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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 2 avril 2003, n° 2002-02928

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lebreton Frères (SA)

Défendeur :

Butagaz (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mme Percheron, M. Picque

Avoués :

SCP Lagourgue, Teytaud

Avocats :

Mes Ménard, Leloup, Pitron, Pham-Bas.

T. com. Paris, 1re ch., du 15 oct. 2001

15 octobre 2001

La société Lebreton Frères (société Lebreton) est appelante du jugement contradictoire rendu le 15 octobre 2001 par le Tribunal de commerce de Paris qui, sur sa demande tendant à voir condamner la société Butagaz, avec exécution provisoire, à lui payer à titre d'indemnité compensatrice de la rupture de son contrat d'agent commercial, la somme de 35 209 210 F TTC en principal en sus des 7 428 284 F déjà perçus, a:

- rejeté des débats les commentaires produits par la société Butagaz en accompagnement du tableau de chiffres que le tribunal avait demandé d'établir,

- débouté la société Lebreton de toutes ses demandes et la société Butagaz de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné la société Lebreton aux dépens.

La société Lebreton Frères prie la cour, réformant le jugement entrepris,

- de dire que le mandat que lui avait confié par la SNC Butagaz portait, en application de l'article 2 du contrat du 1er novembre 1991, sur la totalité des missions qu'elle exécutait pour la diffusion des produits de son mandant,

- de dire que la clause de l'article 12-1 du contrat du 1er novembre 1991 ne détermine qu'une valeur minimum du montant de l'indemnité de cessation de contrat susceptible d'être due au mandataire,

- de fixer à 6 499 996 euros le montant de l'indemnité de cessation de contrat restant du;

- en conséquence, compte tenu du paiement de l'acompte de 7 428 284 F (soit 1 132 435 euros), de condamner la société Butagaz à lui payer 5 367 561 euros à titre de solde de l'indemnité de cession de contrat, avec intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 1999 et capitalisation des intérêts, ainsi que 15 000 euros pour ses frais irrépétibles.

La société Butagaz, intimée, conclut à la confirmation de la décision entreprise et sollicite 15 000 euros pour ses frais irrépétibles.

Sur ce,

Considérant que la société Lebreton reproche aux premiers Juges d'avoir dénaturé les termes du contrat qu'elle a conclu avec la société Butagaz en dernier lieu le 1er novembre 1991 et ignoré les dispositions d'ordre public de la loi du 25 juin 1991 applicables aux agents commerciaux, en estimant que son activité n'était pas exclusivement celle d'un agent commercial, et en la privant de la part d'indemnité compensatrice correspondant aux commissions perçues au titre de ses activités de stockage et de logistique, indissociables de ses missions de prospection commerciale, la période de six mois stipulée au contrat ne constituant qu'un minimum sans rapport avec le préjudice subi; qu'elle soutient avoir droit à une indemnité compensatrice de ce préjudice égale à la totalité des rémunérations versées par le mandant pendant une période de deux ou trois ans suivant un usage consacré par la jurisprudence, qu'il convient en l'espèce de porter à trois ans en raison de l'ancienneté de leurs relations commerciales qui remontent à 1952 soit à 47 ans, de l'importance de la contribution apportée par elle au développement de la part détenue par Butagaz sur le marché des gaz de pétrole liquéfiés dans le territoire qui lui a été confié et de l'existence d'une clause de non-concurrence lui interdisant d'exercer des activités similaires pendant une période de deux ans à compter de la cessation du contrat; qu'elle observe que la notion de marge retenue par les premiers juges pour chiffrer ce préjudice n'a pas de sens dans le domaine considéré, dès lors que l'agent commercial n'est pas un commerçant et ne peut faire varier sa rémunération comme le ferait ce dernier en fixant ses prix de vente et en négociant ses achats, et soutient qu'aucune distinction de traitement indemnitaire ne saurait être effectuée au prétexte d'un caractère "spécifique" des rémunérations allouées par Butagaz à ses agents commerciaux;

Que la société Butagaz réplique que la restructuration de son activité commerciale, décidée à la fin des années 1990 pour des raisons de réduction de ses coûts de distribution, l'a conduite à réduire de moitié le nombre de ses mandataires, soit à résilier 35 des mandats confiés à ses agents commerciaux, ainsi qu'à sous-traiter le transport de ses produits à des sociétés spécialisées, et que c'est dans conditions que le contrat de la société Lebreton a été résilié par courrier du 24 février 1999 avec un préavis contractuel de six mois et une échéance ultime fixée au 31 août 1999;

Qu'elle ajoute que

- la société Lebreton n'a pas l'ancienneté qu'elle revendique en tant qu'agent commercial statutaire, n'ayant bénéficié de ce statut qu'à compter de la signature du contrat du 3 juin 1991, leurs relations ayant été régies pour la période antérieure par les dispositions du Code civil sur le mandat,

