CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 19 juin 2003, n° 02-01327
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Nissan France (SA)
Défendeur :
Groupement des concessionnaires Nissan, Pradier et Fils (SARL), Garage Girodo le Clezio (SA), Autostyl (SA), Policar Automobiles (SARL), A Moquette (SA), Sagas Automobiles (SA), Garage Corro (SA), Etablissements Salus (Sté), Garage Bonhomme (SA), Lesueur et Cie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny- Rol, SCP Jupin & Algrin
Avocats :
Mes Reynaud, Bertin.
Faits, procédure et moyens des parties:
La société Nissan France, qui est l'importateur et le distributeur exclusif pour la France des véhicules automobiles à cette marque a mis en place, début 2001, un nouveau système, dit DCS, de communication "extranet" avec son réseau de concessionnaires.
Par lettre circulaire en date du 11 décembre 2001, elle a informé ses cocontractants de la fermeture, à compter du 1er février suivant, de l'ancien accès par minitel qui, selon elle, n'avait plus d'utilité.
Le Groupement des concessionnaires Nissan, les sociétés Pradier et Fils, Garage Girodo Le Clezio, Autostyl, A Moquette, Sagas Automobiles, Garage Corro, Ets Salus, Garage Bonhomme, Policar Automobiles et la société Lesueur et Cie ont saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre pour voir constater que cette décision constituait une modification unilatérale des conditions d'exécution du contrat et qu'elle était susceptible de perturber gravement l'exploitation des concessions. Ils sollicitaient la condamnation de la société Nissan France à maintenir, sous astreinte, dans des conditions de fonctionnement normales l'accès des concessionnaires au réseau minitel.
Par ordonnance rendue le 6 février 2002, ce magistrat, retenant que la mesure envisagée constituait une telle modification et qu'elle entraînait pour les concessionnaires des charges supplémentaires, a fait droit à la demande et a condamné la société Nissan France à poursuivre la fourniture de l'accès minitel au-delà du 1er février 2002 sous astreinte provisoire de 600 euros par jour de retard et par concessionnaire. Elle l'a en outre condamnée à payer à chacun des demandeurs la somme de 300 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Nissan France a interjeté appel de cette décision à l'encontre de toutes les parties.
Par conclusions déposées le 24 septembre 2002, elle a déclaré se désister purement et simplement de son appel en tant que dirigé contre la société Lesueur et Cie. Par ordonnance du 24 octobre 2002, le Conseiller chargé de la mise en état a dès lors constaté l'extinction de l'instance entre la société Nissan France et la société Lesueur et Cie.
La société Nissan France rappelle les dispositions contractuelles et fait valoir que la mise en place du nouveau système répond parfaitement à l'obligation réciproque des parties de collaborer de la manière la plus efficace. Elle ajoute qu'elle a respecté un délai raisonnable pour avertir ses cocontractants. Elle en déduit qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite.
Elle dénie tout caractère probant au document établi unilatéralement par le Groupement des concessionnaires et soutient que les dysfonctionnements du système allégués par les demandeurs ne sont nullement prouvés. Elle explique que le coût de la mise en œuvre de cette liaison s'élève à la somme de 2 591,63 euros, dérisoire par rapport au chiffre d'affaires et aux charges des concessionnaires. Elle stigmatise ce qu'elle qualifie de combat d'arrière-garde technologique de 10 concessionnaires sur un total de 170.
Aussi conclut-elle à l'infirmation de l'ordonnance, au débouté des intimés de l'ensemble de leurs demandes et réclame à chacun d'eux 1 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le Groupement des concessionnaires Nissan, les sociétés Pradier et Fils, Garage Girodo Le Clezio, Autostyl, A Moquette, Sagas Automobiles, Garage Corro, Ets Salus, Garage Bonhomme et Policar Automobiles répondent ensemble que la décision de la société Nissan France aura pour conséquence de placer certains concessionnaires qui n'ont pas fait l'acquisition du matériel nécessaire dans l'impossibilité de communiquer normalement avec leur fournisseur et, donc, de pouvoir s'approvisionner. Ils en déduisent que l'arrêt de tout accès à l'ancien système minitel constitue bien un trouble manifestement illicite.
Ils ajoutent qu'existe un dommage imminent en expliquant que le système DCS connaît des dysfonctionnements qui nuisent gravement à l'exploitation des concessions et constitue une charge financière importante puisqu'il nécessite un investissement bien supérieur aux 2 591,63 euros avancés par la société Nissan France.
Ils concluent à la confirmation de l'ordonnance et réclament, chacun, 400 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 27 mars 2003 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 6 mai 2003.
Par conclusions signifiées le 15 avril 2003, les intimés expliquent qu'ils n'ont pas été en mesure de communiquer en temps utile les pièces numérotées onze et douze visées en annexe de leurs dernières conclusions, Ils sollicitent la révocation de l'ordonnance de clôture afin de les voir admettre.
La société Nissan France s'oppose à cette demande en exposant que la révocation aurait pour conséquence d'accroître le non-respect du contradictoire et qu'il n'existe aucune cause grave susceptible de la justifier.
La cour a joint l'incident au fond comme en fait foi l'extrait de plumitif du 6 mai 2003.
