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Décisions

Cass. com., 1 juillet 2003, n° 99-18.590

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Eurodec (Sté), Chimiotechnic (Sté), Lyon Participations (Sté)

Défendeur :

BTL (Sté), Laboratoires Anios (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Viricelle

Avocats :

Me Spinosi, SCP Célice, Blancpain, Soltner.

Paris, 5e ch. civ, sect. C, du 2 juill. …

2 juillet 1999

LA COUR: - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 1999), que les sociétés Groupe Choisy et Laboratoires Choisy, qui fabriquent et commercialisent des produits destinés au nettoyage des sols et à l'hygiène des industries et des collectivités, sont entrées en 1990 au capital de la société Eurodec, distributrice de produits d'entretien pour collectivités; que dans le cadre de cette opération, différents protocoles sociaux et financiers ont été signés entre les sociétés Groupe Choisy et Laboratoires Choisy et les autres sociétés actionnaires de la société Eurodec, parmi lesquelles les sociétés Chimiotechnic et Lyon participations, ainsi qu'un contrat d'approvisionnement non exclusif de la société Eurodec par la société Groupe Choisy (le Groupe Choisy); qu'en raison des difficultés rencontrées par la société Eurodec, un protocole du 8 septembre 1994 a été signé entre actionnaires qui, d'une part, a organisé une réduction des participations et engagements du Groupe Choisy dans la société Eurodec jusqu'au seuil de 15 % d'un capital social diminué avec confirmation d'un droit de retrait, et, d'autre part, a modifié le contrat d'approvisionnement qui a été assorti d'une clause d'exclusivité; qu'à la suite d'un désaccord dans l'exécution de ce protocole et des engagements commerciaux, le Groupe Choisy et les Laboratoires Choisy ont assigné, le 22 août 1996, les sociétés Eurodec, Chimiotechnic et Lyon participations en mainlevée des engagements du Groupe Choisy visés à l'article 1er du protocole du 8 septembre 1994 et en condamnation solidaire à réparer leur préjudice, au titre notamment de quotas non atteints dans le cadre du contrat d'approvisionnement; qu'en cours d'instance, le Groupe Choisy et les Laboratoires Choisy ont demandé la condamnation de ces mêmes sociétés au titre d'une concurrence déloyale, constituée par la commercialisation, via la société Eurodec, de produits de la société Chimiotechnic concurrents de ceux du Groupe Choisy sous une dénomination semblable; qu' ils ont également fait valoir qu'ils avaient été victimes d'un dol lors de la conclusion du protocole du 8 septembre 1994 en ce qu'ils ont découvert de manière rétroactive que le groupe majoritaire avait signé deux mois plus tôt à leur insu un pacte d'actionnaires avec les sociétés minoritaires BTL et Anios, en violation d'un pacte du 26 mai 1992 qui liait tous les actionnaires, et qu'ils n'auraient jamais accepté les nouvelles conditions du prix de leur participation dans le capital d'Eurodec, si ce pacte avait été porté à temps à leur connaissance;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches: - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt, confirmatif de ce chef, d'avoir condamné la société Eurodec, signataire d'un contrat d'approvisionnement, auprès de la société Groupe Choisy, à payer à celle-ci une indemnité de 1 500 000 F pour défaut de réalisation des quotas stipulés, alors, selon le moyen: - 1°) que la responsabilité contractuelle encourue du fait du non-respect du quota stipulé peut être écartée lorsque cette défaillance est imputable à une cause