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Décisions

CA Amiens, 6e ch. corr., 31 janvier 2002, n° 01-00398

AMIENS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Velly

Conseillers :

MM. Ducrotté, Lebhar, Alibert, Laurent

Avocat :

Me Baube

CA Amiens n° 01-00398

31 janvier 2002

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Compiègne, par jugement contradictoire en date du 19 décembre 2000, a relaxé D Noël,

- poursuivi pour falsification de denrées alimentaires, boissons ou substances médicamenteuses nuisibles a la santé, courant 1999 et notamment du 26/03/1999 au 06/07/1999, à Compiègne (60), infraction prévue par l'article L. 213-3 AL.2, AL.1 1° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation,

Les appels:

* Appel a été interjeté par :

Monsieur le Procureur de la République, le 20 décembre 2000 contre Monsieur D Noël.

Décision:

Résumé des Faits et de la Procédure

A la suite d'une enquête nationale pilotée par la DGCCRF, relative aux matières premières interdites en alimentation animale (boues de station d'épuration), le DGCCRF de l'Oise était amenée à intervenir, notamment à ce sujet et dans le cadre de ses compétences, en matière de qualité et sécurité, aux établissements M, <adresse>: les 26 mars 1999, 1er avril 1999, 10 juin 1999, 21juin 1999 et 6 juillet 1999.

L'activité de cet établissement classé consistait en l'achat, la vente et la transformation des suifs, os, graisses principalement d'origine animale. Son activité principale était constituée par le ramassage et la collecte des déchets animaux ou d'origine animale dits " à bas risques " qu'elle recyclait dans ses fondoirs et cuiseurs en graisses et farines destinées à l'alimentation animale, farines destinées, selon les dires des dirigeants, uniquement pour les animaux de compagnie.

Le Président du conseil d'administration de cette société anonyme, SA M, exploitants le fonds, était Monsieur Noël D.

Lors de ces contrôles, la DGCCRF constatait diverses anomalies Monsieur D ne pouvait fournir de justificatif de contrôle de temps, température et pression des cuissons ;

Les bacs de décantation, présentés comme "station d'épuration", recueillaient les eaux usées provenant des toilettes du personnel technique (matières fécales), du refroidissement des eaux des aérocondensateurs, du trop plein de la chaufferie (risque de pollution par le carburant), des eaux de nettoyage des machines et des ustensiles (risque de pollution par les produits chimiques - acide chlorhydrique à 30% - et les huiles de vidange des moteurs des véhicules) ;

Monsieur D déclarait qu'il récupérait au moins une tonne par jour de graisses dans ces bacs de décantation, graisses réincorporées dans le circuit de fabrication, et ce, alors que l'arrêté préfectoral d'exploitation du site en installation classée (arrêté principal du 18/03/1981 et arrêté complémentaire du 15/04/1991) n'indiquait pas que l'établissement puisse incorporer des boues dans le circuit alimentaire il précisait que suite à ce prélèvement quotidien, il n'y avait pratiquement pas de boues.

En outre, Monsieur D affirmait que 50% des vidanges des véhicules de la société, à savoir il camions de ramassage, un camion citerne, un camion et une camionnette de secours, étaient effectuées chez des garagistes. Il ajoutait que les vidanges faites dans l'entreprise partaient dans le circuit hors eaux pluviales, tout comme l'acide chlorhydrique à 30 % utilisé pour détartrer ou nettoyer les ustensiles ou parties encrassées de machines.

Le 14 juin 1999, il signalait aux enquêteurs par télécopie avoir reçu, le 11 juin 1999, l'ordre de Monsieur Laurent B, patron du groupe, d'expédier dorénavant tous les déchets de station d'épuration à détruire auprès d'une société d'Etreux.

Entendu par ailleurs par les policiers de Compiègne, Monsieur D expliquait que toutes les usines de France fonctionnaient de la même façon, à savoir que la récupération des suifs en flottaison se faisait pour éviter le bouchage des circuits des eaux résiduelles publiques. Il précisait que pour les toilettes il y avait une fosse septique et que celle-ci était régulièrement pompée par un professionnel. Il ajoutait qu'il arrivait aussi régulièrement qu'il fasse appel à un vidangeur pour évacuer les boues des deux bassins de décantation.

