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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 26 février 1993, n° 1505-92

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocat :

Me Larhze

TGI Paris, 31e ch., du 15 nov. 1991

15 novembre 1991

Par jugement en date du 15 novembre 1991, le Tribunal de Paris (31e chambre) a relaxé Jean-Luc M du chef du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur commis à Saint-Malo (35) "du 25 septembre 1987 au 4 novembre 1988", a déclaré Jean-Luc M coupable du délit de publicité fausse ou de nature à induire erreur commis à Rennes (35) "le 20 décembre 1988", a déclaré Andrei K coupable du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur commis à Saint-Malo "pendant la période du 25 septembre 1987 au 4 novembre 1988", a constaté qu'Andrei K n'était pas en état de récidive légale, a condamné Jean-Luc M et Andréi K chacun à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et cent mille (100 000) F d'amende et a ordonné, aux frais des condamnés, la publication dudit jugement, par extraits, dans les journaux "Le Figaro" et "France Soir".

Appel de cette décision a régulièrement été interjeté par les deux prévenus et par le Ministère public.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de la prévention et les faits de la cause, la cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

Assistés de leur conseil, André K et Jean-Luc M ont demandé à la cour, à l'audience du 15 mai 1992, par voie de conclusions conjointes, de:

"- (les) recevoir en leurs conclusions";

"- les dire bien fondés";

"- Confirmer la relaxe de M. M pour la publicité de Saint-Malo",

"- Confirmer que M. K n'est pas en état de récidive légale";

"- mais, réformer, pour le reste, la décision entreprise";

"- renvoyer les prévenus des fins de la poursuite sans peine ni dépens";

"- subsidiairement, dans le cas où la cour déciderait, par extraordinaire, d'entrer en condamnation, prononcer une peine particulièrement bienveillante, et uniquement une peine d'amende, voire dispenser de peine en application des articles 469-1, 469-2 du Code de procédure pénale."

L'affaire a été renvoyée en continuation successivement au 3 juillet 1992 puis au 11 décembre 1992.

Advenue l'audience du 11 décembre 1992, Andréi K et Jean-Luc M, toujours assistés de leur conseil, ont demandé, par voie de conclusions "en réplique aux observations de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes transmises par M. l'Avocat général et à sa demande lors de l'audience du 15 mai 1992", de les "relaxer des fins de la poursuite, en considérant que les arguments de l'administration ne permettent pas, même à la dernière heure, d'apporter la preuve de la réalité de l'infraction."

Considérant que les sociétés anonymes X et Y distribuent sous la licence Mac Douglas des vêtements en cuirs et peaux de la même marque, la première fabriquant, la seconde commercialisant;

Considérant, de première part, que le 25 septembre 1987, à 15 heures 30, deux agents des services extérieurs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, en résidence administrative à Rennes, se présentaient à l'Hôtel Ibis, sis avenue Général de Gaulle à Saint-Malo (35), dans les salons duquel avaient lieu "une vente directe" de vêtements de cuir, daim, mouton, effectuée par la société anonyme des Etablissements X, dont le Président du conseil d'administration est Jean-Luc M, sous responsabilité directe de Andrei K, directeur général de cette même société;

Qu'un dépliant avait été distribué dans la région Malouine sur lequel apparaissaient, en gros caractères, les mots "vente exceptionnelle à prix sacrifié"; qu'à l'intérieur du salon, sur deux panneaux de grande dimension, était affiché: "- 50 % sur tous les prix";

Qu'ils constataient, d'une part, que onze pantalons en cuir et trois vestes, exposés à la vente au public sur des portants, étaient dépourvus de toute indication de prix, d'autre part, que soixante articles (pantalons, blousons, vestes, 3/4 fourrés, jupes, robes), qu'ils répertoriaient dans un tableau, portaient une étiquette indiquant le prix de vente et masquant une seconde étiquette comportant un prix plus bas;

