Cass. crim., 26 octobre 1999, n° 98-85.778
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
Mme Mazars
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin.
LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par G Carmine, A Alain, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 27 mai 1998, qui a condamné le premier, pour escroqueries, publicité de nature à induire en erreur et obstacle au contrôle des agents du conseil de la concurrence, à 18 mois d'emprisonnement dont 8 mois avec sursis et a ordonné une mesure de publication, et le second, pour complicité de publicité de nature à induire en erreur, à 20 mois d'emprisonnement dont 6 mois avec sursis, a condamné chacun d'eux à 5 ans d'interdiction des droits civiques et civils, et a statué sur les intérêts civils; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - I - Sur le pourvoi formé par Alain A; - Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi;
II - Sur le pourvoi formé par Carmine G; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 du Code pénal, applicable au moment des faits, et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a retenu le créateur d'une entreprise (Carmine G, le demandeur) dans les liens de la prévention du chef d'escroquerie et, en répression, l'a condamné à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois dont huit seulement avec sursis ainsi qu'au paiement de diverses indemnités aux parties civiles;
"aux motifs qu il ressortait des éléments du dossier que Carmine G et Edouard K, dirigeants respectivement de droit et de fait de la société X, avaient mis en place un système ayant consisté à vendre à de nombreux petits commerçants des montres et des pin's en leur laissant croire que l'entreprise demeurait propriétaire de ces objets qu'ils pourraient rendre en cas de non-vente; que les représentants de l'entreprise leur délivraient un document intitulé "facture consigne" et se faisaient remettre un chèque correspondant à la valeur de la marchandise déposée en leur précisant qu'il s agissait d'un chèque de garantie et qu'ils reprendraient les invendus dans le délai d'un mois; que l'entreprise encaissait les chèques et informait les commerçants souhaitant rendre les invendus et récupérer leur chèque qu'ils avaient conclu un contrat de vente et que la marchandise leur appartenait; que les dirigeants sociaux faisaient référence au texte figurant au dos du document en question, lequel contenait cette phrase: "l'établissement X, dans un délai de date à date de huit jours à partir de la signature figurant au recto du présent, se dégage de la consignation des marchandises relatives au présent contrat et de l'intégralité de ces termes, les relations entre l'établissement X et son dépositaire devenant régies par les conditions générales de vente de l'établissement X"; que ce texte, intitulé "dépôt consigne", comportait quatre-vingt-dix lignes rédigées en très petits caractères, souvent difficilement lisibles; que le passage relatif à la vente figurait à la cinquantième ligne, dans un paragraphe lui-même intitulé "dégagement des marchandises" et que tout le reste du texte faisait référence aux conditions d'un dépôt; que les représentants ayant travaillé pour X reconnaissaient qu'à la demande des dirigeants de l'entreprise ils avaient menti aux commerçants en leur présentant comme un dépôt-vente cette remise de marchandises et en leur précisant que les invendus seraient repris; qu'ils savaient que les chèques qui leur étaient remis à titre de garantie seraient encaissés au bout de huit jours; qu'il ressortait de ces éléments que, en faisant déposer par des représentants des objets chez de modestes commerçants à qui il était indiqué qu'il s'agissait d'un dépôt et en confortant ces assertions par la délivrance d'un document intitulé "facture consigne" et "dépôt consigne", Carmine G et Edouard K avaient employé des manœuvres frauduleuses qui avaient été déterminantes de la remise des chèques; que Alain A, qui reconnaissait avoir élaboré le document intitulé "facture consigne" à la demande de Edouard K, eu égard à sa rédaction particulièrement ambiguë ci-dessus analysée, ne pouvait ignorer qu'il donnait aux dirigeants d'X les moyens de commettre des escroqueries au préjudice des commerçants, en sorte qu'il s'était rendu complice de ces délits;
"et aux motifs expressément adoptés que le document intitulé "facture consigne" comportait au recto la dénomination et le prix des marchandises tandis que les conditions contractuelles étaient mentionnées au verso; que si possibilité de rétractation dans un délai de huit jours était effectivement prévue dans l'alinéa 2 du paragraphe intitulé "dégagement des marchandises", la rédaction du texte était de nature à induire le commerçant en erreur sur la portée des engagements de la société X dès lors que le souscripteur y était désigné vingt fois par le mot "dépositaire", que le terme "dépôt" y était employé dix fois tandis que l'entreprise n'était visée que six fois en tant que vendeur et que le contrat précisait neuf fois seulement qu'il s agissait d'une vente, essentiellement d'ailleurs en fin de texte; qu'en