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Décisions

CA Orléans, 2e ch. corr. sect. 2, 27 mars 2001, n° 2000-00341

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vallée

Avocat général :

M. Cayrol

Conseillers :

MM. Baudoux, Algier

Avocats :

Mes Dauzier, Caballero.

T. corr. Paris, du 9 juin 1997

9 juin 1997

RAPPEL DE LA PROCEDURE:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire

Sur l'action publique:

- a rejeté l'exception de nullité de la citation.

- a relaxé C Jean-Dominique pour les infractions à l'exigence de caractères gras en ce qui concerne les paquets de gauloises caporal, gauloises extra légères, gauloises ultra légères, gauloises blondes, gitanes blondes, gitanes internationales, royale filtre, gauloises blondes 25 filtre, gauloises blondes ultra légères, gitanes filtre, gitanes légères, royale ultra légère, royale légère anis, royale 100 ultra légère, royale légère, royale menthol, royale menthol légère, royale menthol ultra légère, royale légère pêche abricot, royale extra slim, gitanes ultra légères, gitanes extra légères, gitanes blondes filtres, gitanes blondes légères, gitanes blondes 100, gitanes blondes 100 légères, gauloises blondes légères 25.

- a relaxé C Jean-Dominique pour les infractions à l'exigence de fond contrastant en ce qui concernent les paquets de royale menthol ultra légère, gitanes blondes 100, gitanes ultra légères, gitanes légères.

- a déclaré C Jean-Dominique coupable pour le surplus concernant diverses infractions aux dispositions de l'article L. 357-27 du Code de la santé publique et de ses textes d'application relatifs à l'avertissement sanitaire sur les paquets de cigarettes des marques gauloise, gitanes, royales et autres, fabriqués et distribués sur le territoire français par la Y.

- a constaté l'amnistie de plein droit des infractions commises entre le 1er janvier et le 18 mai 1995.

En répression pour les infractions commises postérieurement et, en application de l'article susvisé, a condamné C Jean-Dominique à:

- 150 000 F d'amende

Sur l'action civile:

- a déclaré le CNCT irrecevable en ses demandes de réparation d'un préjudice futur et en ses demandes concernant les infractions amnistiées de plein droit.

- l'a reçu en sa constitution de partie civile pour ce qui concerne ses autres demandes.

- a débouté le CNCT de ses demandes relatives aux infractions dont Jean-Dominique C a été relaxé.

- a condamné Jean-Dominique C à payer au CNCT la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des infractions retenues à l'encontre de Jean-Dominique C.

- a condamné Jean-Dominique C à payer au CNCT la somme de 4 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

- a déclaré la Y civilement responsable de son dirigeant.

- a rejeté le surplus des demandes du CNCT.

LES APPELS:

Appel a été interjeté par:

Monsieur C Jean-Dominique, le 11 juin 1997

société Y, le 11 juin 1997

M. le Procureur de la République, le 11 juin 1997 contre Monsieur C Jean-Dominique

Comité national contre le tabagisme, le 19 juin 1997 contre Monsieur C Jean-Dominique

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 1er octobre 1998 qui a:

- reçu les appels du prévenu du civilement responsable et du Ministère public.

Sur l'action publique:

- infirmé le jugement susvisé en ce qu'il a constaté la prescription de l'action publique en application de la loi d'amnistie du 3 août 1995 pour les faits antérieurs au 18 mai 1995.

- constaté que la prévention s'étendait aux faits commis entre le 1er juin 1995 et le 11 septembre 1996.

- infirmé le jugement susvisé en ce qu'il avait déclaré Jean-Dominique C coupable d'avoir enfreint les dispositions de l'article 355-7° II du Code de la santé publique en faisant précéder le message sanitaire imposé par ce texte et devant figurer sur les paquets de cigarettes de la mention "selon la loi numéro 91-32".

- l'a relaxé des fins de la poursuite de ce chef.

- constaté que la demande du CNCT tendant à voir cesser la publicité illicite constituée par cette mention se trouvait de ce fait privée de fondement.

- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a relaxé Jean-Dominique C pour les infractions à l'exigence de caractères gras en ce qui concernaient les paquets de gauloise caporal, gauloise extra légères, gauloise ultra légères, gauloise blondes, gitanes blondes, gitanes internationales, royale filtre, gauloise blondes 25 filtre, gauloise blondes ultra légères, gitanes filtre, gitanes légères, royale ultra légère, royale légère anis, royale 100 ultra légère, royale légère, royale menthol, royale menthol légère, royale menthol ultra légère, royale légère pêche abricot, royale extra slim, gitanes ultra légères, gitanes extra légères, gitanes blondes filtres, gitanes blondes légères, gitanes blondes 100, gitanes blondes 100 légères, gauloise blondes légères 25.

- déclaré Jean-Dominique C coupable d'avoir omis de mentionner le message sanitaire en caractères gras pour les paquets de royale filtre, royale 100 ultra légère, royale légère, royale ultra légère, royale menthol, royale menthol légère, royale légère anis, royale légère abricot, royale extra slim, gitanes extra légères, gitanes légères, gitanes blondes filtres, gitanes blondes 100, gauloise blondes, gauloise blondes légères 25, gauloise blondes 25, gitanes internationales.

- confirmé le jugement sus-visé pour avoir omis d'utiliser un fond contrastant pour les paquets de royale menthol ultra légère, gitanes blondes 100, gitanes ultra légères, gitanes légères.

- l'a réformé en ce qu'il l'avait déclaré coupable pour le surplus de la prévention.

- déclaré Jean-Dominique C coupable de ne pas avoir utilisé un fond contrastant pour les paquets de gitanes blondes filtres, gitanes blondes légères dont le fond est lui-même contrasté, gauloise blondes 100 légères, gauloise blondes, gauloise blondes légères 25, gauloise blondes 25, gitanes internationales.

- relaxé en conséquence des fins de la poursuites Jean-Dominique C pour les paquets de royale filtre, royale 100 ultra légère, royale légère, royale ultra légère, royale menthol, royale menthol légère, royale légère anis, royale légère pêche abricot, royale extra slim, gitanes extra légères, gitanes blondes filtres, gitanes blondes légères, gauloise blondes 100.

- a réformé le jugement entrepris en répression,

- condamné Jean-Dominique C au paiement d'une amende de 300 000 F.

- annulé le jugement sus-visé en ce qu'il avait omis de condamner la Y à garantir Jean- Dominique C des condamnations prononcées à son encontre.

Sur l'action civile:

- a confirmé le jugement sus-visé en toutes ses dispositions y ajoutant

- a condamné solidairement Jean-Dominique C et la Y à payer au CNCT, partie civile, la somme de 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Vu l'arrêt de la Cour de cassation, Chambre criminelle en date du 15 février 2000 qui a:

- cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris susvisé en ses seules dispositions civiles relatives à l'application de l'article L. 355-27-II du Code de la santé publique, toutes autres dispositions étant expressément maintenues

- et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

- a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de céans à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil,

-ordonné l'impression dudit arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

DECISION:

Saisi par la citation directe de la partie civile des chefs de non-respect des prescriptions relatives à l'avertissement sanitaire prévu par le Code de la santé publique pour la période du 1er juin 1995 au 11 septembre 1996 par adjonction de la mention "selon la loi 91-32" et l'irrégularité des caractères employés ainsi que des fonds contrastants, le Tribunal correctionnel de Paris a, par jugement du 9 juin 1997, retenu la culpabilité de Jean-Dominique C du chef de l'adjonction critiquée aux motifs d'une part que l'Etat français n'a pas opté pour la possibilité prévue par la directive des Communautés européennes que l'avertissement soit accompagné de la mention de l'autorité qui en est l'auteur, d'autre part que l'adjonction dénoncée dénature le message et en amoindrit la portée, a constaté l'amnistie des délits antérieurs au 18 mai 1995 et condamné le prévenu pour le surplus à une amende de 150 000 F.

