CJCE, 5e ch., 27 novembre 2003, n° C-34/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Enirisorse SpA
Défendeur :
Ministero delle Finanze,
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jann (faisant fonction)
Avocat général :
Mme Stix-Hackl
Juges :
MM. Timmermans, Rosas, Edward, Von Bahr (rapporteur)
Avocats :
Mes Guarino, Guarino, Aiello.
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par cinq ordonnances du 12 juillet 2000, parvenues à la Cour le 25 janvier 2001, la Corte suprema di cassazione a posé, en vertu de l'article 234 CE, cinq questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 12 du traité CE (devenu, après modification, article 25 CE), 13 du traité CE (abrogé par la traité d'Amsterdam), 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE), 86 et 90 du traité CE (devenus articles 82 CE et 86 CE), 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE), 93 du traité CE (devenu article 88 CE) et 95 du traité CE (devenu, après modification, article 90 CE).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Enirisorse SpA (ci-après "Enirisorse") au Ministero delle Finanze (ministère des Finances) au sujet du paiement d'une taxe portuaire qui lui est réclamée par ce dernier en raison de chargements et de déchargements de marchandises dans le port de Cagliari, en Sardaigne (Italie).
La réglementation nationale
3. La loi n° 961, du 9 octobre 1967 (GURI n° 272, du 30 octobre 1967), a institué les Aziende dei mezzi meccanici e dei magazzini (entreprises responsables des équipements mécaniques et des entrepôts, ci-après, ensemble, les "Aziende" ou, au singulier, l'"Azienda") dans les ports d'Ancône, Cagliari, Livourne, La Spezia, Messine et Savone (Italie). Cette loi, telle que modifiée par la loi n° 494, du 10 octobre 1974 (GURI n° 274, du 21 octobre 1974, p. 7190), précise le statut des Aziende, leur champ d'activité et les moyens dont elles disposent.
4. Les Aziende sont des établissements économiques publics placés sous le contrôle duMinistero della Marina mercantile (ministère de la Marine marchande).En vertu de la loi n° 961, elles sont chargées de gérer les équipements mécaniques de chargement et de déchargement, les aires de stockage, ainsi que d'autres biens mobiliers et immobiliers détenus par l'État et affectés au trafic de marchandises.Elles ont également pour fonction de veiller à l'achat, à l'entretien, à la transformation et à l'amélioration des biens qu'elles gèrent, ainsi que d'exercer toute autre activité liée aux activités précédentes.
5. Les Aziende peuvent être autorisées à fournir d'autres services commerciaux relatifs aux ports, à assurer la gestion d'équipements ainsi que d'installations dont l'État n'est pas propriétaire et à exécuter les tâches, dont elles sont chargées par la loi, dans d'autres ports faisant partie de la circonscription territoriale du port où leur siège est situé.
6. Les moyens financiers dont disposent les Aziende pour s'acquitter de leurs tâches comprennent le produit des biens qu'elles gèrent, y compris, selon les observations du Gouvernement italien, les rémunérations qu'elles perçoivent pour leurs activités commerciales telles que le chargement et le déchargement de marchandises, ainsi que les fonds résultant de prêts ou d'autres opérations financières.
7. Toutes les dépenses afférentes au fonctionnement des biens d'équipement sont à la charge exclusive des Aziende. En revanche, les dépenses requises pour l'installation de nouveaux équipements sont normalement à la charge du ministère de la Marine marchande, bien que, si leur budget le leur permet, les Aziende puissent assumer ces dépenses elles-mêmes.
8. En 1974, une taxe sur le chargement et le déchargement des marchandises a été instaurée dans tous les ports d'Italie, en vertu du décret-loi n° 47, du 28 février 1974 (GURI n° 68, du 13 mars 1974, p. 1749, ci-après le "décret-loi n° 47-74"), converti en loi, après modifications, par la loi n° 117, du 16 avril 1974 (GURI n° 115, du 4 mai 1974, p. 3123). Cette taxe est versée au Trésor public. Elle est applicable aux marchandises transportées par voie maritime ainsi que par voie aérienne.
