TPICE, 3e ch. élargie, 15 septembre 1998, n° T-95/96
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gestevisión Telecinco SA
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tiili
Juges :
M. Briët, MM. Lenaerts, Potocki, Cooke
Avocat :
Me Muñoz Machado.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),
Faits à l'origine du litige
1. Dix entreprises de télévision sont établies en Espagne, dont trois privées et sept publiques.
2. Pour les sociétés de télévision privées, les recettes dégagées de la publicité constituent la source principale de financement. Les entreprises de télévision publiques ne sont, quant à elles, financées que partiellement par la publicité. Elles sont soit gérées directement par l'État par l'intermédiaire de l'office public RTVE, soit régies par un régime de gestion indirecte se ramifiant en plusieurs stations régionales créées à cette fin dans les différentes communautés autonomes espagnoles.
3. L'ensemble de ces entreprises de télévision publiques ont reçu, dans des proportions diverses, depuis le début de leurs activités, des dotations des administrations dont elles relèvent. Elles obtiennent ainsi un double financement composé, d'une part, de recettes de la publicité et, d'autre part, de dotations étatiques.
4. La requérante, Gestevisión Telecinco SA, société de droit espagnol établie à Madrid, est l'une des trois sociétés commerciales privées. Le 2 mars 1992, elle a déposé auprès de la Commission une plainte (ci-après "première plainte") en vue de faire constater l'incompatibilité avec le Marché commun, au sens de l'article 92 du traité CE (ci-après "traité"), des dotations que les entreprises de télévision régionales obtenaient de leurs communautés autonomes respectives.
5. Par lettre du 30 avril 1992, la Commission a accusé réception de cette plainte et a fait savoir à la requérante que ses services avaient "décidé de demander des informations précises aux autorités espagnoles afin de déterminer [...] la compatibilité ou l'incompatibilité des pratiques dénoncées avec les dispositions communautaires relatives aux aides d'État". Une telle demande d'informations a été adressée aux autorités espagnoles le même jour.
6. Le 25 novembre 1992, la requérante a envoyé une lettre à la Commission en vue d'obtenir des informations au sujet de l'état d'avancement de sa plainte. Par lettre du 3 décembre 1992, la Commission lui a fait savoir que, par lettre du 28 octobre 1992, elle avait rappelé aux autorités espagnoles leur obligation de répondre à la demande de renseignements qui leur avait été adressée.
7. Le 12 novembre 1993, la requérante a déposé une nouvelle plainte visant à faire constater que les dotations accordées par l'État central espagnol à l'office public RTVE étaient incompatibles avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité (ci-après "seconde plainte").
8. Le 24 novembre 1993, la requérante a envoyé une lettre à M. Van Miert, membre de la Commission en charge des questions de concurrence, pour l'informer de l'existence des deux plaintes susmentionnées, de l'absence de notification des aides dénoncées dans celles-ci et des conséquences irréparables entraînées par le retard accumulé par la Commission dans le traitement de ces plaintes.
9. En décembre 1993, la Commission a chargé un bureau de consultants extérieur de procéder à une étude sur le financement des entreprises de télévision publiques dans l'ensemble de la Communauté.
10. En février 1994, elle a répondu à une demande de renseignements téléphonique de la requérante qu'elle avait décidé d'attendre l'achèvement de l'étude précitée avant de continuer le traitement des plaintes concernées et, par conséquent, de prendre toute décision d'engager une procédure au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
11. Le 12 mai 1995, elle a fait savoir, en réponse à une nouvelle demande de renseignements téléphonique, que le rapport du bureau de consultants extérieur, rectifié à la suite de divers retards intervenus dans sa rédaction, lui serait communiqué avant la fin du mois. Elle a reçu le rapport final en cause au plus tard au cours du mois d'octobre 1995.
12. Toutefois, au début du mois de février 1996, elle ne s'était pas encore prononcée sur les plaintes de la requérante. Par conséquent, celle-ci a, par lettre recommandée du 6 février 1996, reçue le 8 février, mis la Commission en demeure, conformément à l'article 175 du traité, de se prononcer sur les deux plaintes en cause et d'engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
13. Par lettre du 20 février 1996, la Commission a répondu en ces termes:
"Après avoir examiné votre plainte à la lumière des articles 92 et suivants du traité et après l'achèvement d'une étude commandée en décembre 1993 sur le financement des télévisions publiques dans d'autres États membres, la direction générale de la concurrence a demandé aux autorités espagnoles, par lettres du 18 octobre 1995 et du 14 février 1996, une série de renseignements et d'éclaircissements complémentaires nécessaires pour l'instruction du dossier."
14. Postérieurement à ce courrier, la Commission n'a pas adopté de décision sur les deux plaintes déposées par la requérante.