Qu'ils en concluaient que les prix masqués, qu'ils considéraient comme étant les prix de référence, avaient été majorés d'un pourcentage variable allant de 9 % à 18 % pour constituer les prix de vente annoncés sur lesquels était effectuée la remise de 50 % et qui ne constituaient plus en l'occurrence des prix de référence ou réellement pratiqués, et que, ce faisant, la société X avait trompé la clientèle en lui faisant croire à une vente à prix sacrifiés et à une remise de 50 % sur un prix de référence n'ayant jamais existé sur ces soixante articles;

Que, du tout, ils dressaient régulièrement procès-verbal le 8 février 1988;

Considérant, de deuxième part, que le 4 novembre 1988, à 11 heures, deux agents des services extérieurs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, en résidence administrative à Rennes, qui n'étaient pas les signataires du procès-verbal du 8 février 1988, agissant sur plainte déposée par le Président du Syndicat des détaillants en habillement de Saint-Malo, se présentaient à l'hôtel Ibis de cette ville dans les salons duquel avait lieu une vente au déballage organisée par la société anonyme X, vente qui avait été autorisée par arrêté municipal du 24 octobre 1988 et annoncée par des tracts publicitaires; qu'il ressortait de la publicité annonçant la vente dans les salons de l'hôtel que les articles vestimentaires vendus à cette occasion le seraient à des prix réduits de moitié par rapport aux prix de référence ou prix normalement pratiqués, "d'où leur caractère exceptionnel et attirant pour la clientèle"; que c'est ainsi qu'il était annoncé: "blouson base-ball, prix boutique 1980 F prix exceptionnel 990 F; pantalon femme, prix boutique 1380 F, prix exceptionnel 690 F; jupe courte, prix boutique 1180 F, prix exceptionnel 590 F";

Qu'ils constataient, à l'intérieur des lieux de vente, que les vêtements étaient accrochés à des barres portantes et que des écriteaux avec la mention "-50 % sur ce portant" étaient apposés sur les portants dont les articles n'étaient pas étiquetés au prix net de la remise annoncée, celui-ci étant le prix mentionné sur l'inventaire déposé en mairie; qu'ils relevaient, cependant, que les quantités figurant sur cet inventaire ne correspondaient pas à celles effectivement exposées selon les articles;

Que procédant à l'examen des articles exposés à la vente avec la mention d'un rabais de 50 %, ils constataient que, sous le prix de référence figurait un autre prix qui avait fait l'objet d'une tentative d'effacement mais qui apparaissait nettement en traces et relief, et que ce second prix correspondait, pour la quasi-totalité des cas, exactement à 50 % du prix de référence sur lequel devait être faite la réduction; que, pour quarante articles, ils relevaient l'indication de l'ancien prix effacé; qu'aucune justification quant au prix de référence ne pouvait être alors avancée;

Considérant, de troisième part, que le 20 décembre 1988, à 15 heures, l'un de ces deux mêmes agents agissant sur plainte du Président du Syndicat des commerçants détaillants en habillement de l'Isle et Vilaine, se présentait au magasin exploité <adresse>à Rennes (35) par la société anonyme Y, dont le Président du conseil d'administration est également Jean-Luc M, magasin dont la vitrine était totalement occultée par une affiche avec les mentions suivantes: "Mac Douglas - Cuirs et peaux laines - vente exceptionnelle à prix sacrifiés"; que cette vente annoncée comme étant à prix exceptionnels avait été précédée de la distribution de prospectus publicitaires du même type que celle ayant eu lieu le 4 novembre 1988 à Saint-Malo, ces prospectus n'en différant que par la date exceptionnelle, le lieu de celle-ci et l'identité de l'entreprise.