outre la plupart des représentants reconnaissaient avoir menti aux commerçants en leur proposant des montres en dépôt-vente pour une durée minimum d'un mois contre la remise d'un chèque de garantie qui ne serait pas encaissé pendant ce délai tandis qu'ils savaient qu'en réalité le chèque était encaissé à l'issue du délai de rétractation; que l'enquête avait révélé que si Carmine G s'était occupé des formalités administratives, c'était Edouard K qui dirigeait en fait la société; que ce dernier reconnaissait avoir fait tourner l'entreprise et recruté le personnel; que tous les vendeurs, sauf le frère de l'intéressé, avaient déclaré avoir menti à la demande de celui-ci, qui leur avait expliqué la façon de procéder; que Mlle C, représentante salariée, avait déclaré n'avoir jamais rencontré Carmine G et n'avoir vu que Edouard K et sa secrétaire au siège de l'entreprise, cette déclaration ayant été confirmée par les autres représentants;
"alors que, de première part, la contradiction des motifs équivaut à leur absence; que le document soumis à la signature des commerçants et ayant prétendument caractérisé la manœuvre frauduleuse constitutive de l'escroquerie était intitulé "facture consigne", ce qui ne laissait aucun doute sur le caractère mixte du contrat qui constituait d'abord un dépôt puis, passé un certain délai et à défaut de rétractation, une vente, la notion de facture impliquant nécessairement cette dernière opération, en sorte que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, retenir que l'écrit était libellé "dépôt consigne", après avoir pourtant constaté que les représentants de l'entreprise délivraient un document intitulé "facture consigne";
"alors que, en outre, le fait de soumettre à la signature d'un commerçant un acte mixte intitulé "facture consigne", prévoyant que l'opération consiste en un dépôt pendant un délai de huit jours et que si, passé celui-ci, le souscripteur n'a pas usé de la faculté de se rétracter, elle deviendra une vente dont les conditions, notamment la dénomination des marchandises et leur prix, y sont indiquées, n'est en rien répréhensible et ne peut s'analyser en une manœuvre frauduleuse caractéristique de l'escroquerie; que la cour d'appel ne pouvait donc, sous prétexte qu'il faisait référence tout à la fois à un dépôt et à une vente, considérer qu'un tel écrit était de nature à induire le commerçant en erreur sur la portée des engagements de l'entreprise et constituait une manœuvre frauduleuse caractérisant l'escroquerie;
"alors que, d'autre part et subsidiairement, la cour d'appel ne pouvait, sans entacher à nouveau sa décision d'une contradiction de motifs, constater, d'un côté, que les représentants ayant travaillé pour la société avaient reconnu que c'était à la demande de ses dirigeants, donc tant de l'exposant que de son directeur commercial, qu'ils avaient menti aux commerçants en leur présentant comme un dépôt la remise des marchandises et en leur précisant que les invendus seraient repris, de l' autre, par adoption expresse de l'exposé des faits des premiers juges, que les intéressés avaient déclaré avoir menti aux commerçants à la seule demande du gérant de fait puisqu'ils n'avaient jamais rencontré le dirigeant de droit;
"alors que, de surcroît, les juges doivent indiquer les éléments de preuve qui leur ont servi à former leur conviction; que la cour d'appel ne pouvait, sans priver sa décision de tout motif, relever que les agents commerciaux avaient reconnu que c'était à la demande des dirigeants de l'entreprise qu ils avaient menti aux commerçants en leur présentant comme un dépôt la remise des marchandises et en leur précisant que les invendus seraient repris, tout en s'abstenant d'indiquer sur quels documents versés aux débats elle se serait fondée pour retenir que le demandeur aurait été l'un des dirigeants incriminés, tandis qu'il résultait au contraire tant des constatations des premiers juges que des procès-verbaux d'audition des intéressés et de l'enquête de gendarmerie qu'il n'était en rien impliqué;
"alors que, enfin, au regard du texte applicable à la date des faits, les manœuvres frauduleuses caractérisant l'escroquerie devaient nécessairement avoir été accomplies "pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique"; que la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de préciser dans lequel des buts limitativement énumérés par la loi les prétendus manœuvres frauduleuses imputées à l'exposant du chef d'une escroquerie auraient été réalisées";
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits d'escroqueries dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant;d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis;
Attendu que, la peine prononcée étant justifiée par la déclaration de culpabilité du chef précité et les dispositions civiles de l'arrêt n'étant pas remises en cause par le pourvoi, il n'y a pas lieu d'examiner les deuxième et troisième moyens, qui discutent les délits de publicité de nature en erreur et d'obstacle au contrôle des agents du conseil de la concurrence;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette les pourvois.