CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 7 juillet 1999, n° 98-04365
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Maison Française de Distribution (MFD)
Défendeur :
Gendre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
M. Boyer, M. Charras
Avoué :
SCP Rives Podesta
Avocat :
Me Perrin.
Faits constants et procédure antérieure
La société Maison Française de Distribution a organisé une publicité reposant sur une loterie.
Ainsi, elle a adressé à Bruno Gendre, comme à d'autres, un courrier dont elle verse un exemplaire au dossier.
Ce courrier s'ouvre sur un document en quatre pages, commençant par ces mots, en gros caractères " Vous avez gagné le plus gros chèque au "grand jeu MFD" et continuant ainsi "Je vous le confirmer votre numéro personnel... a bel et bien été tiré au sort de vendredi 26 avril, et vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce "Grand jeu MFD"... PS. J'insiste : vous n'avez pas gagné le lot de consolation mais bien le plus gros chèque mis en jeu. Réclamez le dès aujourd'hui."
Au verso de ce texte est imprimé le "règlement du tirage d'avril 96" qui mentionne en son article -présentation des lots: un chèque de 35 000 F (trente cinq mille francs) -10 (dix) chèques d'achat de 100 F (cent francs), la page de droite étant également consacrée à ce chèque de 35 000 F, en gros caractères rouges, avec garantie de payement et fac similé de signatures de la directrice des jeux, du directeur financier et d'un huissier de Justice, toujours sous le titre, pas très apparent "tirage d'avril 96". La quatrième page est constituée d'un bon de commande et d'une demande de prix Grand Jeu MFD;
Outre quelques publicités secondaires et un erratum, l'enveloppe contient aussi un catalogue.
Au verso de l'enveloppe, c'est-à-dire à l'intérieur, est imprimé le règlement du "Grand Jeu MFD, en caractères plus petits dont l'article 6 stipule "présentation des lots: une somme de 35 000 F répartie entre tous les participants sans que ceux-ci puissent recevoir un chèque inférieur à la valeur du lot de consolation fixée à 4 F".
Bruno Gendre a saisi le Tribunal de grande instance de Toulouse qui a condamné la société Maison Française de Distribution à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts, outre 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société MFD faisait valoir que Bruno Gendre n'avait gagné qu'au grand Jeu MFD et non au jeu tirage d'avril.
Ce jugement relève que la société MFD a adressé un document "dont la teneur était de nature à créer la confusion dans son esprit en le persuadant faussement qu'il avait gagné un prix de valeur", associant "intentionnellement, de manière sélective et répétée, le nom de l'intéressé, la qualité de gagnant, et la mention d'un prix consistant en un gros chèque, d'un montant de 35 000 F, dans une présentation solennelle employant des termes personnalisés, affirmatifs, inscrits en grands caractères, de nature à tromper le consommateur normalement avisé".
Il refuse à la société MFD la référence au renvoi au règlement figurant à l'intérieur de l'enveloppe, cette mention étant "écrite en caractères minuscules, peu visibles et presque illisibles; au surplus le terme utilisé "à l'intérieur..." renvoie normalement au contenu et non au contenant".
Il souligne aussi la confusion intentionnelle créée par la pratique de la société MFD dans la présentation des deux règlements des jeux.
Prétentions et moyens de l'appelante
La société Maison Française de Distribution conclut à la réformation du jugement et au débouté de Bruno Gendre de toutes ses demandes.
