CA Paris, 13e ch. B, 5 décembre 1997, n° 97-02069-A
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
UFC Que Choisir, Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Avocat général :
Mme Auclair
Conseillers :
Mmes Verleene-Thomas, Marie
Avocats :
Me Iscovici, Antonini
RAPPEL DE LA PROCÉDURE :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré M Francis coupable de complicité de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, courant octobre 1994, à Paris et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L.121-6 AL.1 Code de la consommation, Art. 121-6 et 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L.121-6, L.213-1 Code de la consommation, Art. 121-6 et 121-7 du Code pénal,
Et, en application de ces articles, l'a condamné à 20 000 F d'amende,
A assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F;
Sur l'action civile : le tribunal a reçu l'UFC en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement Francis M avec deux co-prévenus non en cause d'appel à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur M Francis, le 29 Avril 1997, sur les dispositions pénales et civiles,
M. le Procureur de la République, le 29 Avril 1997 contre Monsieur M Francis
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;
M Francis demande à la cour de le recevoir en ses appels, prononcer la jonction des instances ayant donné lieu aux jugements des 29 janvier et 23 avril 1997, y faisant droit de réformer les jugements entrepris, de dire et juger qu'en l'absence d'éléments démontrant que M Francis ait entendu sciemment aider ou assister à la commission du délit de publicité mensongère, qu'il y a lieu de prononcer sa relaxe pure et simple des fins de la poursuite et débouter la partie civile, l'Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir de ses entières demandes, fins et conclusions.
Il expose à cet effet qu'après avoir procédé ainsi, le tribunal a excédé les pouvoirs qu'il tenait de la loi en le condamnant en qualité de Directeur de la publication, sans tenir compte des dispositions expresses qui régissent la répression de la publicité mensongère ainsi que celles qui sanctionnent les faits fautifs en matière de presse.
M Francis fait valoir à la cour que :
Par acte du 9 novembre 1996, sur plainte de l'Union Fédérale des Consommateurs, Monsieur le Procureur de la République a fait citer à comparaître Monsieur Francis M du chef de complicité du délit de publicité mensongère, réalisé par la publication d'une publicité en octobre 1994, dans deux magazines dépendant du groupe de presse X dont il était le Président Directeur Général : magazine Y.
La citation critique les termes suivants : "le bermuda Z permet de mincir vite et sans effort" et le fait de montrer des photos avant et après l'utilisation du bermuda.
En fait, il ne s'agit pas de photos, mais de simples dessins, qui ont une valeur beaucoup moins probante pour le consommateur moyen que des clichés censés reproduire la réalité.
S'agissant des autres éléments de l'annonce, on peut constater que le produit promu est classique et bien connu, et que ce vêtement crée nécessairement un effet de sudation produisant une élimination des toxines susceptibles de permettre une perte d'excédent graisseux, notamment sous le ventre.
On remarquera en outre que la publicité en cause n'emploie pas de termes excessivement superlatifs ni exagérés dans la mesure où il est simplement indiqué que " par son effet thermique localisé, Z affine votre silhouette. "
En dernier lieu, il s'avère que la publicité telle que reprise dans le magazine Y est identique à celle qui a été publiée dans les autres journaux dont les directeurs de publication sont poursuivi et qu'elle a été soumise semble-t-il par ceux-ci au Bureau de Vérification de la Publicité qui, interrogé au cours de l'enquête, estime lui-même qu'il n'y a pas d'allégation mensongère dans la publicité considérée.
Le ùinistère Public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en raison de l'importance accordée par les consommateurs à ce genre de publicité, dont le caractère naïf et grossier est mis en évidence par le présent arrêt, qui démontre le pouvoir qu'à la presse écrite de faire naître des commandes importantes pour des produits illusoires qui ne peuvent provoquer aucun résultat probant.
L'Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir, expose que Francis M était le Directeur de publication du magazine Y ;
Que dans le support a été publiée la publicité relative au Bermuda Thermo Amincissant ;
Que cette publicité indiquait " 5 10 15 20 kilos en moins, les kilos fondent dés le premier jour, la méthode ne nécessite aucun effort, aucun régime, aucune contrainte ".
Que là encore la publicité est soutenue par le visuel d'une personne étant supposée avoir perdu 38 kilos après utilisation du produit ;
Que des témoignages de consommateurs sont également produits ;
Que tous ces éléments sont destinés à persuader les consommateurs de la fiabilité des résultats du sérieux du produit ;
Que Francis M a reconnu devant le tribunal qu'il avait notamment pour fonction d'indiquer aux services de publicité, vers lesquels il tentait de rejeter la responsabilité de la parution, les réglementations qui ne pouvaient être transgressées ;
Que le tribunal a justement rappelé que les annonceurs et les directeurs de publication étaient particulièrement critiquables s'agissant de la santé des consommateurs ;
Que nous sommes en effet en présence de publicités présentant des produits susceptibles de soulager les consommateurs confrontés à des problèmes de poids et souvent complexés et fragilisés ;
Que Francis M cherchera vainement à invoquer la responsabilité de la régie publicitaire après avoir tenté de se retrancher derrière son service de publicité, l'annonceur donc M. M, se réservant la possibilité de refuser toute publicité contraire à ses intérêts matériels et moraux ;
Que la cour ne pourra que confirmer les dispositions pénales et civiles du jugement dont appel ;
Que l'UFC multiplie les actions de prévention, d'information des consommateurs pour dénoncer les publicités sur les "produits miracles", pour limiter le nombre de consommateurs victimes, pour aider les victimes à obtenir réparation ;
Que les millions investis par les annonceurs avec la complicité de magazines à grands tirages pour abuser des consommateurs nécessitent une multiplication de l'information donnée aux consommateurs ;
Que l'UFC est bien fondée à solliciter la confirmation du jugement en ce qu'il a alloué au titre de réparation du préjudice collectif des consommateurs une indemnité de 20 000 F;
Qu'il sera juste d'allouer une indemnité complémentaire de 8 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en sus de la faible indemnité de 1 500 F allouée par le tribunal sur le même fondement.