Procédure
15. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 juin 1996, la requérante a introduit le présent recours.
16. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 novembre 1996, la République française a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnance du Président de la troisième chambre élargie du 4 février 1997, il a été fait droit à cette demande.
17. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans mesures d'instruction préalables. Toutefois, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, prévues à l'article 64 du règlement de procédure, les parties ont été invitées à répondre, lors de l'audience, à certaines questions.
18. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 10 mars 1998.
Conclusions des parties
19. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer que la Commission a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité en s'abstenant d'arrêter une décision sur les deux plaintes déposées par elle et en s'abstenant d'engager la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité;
- subsidiairement, annuler la décision de la Commission contenue dans la lettre du 20 février 1996;
- condamner la défenderesse aux dépens;
- condamner la partie intervenante au paiement de ses propres dépens et aux dépens causés à la partie requérante par son intervention.
20. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer les conclusions en carence irrecevables ou, subsidiairement, les rejeter comme non fondées;
- déclarer irrecevables les conclusions en annulation;
- condamner la partie requérante aux dépens.
21. La République française soutient les conclusions de la Commission.
Sur les conclusions en carence
Arguments des parties
Sur la recevabilité
22. La Commission relève, en premier lieu, que la décision qu'elle adoptera à l'issue de la procédure administrative conformément aux articles 92 et suivants du traité sera adressée au Royaume d'Espagne. En effet, la procédure de contrôle des aides d'État reposerait sur un dialogue entre la Commission et l'État membre concerné, à l'inverse de l'application des articles 85 et 86 du traité qui se déroulerait selon des règles de procédure différentes en vertu desquelles le plaignant aurait un rôle déterminant (arrêt du Tribunal du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277-94, Rec. p. II-351, point 71). Le plaignant ne possédant aucun statut dans le présent contexte, il ne serait pas concevable qu'une décision lui soit directement adressée (conclusions de l'avocat général M. Tesauro sous l'arrêt de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487).
23. En outre, les dispositions de l'article 175, troisième alinéa, du traité ne pourraient être interprétées de façon extensive dans le but de reconnaître une possibilité de recours aux tiers intéressés. La défenderesse rappelle à ce propos que la capacité d'agir en justice au titre de l'article 175 du traité est plus limitée que la capacité d'agir au titre de l'article 173 du traité. Seul le destinataire potentiel d'un acte aurait la capacité de former un recours conformément à l'article 175 du traité, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce (arrêt de la Cour du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246-81, Rec. p. 2277, point 16, et arrêt AITEC/Commission, précité, point 62).
24. La Commission estime, en second lieu, que l'irrecevabilité du présent recours n'implique pas nécessairement une méconnaissance du droit à une protection juridictionnelle dans le chef de la requérante. Elle rappelle, en effet, qu'elle n'a pas compétence exclusive pour qualifier d'aide d'État une mesure étatique. Les juridictions nationales pourraient, elles aussi, se prononcer sur cette question afin de déduire les conséquences de l'illégalité des mesures en cause en vertu du droit national (arrêts de la Cour du 22 mars 1977, Steinike et Weinlig, 78-76, Rec. p. 595, point 14, du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354-90, Rec. p. I-5505, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39-94, Rec. p. I-3547, points 31 à 53). Elle conteste également la prétendue absence de voies de recours de la requérante en droit espagnol.
25. Elle relève enfin que, en tout état de cause, la protection juridictionnelle conférée par le Tribunal ne saurait viser à pallier les déficiences de la protection juridictionnelle au niveau national (conclusions de l'avocat général M. Gulmann sous l'arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C-15-91 et C-108-91, Rec. p. I-6061, point 27, et arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Kahn Scheepvaart/Commission, T-398-94, Rec. p. II-477, point 50).
26. La requérante souligne, quant à elle, que plus de quatre années après le dépôt de la première plainte, et plus de deux ans et demi après le dépôt de la seconde, la Commission persiste à ne pas définir de position au sujet de ces deux plaintes et à n'engager aucune procédure en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
27. Elle rappelle que, par lettre du 6 février 1996, reçue le 8 février, elle a mis la Commission en demeure d'agir conformément à l'article 175, deuxième alinéa, du traité. Elle estime que, compte tenu de la durée excessive de la période écoulée depuis le dépôt des deux plaintes, la Commission se trouvait en état de carence et était tenue de prendre position à ce sujet dans les deux mois. Or, ce délai aurait expiré sans que la Commission eût pris position.