Motifs de la décision:
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture:
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue;
Considérant que l'omission de communiquer des pièces visées au bordereau annexé aux conclusions signifiées ne saurait constituer, au sens de ce texte, une cause grave dès lors que les dispositions de l'article 15 du nouveau Code de procédure civile imposent aux parties de se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leur prétention;
Qu'il suit de là que la demande de révocation de l'ordonnance de clôture doit être rejetée et les pièces numérotées 11 et 12, produites par les intimés, écartées des débats.
Sur la demande de maintien du système minitel:
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 873 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut prescrire en référé les mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite;
Que la cour d'appel statuant à sa suite doit appliquer ce texte au vu de la situation et des éléments de fait existants au jour où elle statue;
Considérant que les intimés prétendent que l'abandon du système de transmission minitel constitue un trouble manifestement illicite en ce qu'il modifie les conditions d'exécution du contrat de concession;
Maisconsidérant que ce contrat ne comporte aucune disposition ou obligation du concédant sur le choix des systèmes de communication;
Considérant que ne saurait se discuter la nécessité, pour la bonne exécution des obligations contractuelles réciproques, de mettre en place les moyens techniques nécessaires au maintien de relations commerciales suivies et de communications d'informations entre le concessionnaire et le concédant ;qu'à cet égard, ce dernier se doit de faire ses meilleurs efforts pour mettre à la disposition de ses concessionnaires les moyens adaptés aux formes modernes de la vie économique;
Qu'ainsi, il ne saurait être fait le grief à la société Nissan France d'avoir mis en place un système de communication en utilisant le réseau informatique "internet";
Considérant que ce choix d'une technologie nouvelle, moderne et efficiente, est de nature, au regard des conditions d'exécution du contrat de concession, à dispenser la société Nissan France de maintenir l'ancien système, technologiquement obsolète, qui utilisait le réseau minitel ;qu'à cet égard c'est sans être contredite que la société Nissan France expose que la liaison DCS a été adoptée par 160 des 170 concessionnaires Nissan;
Que la décision, annoncée dès le 28 septembre 2001, de fermer l'ancien réseau ne constitue pas dès lors, au jour où la cour statue, un trouble manifestement illicite eu égard au silence du contrat et à la démonstration apportée par l'expérience de plusieurs mois, du fonctionnement du système;
Considérant en effet que les concessionnaires font au système DCS le grief de dysfonctionnements qu'ils qualifient d'importants;
Mais considérant que les seuls éléments qu'ils versent à l'appui de cette affirmation datent de l'année 2001 et émanent tous du Groupement des concessionnaires qui, partie à l'instance, ne peut arguer du caractère probant de documents qu'il a lui-même rédigé;
Que les dysfonctionnements dénoncés l'ont été principalement pendant le premier semestre 2001; que l'enquête réalisée auprès des concessionnaires, traduisant leur insatisfaction, date du début du mois d'août de cette année-là;
Qu'il n'est produit aucun élément de nature à démontrer la persistance, deux ans après ces constatations, d'un mauvais fonctionnement du réseau DCS;
Considérant que le coût allégué de l'investissement nécessaire ne saurait constituer un dommage imminent dès lors qu'il ne peut être imaginé que des entreprises aussi importantes que des concessionnaires de véhicules automobiles ne soient, aujourd'hui, tous équipés d'ordinateurs et reliées au réseau internet;
Que l'installation de l'application informatique nécessaire à la connexion Nissan est proposée par cette dernière à un prix de 2 592 euros qui n'apparaît pas devoir causer un dommage financier imminent aux résultats d'exploitation des intimés lesquels, au demeurant, ne communiquent aucune précision sur le montant de leur chiffre d'affaires, de leurs frais généraux et de leurs marges d'exploitation;
Considérant enfin que le coût des communications téléphoniques doit être supporté pareillement en cas d'utilisation du minitel ou du réseau internet;
Qu'il suit de là que les intimés n'apportent pas la preuve que l'interruption du réseau minitel constitue un trouble manifestement illicite ou présente des menaces d'un dommage imminent;
Que l'ordonnance entreprise doit en conséquence être infirmée en toutes ses dispositions ; qu'il convient de dire qu'il n'y a lieu à référé;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Nissan France la charge des frais qu'elle a été contrainte d'engager en première instance et en cause d'appel ; que le Groupement des concessionnaires Nissan, les sociétés Pradier et Fils, Garage Girodo Le Clezio, Autostyl, A Moquette, Sagas Automobiles, Garage Corro, Ets Salus, Garage Bonhomme et Policar Automobiles seront, chacun, condamnés à lui payer une indemnité de 200 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant que ces derniers qui succombent doivent supporter in solidum la charge des dépens;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vu l'extrait de plumitif du 6 mai 2003, Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, Ecarte des débats les pièces numérotées onze et douze, visées dans les conclusions des intimés, Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à référé, Condamne chacun du Groupement des concessionnaires Nissan, des sociétés Pradier et Fils, Garage Girodo Le Clezio, Autostyl, A Moquette, Sagas Automobiles, Garage Corro, Ets Salus, Garage Bonhomme et Policar Automobiles à payer à la société Nissan France la somme de 200 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Les condamne in solidum aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Jullien-Lecharny-Rol, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.