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Décisions

Cass. crim., 3 mai 2001, n° 00-86.691

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Pibouleau

Avocat général :

Mme Fromont

Avocat :

Me Thouin-Palat

TGI Saint-Malo, ch. corr., du 4 mars 199…

4 mars 1999

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par B Jean-Luc, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 3e chambre, du 28 septembre 2000, qui, pour escroquerie et publicité mensongère, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 francs d'amende, a ordonné la confiscation des objets saisis et la publication de la décision; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, et L. 213-1 du Code de la consommation, 121-3 du Code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Luc B coupable de publicité mensongère;

"aux motifs que Jean-Luc B affirme l'authenticité des quinze tableaux qu'il présente comme étant de la main de Vincent Van Gogh; il indiquait lors de l'enquête étudier l'œuvre de ce maître impressionniste depuis 10 ans de manière très poussée et à temps complet depuis 6 ans, arrivant à la conclusion que nombre de tableaux de Vincent Van Gogh avaient disparu; il prétend en avoir retrouvé environ soixante et en avoir acquis une vingtaine dans des ventes aux enchères, galeries, expositions ou brocantes; la publicité faite pour l'exposition a été imprudente pour mentionner qu'il s'agissait de quinze tableaux inédits de Van Gogh provenant de plusieurs collections privées alors qu'au mieux il pouvait être indiqué qu'étaient exposées quinze œuvres attribuées à Van Gogh et provenant d'une seule collection; cette publicité inexacte était de nature à induire en erreur les personnes qui en étaient destinataires et, relayée par les premiers articles de presse, notamment celui du 28 juin 1996, constitue l'infraction poursuivie; le jugement doit être infirmé de ce chef, l'imprudence de l'annonceur caractérisant en l'espèce l'élément moral de cette infraction; (arrêt, pages 9 et 10);

"alors que, ne tombe pas sous le coup de l'article L. 121-1 du Code de la consommation la publicité qui, quoique contenant une affirmation inexacte, n'est pas de nature à induire en erreur un consommateur normalement intelligent et avisé; qu'en statuant par les motifs ci-dessus rappelés, tout en relevant par ailleurs, d'une part, que dès le 2 juillet 1996, jour d'ouverture de l'exposition, les doutes les plus exprès étaient émis quant à la paternité réelle des œuvres exposées, tandis que les informations les plus détaillées étaient toujours fournies concernant l'organisation des visites et les tarifs d'entrée pour le public, d'autre part, que plusieurs personnes s'étaient adressées tant à la DRAC de Rennes, qu'au parquet de Saint-Malo, pour manifester leur incrédulité et leur étonnement, voire pour dénoncer la supercherie consistant à user de la qualité reconnue de Vincent Van Gogh pour appeler un public constitué pour l'essentiel de badauds à verser une modeste contribution d'entrée, enfin que d'après l'expert Petit, commis par le tribunal, aucun des tableaux en cause ne pouvait être attribué à Vincent Van Gogh ni passer l'examen, même rapide et sommaire, tant les compositions étaient malhabiles, primaires et naïves, ce dont il résulte que la publicité litigieuse n'était manifestement pas de nature à induire en erreur un consommateur doué d'un discernement normal, la cour d'appel qui a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu qu'en l'état des motifs repris au moyen, la cour d'appel a caractérisé le délit de publicité mensongère imputé à Jean-Luc B, dès lors que sa campagne publicitaire par voie d'affiches et d'articles parus dans la presse locale a convaincu 3 000 visiteurs de l'authenticité des œuvres exposées et que la dénonciation de la fausseté de leur origine mensongèrement attribuée à Van Gogh a nécessité la consultation de plusieurs experts;d'où il suit que le moyen ne peut être admis;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 313-1, 313-7 et 313-8 du Code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Luc B coupable d'escroquerie;

