Le nouvel accord prévoyant des versements à Ferries Golfo de Vizcaya à partir de 1995, il en découle que le régime d'aide n'a été interrompu que de septembre 1993 à décembre 1994, soit pendant un an et trois mois.

23. La requérante expose, par ailleurs, que le montant de son préjudice ne peut encore être chiffré avec précision. Dans son mémoire en réplique, elle avance que ce montant dépend en grande partie du sort qui sera réservé au recours en annulation qu'elle a introduit à l'encontre de la décision de la Commission portant clôture de la procédure ouverte à la suite de sa plainte. Toutefois, le préjudice étant certain, elle estime que le Tribunal est en mesure de statuer (arrêts de la Cour du 2 mars 1977, Eier-Kontor/Conseil et Commission, 44-76, Rec. p. 393, du 6 décembre 1984, Biovilac/CEE, 59-83, Rec. p. 4057, et du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg e.a./Conseil et Commission, 281-84, Rec. p. 49). Il appartiendra aux parties soit de porter à la connaissance du Tribunal le montant de la réparation établi d'un commun accord, soit de lui faire parvenir leurs conclusions chiffrées, dans les délais qui leur seront impartis (arrêt de la Cour du 27 mars 1990, Grifoni/CEEA, C-308-87, Rec. p. I-1203).

24. La Commission, pour sa part, soutient que le communiqué de presse et la version en langue française de la décision prise le 7 juin 1995 ont été transmis à la requérante sans retard au regard de la disponibilité des documents concernés. Elle estime que la requérante n'est pas fondée à prétendre que la Commission a eu à son égard un comportement illégal de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

25. Elle fait valoir, en outre, que la requérante n'a apporté aucun élément concret de nature à établir, avec une certitude suffisante, la réalité du préjudice invoqué, ou son imminence et sa prévisibilité. La requérante ne pourrait, dès lors, se prévaloir de la jurisprudence constante permettant de saisir la Cour pour faire constater la responsabilité de la Communauté pour dommages imminents et prévisibles avec une certitude suffisante, même si le préjudice ne peut pas encore être chiffré avec précision (arrêt de la Cour du 2 juin 1976, Kampffmeyer e.a./Commission et Conseil, 56-74, 57-74, 58-74, 59-74 et 60-74, Rec. p. 711 et arrêt Grifoni/CEEA, précité).

26. La Commission souligne que la requérante n'est pas parvenue à définir avec clarté et précision l'objet même de son préjudice matériel ni à identifier le préjudice moral invoqué à titre subsidiaire et accessoire. En tout état de cause, elle conteste que la requérante ait subi un quelconque préjudice.

27. Elle ajoute que la requérante n'a pas non plus établi que le préjudice invoqué trouvait sa source dans la prétendue faute qu'elle aurait commise. L'implantation sur le marché de Ferries Golfo de Vizcaya au moyen d'aides illégalement perçues ne peut trouver son fait générateur que dans la décision du 7 juin 1995, à supposer que l'illégalité de cette décision soit établie, et non pas dans le prétendu retard avec lequel elle aurait été communiquée à la requérante. En effet, en indiquant que le chiffrage du prétendu préjudice dépend du succès ou de l'échec du recours en annulation, la requérante établirait elle-même l'absence d'un lien de causalité direct entre le retard reproché à la Commission et ce préjudice, dont la nature est nécessairement liée au contenu même de la décision en cause.

28. La Commission considère, enfin, que tout éventuel lien de causalité a été rompu par le comportement même de la requérante, laquelle avait, depuis le 19 juin 1995, une connaissance suffisante de cette décision pour faire valoir ses droits de recours.

Appréciation du Tribunal

29. En vertu de l'article 215, deuxième alinéa, du traité et des principes généraux auxquels il est renvoyé par cette disposition, la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à l'institution, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle e.a./Conseil et Commission, 197-80, 198-80, 199-80, 200- 80, 243-80, 245-80 et 247-80, Rec. p. 3211, point 18, et du Tribunal du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission, T-199-96, non encore publié au Recueil, point 48).

30. Le présent recours tend à la réparation d'un préjudice qui aurait été causé à la requérante par le retard avec lequel la décision prise par la Commission le 7 juin 1995 lui a été communiquée. Dès lors, il appartient à la requérante d'apporter la preuve d'un lien de cause à effet entre la prétendue faute de l'institution et le préjudice qu'elle invoque (arrêts de la Cour du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C-363-88 et C-364-88, Rec. p. I-359, point 25, et du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C-362-95 P, Rec. p. I- 4775, point 31, et arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213-95 et T-18-96, Rec. p. II-1739, point 98).

31. La requérante invoque, à titre principal, un préjudice d'ordre matériel qu'elle estime certain et grave, bien qu'elle ne puisse encore le chiffrer avec précision. A titre subsidiaire et accessoire, elle invoque un préjudice d'ordre moral.

32. Elle explique que son préjudice matériel réside dans la circonstance qu'elle a été empêchée d'attaquer, dans les plus brefs délais, la décision adoptée par la Commission à l'égard des aides octroyées à Ferries Golfo de Vizcaya, ce qui aurait permis à sa concurrente d'assurer son implantation sur le marché au moyen d'aides illégalement perçues. Le résultat du retard avec lequel cette décision lui a été transmise serait qu'elle n'a pas eu la possibilité d'introduire plus tôt un recours en annulation et de faire ainsi cesser la concurrence anormale dont elle est victime.