Qu'un inventaire identifiant les produits exposés à la vente était remis en communication à cet agent qui, à partir de ce document, procédait au relevé des prix et vérifiait la concordance entre les prix affichés et ceux indiqués sur ledit document; qu'il constatait que tous les vêtements exposés à la vente faisaient l'objet d'un double marquage, savoir un prix de référence barré et un prix de vente correspondant à la moitié de ce même prix;

Que de l'ensemble des vérifications effectuées et des déclarations de Catherine Fumey, munie d'un pouvoir établi par Jean-Luc M, il résultait, selon l'agent de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de Répression des Fraudes, que la société Y majorait artificiellement les prix de référence pour annoncer des remises de 50 %;

Que cet agent, qui rappelait que, conformément à l'article 3 de l'arrêté ministériel 77-105-P du 2 septembre 1977, le prix de référence ne peut excéder soit le prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article similaire dans le même établissement de vente au détail au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité, soit le prix de vente conseillé par le fabricant (ce dernier prix n'existant pas en l'espèce), relevait:

- que s'agissant du prix de référence pratiqué au cours des trente derniers jours précédant la publicité, la société Y ne pouvait justifier que 3 ventes pour 210 références si on se référait aux feuilles d'inventaire et, si on étendait la période de référence au-delà, soit du 29 septembre 1988 au 10 novembre 1988, huit ventes dont deux pour des modèles identiques;

- que la faiblesse des ventes pendant la période précédant la "vente exceptionnelle" s'expliquait par le niveau des prix annoncés comme prix de base; qu'en effet les prix de vente de cette période s'établissaient avec les coefficients multiplicateurs suivants: trois articles avec un coefficient de 4, un article avec un coefficient de 3,59 et un article avec un coefficient de 2,69;

- que les prix de référence annoncés par la société Y pour justifier une réduction de 50 % n'avaient aucun rapport avec ceux pratiqués communément; qu'il ressortait, en effet, d'une statistique portant sur 305 établissements de vente au détail d'habillement de la région Bretagne que le coefficient multiplicateur moyen s'établissait à 1,62 HT soit 1,92 TTC, compte tenu des soldes;

- enfin, que les déclarations de Andrei K, recueillies par procès-verbal du 25 juillet 1988, sur les conditions d'établissement des prix de référence à l'occasion d'une "vente exceptionnelle" similaire, aux termes desquelles avait été donnée instruction "d'étiqueter la marchandise avec des prix pratiqués habituellement sur les mêmes modèles dans les boutiques traditionnelles et de consentir une remise de 50 % sur ces derniers", étaient en contradiction avec la pratique constatée puisque, alors que Alain K alléguait établir un prix théorique de référence, on constatait, outre le fait que la société anonyme Y faisait des "ventes exceptionnelles" à des prix plus avantageux que son fournisseur, la société anonyme X, que, le même mois et dans le même département, ce prix théorique variait de - 14 % à + 66 % selon le point de vente exploité sous l'autorité de Jean-Luc M;

Que les agents des services extérieurs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui, quant aux faits s'étant déroulés à Saint-Malo le 4 novembre 1988 et à Rennes le 20 décembre 1988, dressaient régulièrement procès-verbal le 15 mai 1989, en concluaient que les ventes annoncées comme exceptionnelles par les sociétés X et Y s'inscrivaient dans une politique commerciale délibérée visant à attirer la clientèle par l'annonce de rabais de 50 % alors que les prix de référence auxquels s'appliquaient ces rabais étaient "le fruit de la seule imagination des responsables sociaux et (avaient) été préalablement augmentés", ce qui avait pour effet "d'induire la clientèle en erreur quant à l'avantage financier qu'elle serait susceptible d'obtenir en achetant à l'occasion de ces ventes exceptionnelles";

Considérant que, lors de la vente publicitaire du 25 septembre 1987 à Saint-Malo, l'employée entendue sur place, Christine M, a indiqué qu'elle avait reçu instruction de Paris de porter de nouveaux prix sur tous les articles à l'occasion de cette vente; que ces prix lui ont été dictés par la direction de la société X;