- l'indemnité de résiliation a été fixée à six mois de rémunérations totales soit à 1 132 434,50 euros (7 428 284 F) TTC conformément à l'article 12.1 du contrat,

- la société Lebreton ne justifie d'aucun préjudice justifiant l'allocation d'une indemnité supérieure, d'aucune charge telle que des indemnités de licenciement résultant de la cessation de son activité, ni d'aucun investissement non amorti non réutilisable visé par l'article 12-1 du contrat, l'usage qu'elle invoque, qui ne résulte d'aucune disposition légale et n'a aucun caractère impératif, ayant été écarté par le contrat conclu entre elles deux,

- la majeure partie de la rémunération versée à la société Lebreton correspond en réalité au remboursement de coûts standard (facturation et transport), seule la partie résiduelle de ces rémunérations constituant sa marge,

- la clause de non-concurrence, qui s'impose de plein droit à l'agent à l'issu de son contrat et dont l'existence est expressément validée par l'article L. 134-14 du Code de commerce dès lors qu'elle n'est pas supérieure à deux ans et que la société Lebreton ne pouvait en tout état de cause retrouver une activité similaire compte tenu de la nature oligopolistique du marché, ne constitue en aucun cas une aggravation du préjudice subi par la société Lebreton;

Considérant que la société Butagaz a confié à la société Lebreton, en dernier lieu suivant contrat-type du 1er novembre 1991 assorti d'une clause d'exclusivité sur le territoire défini en annexe à ce contrat et pour une durée indéterminée, "mandat de la représenter auprès de la clientèle Butagaz située sur le territoire" et "à cet effet ... d'assurer la promotion, la distribution et la vente des produits... le stockage des bouteilles ainsi que le suivi commercial des emballages propriété du mandant (bouteilles et citernes)"; que ce mandat, confié à la société Lebreton en qualité d'agent indépendant pour souscrire des contrats de vente au nom et pour le compte de la société Butagaz, et résilié par cette dernière par courrier recommandé du 24 février 1999 est un contrat d'agence commerciale régi par les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, ce que les parties ne contestent pas; que la société Butagaz conteste inutilement la qualité d'agent statutaire de la société Lebreton pour la période antérieure à la signature de ce contrat, dès lors que le mandat confié à la société Lebreton depuis 1952 pour des actes exercées dans l'intérêt du mandant et du mandataire avait la nature d'un mandat d'intérêt commun ouvrant pareillement le droit à une indemnité dans le cas de sa résiliation; que les activités accessoires au mandat, telles que la facturation, le transport et la livraison des produits, la gestion des stocks et le suivi des emballages moyennant le versement de commissions forfaitaires prévues par l'article 5-2 du contrat "en rémunération de cette activité logistique et administrative de livraison et de suivi commercial" qui s'apparentent davantage à une activité de distributeur ainsi que l'a justement observé le tribunal mais sont étroitement liées au mandat confié par Butagaz à ses agents, ne sont pas de nature à modifier la qualification du contrat;

Que selon son article 12.1, "En cas de résiliation du contrat non motivée par une faute du mandataire, résultant notamment de l'inexécution de l'une des dispositions du contrat, le mandataire aura droit, compte tenu de l'ancienneté de ses relations commerciales avec le mandant, sous réserve d'avoir contribué de façon significative au développement de l'activité du mandant, à une indemnité compensatrice de préjudice subi, qui ne saurait être inférieure à six mois de la rémunération totale calculée sur la base de la moyenne des douze derniers mois, et le cas échéant, au remboursement de la valeur non amortie des investissements non réutilisables qu'il aura effectuée pour l'exécution du contrat, sur la recommandation du mandant";

Que ces clauses, qui prévoient une indemnité de résiliation minimale égale aux rémunérations totales versées à l'agent pendant une période de six mois, tout en mentionnant expressément son droit à la réparation intégrale du préjudice subi du fait de la cessation du contrat, ne sont pas contraires aux dispositions impératives de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui disposent qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice réparant le préjudice causé par la cessation des relations avec le commettant et non pas à une indemnité calculée au regard de la clientèle apportée ou développée, conformément au choix laissé aux Etats membres par la directive n° 86-653 du Conseil des Communautés européennes dans son article 17;

Que la société Lebreton doit être intégralement indemnisée du préjudice lié à la rupture du contrat, ce préjudice dont il appartient à celui qui s'en prévaut de rapporter la preuve, pouvant résulter de la perte des commissions antérieurement perçues par l'agent et par suite de la privation du bénéfice attendu de la poursuite de son activité, ainsi que, le cas échéant, des dépenses occasionnées par la cessation de cette dernière telles que des coûts de licenciement ou la perte d'investissements non amortis et non réutilisables d'ailleurs prévue par le contrat;que pour déterminer le montant de ce préjudice, il y a lieu de prendre en compte, en l'espèce, la totalité des activités exercées par l'agent pour le compte de son commettant et de retenir le revenu global qu'il en retirait, dès lors que les fonctions logistique et administrative confiées à la société Lebreton étaient étroitement liées à son activité principale de prospection commerciale pour le compte de la société Butagaz dont elles constituaient un accessoire;