Elle fait valoir que:
- deux jeux étaient organisés,
- Bruno Gendre avait gagné au Grand Jeu MFD, donc un chèque qui ne pouvait être inférieur à 4 F, et porté à 5 F en fonction du nombre de participants,
- le tirage d'avril 1996 était un autre jeu dont il n'était jamais précisé que Bruno Gendre ait gagné le prix, le règlement montrant bien que la somme était à répartir entre tous les participants tirés au sort,
- la seule lecture du bon de participation montre qu'il y a bien deux jeux, puisqu'il y a deux bons, l'un pour le "Grand Jeu MFD", l'autre pour le tirage d'avril 1996 le document de ce second jeu indiquant deux chances de gagner,
- on ne peut pas apporter la preuve d'une quelconque faute que la société Maison Française de Distribution aurait commise, puisque toutes les précautions avaient été prises pour que le consommateur soit en mesure, par une lecture normale des documents mis à sa disposition, de comprendre les prix qui pouvaient lui être adressés,
- elle est allée au-delà de ses obligations légales en adressant les règlement des jeux,
- le tribunal a cru pouvoir retenir la confusion entre les deux jeux, contrairement à d'autres juridictions, et a mal interprété l'expression "à l'intérieur",
- "le tribunal prétend qu'il n'est pas clairement fait référence à un quelconque règlement figurant sur l'enveloppe et reconnaît que cette mention figure sur le bon de participation mais il omet de préciser qu'elle figure également sur la page concernant le Grand Jeu MFD",
- la dualité des de jeux est marquée par la présence de deux bons de participation et la présence sur le document concernant le "tirage d'avril 1996" de la mention "Deux chances de gagner",
Son liquidateur amiable, Jean-Michel Monnet, conclut avec elle.
Prétentions et moyens de l'intimé
Bruno Gendre cité à sa personne, ne comparaît pas.
Sur quoi, LA COUR,
Attendu que les conclusions d'incompétence visant un fondement contractuel abandonné se trouvent dépourvues d'effet;
Attendu que la société MFD verse au dossier un original des envois de ce jeu; que cet exemplaire sera retenu, comme identique à celui envoyé à Bruno Gendre;
Attendu que les premiers juges ont justement relevé que seul un consommateur particulièrement méfiant et méticuleux peut ouvrir l'enveloppe avec précaution, la conserver après avoir ôté son contenu, vérifier s'il y a quelque chose d'inscrit sur l'intérieur du pli et procéder à une étude comparative avec le contenu des documents eux-mêmes, alors que le consommateur moyen risque fort de la froisser ou de la déchirer et de la jeter une fois son contenu retiré, comportement qui apparaît bien plus habituel;
Attendu que, outre les constatations et les analyses du Tribunal de grande instance de Toulouse, dont la cour adopte intégralement les motifs, il faut relever que:
- si, en effet, aucun texte n'interdit de mettre en œuvre deux loteries en même temps, cette dualité crée nécessairement un risque de confusion dont on ne voit pas qu'il puisse résulter du hasard;
- l'entretien de cette confusion relève de la malhonnêteté au moins intellectuelle et constitue donc une faute;
- le règlement intérieur proprement dit du grand jeu MFD ne se trouve pas sur le document mais est imprimé sur la face interne de l'enveloppe alors que MFD n'ignore pas que c'est la première chose que le lecteur va jeter;
- la page de garde du document annonçant le gain ne fait pas référence au règlement du jeu et surtout n'indique pas qu'il se trouve dans l'enveloppe;
- la juxtaposition du règlement d'un autre jeu au dos du document annonçant le gain sans que la distinction entre les deux jeux soit nette dans la mesure où il est précisé que MDF pourra diffuser le jeu "tirage d'avril" sous des appellations différentes;
- la précision sur la page de garde que le numéro personnel a été tiré au sort le vendredi 26 avril 1996, entraîne nécessairement la corrélation avec le "tirage d'avril 96";
- la similitude des sommes mises en jeu: 35 000 F mais selon des modalités différentes, l'une répartissant la somme entre 7 000 personnes, l'autre, l'attribuant intégralement au gagnant;
- la présentation en gros caractères du premier prix de 35 000 F;
- le post scriptum insiste: "J'insiste vous n'avez pas gagné le lot de consolation mais bien le plus gros chèque mis en jeu. Réclamez le dès aujourd'hui";
Attendu que, matériellement, concernant l'instrumentum, il n'y a sur le bon de commande, qu'une demande de prix intitulée " Grand Jeu MFD" pouvant se détacher facilement du reste de la page; qu'en effet, il concerne les deux jeux, le joueur n'ayant à cocher que la case du "tirage d'avril 96"; que la case concernant le jeu MFD est déjà cochée pour indiquer "le plus gros chèque mis en jeu" plutôt que le lot de consolation;