28. Dans sa lettre du 20 février 1996, la Commission n'aurait adopté aucune position. Au contraire, elle aurait évité de prendre une quelconque position, sous prétexte qu'elle avait demandé des informations complémentaires au Gouvernement espagnol et que l'examen des plaintes se poursuivait. Or, la Cour aurait jugé à ce propos qu'une lettre émanant d'une institution mise en demeure, aux termes de laquelle l'analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pas une prise de position mettant fin à la carence de l'institution concernée (arrêt de la Cour du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42-59 et 49-59, Rec. p. 99).
29. La requérante relève en outre que la Commission justifie cette passivité par l'argument inacceptable selon lequel l'examen préalable des mesures étatiques faisant l'objet des plaintes n'est pas encore terminé. Or, cette façon de procéder serait contraire au droit fondamental à une protection juridictionnelle effective.
30. La requérante observe par ailleurs que la Commission avait, dans le cas d'espèce, l'obligation d'engager une procédure contradictoire en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité et, ensuite, de statuer sur la compatibilité des aides. De telles décisions et, en conséquence, l'absence d'adoption de celles-ci la concerneraient directement et individuellement, en sa qualité de plaignant et de concurrent des entreprises bénéficiaires des aides (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169-84, Rec. p. 391; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, SIDE/Commission, T-49-93, Rec. p. II-2501, et du 28 septembre 1995, Sytraval et Brink's France/Commission, T-95-94, Rec. p. II-2651). La cohérence du système communautaire de protection juridictionnelle exigerait que soit également reconnue sa qualité à agir dans le cas d'espèce.
31. La requérante rappelle également que les conditions de recevabilité de l'article 175 du traité sont assimilables à celles imposées dans le cadre de l'article 173 du traité, comme la Cour l'aurait précisé dans son arrêt du 18 novembre 1970, Chevalley/Commission (15-70, Rec. p. 975).
32. Elle estime encore que la possibilité de former un recours devant le juge national est inexistante en l'occurrence, dans la mesure où les aides dénoncées seraient accordées par des lois budgétaires contre lesquelles un particulier ne peut former de recours en vertu du droit espagnol. En outre, la nature d'entreprise publique des bénéficiaires des aides impliquerait que les actes d'exécution de ces lois sont des actes internes non publiés, également inattaquables. Même dans l'hypothèse contraire, aucun juge national n'aurait l'audace de considérer les dotations attribuées aux télévisions publiques comme des aides d'État, en sachant que la Commission est saisie de l'affaire depuis quatre années, sans qu'elle ait engagé une procédure contradictoire en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Enfin, l'attitude de la Commission dans cette affaire impliquerait qu'une juridiction nationale ne pourra plus exiger la restitution des aides concernées après une éventuelle constatation d'incompatibilité de l'aide (arrêt de la Cour du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223-85, Rec. p. 4617).
33. La République française, partie intervenante, se réfère au dispositif de l'arrêt SFEI e.a., précité, pour contester l'argument de la requérante selon lequel aucun juge national ne serait disposé à qualifier d'aide d'État une mesure qui fait l'objet d'un examen de la Commission depuis plusieurs années. En vertu de ce dispositif, une juridiction nationale pourrait se prononcer sur ce type de problème, alors même que la Commission en serait saisie parallèlement. Cette juridiction nationale pourrait, par ailleurs, demander des éclaircissements à la Commission ou poser une question préjudicielle à la Cour, conformément à l'article 177 du traité.
Sur le fond
34. La requérante souligne que, en vertu d'une jurisprudence constante, la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité revêt un caractère indispensable dès que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le Marché commun. La Commission ne pourrait s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, pour prendre une décision favorable à une aide que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que cette aide est compatible avec le traité (arrêts de la Cour Cook/Commission, précité, et du 20 mars 1984, Allemagne/Commission, 84-82, Rec. p. I-1451, et arrêt SIDE/Commission, précité).
35. Or, en l'occurrence, le délai écoulé depuis le dépôt des plaintes montrerait en soi que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier la compatibilité des aides concernées avec le Marché commun. La demande de rédaction d'un rapport externe au sujet du mode de financement des entreprises publiques de télévision ne ferait que confirmer cette hypothèse. Enfin, même après la présentation de ce rapport, la Commission aurait continué à éprouver des difficultés d'appréciation des aides concernées, dans la mesure où, plusieurs mois plus tard, elle n'avait toujours pas adopté de position par rapport aux faits dénoncés et continuait à demander des informations complémentaires aux autorités espagnoles.
36. Dans son arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120-73, Rec. p. 1471), la Cour aurait par ailleurs reconnu que, pour procéder à l'appréciation préliminaire d'une aide notifiée, la Commission disposait d'un délai raisonnable de deux mois. Dès lors, la Commission aurait également l'obligation de procéder à un tel examen préliminaire dans un délai raisonnable, lorsque, en violation de ses obligations communautaires, un État membre non seulement n'a pas notifié l'aide, mais l'a, en outre, déjà mise en œuvre.