9. Le montant de cette taxe, qui ne peut excéder 90 ITL par tonne métrique de marchandises, est déterminé et modifié pour chaque port par décret du président de la République, compte tenu de la nature des marchandises et du coût moyen de gestion des services.
10. Par le décret-loi n° 47-74, le législateur a maintenu la disposition instituée par la loi n° 82, du 9 février 1963, portant révision des taxes et des droits maritimes (GURI n° 52, du 23 février 1963), qui prévoyait déjà l'application d'une taxe sur les marchandises chargées, déchargées ou en transit dans les ports de Gênes, Naples, Livourne, Civitavecchia, Trieste, Savone et Brindisi (Italie).
11. La loi n° 355, du 5 mai 1976, relative à l'extension aux Aziende des ports d'Ancône, de Cagliari, de Livourne, de la Spezia et de Messine de certains avantages prévus pour les organismes portuaires (GURI n° 147, du 5 juin 1976, p. 4382, ci-après la "loi n° 355-76"), prévoit que les marchandises chargées et déchargées dans ces ports sont soumises à la taxe prévue par la loi n° 82, du 9 février 1963 (ci-après la "taxe portuaire"). Elle précise que le produit de cette taxe est affecté, à hauteur des deux tiers, aux Aziende pour l'accomplissement de leurs tâches, le troisième tiers revenant à l'État.
12. L'article 1er du décret du président de la République, du 12 mai 1977, portant détermination de la taxe établie par la loi n° 355, du 5 mai 1976 (GURI n° 270, du 4 octobre 1977, p. 7175), fixe les barèmes applicables au montant de la taxe portuaire. Celui-ci varie de 15 ITL à 90 ITL par tonne métrique selon les marchandises concernées.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13. Enirisorse a effectué, par ses propres moyens en main-d'œuvre et en matériel, des opérations de chargement et de déchargement de marchandises nationales et étrangères, dans le port de Cagliari, sans utiliser les services de l'Azienda opérant dans ce port. Ayant reçu du Ministero delle Finanze plusieurs injonctions de payer la taxe portuaire prévue par la loi n° 355-76, elle a formé opposition à ces injonctions en alléguant notamment l'illégalité du décret du président de la République du 12 mai 1977 au regard du droit communautaire.
14. Le Tribunale di Cagliari (Italie) ayant rejeté ces oppositions, Enirisorse a interjeté appel devant la Corte d'appello di Cagliari (Italie). Cet appel ayant été rejeté par arrêt de cette dernière du 11 mars 1998, Enirisorse s'est alors pourvue en cassation.
15. Devant la Corte suprema di cassazione, Enirisorse a fait valoir que la législation nationale entraîne des distorsions de concurrence dans la mesure où la taxe portuaire est due même si l'opérateur ne recourt pas aux prestations d'une Azienda, en l'espèce celle du port de Cagliari. La législation serait contraire aux articles 86 et 90 du traité. La perception par les Aziende d'une part importante de la taxe portuaire constituerait, par ailleurs, une aide d'État au sens des articles 92 et 93 du même traité.
16. La Corte suprema di cassazione indique, dans les ordonnances de renvoi, que l'objectif de la législation en cause est, selon le juge du fond, de rétribuer l'administration pour les frais et les coûts liés aux prestations publiques relatives à la manutention des marchandises. Selon ce dernier, il n'est pas nécessaire de bénéficier effectivement des services de manutention rendus par l'entreprise publique, l'usager retirant des avantages généraux des activités de celle-ci.
17. La juridiction de renvoi s'interroge sur la compatibilité de la législation nationale non seulement avec les dispositions du droit communautaire mentionnées par Enirisorse, mais également avec les articles 12, 13, 30 et 95 du traité.
18. C'est dans ces conditions que la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
1) L'attribution à une entreprise publique - opérant sur le marché des opérations portuaires de chargement et de déchargement de marchandises - d'une partie importante d'une imposition (taxe portuaire de chargement et de déchargement de marchandises) payée à l'État par des opérateurs qui n'ont bénéficié d'aucun service ou d'aucune prestation de ladite entreprise, constitue-t-elle un droit spécial ou exclusif ou une mesure contraire aux règles du traité et, en particulier, aux règles relatives à la concurrence, au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité?
