CA Rennes, 2e ch. com., 13 mai 2003, n° 02-02887
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Thomas
Défendeur :
Happy Horse Distribution (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Letouze
Conseillers :
Mme Nivelle, M. Christien
Avoués :
SCP Guillou & Renaudin, SCP Gauvain & Demidoff
Avocats :
Mes Stokes, Lafont Gaudriot.
Exposé des faits - procédure - objet du recours:
Le 14 avril 1994 la société des établissements Forestier, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Happy Horse Distribution, a conclu avec Yann Thomas un contrat d'agent commercial aux termes duquel ce dernier avait pour mission de négocier la vente d'articles de sellerie, articles de poney, vêtements et chaussants et tous articles des établissements Forestier portés au catalogue;
Les parties avaient expressément spécifié que ce mandat d'intérêt commun était régi par la Loi du 25 juin 1991 aujourd'hui codifiée;
A la suite de la fusion-absorption des établissements Forestier par la société Happy Horse Distribution cette dernière a procédé à une refonte de son système de distribution et a proposé à Yann Thomas de devenir salarié ce qu'il a refusé;
Les relations des parties se sont alors dégradées et par courrier en date du 2 juillet 2000 la société Happy Horse Distribution a fait savoir à Yann Thomas qu'elle résiliait le contrat d'agence avec effet immédiat, sans préavis ni indemnité, estimant que l'attitude de Yann Thomas constituait une faute grave exclusive de tout droit à indemnité;
Par acte en date du 1er septembre 2000 Yann Thomas a fait assigner la société Happy Horse Distribution devant le Tribunal de commerce de Mantes qui par jugement en date du 28 mars 2002, recevant partiellement chacune des parties en ses demandes a:
- condamné la société Happy Horse Distribution à verser à Yann Thomas la somme de 33 724,14 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision;
- débouté les parties de leurs autres demandes et dit que chacune d'elle conserverait ses propres frais irrépétibles;
- condamné Yann Thomas aux dépens;
Yann Thomas a interjeté appel de cette décision;
Il demande à la cour, réformant la décision attaquée, de condamner la société Happy Horse Distribution à lui verser:
* 9 909,19 euros HT au titre de l'indemnité de préavis;
* 89 811,07 euros HT au titre de l'indemnité de cessation de contrat;
* 45 124,91 euros HT au titre de l'indemnité complémentaire de l'engagement de non- concurrence;
De la confirmer en ce qu'elle a condamné la société Happy Horse Distribution au paiement d'une somme de 3 253,49 euros au titre du solde des commissions;
De condamner en outre la société Happy Horse Distribution sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir à communiquer le relevé intégral des ventes effectuées sur le secteur de Yann Thomas depuis le début du contrat et jusqu'au 2 juillet 2000;
De débouter la société Happy Horse Distribution de l'ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement d'une somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Formant appel incident la société Happy Horse Distribution demande à la cour de dire Yann Thomas irrecevable et subsidiairement mal fondé en ses demandes;
De confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Yann Thomas de sa demande de communication du relevé des ventes et de condamnation de la société Happy Horse Distribution au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
De l'infirmer dans ses autres dispositions et en conséquence de:
- condamner Yann Thomas à lui payer la somme de 7 917,79 euros à titre de solde d'inventaire;
- ordonner la compensation entre cette somme et celles dont la société Happy Horse Distribution pourrait éventuellement être déclarée redevable;
- condamner Yann Thomas au paiement d'une somme de 30 500 euros à titre de dommages et intérêts par application des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil;
- condamner Yann Thomas au paiement de la somme de 36 355,14 euros en remboursement des sommes par lui perçues par lui au titre de l'exécution provisoire;
- condamner Yann Thomas au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Moyens proposés par les parties:
Considérant qu'au soutien de son recours Yann Thomas estime que le tribunal a fait une mauvaise application des dispositions de la Loi du 25 juin 1991 qui prévoit expressément qu'en cas de rupture du contrat d'agent commercial des indemnités de fin de contrat et de préavis sont dues à l'agent sauf en cas de faute grave de celui-ci;
Que la société Happy Horse Distribution ne démontre aucune faute grave imputable à l'agent dans la mesure où celui-ci, travailleur indépendant, n'a aucune directive à recevoir de son mandant qui tendrait à modifier l'économie du contrat;
Qu'en l'espèce l'ensemble des contraintes imposées par la société Happy Horse Distribution avaient pour conséquence de restreindre l'indépendance de l'agent commercial;