37. En adoptant une attitude telle que celle de l'espèce, la Commission méconnaîtrait en outre les droits procéduraux que le traité lui confère dans le cadre de la procédure visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité. En effet, les droits de la requérante ne pourraient être respectés que si elle a la possibilité d'attaquer les décisions que la Commission arrête sans engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2 (arrêts de la Cour Cook/Commission, précité, et du 15 juin 1993,Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203). Or, ces droits procéduraux resteraient également vides de sens s'il était permis à la Commission de prolonger indéfiniment l'examen préliminaire de mesures étatiques.
38. La requérante conteste encore que l'obligation d'engager une procédure administrative en vertu de l'article 93, paragraphe 2, soit subordonnée à la constatation préalable de l'existence d'une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Il ressortirait de la pratique administrative de la Commission que celle-ci a déjà engagé de telles procédures lorsqu'elle éprouvait un doute quant à la question de savoir si les mesures étatiques en cause pouvaient être qualifiées d'aides (arrêt Sytraval et Brink's France/Commission, précité, point 79). En tout état de cause, dans son arrêt du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission ( T-106-95, Rec. p. II-229), le Tribunal aurait relevé que l'attribution de ressources publiques à une entreprise constituait une aide d'État, même si l'article 92 pouvait s'avérer, ensuite, inapplicable en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité.
39. Enfin, la requérante estime qu'il faut tenir compte du fait que, aucune procédure n'ayant été engagée en vertu de l'article 93, paragraphe 2, les autorités espagnoles continuent à accorder les dotations litigieuses aux télévisions publiques espagnoles, bien que ces aides aient été dénoncées il y a plusieurs années. Elle conclut que, dans ces circonstances, une obligation d'agir pesait sur la Commission, de sorte que celle-ci se trouve dans une situation de carence contraire au traité.
40. La Commission fait valoir que, s'il est exact qu'elle n'a pris aucune décision au sujet de l'existence d'une aide d'État ou au sujet de l'engagement de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, elle a toutefois entrepris une série d'actions pour pouvoir analyser, dans tous ses aspects, un problème particulièrement complexe et commun à un grand nombre d'États membres.
41. Elle fait remarquer qu'elle a entretenu une correspondance avec l'administration espagnole entre le 30 avril 1992 et le 8 février 1993 et qu'elle a ensuite, en décembre 1993, commandé une étude portant sur l'exploitation et le fonctionnement des chaînes de télévision publiques de la Communauté. A la réception de cette étude, elle aurait à nouveau entretenu une correspondance avec l'administration espagnole entre le 18 octobre 1995 et le 5 juillet 1996. Au cours de la période d'élaboration de ladite étude, elle se serait uniquement abstenue provisoirement de prendre d'autres initiatives qui se seraient superposées à celle-ci.
42. La procédure relative aux mesures concernées ne pourrait, dans ces circonstances, être considérée comme ayant été "suspendue". En effet, la période de deux ans et demi qui s'est écoulée entre le dépôt de la seconde plainte et l'invitation à agir de la requérante aurait en grande partie été utilisée en vue de la réalisation de l'étude externe précitée.
43. La Commission souligne en outre que ni le traité ni le droit dérivé ne lui imposent un délai dans lequel elle serait obligée de réagir à une plainte relative à des aides d'État non notifiées.
44. Dans le cas d'espèce, il faudrait par ailleurs tenir compte de la complexité de l'affaire concernée, sur le plan tant juridique que politique. Le traitement de cette affaire requerrait en effet une attitude particulièrement prudente, en raison de l'ouverture récente de l'activité télévisuelle à la concurrence. La première plainte aurait été la toute première de ce genre et se serait rapportée à sept aides régionales différentes. Les plaintes déposées par la requérante poseraient, de plus, des problèmes délicats d'affectation des échanges commerciaux intracommunautaires, de compensation des obligations de service public et de qualification en tant qu'aide, en raison, notamment, de la comptabilité parfois peu transparente des entreprises publiques en cause.
45. Le temps écoulé en vue du traitement du présent dossier ne pourrait dès lors être considéré comme constitutif d'une carence contraire aux règles du traité et, en particulier, à l'obligation d'engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
46. La Commission rappelle en outre les répercussions graves d'une éventuelle décision d'engager la procédure visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité pour les télévisions publiques dans l'ensemble de la Communauté. En effet, dans une telle hypothèse, l'octroi des aides concernées devrait être suspendu (arrêt de la Cour du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C-312-90, Rec. p. I-4117), ce qui serait contraire au principe de bonne administration.
