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Décisions

CA Paris, 13e ch., 10 avril 1986, n° 4829-85

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ministère public, Union fédérale des consommateurs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dessertine

Avocat général :

M. Frouin

Conseillers :

MM. Lenormand, Olivier

Avocats :

Mes Baudelot, Sarda, Stasi.

TGI Paris, 11e ch., du 27 févr. 1985

27 février 1985

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le jugement relaxe Robert M, Guy N des fins de la poursuite; mis hors de cause la compagnie X, débouté l'Union fédérale des consommateurs de ses demandes; débouté Robert M, Guy N, la compagnie X de leurs demandes reconventionnelle;

A condamné l'Union fédérale des consommateurs aux dépens (35,28 francs).

Appels:

Appel a été interjeté par:

1°) l'Union fédérale des consommateurs, le 1er mars 1985

2°) N Guy le 7 mars 1985

Décision:

Rendue, après en avoir délibéré conformément à la loi;

Par jugement en date du 27 février 1985, le Tribunal de Paris (11e chambre), saisi de poursuites exercées à l'initiative de l'Union fédérale des consommateurs contre Robert M et Guy N du chef de loteries prohibées, délit prévu et puni par les articles 1er, 2, 3, 4 de la loi du 21 mai 1936 et les articles 410, 411 du Code pénal, a relaxé les deux prévenus des fins de la poursuite, mis hors de cause la compagnie X, citée en qualité de civilement responsable, débouté l'Union fédérale des consommateurs, partie civile, de ses demandes en réparation et débouté également Robert M, Guy N et la compagnie X de leurs demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile.

Appel de cette décision a été régulièrement interjeté par l'Union fédérale des consommateurs et par Guy N.

Le Ministère public n'ayant pas, pour sa part, formé appel contre ledit jugement, la cour ne se trouve saisie que des seuls intérêts civils.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les conditions dans lesquelles l'Union fédérale des consommateurs a fait citer les prévenus devant le tribunal ainsi que les faits de la cause, la cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

A l'audience du 13 février 1986, l'Union fédérale des consommateurs a fait déposer des conclusions par lesquelles elle demande à al cour de la recevoir en son appel, l'y déclarer bien fondée et, y faisant droit, de:

"dire que si le mot rembourser employé par l'article R. 150-4 du Code des assurances doit être entendu comme synonyme de payer, l'article R. 150-4 du Code des assurances est en contradiction avec la loi du 21 mai 1836 qui interdit les loteries de toutes sortes".

"constater, en conséquence, l'illégalité de l'article R. 150-4 du Code des assurances, un texte réglementaire ne pouvant aller à l'encontre d'un texte de nature législative".

"dire en conséquence que Messieurs M et N ne peuvent se prévaloir de l'article R. 150-4 du Code des assurances pour justifier les tirages au sort prévus par les contrats de capitalisation Y de X".

"dire que la clause de tirage au sort prévue par les contrats de capitalisation Y de X contrevient à l'interdiction des loteries de toute espèce, prévue par l'article 1 et 2 de la loi du 21 mai 1836".

"dire Monsieur Robert M coupable du délit prévu par les articles 1, 2 et 4 de la loi du 21 mai 1836 et 410 du Code pénal".

"dire Monsieur Guy N coupable du délit prévu par les articles 1, 2 et 4 de la loi du 21 mai 1836 et 411 du Code pénal".

"leur faire application de la loi pénale sur les réquisitions de Monsieur le Procureur général".

"(la) recevoir en sa constitution de partie civile, y faisant droit, dire Messieurs Robert M et Guy N entièrement responsables des faits qui leur sont reprochés".

"déclarer la compagnie X civilement responsable de Monsieur Robert M et Monsieur Guy N".

"condamner conjointement et solidairement Monsieur M, Monsieur N et la compagnie X à (lui) payer une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif des consommateurs".

"condamner en outre, sous la même solidarité, Monsieur Robert M, Monsieur Guy N et la compagnie X à (lui) verser une somme de 20 000 francs au titre de l'article 475-1 du CPP".

"ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir".

"condamner conjointement et solidairement Messieurs Robert M et Guy N et la compagnie X en tous les dépens".