Monsieur François A, responsable de production de la société M, indiquait quant à lui, que l'ensemble des vidanges du parc automobile de l'établissement était effectué sur place, que les eaux issues de l'emplacement de l'approvisionnement en gas-oil des camions et de lavage de ces derniers rejoignaient le réseau pluvial, sans système de décantation et de séparation des hydrocarbures, et enfin, que certaines parties des eaux pluviales rejoignaient le circuit des eaux usées après fabrication du saindoux premier choix et partaient dans les bassins de décantation.

Il a donc été poursuivi pour, courant 1999 et notamment du 26 mars 1999 au 6 juillet 1999, falsification de denrées alimentaires, boissons ou substances médicamenteuses nuisibles à la santé.

Le Tribunal correctionnel de Compiègne, par jugement contradictoire rendu le 19 décembre 2000, l'a renvoyé des fins de la poursuite sans peine ni dépens.

Le Procureur de la République a, seul interjeté appel des dispositions pénales de ce jugement le 20 décembre 2000.

A l'audience du 29 novembre 2001, Monsieur l'Avocat général a expliqué que, en raison de l'émulsion du processus, des boues se trouvaient nécessairement incorporées à la fabrication des farines animales. Il a indiqué que le délit de falsification se trouvait avéré. Soulignant un manquement aux règles communes, malgré le contexte de l'époque, il a donc requis i'infirmation du jugement déféré et une peine d'amende de 50 000 F.

Maître Baube, pour Monsieur D, a plaidé la confirmation de la relaxe en faisant valoir que son client avait été poursuivi sous la pression communautaire et du public pour satisfaire à la juste revendication sécuritaire en matière alimentaire.

Motifs et décision

L'appel du Ministère public ayant été régulièrement interjeté dans les délais légaux, il convient de le recevoir en la forme.

I - Sur la déclaration de culpabilité

Les éléments de la procédure, particulièrement les constatations matérielles effectuées par les agents de la Direction Départementale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Oise, de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales de l'Oise, de la Direction des Services vétérinaires de l'Oise, de la Direction Régionale de l'Industrie et de la Recherche et des Policiers de Compiègne, démontent clairement que les éléments matériel et intentionnel de l'infraction reprochée à Monsieur D sont établis.

En effet, indépendamment des éléments rappelés dans les faits, les constatations des enquêteurs, prouvées par les pièces qu'ils ont versées au dossier, font manifestement apparaître que les bacs de décantation, présentés comme " station d'épuration ", recueillaient les eaux usées provenant des toilettes du personnel technique (matières fécales), du refroidissement des eaux des aérocondenseurs, du trop plein de la chaufferie (risque de pollution par le carburant), des eaux de nettoyage des machines et des ustensiles (risque de pollution par les produits chimiques - acide chlorhydrique à 30% - et les huiles de vidange des moteurs des véhicules). Ces matières, qui n'ont pas été stockées conformément aux lois de 1964, 1976 et au décret du 21 septembre 1977 sur les sociétés exploitant une installation classée, constituent des boues au sens de l'article 1 du décret du 8 décembre 1997.

De surcroît, les déclarations de Monsieur D concernant les huiles de vidanges sont contredites par Monsieur A, responsable de production de la société, et par les observations des agents de la DGCCRF.

En outre, Monsieur A a exposé que l'eau utilisée par l'usine (pour les sanitaires, la fabrication, le nettoyage) provenait du puits personnel de l'usine (il ne pouvait fournir aucune analyse micro-biologique de cette eau) et que le local de rétention où se trouvait stocké le fuel lourd n'était pas étanche et laissait parfois échapper le fuel.

Par ailleurs, cet homme a indiqué que " concernant la station d'épuration, entre guillemets, nous pompions après flottaison et floculation, environ 1 tonne à 1,5 tonnes de graisses réincorporées dans le circuit de fabrication par jour ". Il a également déclaré : " depuis votre dernier passage, nous avons évacué les boues de station d'épuration, pour 15 580 kilos brut (...) je vous précise qu'il s'agit de boues et non de graisses ".

Cette déclaration, confirmées par le prévenu, indique qu'avant cette date, les déchets de " station d'épuration " n'étaient ni détruits, ni stockés dans l'usine. En effet, malgré les différentes demandes en ce sens, aucun déchet n'a pas été montré ou présenté aux enquêteurs lors des différentes visites. Dès lors, la plupart de ces détritus devaient nécessairement être détenus dans les bacs de décantation et reconvertis par incorporation dans les farines animales avec les graisses quotidiennement soutirées desdits bacs.