2) Indépendamment de la question précédente, l'attribution à ladite entreprise publique d'une partie importante du produit de l'imposition donne-t-elle lieu à un abus de position dominante résultant d'une mesure législative nationale et est-elle donc contraire aux dispositions combinées des articles 86 et 90 du traité?
3) L'attribution à cette entreprise d'une partie importante de ladite imposition peut-elle être qualifiée d'aide d'État, au sens de l'article 92 du traité, et justifie-t-elle donc, en l'absence de notification à la Commission ou de décision d'incompatibilité de l'aide avec le Marché commun rendue par cette dernière conformément à l'article 93, que le juge national exerce les pouvoirs qui lui sont attribués - d'après la jurisprudence de la Cour de justice - pour veiller à ce qu'une aide illégale et/ou incompatible ne s'applique pas?
4) L'attribution à l'entreprise publique précitée, dès l'origine, d'une partie importante du produit d'une imposition d'État perçue en vue ou à l'occasion du déchargement ou du chargement de marchandises dans les ports sans qu'aucune prestation ou aucun service de l'entreprise elle-même corresponde à cette perception, constitue-t-elle une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à l'importation (interdite par les articles 12 et 13 du traité) ou une imposition intérieure sur les produits des autres États membres, supérieure à celles qui frappent les produits nationaux similaires (article 95), ou un obstacle aux importations interdit par l'article 30?
5) Dans l'hypothèse où la législation nationale est contraire au droit communautaire, les motifs d'illégalité soulevés ci-dessus visent-ils, chacun en ce qui le concerne, l'imposition dans son ensemble ou uniquement la partie attribuée à l'Azienda Mezzi Meccanici?"
19. Par ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, les affaires C-34-01 à C-38-01 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.
Observations liminaires
20. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande si l'illégalité éventuelle du mécanisme d'imposition, examiné à la lumière des règles visées dans chacune des questions précédentes, affecte une partie seulement de ce mécanisme, à savoir l'attribution des deux tiers du produit de la taxe en cause à l'Azienda, ou bien l'ensemble du mécanisme d'imposition, en ce compris l'attribution et la perception du montant total de cette taxe. La cinquième question se rapportant ainsi aux quatre questions précédentes, il n'y sera pas répondu séparément mais, le cas échéant, dans le cadre de l'examen de ces dernières.
21. Étant donné que la mesure en cause au principal porte sur l'attribution par l'État d'une partie du produit d'une taxe à une entreprise, il convient d'examiner en premier lieu la compatibilité d'une telle mesure avec les règles du traité sur les aides d'État et par conséquent de répondre d'abord à la troisième question.
Sur la troisième question
22. Par sa troisième question, lue à la lumière de la cinquième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la mesure par laquelle un État membre attribue à une entreprise publique une partie importante d'une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, constitue une aide d'État, au sens de l'article 92 du traité, et si, en l'absence de notification de cette mesure à la Commission ou de décision de cette dernière relative à la compatibilité de l'aide avec le Marché commun, adoptée conformément à l'article 93 dudit traité, cette juridiction peut exercer les pouvoirs qui lui sont attribués pour veiller à ce qu'une aide illégale et/ou incompatible avec le Marché commun ne s'applique pas. Au cas où la mesure en cause constituerait une aide illégale ou incompatible avec le Marché commun, elle demande si l'illégalité ou l'incompatibilité est limitée à la partie de la taxe attribuée à l'entreprise publique concernée ou si elle s'étend à la perception auprès des usagers de la partie correspondant au montant ainsi attribué, ou encore si elle affecte l'intégralité de la taxe.
