CA Paris, 5e ch. B, 22 mai 2003, n° 2001-16037
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cruchon
Défendeur :
Blanchet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
MM. Faucher, Remenieras
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Beneteau
Avocat :
Me Dreyfus Lemonier
LA COUR statue sur l'appel interjeté par Madame Monique Cruchon Le Blevec, exerçant sous l'enseigne "L'Ambassade d'Auvergne" à Colombes contre le jugement rendu le 15 janvier 2001 par le Tribunal de commerce de Paris, qui l'a condamnée à payer à la société Blanchet, exerçant sous l'enseigne "Elidis Paris Distribution" et venant aux droits de la société La Brasserie, la somme de 32 525,82 F (4 958,53 euro), augmentée des intérêts au taux légal depuis le 17 juillet 1997, ce avec exécution provisoire, ainsi que la somme de 5 000 F (762,25 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge, la déboutant de ses demandes.
Madame Cruchon Le Blevec a, le 26 mai 1993, conclu avec la société La Brasserie, aux droits de laquelle dit venir la société Blanchet, pour une durée de 5 ans, un contrat de prêt et de fourniture, aux termes duquel, en contrepartie d'un prêt de 50 000 F, Madame Cruchon s'engageait à se fournir exclusivement auprès de la société La Brasserie en bière et autres boissons spécifiées ainsi qu'à acheter une quantité minimale annuelle de 120 hectolitres.
Estimant que Madame Cruchon n'avait pas exécuté son obligation d'achat, la société Blanchet l'a, le 5 novembre 1997, fait assigner en paiement de l'indemnité prévue à l'article 7 du contrat en cas d'inexécution.
Vu les dernières écritures, signifiées le 16 janvier 2002, par lesquelles Madame Cruchon-Le Blevec, appelante, demande à la cour de:
- dire la société Blanchet irrecevable à agir faute de justifier d'un droit et d'une qualité légitimes,
- prononcer l'annulation ou au besoin la résolution de la convention du 26 mai 1993 pour violation des dispositions d'ordre public de l'article 6 du Code civil, des articles 1er, 3, 5 et 10 de la loi du 24 janvier 1984, ainsi que du règlement européen du 22 juin 1983 et de l'article 1131 du Code civil,
- prononcer en tant que de besoin la résiliation de la convention aux torts exclusifs de la société Blanchet,
plus subsidiairement encore,
- faire application des dispositions de l'article 1227 du Code civil ou, à défaut, de l'article 1231 ou encore de l'article 1152 du même Code,
- dire manifestement excessive la clause pénale insérée à l'acte du 17 octobre 1994 et la ramener à 1 F,
- condamner la société Blanchet à supporter les dépens ainsi qu'à lui payer 1 500 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions, signifiées le 25 mars 2002, par lesquelles la société Blanchet, intimée et incidemment appelante, prie la cour de confirmer le jugement critiqué mais de condamner en outre Madame Cruchon-Le Blevec à lui payer 800 euro à titre de dommages intérêts en application de l'article 1153 alinéa 4 du Code civil ainsi que 200 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant que, le 26 mai 1993, a été conclu entre la société La Brasserie et Madame Monique Le Blevec épouse Cruchon, pour une durée de 5 ans, un contrat par lequel celle-ci, en contrepartie de l'obtention, pour les besoins de son fonds de commerce d'un prêt de 50 000 F consenti par la BNP avec la caution de la société Interbrew France et "grâce à l'intervention" de la société La Brasserie, elle-même caution d'Interbrew, à concurrence de 50%, à se fournir à titre exclusif en boissons auprès de la société La Brasserie;
Que ce contrat prévoyait, en son article 7 alinéa 2: "en cas d'inexécution de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le revendeur devra à titre de clause pénale, le paiement d'une indemnité forfaitaire de 20 % du chiffre d'affaires réalisé jusqu'au terme normal du contrat, en application des quantités prévues à l'article 3 selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison";