Monsieur D a expliqué que, dans les bacs de décantation, il était procédé uniquement par une flottaison mécanique et naturelle (1er bassin) et à une flottaison naturelle (2nd bassin), l'aspiration des graisses se réalisant par un appareil flottant et une partie des boues en suspension était aspirée. " Les boues et graisses du premier bassin allaient dans la fabrication : quant au deuxième bassin, on récupérait les graisses non traitées au premier bassin avec quelques boues en suspension et le reste partait aux eaux de la ville (tout à l'égout) ". Il a notamment déclaré : " Nous étions conscients du problème des boues mélangées avec les graisses puisque le 8 mars 1999 nous avions commandé un floculateur pour séparer définitivement et radicalement les boues des graisses ".

Le prévenu reconnaissait en outre, lors de la visite du 26 mars 1999, que " toutes les eaux (circuit des toilettes, de la chaufferie et des eaux résiduelles de lavage plus eau refroidie dans aérocondenseur) vont dans la station d'épuration ".

Monsieur D ne donc peut prétendre, comme il le fait aujourd'hui, qu'il ignorait que des boues étaient incorporées dans les farines destinées à l'alimentation animale.

Or, l'incorporation des boues, source importante de contamination, est strictement interdite (article 11-1 de l'arrêté ministériel du 16 mars 1989, portant application du décret du 15 septembre 1986 : " l'incorporation des ingrédients énumérés ci-après est interdite dans les aliments composés pour animaux : boues issues de station d'épuration traitant des eaux usées " ; mais également l'arrêté préfectoral d'exploitation du site du 18/03/1981 et complémentaire du 15/04/1991). De surcroît, cette société, dont l'activité avait commencé en 1955, bénéficiait nécessairement d'une certaine expérience et d'un certain professionnalisme concernant les aliments composés pour l'alimentation animale. A ce titre, en tant que professionnel aguerri, le prévenu ne peut raisonnablement prétendre avoir commis une erreur sur le droit.

De plus, l'application du décret du 15 septembre 1986 portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services trouve parfaitement à s'appliquer en l'espèce, contrairement à ce qu'invoque le prévenu. En effet, l'article 1er de ce décret vise les " produits et substances commercialisés pour être destinés tels quels ou non à l'alimentation animale soit des animaux élevés pour la consommation ou pour leur fourrure, soit des animaux familiers ". Ainsi, la farine animale livrée par la SA M, ingrédient composé d'un mélange de farine de porc et de boeuf (produits d'origine animale), et par surcroît de boues, est un produit commercialisé pour être destiné à l'alimentation des animaux (dont la destination est d'entrer dans la composition d'un aliment animal final) et, constitue un produit composé au sens de l'article 2 du décret du 15 Septembre 1986.

Dès lors, les éléments au dossier sont suffisamment étayés pour en conclure que le procédé usité par cette société, consistant à récupérer les matières en suspension dans un bac de décantation afin de réincorporer ces déchets dans la fabrication des farines, constitue une falsification au sens de l'article L. 213-3 du Code de la consommation.

Par ailleurs, Monsieur D a indiqué aux enquêteurs que le personnel ne disposait pas de délégations de pouvoirs. A ce titre, il lui appartenait donc de prendre toutes mesures nécessaires et correctives afin de fabriquer et de mettre en vente des produits répondant aux normes en vigueur. Seule sa responsabilité devra donc être retenue compte tenu de sa qualité de dirigeant de la SA M au moment des faits poursuivis.

Dans ces conditions, il y a tout lieu d'infirmer la décision des premiers juges et de déclarer Monsieur D coupable des faits qui lui sont reprochés.

II - Sur la sanction

Le casier judiciaire de Monsieur D, né en 1940, ne porte trace d'aucune condamnation.

Ce retraité, qui perçoit une pension de 2 744 Euros (18 000 Francs) par mois, a fait montre d'une totale absence de diligence concernant la gestion de la société qu'il dirigeait, et a utilisé des pratiques illicites dans le seul but de satisfaire des profits. Aussi, devra-t-il être sanctionné en conséquence de cette faute.

En conséquence, la cour le condamnera à une amende de 1 500 Euros.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit, en la forme, l'appel sur les dispositions pénales du Procureur de la République, Au fond, infirme le jugement critiqué (Tribunal correctionnel de Compiègne, 19 décembre 2000) en toutes ses dispositions et, Déclare Monsieur Noël D coupable de falsification de denrées alimentaires, boissons ou substances médicamenteuses nuisibles à la santé, Condamne Monsieur D Noël à une amende de 1 500 Euros, Le condamne au droit fixe de procédure liquidé envers l'Etat à la somme de 120 Euros.