En conséquence l'Union Fédérale des Consommateurs "Que Choisir" demande à la cour de:
Confirmer le jugement du 29 janvier 1997 en toutes ses dispositions pénales et civiles ;
Et de lui allouer en sus une indemnité de 8 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Sur citation directe l'UFC "Que Choisir" en date du 17 février 1995, a déposé plainte auprès du Procureur de la République pour des faits de publicité mensongère dénonçant la publication dans divers magazines de publicité pour un panty amincissant de telle sorte que M Francis est prévenu de s'être à Paris et sur le territoire national, courant octobre 1994, par aide ou assistance, rendu complice du délit de publicité mensongère reproché à N Gilles, par diffusion de publicité comportant des allégations indications ou présentations fausses, ou de nature à induire en erreur sur l'existence, la nature, les qualités substantielles, les propriétés d'un bien, les conditions de son utilisation, les résultats qui peuvent être attendus de son utilisation et la portée des engagements pris par l'annonceur, en indiquant faussement dans le numéro 1499 du magazine Y que le bermuda Z permet de mincir vite et sans effort, et en montrant des photographies avant et après, l'utilisation de ce bermuda.
N Gilles, Président Directeur Général de la société A située à Croix (59) a sollicité M Francis Directeur de publication du magazine Y, paru le 31 octobre 1994, sous le numéro 1499, paru en vue de la publication d'une publicité concernant le bermuda Z. En page n° 29 figure la publicité :
"Mincir Vite? Avec Z !
Enfin ! Vous pouvez agir efficacement et sans effort
Par son effet thermique localisé Z affine votre silhouette
Sa texture spécialement étudiée accumule de la chaleur
Son tissu masse vos hanches, votre ventre et vos fesses
Ainsi à chaque mouvement que vous faites à la maison ou au travail Z agit pour vous."
Z produit ainsi promu, crée nécessairement un effet de sudation qui peut produire une lente diminution de toxines, qui peut entraîner à long terme une perte des excédents graisseux, notamment sur les fesses et le ventre, à condition d'être dans la plupart des cas accompagné d'un régime.
Il incombait à N, en sa qualité d'annonceur de justifier de l'exactitude et de l'absence d'ambiguïté des affirmations contenues dans le message publicitaire incriminé.
N ne produit aucun document démontrant que Z entraîne un amincissement rapide, efficace et facile. Les tests qu'il a versés aux débats ne présentent aucun caractère probant. Ils ne concernent que huit personnes sans qu'il soit fait mention des conditions dans lesquelles ils ont été réalisés.
Ils ne peuvent justifier le croquis "après" qui figure sous le texte incriminé et qui montre une silhouette, sans panty, ayant perdu les bourrelets disgracieux apparaissent sur le croquis "avant" ; la perte de poids par sujet testé étant " peu significative ".
Il résulte des conditions d'existence actuelles, que les corps féminins ont tendance à grossir de façon lente mais inopinée ; beaucoup de femmes sont à la recherche du produit "miracle" qui leur permettra de s'amincir vite et sans effort ; de la façon dont il est présenté Z paraît être ce produit miraculeux, leur permettant d'agir vite "efficacement et sans effort" est présenté faussement comme agissant par " son effort thermique localisé " affine la silhouette.
Cette publicité est donc de nature à induire en erreur ; il appartient à M Francis Directeur de publication, au courant des techniques publicitaires et du marketing d'être vigilant dans un domaine touchant à la fois la santé et à l'esthétique du consommateur, et plus généralement à leur forme pour lequel il existe une sensibilité très particulière et bien connue des annonceurs.
Ainsi en acceptant de diffuser la publicité susvisée, aux allégations manifestement mensongères, accompagnées de croquis permettant des résultats impossibles, M Francis s'est rendu coupable du délit de complicité qui lui est reproché.
Il est nécessaire de disjoindre son cas et d'ordonner sa condamnation dans les termes du dispositif.
L'Union Fédérale des Consommateurs " Que Choisir " se constitue partie civile et demande à la Cour de condamner M Francis à lui verser la somme de 50 000 F de dommages-intérêts et celle de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Cette association ayant pour objet la défense des consommateurs l'UFC Que Choisir, a subi du fait de l'infraction reprochée au prévenu M un préjudice personnel dont il lui doit réparation dans les termes du dispositif.
Elle sera déboutée de sa demande à l'encontre du magazine Y qui n'a pas été cité dans cette affaire.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, confirme la décision de disjonction concernant M Francis, confirme le jugement entrepris en le déclarant coupable du délit de complicité de nature mensongère et de nature à induire en erreur, Condamne en conséquence M Francis à 20 000 F d'amende et à payer à I'UFC Que Choisir la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.