Robert M et la compagnie X ont, pour leur part, par conclusions conjointes, demandé à la cour de:

"constater que le jugement du 27 février 1985 est définitif sur l'action publique".

"confirmer ledit jugement entrepris".

"dire et juger que les contrats dont s'agit ne constituent pas des loteries".

"dire et juger que ces contrats ne constituent pas des loteries prohibées".

"dire et juger que les textes visés ont force légale et rejeter l'exception d'illégalité".

"relaxer les concluants".

"débouter la partie civile de toutes ses demandes, fins et conclusions".

"la condamner à lui payer la somme de 10 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure civile".

"la condamner en tous les dépens".

Quant à Guy N, il a également demandé à la cour, par voie de conclusions de:

"confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'Union fédérale des consommateurs de son action et prononcé (sa) relaxe des fins de la poursuite".

"faire droit à la demande de dommage et intérêts présentée par (lui) sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale et condamner, en conséquence, l'Union fédérale des consommateurs à lui payer la somme de 50 000 francs à titre de dommage-intérêts".

"la condamner en tous les dépens".

Sur l'action civile:

Considérant qu'aux termes de l'article 46 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 "les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statuaire explicite la défense des intérêts de consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer devant toutes les juridictions l'action civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs";

Qu'il est constant que l'Union fédérale des consommateurs est une association dont les statuts lui donnent mission de représenter en tous lieux et auprès de toutes instances, et notamment en justice, les intérêts matériels et moraux des consommateurs et usagers; qu'elle a été agréée par les arrêtés des 8 juillet 1976 et 4 décembre 1981 pour exercer l'action civile dans le cadre des dispositions de l'article 46 de la loi susvisée;

Que ces dispositions, dérogatoires au droit commun, sont, toutefois d'interprétation étroite; que les associations de consommateurs agréées pour exercer l'action civile ne tiennent d'aucune disposition de la loi le droit de poursuivre la réparation du trouble que porte une infraction aux intérêts généraux de la société, cette réparation étant assurée par l'exercice de l'action publique;

Qu'en l'espèce l'Union fédérale des consommateurs qui s'élève contre les contrats de capitalisation avec tirage au sort, dénommés Y, offerts à sa clientèle par la compagnie X, et a pris l'initiative de poursuite du chef de "loterie prohibée" à l'encontre de son Président Robert M et du directeur de la branche "capitalisation" Guy N n'était nullement habilitée à mettre en mouvement l'action publique, le délit reproché sanctionnant une atteinte à l'ordre public et non à l'intérêt des consommateurs; qu'en effet, contrairement à ce que soutient l'Union fédérale des consommateurs, dans toute loterie ou opération assimilée, le joueur, en l'absence de manœuvres frauduleuses dont il serait victime, ne subit aucun préjudice dont il puisse demander réparation, le gagnant pouvant, à l'évidence, se prévaloir d'un gain tandis que le perdant, ayant accepté librement et en toute connaissance de cause, de "courir sa chance", n'a pas sujet à se plaindre si celle-ci ne lui est pas favorable;

Que les faits reprochés à Robert M et Guy N n'entrent, par ailleurs, dans les prévisions d'aucun texte répressif autre que ceux visés dans la citation;

Qu'il convient, dès lors, de déclarer irrecevable l'action civile de l'Union fédérale des consommateurs et de mettre hors de cause Robert M, Guy N et la compagnie X citée en qualité de civilement responsable;

Sur les demandes reconventionnelles de Robert M, Guy N et la compagnie X:

Considérant qu'il n'est pas établi que l'Union fédérale des consommateurs ait agi de mauvaise foi et avec témérité, qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de dommages-intérêts formulées, à titre reconventionnel, par Robert M, Guy N et la compagnie X;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, LA COUR, Reçoit les appels de l'Union fédérale des consommateurs et de Guy N; Déclare irrecevable l'action civile de l'Union fédérale des consommateurs. Met hors de cause Robert M, Guy N et la compagnie X citée en qualité de civilement responsable. Les déboute de leurs demandes reconventionnelles; Condamne l'Union fédérale des consommateurs aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers liquidés à 637,40 francs; Dit inopérant, mal fondés ou extérieurs à la cause tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples les rejette.