Que le fait de lui retirer la vente du produit phare du catalogue eu l'espèce la selle référencée "sel. 9 DISSAY" revient à vider le contrat d'agence de toute sa substance;
Considérant qu'il estime que la société Happy Horse Distribution ne démontre pas les difficultés financières qu'elle allègue pour justifier son attitude;
Que les sommes réclamées tant au titre du préavis qu'au titre de l'indemnité de cessation de contrat sont parfaitement justifiées;
Considérant, sur l'indemnité complémentaire du fait de l'engagement de non-concurrence, que l'appelant estime que la clause insérée au contrat l'a mis dans l'impossibilité d'exercer immédiatement une activité commerciale équivalente ce qui lui a indubitablement porté préjudice;
Considérant enfin que Yann Thomas estime justifiée sa demande relative aux ventes directes effectuées par la société Happy Horse Distribution entre le 1er juillet et le 1er août 2000 dans la mesure où il peut prétendre à une commission sur ces ventes effectuées à son insu;
Considérant en revanche que Yann Thomas estime injustifiées les demandes de la société Happy Horse Distribution relatives au solde d'inventaire;
Considérant que de son côté la société Happy Horse Distribution fait valoir au soutien de son recours:
- que Yann Thomas, qui était hostile à toute forme d'évolution de son contrat d'agent commercial, a adopté une attitude de blocage systématique afin de provoquer la rupture des relations contractuelles;
- qu'il a commis de nombreuses fautes exclusives de toute indemnité:
* non-respect des procédures et protocoles de commandes;
* refus de communication d'inventaire;
* refus de rendez-vous;
Considérant que la société Happy Horse Distribution estime qu'elle a, elle, poursuivi loyalement le contrat en dépit de l'attitude de Yann Thomas et qu'elle n'a effectué sur lui aucune pression qui pourrait lui être reprochée;
Qu'aucune indemnité du fait de la concurrence déloyale ne saurait en outre être réclamée;
Considérant qu'elle estime enfin que sa demande relative au communiqué du solde d'inventaire est parfaitement justifiée;
Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties la cour se réfère à la décision attaquée, et aux écritures des parties régulièrement signifiées;
Motifs de l'arrêt:
Considérant qu'aux termes des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation de ces relations est provoquée par une faute grave de l'agent;
Qu'il appartient le cas échéant au mandant de rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute;
Considérant en l'espèce qu'il résulte du dossier et des débats que la société Happy Horse Distribution, après avoir repris par fusion-absorption la SA Ets Forestier qui se trouvait en difficultés financière, a eu manifestement l'intention de modifier ses relations avec son agent commercial Yann Thomas en lui proposant dans un premier temps d'exercer les mêmes fonctions en qualité de salarié; que cette volonté est clairement exprimée dans un courrier en date du 15 mars 2000 dans lequel la société Happy Horse Distribution écrit: "nous souhaiterions mettre un terme au contrat d'agent commercial Consenti en son temps et vous intégrer en contrepartie eu sein de la société dans le cadre d'un contrat de travail;"
Que Yann Thomas n'a pas souhaité adhérer à cette proposition et que, tout en affirmant vouloir respecter sa décision, la société Happy Horse Distribution a fait en sorte par ses directives, de modifier unilatéralement l'économie du contrat d'agence qui précise dans son article 3 "Monsieur Thomas exercera son activité en toute indépendance d'une entière liberté dans l'organisation de sa prospection";
Considérant en effet que dès le 7 avril 2000 la société Happy Horse Distribution indiquait à Yann Thomas qu'il n'aurait plus la clientèle des particuliers et des clubs, révisait à la baisse le taux de commissionnement et fixait un nouvel objectif de chiffre d'affaires à atteindre (au demeurant très ambitieux);
Que devant le refus de Yann Thomas la société Happy Horse Distribution a continué par courrier du 21 avril d'imposer à son agent de nouvelles conditions de fonctionnement; que se fondant sur la modification des modèles de selles existant, elle s'est appuyée sur l'article 3 du contrat qui précise "que la SA établissements Forestier se réserve le droit de confier ou non la représentation de nouveaux produits à Monsieur Thomas", pour lui retirer la vente de ce produit;
Qu'ainsi et en dépit des protestations contenues dans sa lettre du 15 mai 2000 il est manifeste que la société Happy Horse Distribution avait l'intention de mettre fin au contrat d'agent commercial la liant à société Happy Horse Distribution pour des raisons de politique commerciale dont elle est seule à même d'apprécier le bien-fondé;