23. Enirisorse et la Commission soutiennent que l'attribution d'une partie importante de la taxe portuaire à l'Azienda de Cagliari constitue une aide d'État. Il s'agirait d'une mesure prise en faveur d'une entreprise qui affecte les échanges intracommunautaires; l'aide serait accordée au moyen de ressources de l'État; elle fausserait ou menacerait de fausser la concurrence étant donné que cette Azienda est en concurrence avec des entreprises d'autres États membres, telles que les compagnies de navigation, qui entendent exercer ces activités dans le cadre d'un régime d'"automanutention". En outre, les concurrents incluraient également les entreprises privées opérant pour le compte de tiers. L'aide n'ayant pas été notifiée à la Commission, elle constituerait une aide illégale qui ne pourrait pas, en l'espèce, être justifiée par la dérogation prévue à l'article 90, paragraphe 2, du traité. Le juge national serait donc tenu d'écarter l'aide illégale.
24. Le Gouvernement italien considère, quant à lui, que la mesure en cause n'affecte pas le commerce entre États membres, compte tenu du volume limité du trafic dans les ports concernés, notamment celui de Portovesme, en Sardaigne (Italie), et que, dès lors, elle ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Ce Gouvernement souligne, par ailleurs, l'objectif socioéconomique de la taxe portuaire, qui est de garantir la survie et le maintien en fonctionnement des cinq ports concernés. Il soutient que, si les coûts du service de manutention devaient peser intégralement sur les bénéficiaires réels des services, le prix qui en résulterait, eu égard aux coûts fixes élevés et au trafic maritime limité dans ces ports, deviendrait trop élevé pour les opérateurs. Enfin, même si ladite taxe devait être considérée comme une aide d'État, le Gouvernement italien soutient qu'elle devrait être jugée compatible avec le Marché commun, au regard de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, puisqu'il s'agit d'une aide destinée au développement de certaines activités ou de certaines régions économiques au sens de cette disposition.
25. Afin de répondre à la question posée, il convient d'examiner si les différentes conditions relatives à la notion d'aide d'État énoncées à l'article 92, paragraphe 1, du traité sont remplies.
26. En premier lieu, il doit s'agir d'une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État. S'agissant de la taxe portuaire, cette condition est remplie puisque les sommes versées aux Aziende, qui représentent une partie importante de cette taxe, proviennent du budget de l'État et constituent donc des ressources étatiques.
27. En deuxième lieu, l'intervention de l'État doit être susceptible d'affecter le commerce entre États membres.
28. À cet égard, il convient de rappeler qu'il n'existe pas de seuil ou de pourcentage au-dessous duquel on peut considérer que les échanges entre États membres ne sont pas affectés. En effet, l'importance relativement faible d'une aide ou la taille relativement modeste de l'entreprise bénéficiaire n'excluent pas a priori l'éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (voir arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C-280-00, non encore publié au Recueil, point 81). La possibilité d'une influence sur les échanges apparaît d'autant plus probable, dans les affaires au principal, que la taxe portuaire est attribuée à une entreprise établie dans un port et payée par des compagnies de navigation, dans le cadre du chargement et du déchargement de marchandises, quelle que soit leur provenance.
29. En troisième lieu, l'aide doit pouvoir être considérée comme un avantage consenti à l'entreprise bénéficiaire et, en quatrième lieu, cet avantage doit fausser ou menacer de fausser la concurrence.
30. À cet égard, il convient de rappeler que sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l'entreprise bénéficiaire n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, point 84).
31. En revanche, dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d'un avantage financier et que ladite intervention n'a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne relève pas de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Cependant, pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d'aide d'État, un certain nombre de conditions doivent être réunies (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, points 87 et 88).
32. En premier lieu, l'entreprise bénéficiaire de l'aide doit effectivement être chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, point 89).
33. À cet égard, la Cour a déjà jugé qu'il ne ressort pas de sa jurisprudence que l'exploitation de tout port de commerce relève de la gestion d'un service d'intérêt économique général (voir arrêt du 17 juillet 1997, GT-Link, C-242-95, Rec. p. I-4449, point 52). Une telle activité n'entraîne donc pas automatiquement l'accomplissement de missions de service public.