Que, le même jour, a été conclu entre la BNP, la société Interbrew France et Madame Le Blevec épouse Cruchon un autre contrat, par lequel la banque a accordé à celle-ci un prêt de 50 000 F "destiné au financement d'un programme d'investissement" pour le fonds de commerce, pour le remboursement duquel la société Interbrew s'est portée caution, Madame Cruchon s'engageant en contrepartie à se fournir exclusivement auprès d'Interbrew pour un certain nombre de marques de bière spécifiées, avec un minimum annuel d'achat de 120 hectolitres par an;
Considérant que, par acte du 28 février 1996 la société La Brasserie a cédé à la société Blanchet son fonds de commerce comprenant notamment:
"les enseignes "La Brasserie", "Paris Chocolats", "Blanchet", le nom commercial, la clientèle, et spécialement la totalité des contrats de fourniture de bières et / ou autres boissons (indépendamment du fait que certains de ces contrats ont pu être conclus en relation avec des prêts ou cautions accordés par le cédant et conservés par lui dans le cadre de la présente cession) dont les listes n° 1 et 2 ont été communiquées ce jour à Blanchet SA ainsi que l'achalandage y attachés ...";
Considérant qu'il n'importe que la société Blanchet ne démontre pas que la société Interbrew France lui a régulièrement cédé sa créance sur Madame Cruchon, dès lors que la société Blanchet ne demande pas l'exécution du contrat auquel la société Interbrew était partie mais seulement de celui qu'elle a seule conclu avec Madame Cruchon et auquel la société Interbrew était étrangère, ces deux contrats étant distincts, chacun d'entre eux comportant certes un engagement d'achat exclusif, pour un volume identique, à la charge de Madame Cruchon, mais pour des produits différents, l'un pour la bière au profit d'Interbrew, le second pour les autres boissons au profit de La Brasserie;
Considérant, d'autre part, que le défaut de signification à Madame Cruchon de la cession intervenue entre la société La Brasserie et la société Blanchet ne rend pas celle-ci irrecevable à réclamer à Madame Cruchon, débiteur cédé, l'exécution de son obligation résultant de l'article 7 du contrat, dès lors que cette dernière ne prouve ni même ne soutient que cette exécution serait susceptible de faire grief à elle-même ou à un tiers étranger à la cession, alors au contraire qu'en s'approvisionnant en boissons postérieurement à ladite cession et jusqu'en juillet 1997 auprès de la société Blanchet, elle a reconnu l'existence d'un lien contractuel entre elle et cette société;
Que les fins de non-recevoir proposées par l'appelante doivent donc être écartées, ainsi que l'ont exactement décidé les premiers juges;
Considérant que l'appelante n'est pas davantage fondée à invoquer, pour demander l'annulation de la convention du 26 mai 1993, la violation des articles 6 du Code civil, 1, 3, 5 et 10 de la loi numéro 84-46 du 24 janvier 1984, d'une part, des dispositions du règlement européen du 22 juin 1983 et de l'article 1131 du Code civil, d'autre part;
Qu'en effet l'engagement pris par la société La Brasserie de cautionner, sans perception d'une commission, à concurrence de 50%, le prêt consenti par la BNP à Madame Cruchon pour financer "l'acquisition ou les besoins du fonds de commerce" ne constitue pas une opération prohibée par l'article 10 de la loi du 24 janvier 1984, devenu l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier lorsqu'elle est pratiquée à titre habituel par une personne autre qu'un établissement de crédit, dès lors que, non purement financière, elle n'est que le complément indissociable d'un contrat d'approvisionnement exclusif, entrant dans l'activité commerciale ordinaire de Madame Cruchon et se trouve par-là permise par l'article 12-1 de la loi précitée, devenu l'article L. 511-7 du Code monétaire et financier;