47. Elle relève enfin qu'elle doit préalablement se prononcer sur la question de savoir si les dotations litigieuses peuvent être qualifiées d'aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, avant de pouvoir se prononcer sur leur compatibilité avec le Marché commun. Elle conteste à ce propos avoir élaboré une pratique consistant à engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, en vue de déterminer si des mesures étatiques peuvent être qualifiées d'"aides" au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
48. Elle déduit de l'ensemble de ces circonstances qu'elle n'était pas en mesure de définir une position ni de prendre les décisions demandées par la requérante au moment de la mise en demeure. Elle cite à cet égard les conclusions de l'avocat général M. Edward sous l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission (T-24-90, Rec. p. II-2223).
Appréciation du Tribunal
Observations liminaires
49. L'article 93 du traité prévoit une procédure spéciale organisant l'examen permanent et le contrôle des aides d'État par la Commission. En ce qui concerne les aides nouvelles que les États membres auraient l'intention d'instituer, une procédure est établie sans laquelle aucune aide ne saurait être considérée comme régulièrement instaurée, les projets tendant à instituer ou à modifier des aides devant obligatoirement être notifiés à la Commission préalablement à leur mise en œuvre.
50. La Commission procède alors à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, il lui apparaît qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun, elle œuvre sans délai la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité.
51. Dans le cadre de cette procédure, il faut donc distinguer, d'une part, la phase préliminaire d'examen des aides instituée par l'article 93, paragraphe 3, du traité, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l'aide en cause et, d'autre part, la phase d'examen visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui est destinée à permettre à la Commission d'avoir une information complète sur l'ensemble des données de l'affaire (voir arrêts Cook/Commission, précité, point 22, et Matra/Commission, précité, point 16).
52. La procédure de l'article 93, paragraphe 2, revêt un caractère indispensable dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le Marché commun. La Commission ne peut donc s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, et prendre une décision favorable à une mesure étatique non notifiée que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que cette mesure ne peut être qualifiée d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, ou que celle-ci, bien que constituant une aide, est compatible avec le Marché commun. En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire ou même n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de la mesure en cause, l'institution a le devoir de s'entourer de tous les avis nécessaires et d'ouvrir, à cet effet, la procédure de l'article 93, paragraphe 2 (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Allemagne/Commission, précité, point 13, Cook/Commission, précité, point 29, Matra/Commission, précité, point 33, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 39).
53. Lorsque des tiers intéressés ont soumis à la Commission des plaintes relatives à des mesures étatiques n'ayant pas fait l'objet de notification conformément à l'article 93, paragraphe 3, l'institution est tenue, dans le cadre de la phase préliminaire précitée, de procéder à un examen diligent et impartial de ces plaintes, dans l'intérêt d'une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d'État, ce qui peut rendre nécessaire qu'elle procède à l'examen d'éléments qui n'ont pas été expressément invoqués par les plaignants (arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 62).
54. Enfin, il y a lieu de rappeler que la Commission possède une compétence exclusive en ce qui concerne la constatation de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun (arrêts Steinike et Weinlig, précité, points 9 et 10, et Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, précité, point 14).
55. Il ressort de cet ensemble de règles que, au terme de la phase préliminaire d'examen portant sur une mesure étatique, la Commission est obligée d'adopter à l'égard de l'État membre concerné l'une des trois décisions suivantes: soit elle décide que la mesure étatique en cause ne constitue pas une "aide" au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, soit elle décide que cette mesure, bien que constituant une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, est compatible avec le Marché commun en vertu de l'article 92, paragraphes 2 ou 3, soit elle décide d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2.
56. Au regard de ces éléments de droit, il convient d'examiner d'abord si les conclusions en carence sont recevables, puis, le cas échéant, si elles sont fondées.
Sur la recevabilité
57. En vertu de l'article 175, troisième alinéa, du traité, toute personne physique ou morale peut saisir le juge communautaire pour faire grief à l'une des institutions de la Communauté d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis.
58. Dans son arrêt du 26 novembre 1996, T. Port (C-68-95, Rec. p. I-6065, point 59), la Cour a précisé que, de même que l'article 173, quatrième alinéa, du traité permet aux particuliers de former un recours en annulation contre un acte d'une institution dont ils ne sont pas les destinataires dès lors que cet acte les concerne directement et individuellement, de même l'article 175, troisième alinéa, doit être interprété comme leur ouvrant également la faculté de former un recours en carence contre une institution qui aurait manqué d'adopter un acte qui les aurait concernés de la même manière.
59. La Commission estime donc à tort que les conclusions en carence sont irrecevables au seul motif que la requérante n'est pas la destinataire potentielle des actes qu'elle pourrait adopter dans le cas d'espèce (voir ci-dessus point 55).