33. Selon la requérante, la détermination du montant de son préjudice dépend du sort qui sera réservé au recours qu'elle a introduit le 1er février 1996 contre la décision du 7 juin 1995, en ce sens que l'annulation de cette décision par le Tribunal confirmerait l'existence d'un préjudice d'ordre matériel. La saisine du juge communautaire n'ayant pu intervenir que tardivement, du fait du comportement de la Commission, Ferries Golfo de Vizcaya aurait, de ce fait, bénéficié d'un système illégal d'aide pendant six mois de trop. Au cas où le Tribunal rejetterait son recours en annulation, elle devrait se limiter à demander réparation d'un préjudice d'ordre moral.

34. Il y a lieu de constater que la requérante n'établit pas l'existence d'un lien de cause à effet entre le comportement qu'elle reproche à la Commission et le préjudice matériel qu'elle prétend avoir subi. En effet, il ressort de l'ensemble de l'argumentation développée par la requérante que le fait générateur du préjudice matériel dont elle se plaint est la décision adoptée par la Commission le 7 juin 1995, permettant aux autorités espagnoles de verser certains montants à Ferries Golfo de Vizcaya, et non pas le fait que cette décision a été portée à sa connaissance six mois plus tard. Le retard avec lequel la requérante a introduit son recours en annulation, qui résulterait du comportement de la Commission, à supposer même que celui-ci puisse être qualifié de fautif, ne saurait lui avoir causé un préjudice matériel autonome, distinct de celui qui pourrait découler de la décision attaquée dans le cadre de l'affaire T-14-96. Cette décision, qui produit ses effets de manière continue depuis la date de son adoption, est la cause nécessaire de tout préjudice matériel éventuellement subi par la requérante. En effet, si une telle décision n'avait pas été adoptée ni exécutée, un retard dans la communication de la position prise par la Commission à l'égard des aides litigieuses n'aurait pas pu porter atteinte, comme le prétend la requérante, à ses intérêts patrimoniaux.

35. Les constatations précédentes ne sont pas remises en cause par l'argumentation de la requérante selon laquelle, si la décision lui avait été immédiatement transmise, elle aurait pu introduire son recours en annulation six mois plus tôt et ainsi s'efforcer de limiter le montant du préjudice qu'elle estime avoir subi.Il convient de relever que le raisonnement de la requérante présuppose que l'annulation de cette décision et l'éventuel remboursement des aides, au terme des procédures prévues par les droits communautaire et national, ne sont pas susceptibles de réparer entièrement son prétendu préjudice matériel. En tout état de cause, compte tenu du caractère continu du préjudice invoqué, la requérante ne saurait établir l'existence d'un lien de causalité entre le retard qu'elle reproche à la Commission et la partie de ce préjudice supposée non réparable. Il suffit d'observer que l'ensemble des effets produits dans le temps par la décision adoptée le 7 juin 1995 découle de son exécution et non pas d'un éventuel retard dans sa communication à la requérante.

36. Par ailleurs, le Tribunal constate que la requérante n'a introduit, à aucun moment, une demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée dans le cadre de l'affaire T-14-96. En demandant la suspension des effets de la décision du 7 juin 1995, elle aurait pu obtenir une diminution du préjudice matériel invoqué, à charge pour elle de démontrer que toutes les conditions dont dépend l'octroi de mesures provisoires par le juge communautaire étaient remplies.

37. Le Tribunal ayant conclu que le comportement reproché à la Commission n'est pas à l'origine du préjudice matériel dont se plaint la requérante, il convient encore d'examiner si ce comportement lui a causé un préjudice d'ordre moral.

38. Il convient de rappeler que, pour obtenir la réparation du préjudice moral allégué, la requérante doit établir qu'elle a subi un préjudice réel et certain. Partant, elle ne saurait, en principe, se limiter à invoquer le caractère prétendument fautif du comportement de la Commission à son égard (voir, en ce sens, l'arrêt du Tribunal du 21 mars 1996, Farrugia/Commission, T-230-94, Rec. p. II-195, point 46).

39. Dans la mesure où la requérante n'avance aucun élément de nature à démontrer l'existence et à déterminer l'étendue de son préjudice moral, il lui incombe, tout au moins, d'établir que le comportement incriminé de la Commission était, par sa gravité, de nature à causer un tel dommage dans son chef. Or, s'il est vrai que la requérante estime avoir été traitée de manière inéquitable, elle se fonde uniquement sur sa propre conception du traitement que la Commission réserve, ou devrait réserver, aux parties plaignantes dans les procédures en matière d'aides d'État. A défaut d'identifier les circonstances objectives qui pourraient étayer son allégation concernant un prétendu traitement inéquitable, l'existence du préjudice moral invoqué par la requérante ne peut être considérée comme établie.

40. Il s'ensuit que l'ensemble des conditions dont dépend l'engagement de la responsabilité de la Communauté à l'égard de la requérante ne sont pas réunies en l'espèce. Dès lors, et sans qu'il soit nécessaire au Tribunal de se prononcer sur la légalité du comportement reproché à la Commission, le recours en indemnité doit être rejeté comme non fondé.

Sur les dépens

41. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) La requérante est condamnée aux dépens.