"aux motifs que Jean-Luc B, ayant au hasard de ses lectures découvert que Vincent Van Gogh avait beaucoup peint et écrivait à son frère que sa production n'était pas satisfaisante, admet avoir acquis au hasard des ventes ou brocantes des peintures pour quelques centaines de francs et les a, de sa seule initiative et sans contradiction scientifique ou travail comparé, attribuées à Vincent Van Gogh; bien qu'autodidacte sans diplôme et ayant exercé essentiellement la profession de soudeur il a, sous couvert d'une prétendue science, présentant de simples hypothèses comme des certitudes, abusé de la crédulité d'un public naïf attiré par la publicité; il s'est auto désigné comme "historien d'art, chercheur, spécialiste de Vincent Van Gogh" ainsi qu'il est indiqué sur les formulaires de "certificat d'authenticité" qu'il a signés; il a organisé l'exposition en cause, sous forme commerciale et avec prix d'entrée pour lui donner au maximum l'apparence d'une opération sérieuse; il a prétendu, abusant même l'architecte Jean-Marie Caldy, associé avec lui, que les quinze tableaux provenaient de collections privées, à savoir six ou sept collectionneurs alors qu'en définitive il admettra qu'onze tableaux sont à lui et quatre à son ancien employeur Guy Juton, qui ne paraît pas avoir véritablement eu conscience d'être propriétaire de Van Gogh; il a contourné les demandes de précisions telles que les exigences de M. Dressert de la mairie de Dinan quant à des preuves de l'authenticité des œuvres ou l'avis de la Direction Régionale des Affaires Culturelles et préféré louer à bon prix une salle privée à Saint-Malo alors qu'à Dinan la salle eut été mise à disposition sans frais; alors qu'il était propriétaire des tableaux, il a établi et signé pour chacun de ceux-ci un "certificat d'authenticité à la demande du propriétaire", documents datés entre le 10 janvier 1992 et le 6 octobre 1995, certifiant l'année de l'œuvre et de ce que l'auteur en est Vincent Van Gogh; ces documents se trouvaient dans le dossier administratif de l'exposition et ont été présentés le 24 juillet 1996 aux policiers enquêteurs lors de leurs premières constatations sur les lieux; préalablement, il avait été sollicité par Jean-Luc B la délivrance de documents intitulés "certificat pour un bien culturel", obtenus de la Direction des Musées de France entre le 6 juillet 1994 et le 21 mai 1996, en désignant les œuvres comme étant de Van Gogh; cette mise en scène a permis d'attirer plus de trois mille personnes qui ont visité l'exposition en toute bonne foi et se sont trouvées en face de tableaux dont trois sachants ou experts ont exclu formellement qu'ils aient pu être peints par l'artiste; si ces rapports peuvent apparaître succincts, ils dénotent manifestement la stupéfaction des experts devant ce qui leur était présenté et font preuve de leur certitude quant au peu d'intérêts des peintures en cause; les manœuvres ci-dessus décrites ont déterminé plus de trois mille personnes dont la plaignante Monique Juiff à remettre des fonds, en l'espèce les droits d'entrée à cette exposition privée;

Jean-Luc B, dont l'expert psychiatre indique qu'il est lucide, pragmatique, intelligent, n'a pas de raisonnement délirant; il a à plusieurs reprises déclaré à cet expert; "ils devront dire pourquoi ce ne sont pas des Van Gogh."; il a admis avoir acquis ces tableaux pour des sommes dérisoires dans les années ou les mois ayant précédé l'exposition et n'avait pas couvert par une assurance ces œuvres qui si elles avaient été d'authentiques Van Gogh auraient eu une valeur considérable, de huit à cent millions de francs chacune selon lui; il a caché qu'il était le propriétaire des toiles ou de la plupart d'entre elles et a fait état, antérieurement à l'exposition et encore lors de l'enquête, de six à huit collectionneurs qui lui auraient confié ces chefs d'œuvre; il avait donc une parfaite conscience de la fausseté de son entreprise, du caractère illusoire de ses compétences et de l'aspect chimérique de l'événement lorsqu'il a préparé et organisé l'exposition dont s'agit dans les circonstances sus-rappelées; le jugement entrepris doit donc être infirmé et Jean-Luc B déclaré coupable du chef d'escroquerie" (arrêt, pages 10 à 12);

"alors 1°) que, il appartient aux juges du fond de préciser si la remise de la chose a été déterminée par l'usage d'un faux nom, d'une fausse qualité, ou par l'emploi de manœuvres frauduleuses; qu'en l'espèce, il était reproché à Jean-Luc B, par l'usage d'une fausse qualité d'expert historien de l'art, et par l'emploi de manœuvres frauduleuses ayant consisté à établir à son profit des certificats d'authenticité d'œuvres prétendues inédites de Van Gogh, d'avoir trompé Monique Juiff et 3 000 autres visiteurs de l'exposition, et de les avoir déterminés à remettre des fonds, à savoir le prix du billet d'entrée à l'exposition litigieuse; que, dès lors, en énonçant tour à tour que Jean-Luc B s'était auto-désigné comme "historien d'art, chercheur, spécialiste de Vincent Van Gogh" ainsi qu'il était indiqué sur les formulaires de "certificat d'authenticité" qu'il avait signés, puisque cette "mise en scène" aurait déterminé les visiteurs à payer les droits d'entrée de l'exposition, la cour d'appel, qui laisse incertain le point de savoir si la remise des fonds avait été déterminée par l'usage de la fausse qualité d'historien d'art, ou par l'établissement de faux certificats d'authenticité, n'a pas légalement justifié sa décision;