Qu'Andrei K, qui revendique l'entière responsabilité de cette opération, fait valoir qu'il ne s'agissait pas de publicité fausse ou de nature à induire en erreur puisque les 50 % de réduction annoncés dans la publicité ont été réellement appliqués au moment de la vente sur les prix normalement pratiqués dans les différentes boutiques de la marque;

Considérant que, lors de la vente publicitaire du 4 novembre 1988 à Saint-Malo, Louis D, l'employé entendu sur place, a fait valoir qu'il avait marqué, avec d'autre personnel, la marchandise aux prix figurant à l'inventaire et que le double marquage relevé par la DGCCRF n'était pas systématique sur les séries complètes;

Qu'Andrei K,qui, là encore, revendique l'entière responsabilité de cette opération à la suite d'une délégation de pouvoir de Jean-Luc M, Président du conseil d'administration de la société X, invoque en sa faveur les prix de vente équivalents ou très comparables pratiqués dans les diverses boutiques vendant, tant à Paris qu'en Province, des articles en cuir ou peau de la marque Mac Douglas et produit, à l'appui de ses dires, un tableau comparatif et des feuilles de caisse journalières certifiées exactes par le gérant ou la comptable des magasins en question pour la période antérieure ou voisine de la vente promotionnelle litigieuse;

Qu'il apparaît, au vu des explications fournies au cours des débats, que si, sous le prix de référence, figurait un autre prix, qui avait fait l'objet d'une tentative d'effacement correspondant à 50 % du prix sur lequel devait être calculée la réduction, la raison en est que l'employé, qui avait été chargé d'étiqueter les différents articles, avait, dans un premier temps, et par erreur, cru qu'il devait porter directement le prix à payer par le client, compte tenu de la réduction accordée; que le même raisonnement vaut pour les étiquettes qui, lors de la vente à Saint-Malo du 25 septembre 1987, s'étaient trouvées masquées par d'autres étiquettes;

Considérant qu'en ce qui concerne la vente exceptionnelle du 20 décembre 1988 à Rennes Jean-Luc M, Président du conseil d'administration de la société anonyme Y, revendique l'entière responsabilité de cette vente; qu'il s'insurge contre l'assertion de la DGCCRF selon laquelle il aurait fait majorer artificiellement les prix de référence pour annoncer des remises de 50 % et vendre ainsi finalement au prix normal;

Qu'il fait état, là encore, du tableau comparatif et des feuilles de caisse journalières des magasins de Paris, de Strasbourg, de Brest et de Grenoble dans la période antérieure, en tout cas très voisine de la vente exceptionnelle, et invoque en sa faveur des prix de vente équivalents ou très comparables dans les dites boutiques;

Qu'enfin les deux prévenus font valoir que, dans le commerce des vêtements et produits en cuir classés comme articles de luxe, le coefficient multiplicateur pratiqué serait de l'ordre de 4-5 et qu'il ne peut être comparé aux coefficients pratiqués dans les autres commerces ainsi que l'atteste le Président du conseil national du cuir;

Considérant que l'examen attentif des documents produits tant par les deux prévenus que par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, à la suite des explications fournies par les premiers au cours de l'entête et devant elle et des observations de la seconde ne permet pas à la cour d'avoir l'entière conviction que les prix sur lesquels était pratiquée la réduction annoncée aient été, lors des trois ventes en cause, artificiellement augmentés et ne correspondaient pas à la réalité des prix pratiqués auparavant;

Qu'il y a lieu, par conséquent, en infirmant le jugement attaqué, de relaxer André K et Jean-Luc M du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur commises tant à Saint-Malo les 25 septembre 1987 et 4 novembre 1988 qu'à Rennes le 20 décembre 1988;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit les appels des deux prévenus et du Ministère public; Infirmant le jugement attaqué; Relaxe Andrei K et Jean-Luc M du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur (faits des 25 septembre 1987 et 4 novembre 1988 à Saint-Malo et du 20 décembre 1988 à Rennes); Laisse les dépens à la charge du Trésor.