34. Or, il y a lieu de constater qu'il ne ressort pas du dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi que les Aziende ont été chargées d'une mission de service public ni, a fortiori, que celle-ci a été clairement définie.
35. En second lieu, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de manière objective et transparente, afin d'éviter qu'elle ne comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, point 90).
36. À cet égard, le Gouvernement italien indique que l'attribution d'une partie importante de la taxe portuaire aux Aziende, laquelle s'ajoute aux tarifs appliqués par ces dernières, est nécessaire afin de maintenir ces tarifs à un niveau supportable par les opérateurs. En outre, une telle attribution permettrait de maintenir le fonctionnement des ports concernés.
37. De telles indications ne suffisent cependant pas à répondre à la condition susmentionnée. En particulier, elles ne font pas ressortir en quoi consiste précisément le prétendu service public ni si ce sont uniquement les opérations de chargement et de déchargement dans les ports concernés qui sont visées ou si des prestations telles que la sécurité de l'accostage sont également couvertes. En outre, les observations du Gouvernement italien n'apportent pas non plus de précisions sur les coûts de ces services ni sur l'évaluation de la compensation prétendument nécessaire.
38. Il ressort au contraire de l'ordonnance de renvoi dans l'affaire C-34-01 et des observations présentées devant la Cour par Enirisorse et par la Commission que le montant du produit de la taxe portuaire reversé aux Aziende ne reflète pas les coûts réellement exposés par ces dernières aux fins de fournir leurs services de chargement et de déchargement, ce montant étant lié au volume de marchandises transportées par l'ensemble des usagers et convoyées dans les ports concernés. Le montant reversé est ainsi fonction du degré d'activité dans le ou les ports en cause.
39. Or, un tel système ne répond pas à l'exigence selon laquelle la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations (voir arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, point 92).
40. Il résulte de ce qui précède que, si une mesure relative à l'attribution par un État membre d'une partie importante d'une taxe, telle que la taxe portuaire, à une entreprise publique n'est pas liée à une mission de service public clairement définie et/ou si les autres conditions, telles que précisées dans l'arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, et rappelées aux points 32 à 35 du présent arrêt, relatives à l'intervention étatique ne sont pas respectées, une telle mesure doit être qualifiée d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité pour autant qu'elle affecte les échanges entre États membres.
41. La juridiction de renvoi demande en outre si, dans un tel cas, seule l'attribution d'une partie de la taxe portuaire à l'entreprise concernée doit être écartée ou si l'ensemble du mécanisme d'imposition, y compris la perception auprès des usagers de la partie correspondant au montant ainsi attribué, doit être déclaré incompatible avec les exigences de l'article 92 du traité.
42. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il découle de l'effet direct reconnu à la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité que le caractère immédiatement applicable de l'interdiction de mise à exécution visée par cet article s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée (voir arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354-90, Rec. p. I-5505, point 11). Il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des justiciables face à une éventuelle méconnaissance, de la part des autorités nationales, de l'interdiction de mise à exécution des aides, en tirant toutes les conséquences, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aides en cause que le recouvrement des soutiens financiers accordés (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1992, Lornoy e.a., C-17-91, Rec. p.I-6523, point 30).
43. Quant à la notion d'aide d'État, la Cour a jugé que celle-ci s'étend non seulement à certaines taxes parafiscales, en fonction de l'affectation du produit de ces taxes (voir, notamment, arrêt Lornoy e.a., précité, point 28), mais aussi à la perception même d'une contribution constituant une taxe parafiscale (voir arrêt du 27 octobre 1993, Scharbatke, C-72-92, Rec. p. I-5509, point 20).
44. Il résulte également d'une jurisprudence récente de la Cour que, lorsque le mode de financement de l'aide, au moyen notamment de cotisations obligatoires, fait partie intégrante de la mesure d'aide, l'examen de cette dernière par la Commission doit nécessairement prendre en considération ce mode de financement (voir arrêt du 21 octobre 2003, Van Calster e.a., C-261-01 et C-262-01, non encore publié au Recueil, point 49).