"alors 2°) que l'escroquerie suppose que l'usage d'une fausse qualité ou l'emploi de manœuvres frauduleuses ont été déterminants de la remise; qu'en l'espèce, il était reproché à Jean-Luc B, par l'usage d'une fausse qualité d'expert historien de l'art, et par l'emploi de manœuvres frauduleuses ayant consisté à établir à son profit des certificats d'authenticité d'œuvres prétendues inédites de Van Gogh, d'avoir trompé Monique Juiff et 3 000 autres visiteurs de l'exposition, et de les avoir déterminés à remettre des fonds, à savoir le prix le prix du billet d'entrée à l'exposition litigieuse; que, pour déclarer le demandeur coupable d'escroquerie, dans les termes de la prévention, la cour d'appel s'est bornée à constater d'une part que Jean-Luc B s'était auto-désigné comme "historien d'art, chercheur, spécialiste de Vincent Van Gogh" ainsi qu'il était indiqué sur les formulaires de "certificat d'authenticité" qu'il avait signés, d'autre part que les certificats d'authenticité des tableaux ne figuraient que dans le dossier administratif de l'exposition, pour en déduire que cette "mise en scène" avait permis d'attirer plus de 3 000 personnes et les avait déterminées à remettre des fonds, en l'espèce les droits d'entrée à cette exposition privée; qu'en se déterminant par ces seules circonstances, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel du prévenu (page 6) qui soutenait à cet égard que les certificats d'authenticité n'avaient nullement été présentés au public, et, partant, n'avaient pu déterminer les visiteurs à payer le droit d'entrée à l'exposition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale;

"alors 3°) que "il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que la publicité faite en faveur de l'exposition litigieuse ne faisait nullement état de la qualité d'historien d'art de Jean-Luc B, et que les certificats d'authenticité se trouvaient dans le dossier administratif de cette exposition; qu'en estimant toutefois que cette "mise en scène" avait déterminé 3 000 personnes à se rendre à l'exposition et à en payer le droit d'entrée, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, par fausse application, l'article 313-1 du Code pénal;

"alors 4°) que "l'escroquerie suppose que l'usage d'une fausse qualité ou l'emploi de manœuvres frauduleuses ont eu pour effet de tromper une personne physique normalement intelligente et avisée; qu'en l'espèce, pour entrer en voie de condamnation et réformer le jugement entrepris, la cour d'appel s'est déterminée par la seule circonstance que la "mise en scène" reprochée au prévenu avait déterminé 3 000 personnes à se rendre à l'exposition et à en payer le droit d'entrée; qu'en statuant ainsi, tout en relevant par ailleurs, d'une part, que dès le 2 juillet 1996, jour d'ouverture de l'exposition, les doutes les plus exprès étaient émis quant à la paternité réelle des œuvres exposées, tandis que les informations les plus détaillées étaient toujours fournies concernant l'organisation des visites et les tarifs d'entrée pour le public, d'autre part, que plusieurs personnes s'étaient adressées tant à la DRAC de Rennes qu'au parquet de Saint-Malo, pour manifester leur incrédulité et leur étonnement, voire pour dénoncer la supercherie consistant à user de la qualité reconnue de Vincent Van Gogh pour appeler un public constitué pour l'essentiel de badauds à verser une modeste contribution d'entrée, enfin que d'après l'expert Petit, commis par le tribunal, aucun des tableaux en cause ne pouvait être attribué à Vincent Van Gogh ni passer l'examen, même rapide et sommaire, tant les compositions étaient malhabiles, primaires et naïves, ce dont il résultait que ni les modalités de présentation de l'exposition litigieuse, ni la circonstance que les œuvres aient été accompagnées d'un certificat d'authenticité n'étaient de nature à tromper les visiteurs potentiels quant à la paternité des œuvres exposées, la cour d'appel, qui a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, n'a à ce titre encore pas légalement justifié sa décision";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Luc B a organisé l'exposition de 15 tableaux inédits faussement attribués à Van Gogh dans des locaux privés pour se soustraire aux demandes d'authentification de la Direction régionale des affaires culturelles; qu'il a établi et signé à l'occasion de cette manifestation de faux certificats destinés à authentifier les toiles exposées en se prévalant de la qualité usurpée d'historien d'art, chercheur et spécialiste de Van Gogh alors qu'il est démuni de diplômes; qu'il a engagé une campagne de publicité mensongère par voie d'affiches et d'articles de presse qui a déterminé plus de 3 000 personnes à remettre des fonds, en l'espèce, les droits d'entrée à cette exposition de tableaux sans rapport avec leur origine prétendue;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a relevé que le prévenu avait eu une parfaite conscience de la fausseté de son entreprise, du caractère illusoire de ses compétences et de l'aspect chimérique de l'événement, a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.