Sur l'action civile, le tribunal a déclaré irrecevables les demandes du CNCT en réparation d'un préjudice futur et a condamné le mis en cause à verser 150 000 F à titre de dommages- intérêts, 4 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la Y étant déclarée civilement responsable de son dirigeant.

Par arrêt du 1er octobre 1998, la Cour d'appel de Paris a notamment considéré que si l'Etat n'a pas prévu que l'avertissement sanitaire soit accompagné de la mention de l'autorité qui en est l'auteur, il n'a pas non plus interdit toute adjonction faisant référence au texte légal obligeant à mentionner ce message sanitaire, que cette référence à la loi était déjà en usage depuis la loi du 9 juillet 1976, qu'elle n'est pas en soi de nature à rendre le message inopérant auprès du consommateur suffisamment averti pour savoir que ce n'est pas le législateur qui a décidé que le tabac était dangereux. Jean-Dominique C a donc été relaxé de ce chef de la poursuite et la partie civile déboutée de ses demandes à ce titre.

Par arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en ses seules dispositions civiles relatives à l'application de l'article L. 355-27-II du Code de la santé publique au motif qu'en retenant que l'adjonction critiquée n'est pas de nature à affaiblir le message sanitaire, alors qu'en l'absence de transposition dans la loi interne de l'article 43° de la directive n° 89- 622-CEE du 13 novembre 1989 l'infraction punie par l'article L. 355-3 du Code de la santé publique est caractérisée par toute modification du texte de l'avertissement sanitaire imposé par l'article L. 355-27 II, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte.

La Cour d'appel d'Orléans a été désignée comme juridiction de renvoi.

Le Comité national contre le tabagisme conclut à la confirmation du jugement sur le principe de la culpabilité dans la limite de la saisine de la cour et demande la condamnation de Jean- Dominique C à lui verser 10 800 000 F à titre de dommages-intérêts avec exécution provisoire, la Y garantissant son dirigeant de la condamnation civile, ainsi que 50 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Monsieur l'Avocat général s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

Jean-Dominique C et la Y, par la voix de leur avocat, écartent toute responsabilité en ce qui concerne les paquets de cigarettes dont la Y n'assurait que la distribution et considèrent que la citation initiale ne vise expressément que les marques gauloise, gitanes et Royale.

Ils estiment par ailleurs que l'infraction n'est pas constituée dans la mesure où rien n'interdit au fabricant d'adjoindre au message sanitaire une référence au texte de loi qui l'impose, s'opposant en cela à la décision de la Cour de cassation et dans la mesure où l'adverbe "selon" n'implique nulle dénaturation ni affaiblissement du message, s'opposant ainsi à l'interprétation du premier juge.

Faute d'infraction matériellement caractérisée et niant toute intention frauduleuse, ils concluent donc au rejet des demandes du CNCT, subsidiairement faute de preuve d'un préjudice quelconque dont il aurait directement souffert. Très subsidiairement, ils offrent 1 F à titre de dommages-intérêts. En tout état de cause, ils demandent qu'il leur soit donné acte de la suppression de la mention "selon la loi 91-32" sur les paquets de cigarettes de leur fabrication, les prétentions de la partie civile tendant à voir ordonner sa suppression étant en conséquence mal fondées.

Ils sollicitent également le rejet de la demande fondée sur l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur ce

Attendu que les faits de la cause tels qu'ils ressortent de la procédure sus rappelée ne sont pas contestés

Attendu que la citation directe délivrée le 11 septembre 1996 vise notamment à voir constater l'illicéité de l'adjonction de la mention "selon la loi 91-32" sur l'ensemble des paquets de cigarettes de marques gauloise, gitanes, royale et autres fabriquées et distribuées sur le territoire français par la Y;

qu'il s'agit d'un énoncé clair, exempt d'ambiguïté;

qu'à juste titre le tribunal a retenu que les dispositions de l'article L. 355-27 du Code de la santé publique visaient tout acte de commercialisation;