Considérant que pour échapper au paiement du préavis et de l'indemnité compensatrice la société Happy Horse Distribution doit rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave imputable à Yann Thomas et exclusive de toute indemnité;
Considérant en l'espèce que la société Happy Horse Distribution reproche à son agent commercial de n'avoir pas respecté les procédures et protocoles de commandes au mépris de l'intérêt commun des parties, d'avoir refusé de communiquer l'inventaire du stock comme son contrat d'agence lui en faisait obligation et d'avoir refusé de se rendre à un rendez-vous qui lui avait été fixé;
Considérant que ce dernier manquement, qui s'inscrit dans le cadre du conflit opposant Yann Thomas à son mandant ne saurait être pris en considération comme justifiant une rupture sans indemnité; que les manquements relatifs à la prise de commande ne sont pas établis et que le refus de communiquer les stocks (ce qui constitue effectivement une des obligations contractuelles du mandant )ne saurait être qualifié de faute grave étant observé que l'attitude d'obstruction de Yann Thomas, pour critiquable qu'elle soit, n'était en fait que la conséquence de la volonté affichée dès le début de leurs relations par la société Happy Horse Distribution de mettre fin au contrat d'agence;
Considérant par ailleurs que la société Happy Horse Distribution ne rapporte pas la preuve des différences de stocks qu'elle invoque;
Considérant ainsi que la société Happy Horse Distribution étant incontestablement à l'origine de la rupture du contrat d'agence, elle est tenue à l'encontre de Yann Thomas au paiement d'une indemnité de préavis ainsi que d'une indemnité compensatrice telle que prévues par la loi du 25 juin 1991 aujourd'hui codifiée;
Considérant que les montants réclamés par Yann Thomas ne sont pas contestés dans leur montant qui correspondent aux montants accordés en la matière;
Que de même les sommes allouées au titre des commissions restant ducs seront confirmées;
Sur l'indemnité au titre de la clause de non-concurrence
Considérant que l'article 7 du contrat signé entre Yann Thomas et la SA Ets Forestier le 14 avril 1994, qui vise improprement un "contrat de travail" alors que les parties ont bien précisé en tête de la convention qu'il s'agissait d'un mandat d'intérêt commua régi par la loi du 25 juin 1991, met à la charge de Yann Thomas une obligation de non-concurrence sur son secteur d'activité pour une durée de deux ans à compter de la cessation du contrat;
Qu'aucune obligation légale d'indemniser l'agent commercial du fait de l'existence de cette clause ne pèse sur le mandant;
Que la jurisprudence sur laquelle s'appuie Yann Thomas pour asseoir sa demande de ce chef concerne les VRP qui ont un statut de salarié, étant observé:
- que l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce est destinée à réparer l'intégralité du préjudice subi par l'agent du fait de la rupture du contrat;
- que la clause de non-concurrence ne portait que sur les selles, Yann Thomas ayant la possibilité de vendre tout autre matériel dès lors qu'il se trouve dans l'obligation de chercher un autre mandant;
- que le secteur géographique du contrat est limité outre la Loire Atlantique, à deux départements bretons (l'Ille-et-Vilaine et le Morbihan), à la Sarthe, la Mayenne et au Maine- et-Loire;
- que le contrat s été rompu il y a maintenant plus de deux ans;
Sur la demande de communication de pièces
Considérant que Yann Thomas réclame la condamnation sous astreinte de la société Happy Horse Distribution à justifier des ventes effectuées à son insu entre le 2 juillet et le 2 août 2000;
Mais considérant que c'est à bon droit que le tribunal l'a débouté de sa demande de ce chef dans la mesure où Yann Thomas n'apporte pas le moindre commencement de preuve de ses affirmations;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Yann Thomas l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure d'appel; qu'il convient de lui accorder la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que succombant en appel la société Happy Horse Distribution supportera les dépens de première instance et d'appel;
Décision
Par ces motifs, LA COUR Réformant la décision attaquée, Condamne la société Happy Horse Distribution à verser à Yann Thomas: - 9 909,19 euros HT au titre de l'indemnité de préavis; - 89 811,07 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice de cessation de contrat; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Happy Horse Distribution à verser à Yann Thomas la somme de 3 253,49 euros au titre du solde des commissions; Déboute les parties du surplus de leurs demandes; Condamne la société Happy Horse Distribution à verser à Yann Thomas la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Happy Horse Distribution aux dépens de première instance et d'appel;