Que, par ailleurs, outre que l'appelante ne s'explique pas sur l'infraction, qu'elle invoque, "aux dispositions du règlement européen du 22 juin 1983", sans autre précision, elle n'est pas fondée à soutenir que la convention du 26 mai 1993 ne lui accorde qu'un avantage économique fictif, ce qui priverait partiellement de cause son propre engagement; qu'en effet, Madame Cruchon, qui a reconnu, aux termes de l'article 1er, dernier alinéa du contrat, que "cette contrepartie est un avantage économique et financier réel, déterminant son consentement", n'a pu obtenir un prêt de 50 000 F de la BNP, pour l'acquisition ou les besoins de son fonds de commerce, que grâce à l'intervention du fournisseur, la société La Brasserie, qui s'est portée caution à concurrence de 50 %, au profit de la société Interbrew, elle-même caution pour la totalité; que, contrairement à ce que soutient Madame Cruchon, le contrat conclu avec la société La Brasserie ne comporte au profit de celle-ci aucune garantie mais seulement le droit d'obtenir du revendeur, notamment à défaut de paiement d'une échéance huit jours après une mise en demeure, le paiement de toute somme restant due, ce qui est sans incidence sur l'engagement de La Brasserie envers Interbrew, qui n'est pas pour autant vidé de sa substance; que, par ailleurs, l'existence d'une ou plusieurs cautions est sans influence sur l'obligation du débiteur principal, qui n'en est pas moins tenu de payer sa dette, mais bénéficie au créancier; qu'il n'importe que Madame Cruchon n'ait pu obtenir communication de l'acte de cautionnement souscrit par la société La Brasserie, dès lors qu'elle a reconnu que c'est grâce à l'intervention de la société La Brasserie et au cautionnement donné par celle ci qu'elle a pu obtenir le prêt de 50 000 F dont elle ne conteste pas qu'il lui a été effectivement accordé par la BNP et qu'en outre cette banque ne s'est pas trouvée dans le cas de mettre en œuvre les cautionnements;
Considérant que l'appelante ne justifie d'aucune manière sa demande subsidiaire de résiliation de la convention aux torts du fournisseur alors qu'elle ne conteste pas que celui-ci a exécuté ses commandes selon les quantités, les qualités et les prix convenus, et que le défaut de signification de la cession ne peut être regardé comme impliquant, à la date de cette cession, une rupture unilatérale, alors que le contrat a continué de s'exécuter avec le cessionnaire;
Considérant que Madame Cruchon, qui ne conteste pas l'inexécution de son obligation d'acheter pendant 5 ans 120 hectolitres de boissons par an, non plus que le calcul de l'indemnité forfaitaire mise à sa charge par l'article 7 du contrat, n'est pas fondée à solliciter l'application de l'article 1227 du Code civil ou, à défaut, des articles 1231 et 1152 du même Code pour obtenir la réduction à 0,15 euro (1 F) de ladite indemnité;
Qu'en effet, l'obligation principale n'étant pas nulle, la nullité de la clause pénale ne peut être prononcée en application de l'article 1227 du Code civil, cependant que l'appelante ne justifie par aucun élément chiffré précis du bien fondé de sa demande de réduction de la peine contractuellement prévue, dont rien ne prouve qu'elle est manifestement excessive, la comparaison avec le montant du cautionnement fourni par la société La Brasserie n'étant pas pertinente à cet égard;
Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué;
Que la société Blanchet, qui ne justifie d'aucun préjudice indépendant de celui que les intérêts moratoires alloués ont pour objet de réparer, sera déboutée de sa demande en paiement d'une somme de 800 euro à titre de dommages-intérêts;
Considérant que Madame Cruchon, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel, sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamnée, en application de ce texte, à payer à l'intimée, au titre des frais irrépétibles d'appel, la somme de 2 000 euro;
Par ces motifs: - Confirme le jugement attaqué, - Condamne Madame Monique Le Blevec épouse Cruchon à payer à la société Blanchet 2 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, - Déboute les parties de toutes autres demandes, - Condamne Madame Le Blevec épouse Cruchon aux dépens d'appel et admet la SCP Gibou Pignot Grapotte Benetreau, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.