45. Il s'ensuit que non seulement l'attribution d'une partie de la taxe portuaire à l'entreprise concernée, mais également la perception auprès des usagers de la partie correspondant au montant ainsi attribué peuvent constituer une aide d'État incompatible avec le Marché commun et que, en l'absence de notification de cette aide, il appartient à la juridiction de renvoi de prendre toutes les mesures nécessaires, conformément à son droit national, afin d'empêcher tant l'attribution d'une partie de la taxe aux entreprises bénéficiaires que la perception de celle-ci.
46. En revanche, le caractère éventuellement illégal de la perception et de l'attribution d'une partie de la taxe, à savoir la partie reversée à l'Azienda, n'affecte pas le reste de la taxe versé au Trésor public.
47. Il y a donc lieu de répondre à la troisième question, lue conjointement avec la cinquième question, que:
- une mesure par laquelle un État membre attribue à une entreprise publique une partie importante d'une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, doit être qualifiée d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, pour autant qu'elle affecte les échanges entre États membres, lorsque:
- l'attribution de la taxe n'est pas liée à une mission de service public clairement définie, et/ou
- le calcul de la compensation prétendument nécessaire à l'accomplissement de ladite mission n'a pas été effectué sur la base de paramètres préalablement définis de manière objective et transparente, afin d'éviter que cette compensation ne comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise publique concernée par rapport à d'autres entreprises concurrentes;
- non seulement l'attribution d'une partie de la taxe à l'entreprise publique, mais également la perception auprès des usagers de la partie correspondant au montant ainsi attribué peuvent constituer une aide d'État incompatible avec le Marché commun. En l'absence de notification d'une telle aide, il appartient à la juridiction de renvoi de prendre toutes les mesures nécessaires, conformément à son droit national, afin d'empêcher tant l'attribution d'une partie de la taxe aux entreprises bénéficiaires que la perception de celle-ci;
- le caractère éventuellement illégal de la perception et de l'attribution de la taxe ne concerne que la partie du produit de la taxe reversée à l'entreprise publique concernée et n'affecte pas l'intégralité de cette taxe.
Sur les première et deuxième questions
48. Par ses première et deuxième questions, qu'il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l'attribution par l'État à une entreprise publique d'une partie importante d'une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, constitue une mesure, au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité, susceptible de donner lieu à un abus de position dominante contraire à l'article 86 de celui-ci et ne pouvant bénéficier de la dérogation prévue à l'article 90, paragraphe 2, dudit traité.
49. La juridiction de renvoi s'interroge ainsi sur la compatibilité d'un mécanisme d'imposition, tel que celui en cause au principal, non seulement avec les règles de concurrence applicables aux aides d'État, qui font l'objet de la troisième question examinée ci-dessus, mais aussi avec celles applicables aux entreprises, visées aux articles 86 et 90 du traité.
50. Si la circonstance que l'attribution par l'État à une entreprise publique d'une partie importante d'une taxe constitue une aide d'État n'exclut pas que cette attribution puisse également donner lieu à un abus de position dominante de la part de cette entreprise, contraire aux articles 86 et 90 du traité, il convient de constater que les seuls griefs formulés dans les affaires au principal portent sur les effets sur la concurrence découlant du prélèvement et de l'attribution par l'État de la taxe portuaire.
51. Aucun autre effet sur la concurrence n'a été relevé, en particulier aucune atteinte à la concurrence résultant d'un comportement de l'entreprise publique elle-même n'a été invoqué.
52. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre aux première et deuxième questions relatives à l'application des règles de concurrence visées aux articles 86 et 90 du traité.
Sur la quatrième question
53. Par sa quatrième question, lue conjointement avec la cinquième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la mesure par laquelle un État membre prévoit la perception d'une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, et l'attribution à une entreprise publique d'une partie importante du produit de cette taxe, sans que le montant ainsi attribué corresponde à un service effectivement rendu par ladite entreprise, constitue une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à l'importation ou à l'exportation contraire à l'article 12 du traité ou une imposition intérieure discriminatoire contraire à l'article 95 du même traité, ou encore un obstacle aux importations interdit par l'article 30 dudit traité, et si la violation éventuelle du droit communautaire affecte l'intégralité de ladite taxe.