étrangère au souscripteur de l'engagement; qu'en s'abstenant de toute réponse au moyen des conclusions d'appel de la société Eurodec faisant valoir, statistiques des ventes du secteur concerné à l'appui, que le non-respect des quotas était imputable à "une baisse généralisée à cette époque des ventes dans ce secteur d'activité" (page 33 des conclusions récapitulatives), la cour d'appel a méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; - 2°) qu'en énonçant que la preuve du défaut de compétitivité des produits fournis par le Groupe Choisy n'était "pas apportée autrement que par des tableaux unilatéralement réalisés" cependant que les conclusions de la société Eurodec se référaient expressément à une "pièce n° 97" constituée d'une étude comparative demandée "à un organisme indépendant, le Centre technique international d'hygiène et propreté" et en s'abstenant de tout examen de ce document, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; - 3°) qu'un document régulièrement produit aux débats et soumis à la contradiction pouvant constituer une preuve, la cour d'appel a en outre violé l'article 1353 du Code civil; - 4°) qu'en s'abstenant de rechercher si, comme le faisait valoir la société Eurodec, l'économie du contrat prévoyant que le non-respect des quotas ouvrait à la société Groupe Choisy une faculté de résiliation n'impliquait pas nécessairement que cette sanction était exclusive de toute indemnité, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; - 5°) que la résiliation d'un contrat d'approvisionnement met fin aux obligations de quotas qu'il stipule même si les parties poursuivent d'un commun accord des relations commerciales libres pendant un certain temps; qu'en faisant application de la clause de quota pour les sept mois ayant suivi la résiliation du contrat par le Groupe Choisy, au motif que celui-ci aurait "consenti un préavis de fait au cours duquel il a approvisionné Eurodec", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil; - 6°) qu'enfin il incombe à celui qui réclame la réparation d'un préjudice d'en établir l'étendue; qu'en retenant le taux de marge brute de 28 % simplement allégué par le Groupe Choisy cependant que la société Eurodec faisait valoir que n'était versé aux débats "aucun document permettant d'étayer cette affirmation", la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate, par motifs adoptés, que les quotas, déjà en réduction notable par rapport aux engagements antérieurs, ont été fixés, en toute connaissance de cause, par des commerçants avertis, en tenant compte de la conjoncture, et au vu de l'expérience des années précédentes; qu'en l'état de ces constatations, dont il ressort que la fixation des quotas prenait en compte les perspectives d'évolution du marché concerné, lesquelles ne pouvaient être invoquées au titre de la cause étrangère de nature à exonérer la société Eurodec du manquement constitué par le non-respect des quotas litigieux, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions que ses constatations rendaient inopérantes;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel, qui retient, par motifs adoptés, que la société Eurodec ne produit pas de preuve convaincante à l'appui du défaut de compétitivité imputé aux produits du Groupe Choisy, et qui relève, par motifs propres, que cette preuve n'a pas été apportée autrement que par des tableaux unilatéralement réalisés, n'a fait qu'exercer son pouvoir souverain d'appréciation des preuves produites, sans avoir à s'expliquer sur les éléments qu'elle n'a pas retenus;