60. Dans le cas d'espèce, il convient d'examiner dans quelle mesure la requérante peut être considérée comme directement et individuellement concernée par les actes à propos desquels une carence de la Commission est alléguée.
61. A cet égard, il ressort de l'arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission (T-435-93, Rec. p. II-1281, point 60), qu'une entreprise doit être considérée comme directement affectée par une décision de la Commission relative à une aide d'État, lorsque la volonté des autorités nationales de donner suite à leur projet d'aide ne fait aucun doute. Or, en l'occurrence, il est constant que les diverses dotations financières en cause ont déjà été accordées par les autorités espagnoles concernées et continuent de l'être. Dans ces circonstances, l'affectation directe de la requérante doit être considérée comme établie.
62. En ce qui concerne l'affectation individuelle, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, les personnes physiques ou morales sont individuellement concernées par une décision lorsque celle-ci les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, 223; arrêts du Tribunal du 13 décembre1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481-93 et T-484-93, Rec. p. II-2941, point 51, et du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T-266-94, Rec. p. II-1399, point 44).
63. Il convient en conséquence d'examiner en l'espèce si la requérante serait individuellement affectée par la décision que la Commission pourrait adopter à l'égard de l'État membre concerné au terme de la phase préliminaire d'examen et qui consisterait à retenir soit que la mesure étatique en cause ne constitue pas une aide, soit qu'elle constitue une aide, mais s'avère compatible avec le Marché commun, soit qu'elle nécessite l'ouverture de la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
64. Il est de jurisprudence constante que, lorsque, sans ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, la Commission constate, sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu'une mesure étatique ne constitue pas une aide, ou que cette mesure, bien que constituant une aide, est compatible avec le Marché commun, les intéressés, bénéficiaires des garanties de procédure prévues par le paragraphe 2 de cet article, ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contester une telle décision de la Commission devant le juge communautaire (voir, en dernier lieu, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 47, et, auparavant, arrêts Cook/Commission, précité, point 23, et Matra/Commission, précité, point 17). Il en irait de même, en l'espèce, dans l'hypothèse où la Commission estimerait que les dotations attribuées aux télévisions publiques espagnoles constituent des aides, mais qu'elles échappent à l'interdiction de l'article 92 du traité en vertu de l'article 90, paragraphe 2, de ce même traité (arrêt FFSA e.a./Commission, précité, points 172 et 178, confirmé sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 25 mars 1998, FFSA e.a./Commission, C-174-97 P, Rec. p. I-1303).
65. Les intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui sont ainsi à considérer comme directement et individuellement concernés, sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi d'une aide, c'est-à-dire notamment les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 16).
66. Dans la présente affaire, la Commission n'a pas contesté que la requérante est une partie intéressée au sens de l'article 93, paragraphe 2, qualité qui découle de son statut de gérante d'une des trois chaînes de télévision privées se trouvant en situation de concurrence vis-à-vis des chaînes de télévision publiques ayant obtenu les dotations financières contestées et du fait que les deux plaintes déposées par elle sont à l'origine de l'examen préalable réalisé par la Commission à propos de ces dotations.
67. La requérante a, par ailleurs, régulièrement saisi le juge communautaire, qui est seul compétent, à l'exclusion du juge national, pour constater éventuellement que la Commission, en violation du traité, s'est abstenue d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité, ouverture qui constitue le préalable nécessaire à l'adoption d'une décision finale affectant directement et individuellement la requérante, telle une décision déclarant compatible avec le Marché commun une aide dont la qualification soulevait jusqu'alors des difficultés sérieuses.
68. A cet égard, l'éventuelle existence d'un recours au niveau national, permettant à la requérante de s'opposer à l'attribution des dotations litigieuses aux chaînes publiques, ne saurait influer sur la recevabilité des présentes conclusions en carence (voir, en ce sens, l'arrêt Kahn Scheepvaart/Commission, précité, point 50).
69. En conséquence, la requérante doit être considérée comme directement et individuellement concernée par l'absence de toute décision de la Commission à la suite de l'ouverture par celle-ci de la procédure préliminaire d'examen des dotations attribuées par les différentes instances étatiques espagnoles aux sociétés de télévision publiques.
70. Il s'ensuit que les présentes conclusions en carence sont recevables.
Sur le fond
71. A l'effet de statuer sur le bien-fondé des conclusions en carence, il y a lieu de vérifier si, au moment de la mise en demeure de la Commission au sens de l'article 175 du traité, il pesait sur l'institution une obligation d'agir (ordonnances du Tribunal du 13 novembre 1995, Dumez/Commission, T-126-95, Rec. p. II-2863, point 44, et du 6 juillet 1998, Goldstein/Commission, T-286-97, non encore publiée au Recueil, point 24).