1. Sur l'élément matériel de l'infraction

Attendu que le prévenu objecte d'une part que l'article L. 355-27 II du Code de la santé publique n'interdit aucune référence au texte de loi imposant le message sanitaire, se rapportant à une pratique conforme aux usages français après l'entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 1976 et consacrée par la directive communautaire du 13 novembre 1989, par ailleurs usitée dans d'autres pays européens, d'autre part que la mention "selon la loi n° 91-32" n'altère en aucune façon le message sanitaire;

Attendu cependant que la référence à un texte et aux usages antérieurs à la loi du 10 janvier 1991 est sans effets;

que la directive européenne ne saurait être interprétée comme la possibilité pour les fabricants de cigarettes de décider de leur propre initiative d'accompagner la mention "nuit gravement la santé" de celle de l'autorité qui en est l'auteur;

que cette réserve ne concerne que les Etats membres que la France n'en a pas fait usage;

qu'à partir du moment où l'Etat français n'a pas opté pour cette solution, il n'y avait pas lieu de l'interdire dans la mesure où il n'est laissé aucune latitude sur le contenu et la forme du message sanitaire;

qu'il importe peu dans ces conditions que d'autres pays européens ait eu une politique différente;

que la transposition à la présente matière du principe de la liberté d'expression est pour le moins curieuse, l'emballage du paquet de cigarettes n' ayant jusqu'alors jamais été considéré comme un support de la libre communication de la pensée et des opinions;

qu'en tout état de cause, tel n'est pas le rôle des mentions obligatoires destinées à attirer l'attention du consommateur sur les dangers que représente la consommation du tabac pour la santé;

Attendu que, sans s 'attarder sur la portée de l'adjonction critiquée, il sera retenu qu'elle est dans son principe contraire aux dispositions de droit interne conformes au droit européen et qui excluent toute modification du texte initial;

2. Sur l'absence d'élément intentionnel

Attendu que le prévenu ne peut qu'être particulièrement sensibilisé aux différentes obligations spécifiques qui pèsent sur lui;

que l'importance des enjeux exclut toute approximation;

qu'il dispose manifestement de toutes les informations à caractère juridique de nature à éclairer ses choix;

qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut prétendre avoir ignoré la loi et ne pas avoir eu conscience de l'enfreindre dans le cas d'espèce;

qu'il faut encore rappeler que son attention avait été attirée sur la difficulté objet du présent litige par le courrier du CNCT des 4 avril 1993, très antérieur à la période de prévention;

Attendu que l'infraction prévue par l'article L. 355-27 II du Code de la santé publique est donc constituée;

3. Sur l'action civile

Attendu que la partie civile demande l'allocation de sommes calculées au prorata du nombre de paquets vendus pendant un an;

Attendu qu'au vu des statuts et des missions du CNCT, il est constant qu'il est recevable à se constituer partie civile par application des dispositions de l'article L. 355-32 du Code de la santé publique;

que l'infraction commise a causé un préjudice personnel et direct aux intérêts qu'il défend en ce que l'avertissement sanitaire destiné à l'information des consommateurs n'a pas été délivré conformément à la loi;

qu'il sera cependant suffisamment indemnisé par l'allocation d'une somme de 50 000 F;

que l'exécution provisoire de la décision ne s'impose pas;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les frais exposés devant cette cour évalués à 10 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, dans les limites de la cassation, Déclare constituée l'infraction à l'article L. 355-27 II du Code de la santé publique punie par l'article L. 355-31 du même Code, Condamne solidairement Jean-Dominique C et la SA Y a verser cinquante mille francs (50 000) à titre de dommages-intérêts et dix mille francs (10 000) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au Centre national contre le tabagisme, Rejette les demandes plus amples ou contraires, Condamne Jean- Dominique C et la société Y aux frais dus envers l'Etat liquidés à la somme de 239,81 F ou 36,55 euros.