Attendu, en troisième lieu, qu'en énonçant qu'outre le droit de retrait qu'il a finalement exercé, le Groupe Choisy est fondé à voir sanctionner les manquements de son partenaire par des dommages-intérêts, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les stipulations contractuelles, lesquelles ne comportaient aucune clause expresse limitant l'indemnisation due dans l'hypothèse du non-respect des clauses de quotas, n'encourt pas le grief de la quatrième branche du moyen;

Et attendu, en quatrième lieu, que, sous couvert de griefs infondés de violation de la loi, les cinquième et sixième branches ne tendent qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond du montant des dommages-intérêts dus au Groupe Choisy; Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches; - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt, infirmatif de ce chef d'avoir prononcé des mesures d'interdiction et d'indemnisation au titre de la commercialisation d'une gamme de produits d'entretien sous les dénominations "Demosol'méga, Demosol'minute, Demosol'turbo et Demosol'turbo +, Norol'crème, Norol'light, Norol'cristal, Norol'destructor floral et agrume", alors, selon le moyen: - 1°) que la concurrence déloyale exige un risque de confusion entre les produits; qu'après avoir elle-même relevé "la banalité sans protection des autres qualificatifs" constituant les seuls éléments communs entre les dénominations en présence, ce dont résultait l'absence de risque de confusion issu de leur usage, la cour d'appel ne pouvait déclarer cet usage fautif ni l'interdire sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1382 du Code civil; - 2°) qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société Eurodec faisant valoir que la comparaison des anciens et des nouveaux catalogues révélait que non seulement la dénomination des produits avait changé par abandon du terme Choisy "mais également leur conditionnement ainsi que leur étiquetage" de sorte que "le risque de confusion allégué apparaît tout à fait inexistant", la cour d'appel a méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; - 3°) qu'en fournissant une motivation générale cependant que la mesure d'interdiction prononcée à l'égard de plusieurs dénominations précises exigeait que pour chacune d'entre elles, soit constaté le risque de confusion susceptible de résulter de son usage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile; - 4°) que des agissements ne peuvent être qualifiés de parasitaires et fautifs que s'ils procurent à l'auteur d'une imitation une économie tenant aux efforts et aux investissements consentis par l'imitateur de l'élément imité; que la cour d'appel, qui n'a constaté ni une initiative, ni un quelconque effort à cet égard de la société Groupe Choisy, dont le jugement infirmé relevait au contraire qu'elle n'établissait pas l'existence d'un lien entre les dénominations en cause "avec une activité commerciale propre à Choisy, que ce soit au Canada ou ailleurs", n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu que la cour d'appel qui n'a pas relevé la banalité des dénominations en cause, laquelle était invoquée par la société Chimiotechnic, a estimé souverainement que le lancement, par la société Chimiotechnic, d'une gamme de produits qui reprend la gamme des produits du Groupe Choisy, en remplaçant le terme Choisy par ceux de Demosol ou de Norol qui sont la propriété de la société Chimiotechnic, en complétant ces appellations utilisées du temps de la collaboration entre les sociétés, de façon systématique et globale, créait une confusion dans l'esprit de la clientèle et constituait une approbation déloyale du marché français conquis précédemment par les fabrications du Groupe Choisy; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que la faute résultait de la commercialisation, par la société Chimiotechnic, d'une gamme entière de produits concurrents de ceux du Groupe Choisy, auxquels ils ont été substitués, sous une dénomination comparable source de confusion, dans le même réseau de distribution, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision, qu'elle a motivée, sans avoir à faire la recherche invoquée à la quatrième branche du moyen, inopérante en l'état de la faute retenue; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches: - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir dit que "les sociétés Eurodec, Chimiotechnic et Lyon participations ont commis une manœuvre déloyale en signant, le 4 juillet 1994, avec les sociétés BTL et Anios un pacte d'actionnaires à l'insu du Groupe Choisy", alors, selon le moyen: - 1°) que la demande de la société Groupe Choisy concernant le dol prétendument commis lors de la signature du protocole du 8 septembre 1994 du fait de la dissimulation alléguée du pacte antérieurement conclu, la cour d'appel ne pouvait déclarer déloyale et fautive la signature elle-même de ce pacte le 4 juillet 1994 sans méconnaître les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile; - 2°) qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi "les nouvelles facultés de retrait négociées par les sociétés BTL et Anios faisaient basculer le groupe minoritaire dans les mains du groupe majoritaire", ce qui seul justifiait qu'il dut être notifié au Groupe Choisy, la cour d'appel a privé sa décision de motifs au regard des articles 1116 et 1134 du Code civil;

Mais attendu, d'une part, que le Groupe Choisy se prévalait de ce que lui avait été cachée la signature, le 4 juillet 1994, d'un pacte d'actionnaires, dont la connaissance l'aurait conduit à exercer le droit de retrait qui lui était reconnu par un protocole du 26 mai 1992, et à ne pas signer le protocole du 8 septembre 1994, lequel était moins avantageux pour lui; qu'il s'en déduit que la cour d'appel, qui a retenu que les sociétés Eurodec, Chimiotechnic et Lyon participations ont commis une manœuvre déloyale en signant, le 4 juillet 1994, avec les sociétés BTL et Anios, un pacte d'actionnaires à l'insu du Groupe Choisy, retenant ainsi la faute tirée de la dissimulation du pacte litigieux au Groupe Choisy, n'a pas violé l'objet du litige;

Et attendu, d'autre part, qu'en l'état des écritures des sociétés Eurodec, Chimiotechnic et Lyon participations qui se contentaient de soutenir que le pacte critiqué n'entrait pas dans le champ d'application de l'obligation d'information prévue au protocole du 26 mai 1992, sans faire valoir qu'il n'avait pas en outre pour effet d'entraîner une perte de majorité pour le groupe majoritaire ou de minorité de blocage pour le groupe minoritaire, la cour d'appel, qui a constaté que tel était l'effet du pacte litigieux, a motivé sa décision; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches;

Par ces motifs: Rejette le pourvoi.