72. Dans la mesure où elle possède une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité d'une aide d'État avec le Marché commun, la Commission est tenue, dans l'intérêt d'une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d'État, de procéder à un examen diligent et impartial d'une plainte dénonçant l'existence d'une aide incompatible avec le Marché commun (voir, en ce sens, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 62).
73. S'agissant du délai dans lequel la Commission doit se prononcer sur une telle plainte, il convient d'observer que, dans le domaine de l'article 85 du traité, le Tribunal a déjà jugé que la Commission ne peut repousser sine die une prise de position relative à une demande d'exemption en vertu du paragraphe 3 de cette disposition (arrêt du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213-95 et T-18-96, Rec. p. II-1739, point 55), matière dans laquelle elle possède une compétence exclusive. A cette occasion, il a rappelé que le respect par la Commission d'un délai raisonnable lors de l'adoption de décisions à l'issue des procédures administratives en matière de politique de concurrence constitue un principe général de droit communautaire (même arrêt, point 56, et la jurisprudence citée).
74. Il s'ensuit que la Commission ne saurait non plus prolonger indéfiniment l'examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l'objet d'une plainte au regard de l'article 92, paragraphe 1, du traité, dès lors qu'elle a, comme en l'espèce, accepté d'entamer un tel examen.
75. Le caractère raisonnable de la durée d'une telle procédure administrative doit s'apprécier en fonction des circonstances propres de chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit suivre, de la complexité de l'affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêts du Tribunal du 19 mars 1997, Oliveira/Commission, T-73-95, Rec. p. II-381, point 45, et SCK et FNK/Commission, précité, point 57).
76. En l'espèce, il convient d'examiner d'abord si la Commission aurait dû, comme le prétend la requérante, procéder à un examen préliminaire des dotations litigieuses attribuées aux télévisions publiques dans un "délai raisonnable" de deux mois, tel que celui précisé dans l'arrêt Lorenz, précité (point 4).
77. Pour se référer à un tel délai de deux mois, ce dernier arrêt s'est fondé sur la nécessité de tenir compte de l'intérêt légitime de l'État membre concerné à être rapidement fixé sur la légalité de mesures qui ont fait l'objet d'une notification à la Commission.
78. Une telle considération ne peut être retenue lorsque l'État membre concerné a mis à exécution des mesures sans les avoir préalablement notifiées à la Commission. Si cet État avait des doutes sur la nature d'aide d'État des mesures qu'il projetait, il lui était loisible de sauvegarder ses intérêts en notifiant son projet de mesures à la Commission, ce qui aurait obligé cette dernière à prendre position dans un délai de deux mois (arrêt SFEI e.a., précité, point 48).
79. En conséquence, le délai de deux mois visé par l'arrêt Lorenz ne saurait s'appliquer, en tant que tel, à un cas comme celui de l'espèce, dans lequel les mesures étatiques litigieuses n'ont pas été notifiées à la Commission.
80. Il convient ensuite d'observer que la première plainte de la requérante a été déposée le 2 mars 1992 et la seconde le 12 novembre 1993. Il en découle que, au moment où la Commission a été mise en demeure conformément à l'article 175 du traité, c'est-à-dire le 8 février 1996, date de réception de la lettre de la requérante du 6 février 1996 l'invitant à agir, l'examen préalable de la Commission durait depuis 47 mois en ce qui concerne la première plainte, et depuis 26 mois en ce qui concerne la seconde.
81. Or, ces délais sont à ce point importants qu'ils auraient dû permettre à la Commission de clôturer la phase préliminaire d'examen des mesures en cause. En conséquence, l'institution aurait dû être en mesure d'adopter entre-temps une décision sur les mesures en cause (voir ci-dessus point 55), sauf à démontrer l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant l'écoulement de tels délais.
82. A cet égard, la Commission a fait valoir que la première plainte était la toute première de ce genre qu'elle ait reçue, que dans le domaine télévisuel les États membres pouvaient légitimement poursuivre des objectifs non commerciaux et que se posaient des problèmes délicats d'affectation des échanges commerciaux intracommunautaires et de compensation des obligations de service public au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Lors de l'audience, elle a rappelé l'existence du protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres, annexé au traité CE par le traité d'Amsterdam, du 2 octobre 1997 (JO 1997, C 340, p. 109).
83. Toutefois, il ressort des conclusions et des plaidoiries des parties que la seule difficulté réelle à laquelle la Commission est confrontée dans le cas d'espèce porte sur la mesure dans laquelle les dotations litigieuses attribuées aux télévisions publiques espagnoles visent à compenser des missions de service public particulières imposées à celles-ci par la législation nationale. Dans l'appréciation de cette difficulté, il ne peut être tenu compte du protocole précité, dans la mesure où il a été adopté près de 19 mois après l'invitation à agir de la requérante, ladite invitation étant même antérieure à l'ouverture, le 29 mars 1996, de la conférence intergouvernementale ayant conduit à la conclusion du traité d'Amsterdam.