54. Cette juridiction considère en effet que la perception d'une partie importante de la taxe portuaire sans que le montant ainsi perçu corresponde à un service effectivement rendu par l'entreprise publique bénéficiaire de ce montant pourrait constituer un obstacle aux importations contraire à l'article 30 du traité.
55. La juridiction de renvoi précise qu'elle n'ignore pas que l'article 30 du traité ne s'applique pas en matière de taxes parafiscales dans la mesure où sont applicables d'autres dispositions de celui-ci, à savoir celles de l'article 12, relatives aux taxes d'effet équivalent à un droit de douane, ou celles de l'article 95, relatives aux impositions intérieures. Elle souligne cependant que les arrêts de la Cour dans ce domaine ont concerné des cas où les taxes parafiscales en cause impliquaient, au moins en pratique, une discrimination entre produits nationaux et produits importés, ce qui ne serait pas le cas dans les affaires au principal. Cette juridiction se demande, dans ces circonstances, si l'article 30 du traité est susceptible de trouver à s'appliquer.
56. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le champ d'application de l'article 30 du traité ne comprend pas celui des dispositions du traité relatives aux taxes d'effet équivalent à des droits de douane [articles 12 du traité ainsi que 16 du traité CE (abrogé par le traité d'Amsterdam)] ni celui des dispositions du traité relatives aux impositions intérieures discriminatoires (article 95 du traité) (voir en ce sens, notamment, arrêts du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74-76, Rec. p. 557, point 9; du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., C-78-90 à C-83-90, Rec. p. I-1847, point 20, et Lornoy e.a., précité, point 14).
57. La Cour a précisé qu'il convient de vérifier en premier lieu si une mesure telle que celles décrites dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Compagnie commerciale de l'Ouest e.a. et Lornoy e.a. relève du champ d'application des articles 12 ou 95 du traité et que c'est seulement dans le cas où la réponse serait négative qu'il conviendrait d'examiner, en second lieu, si cette mesure tombe dans le champ d'application de l'article 30 du traité (voir arrêts précités Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., point 21, et Lornoy e.a., point 15).
58. Or, il n'y a pas lieu d'effectuer une distinction entre la présente affaire et celles qui ont été précédemment examinées par la Cour. S'il apparaît que la taxe portuaire relève du champ d'application des articles 12 ou 95 du traité, ce sont les dispositions de l'un ou l'autre de ces articles qui s'appliquent et non celles de l'article 30 du même traité. La circonstance éventuelle que cette taxe ne constitue pas une entrave interdite par lesdits articles 12 ou 95 n'a pas pour conséquence, contrairement à l'hypothèse évoquée par la juridiction de renvoi, que la taxe susmentionnée relève automatiquement des dispositions dudit article 30.
59. Il convient de rappeler en outre que, selon une jurisprudence constante, les dispositions relatives aux taxes d'effet équivalent et celles relatives aux impositions intérieures discriminatoires ne sont pas applicables cumulativement, de sorte qu'une même imposition ne saurait, dans le système du traité, appartenir simultanément à ces deux catégories (voir, notamment, arrêts du 23 avril 2002, Nygård, C-234-99, Rec. p. I-3657, point 17, et jurisprudence citée, ainsi que du 19 septembre 2002, Tulliasiamies et Siilin, C-101-00, Rec. p. I-7487, point 115).
60. En l'espèce, la taxe portuaire n'étant pas recouvrée à l'occasion ou en raison de l'importation et n'étant pas exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent aux produits nationaux, elle ne relève donc pas des dispositions de l'article 12 du traité (voir arrêt Lornoy e.a., précité, points 17 et 18). En revanche, dans la mesure où elle est appliquée à toutes les marchandises chargées et déchargées dans le port concerné, la taxe portuaire est de nature à constituer une imposition intérieure au sens de l'article 95 du traité. Pour autant que cette taxe, ainsi qu'il ressort des ordonnances de renvoi, n'implique aucune discrimination à l'égard des produits importés, il s'ensuit que ladite taxe, y compris sa perception et son attribution, n'est pas contraire aux dispositions de cet article 95.