Qu'il y a lieu, compte tenu de l'ancienneté des relations poursuivies entre la société Butagaz et la société Lebreton et de l'importance de la contribution apportée par cet agent au développement des parts de marché de la société Butagaz dans la région considérée, compte tenu enfin de la clause de non-concurrence insérée à l'article 7-1 du contrat, qui n'a pu qu'aggraver les difficultés rencontrées par l'agent pour assurer sa reconversion, de porter à trois années le montant de l'indemnité due par la société Butagaz à son agent au titre de la cessation du contrat; que la société Butagaz, qui occupe une position importante mais pas prédominante sur le marché des gaz liquéfiés de pétrole dont elle détient environ 30 % n'est pas fondée à invoquer la nature oligopolistique de ce marché pour soutenir que la clause de non-concurrence stipulée au contrat d'agence est sans réelle portée;

Mais considérant qu'il n'est pas possible, en l'espèce, de prendre en compte la totalité des sommes versées à la société Lebreton qui comprennent pour une part prépondérante des sommes forfaitaires intitulées "rémunérations" ou "commissions", versées en réalité au titre de la prise en charge par le commettant des coûts d'exploitation de son agent qui se sont éteints du fait de la résiliation du contrat, sauf à englober dans cette indemnité un élément extérieur au préjudice subi;

Que selon l'article 5 du contrat et son annexe 2 à laquelle il renvoie, la rémunération versée à l'agent comprend en effet les cinq postes suivants:

1- un forfait de frais fixes versé mensuellement, incluant la couverture par le commettant de coûts réputés fixes (frais de fonctionnement, frais immobiliers, frais informatiques, frais de cariste et de chariot, coûts d'encadrement, partie fixe des coûts commerciaux conditionnés et des coûts administratifs),

2- des commission à la livraison, proportionnelles aux quantités livrées, destinées à rémunérer l'activité logistique (stockage, transport, livraison et tâches administratives correspondantes),

3- des commissions rémunérant la création de nouveaux clients et le suivi commercial des clients,

4- une rémunération complémentaire destinée à couvrir l'ensemble des charges d'exploitation contractuellement convenues entre la société Butagaz et son mandataire, qui ne sont pas couvertes par les commissions précédentes,

5- une contribution à l'effort de productivité, constituée par la prise en charge dégressive dans le temps par la société Butagaz sous forme de commissions mensuelles, de l'écart entre les coûts effectivement supportés par le mandataire et les coûts standard nationaux;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'à l'exception du troisième poste de cette rémunération, les sommes perçues par la société Lebreton étaient destinées essentiellement à couvrir les frais et charges exposés au titre de l'exécution de son mandat; que la société Butagaz déclare sans être contredite que cette rémunération concernait pour 40,05 % la fonction administrative, pour 44,38 % la fonction transport (chargement des camions, livraisons) et pour 15,57 % seulement la fonction développement commercial; qu'il résulte du rapport établi par le cabinet Mazars à la demande de l'intimée, non démenti sur ce point par la société Lebreton, que cette dernière, qui exerçait également une activité de négoce d'appareils électroménagers et d'appareils audiovisuels à laquelle elle a mis fin en 1997, a réalisé au titre de l'ensemble des activités exercées au titre du contrat Butagaz un résultat avant impôt moyen estimé (par référence au taux de rentabilité maximum soit 10 % du chiffre d'affaires, affiché dans les comptes de mandataires Butagaz mono-activité réalisant un chiffre d'affaires comparable) à 182 786 euros (1 999 000 F) au cours des années 1996, 1997 et 1998 précédant la résiliation du contrat;

Que la société Lebreton qui se borne à produire le montant total de ses commissions pour les exercices 1996, 1997 et 1998, n'apporte aucun élément ni sur la décomposition de ses résultats courants avant impôts par activité (négoce/mandat), ni sur la marge retirée de l'exercice des trois fonctions prévues par son mandat, ni enfin sur la part de ses commissions représentative d'une véritable rémunération de ses prestations et non d'un remboursement de ses coûts;

Considérant que la somme déjà versée à la société Lebreton par la société Butagaz, soit 1 132 434,50 euros TTC, qui correspond à six mois de "rémunérations totales" versées par le commettant à son agent, est largement supérieure à son RCAI estimé cumulé sur trois ans soit 548 358 euros;

Considérant qu'il convient de confirmer la décision entreprise;

Qu'il n'est pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel;

Par ces motifs, Confirme la décision entreprise, Y ajoutant, Déboute la société Lebreton Frères de ses demandes, Condamne la société Lebreton Frères aux dépens d'appel, Admet la SCP Teytaud, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.