84. La Commission tente par ailleurs de justifier la longueur des délais concernés en se référant aux démarches entreprises par elle à la suite du dépôt des plaintes de la requérante.
85. Sur ce point, il convient d'observer que, avant l'invitation à agir de la requérante, elle a à deux reprises, les 30 avril 1992 et 18 octobre 1995, formellement demandé des informations aux autorités espagnoles à propos des dotations litigieuses. Elle a également commandé à un bureau de consultants, en décembre 1993, une étude approfondie sur le financement des entreprises de télévision publiques dans l'ensemble de la Communauté.
86. Cependant, ces démarches ne justifient nullement que la Commission ait prolongé à ce point l'examen préliminaire des mesures en cause, dépassant ainsi notablement le temps de réflexion que pouvait raisonnablement impliquer une appréciation des mesures en cause au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité. En conséquence, et même s'il fallait accepter que le protocole précité, annexé au traité CE par le traité d'Amsterdam, révèle la sensibilité politique de la matière traitée aux yeux des États membres, la Commission aurait dû, au moment de la mise en demeure, être en mesure d'adopter une décision constatant soit que les dotations litigieuses ne constituaient pas des aides, soit que celles-ci, bien que constituant des aides, étaient compatibles avec le Marché commun, soit que des difficultés sérieuses l'obligeaient à ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, ce qui aurait permis à tous les intéressés, et notamment aux États membres, de présenter leurs observations. Par ailleurs, elle aurait également pu adopter, dans les délais concernés, une décision hybride combinant, en fonction des circonstances, pour différentes parties des mesures étatiques en cause, l'une des trois décisions de principe précitées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74-76, Rec. p. 557, points 14 à 17, et arrêt du Tribunal du 17 février 1998, Pantochim/Commission, T-107-96, Rec. p. II-311, point 51).
87. A ce stade du raisonnement, il convient encore d'examiner dans quelle mesure la Commission a pris position sur l'invitation à agir de la requérante dans la lettre du 20 février 1996.
88. La requérante a relevé à juste titre que cette lettre ne définit aucunement une position de la Commission à propos des plaintes concernées, dans la mesure où l'institution se limite à préciser que, après avoir examiné les plaintes et après l'achèvement d'une étude externe, elle a demandé aux autorités espagnoles une série de renseignements complémentaires. En effet, une lettre émanant d'une institution mise en demeure d'agir conformément à l'article 175 du traité, aux termes de laquelle l'analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pas une prise de position mettant fin à une carence (arrêts de la Cour Snupat/Haute Autorité, précité, et du 22 mai 1985, Parlement/Conseil, 13-83, Rec. p. 1513, point 25).
89. Il est, par ailleurs, constant que la Commission n'avait toujours pas adopté l'une des décisions précitées, lors de l'examen du présent recours.
90. Il résulte des développements qui précèdent que la Commission s'est trouvée en situation de carence le 8 avril 1996, à l'expiration du délai de deux mois suivant la réception par celle-ci, le 8 février 1996, de l'invitation à agir, pour s'être abstenue, ou bien d'adopter une décision constatant soit que les mesures étatiques en cause ne constituent pas des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, soit qu'elles doivent être qualifiées d'aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, mais sont compatibles avec le Marché commun en vertu de l'article 92, paragraphes 2 et 3, soit qu'il convenait d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité, ou bien d'adopter, en fonction des circonstances, une combinaison de ces différentes décisions potentielles.
91. En conséquence, les conclusions en carence doivent être considérées comme bien fondées.
92. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions en annulation, dès lors qu'elles n'ont été présentées qu'à titre subsidiaire.
Sur les dépens
93. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.
94. La Commission ayant succombé en ses conclusions, elle sera condamnée aux dépens exposés par la partie requérante, conformément aux conclusions en ce sens de celle-ci, à l'exclusion des dépens occasionnés par l'intervention de la République française.
95. En application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la République française supportera ses propres dépens. Elle supportera, par ailleurs, les dépens exposés par la partie requérante en raison de son intervention.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
déclare et arrête:
1°) La Commission a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE, en s'abstenant d'adopter une décision à la suite des deux plaintes déposées par la partie requérante les 2 mars 1992 et 12 novembre 1993.
2°) La Commission est condamnée à supporter les dépens exposés par la partie requérante, à l'exclusion des dépens occasionnés par l'intervention de la République française.
3°) La République française supportera ses propres dépens, ainsi que les dépens exposés par la partie requérante en raison de son intervention.