61. L'arrêt du 15 décembre 1993, Ligur Carni e.a. (C-277-91, C-318-91 et C-319-91, Rec. p. I-6621), mentionné par la juridiction de renvoi, ne contredit pas le raisonnement qui précède, car dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour n'était pas interrogée sur le point de savoir si l'entrave éventuelle relevait du champ d'application des articles 12 ou 95 du traité, ou de celui de l'article 30 du même traité, et elle n'a pas eu besoin d'examiner une telle question. En effet, le point litigieux de cette affaire concernait l'interdiction faite à un importateur de viandes fraîches d'assurer par ses propres moyens sur le territoire d'une commune le transport et la livraison de ses marchandises, à moins qu'il ne verse à une entreprise locale, détentrice d'une concession exclusive en matière de manutention dans l'abattoir communal, de transport et de livraison desdites marchandises, le montant correspondant aux services rendus (voir arrêt Ligur Carni e.a., précité, point 33). Ainsi, les montants contestés étaient directement versés à une entreprise et ne constituaient pas, contrairement aux sommes en cause au principal, une taxe versée à l'État.
62. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question qu'une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, constitue une imposition intérieure au sens de l'article 95 du traité qui ne relève pas des dispositions des articles 12 et 30 de ce même traité. En l'absence de toute discrimination à l'égard des produits en provenance d'autres États membres, la mesure par laquelle un État membre prévoit la perception d'une telle taxe et l'attribution d'une partie importante du produit de cette taxe à une entreprise publique, sans que le montant ainsi attribué corresponde à un service effectivement rendu par celle-ci, n'enfreint pas les dispositions dudit article 95.
63. Dès lors, il n'y a pas lieu, dans le cadre de cette quatrième question, de répondre à la cinquième question.
Sur les dépens
64. Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Corte suprema di cassazione, par ordonnances du 12 juillet 2000, dit pour droit:
1. Une mesure par laquelle un État membre attribue à une entreprise publique une partie importante d'une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, doit être qualifiée d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE), pour autant qu'elle affecte les échanges entre États membres, lorsque:
- l'attribution de la taxe n'est pas liée à une mission de service public clairement définie, et/ou
- le calcul de la compensation prétendument nécessaire à l'accomplissement de ladite mission n'a pas été effectué sur la base de paramètres préalablement définis de manière objective et transparente, afin d'éviter que cette compensation ne comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise publique concernée par rapport à d'autres entreprises concurrentes.
Non seulement l'attribution d'une partie de la taxe à l'entreprise publique, mais également la perception auprès des usagers de la partie correspondant au montant ainsi attribué peuvent constituer une aide d'État incompatible avec le Marché commun. En l'absence de notification d'une telle aide, il appartient à la juridiction nationale de prendre toutes les mesures nécessaires, conformément à son droit national, afin d'empêcher tant l'attribution d'une partie de la taxe aux entreprises bénéficiaires que la perception de celle-ci.
Le caractère éventuellement illégal de la perception et de l'attribution de la taxe portuaire ne concerne que la partie du produit de la taxe reversée à l'entreprise publique et n'affecte pas l'intégralité de cette taxe.
2. Une taxe, telle que la taxe portuaire en cause au principal, constitue une imposition intérieure au sens de l'article 95 du traité CE (devenu, après modification, article 90 CE) qui ne relève pas des dispositions des articles 12 et 30 du traité CE (devenus, après modification, articles 25 CE et 28 CE). En l'absence de toute discrimination à l'égard des produits en provenance d'autres États membres, la mesure par laquelle un État membre prévoit la perception d'une telle taxe et l'attribution d'une partie importante du produit de cette taxe à une entreprise publique, sans que le montant attribué corresponde à un service effectivement rendu par celle-ci, n'enfreint pas les dispositions dudit article 95.