qu'ainsi, cette partie de document détachable entretenait encore la confusion entre les deux jeux, étant relevé que rien n'interdit d'appliquer deux slogans à un même jeu, ce qui permettait de croire qu'il s'agissait de dénominations pouvant s'appliquer toutes deux au même jeu;
Attendu que la société MFD invoque la mention "deux chances de gagner sur le document concernant "tirage de février 1996";
que la seule signification profitable à la société MFD de cet argument serait qu'elle ait entendu voir là une chance dans chaque jeu;
Mais que cette page mentionne le premier prix de 35 000 F et un lot de consolation de 100 F; que l'on ne peut de bonne foi prétendre que la seconde chance aperçue à cette lecture était la perception d'un chèque de 4 F au minimum;
Attendu que dans une précédente instance, opposant la même société MFD et son liquidateur à un prétendu gagnant, la cour avait relevé:
"Attendu que certaines des critiques formulées par la société Maison Française de Distribution paraissent fausses, sauf à avoir échappé à la vigilance de la cour; qu'ainsi, il est soutenu dans les conclusions qu'il est précisé que les documents adressés aux consommateurs stipulent sur la page concernant le Grand Jeu MFD "Jeu Gratuit et sans obligation d'achat, n'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe", cette précision figurant aussi sur le bon de commande, donc deux fois en tout;
Attendu qu'une analyse minutieuse de la première page montre que dans sa partie haute encadrée par des bandes horizontales bleues intitulé Grand Jeu MFD, et portant l'identité du destinataire, une ligne verticale à droite recèle un texte en caractères de l'ordre du millimètre et disposé de ne manière à ne pas être aperçu comme tel; que ce texte indique "jeu gratuit sans obligation d'achat, n'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe"
que la seconde et la troisième pages sont consacrées au tirage d'avril 96; que la quatrième est constituée d'un bon de commande, et de la demande de prix "Grand Jeu MFD qui comprend en effet cette mention, mais en caractères noirs de l'ordre du millimètre; que la cour ne l'a donc trouvé qu'une fois, la seconde ayant pu lui échapper si elle est imprimée de la même manière;"
Attendu que cette argumentation est reprise dans la présente instance;
Attendu qu'il apparaît donc que la mention figure une fois à l'emplacement antérieurement repéré, en page 4, sous la case "confirmation d'adresse"
et l'autre fois, verticalement, en première page, est manifestement présentée d'une manière organisée pour ne pas être aperçue, non seulement par un observateur normalement attentif, mais aussi après une étude sérieuse;
que c'est la mise en œuvre des pires caricatures de manœuvres de juristes tortueux;
Attendu que, en rappelant cette dualité de mentions, l'appelante s'est bien gardée de dire où se trouvait précisément la seconde et s'est conduite envers la cour avec le même mépris qu'avec les destinataires de ses envois;
que ceci constitue un abus de procédure justifiant l'amende civile du montant mentionné dans le dispositif;
Attendu que l'on voit mal comment un consommateur moyen pourrait percevoir que le responsable Remise des Prix vienne lui-même adresser ses plus sincères félicitations pour un chèque dont on nous dit aujourd'hui que compte tenu des participations enregistrées, il ne serait que d'un montant de 5 F soit un franc de plus que le lot de consolation;
que qualifier de plus gros chèque mis en jeu un chèque d'un montant dérisoire relève de l'abus de langage à apparence logique, et de la malhonnêteté ci-dessus relevée;
Attendu que l'apparence de loyauté était confirmée par une mention "Opération contrôlée par huissier", selon une présentation imitant l'apposition d'un tampon autour d'une balance la désignation de l'huissier et la reproduction de sa signature en troisième page; que ces mentions justifiaient une confiance particulière du destinataire;
Attendu ainsi que les fautes commises dans l'organisation de la confusion sont aggravées par ces hyperboles présentées les unes et les autres comme contrôlées par officier ministériel;
Attendu surtout que la critique du jugement s'attache à détailler les diverses parties du document alors que l'ensemble est organisé à partir d'une étude entièrement consciente et dolosive, de manière à causer une confusion qui, pour être décelée, nécessite une étude excédant très largement ce que l'on peut exiger d'un consommateur moyen;
qu'il n'y a donc pas à reprendre plus avant le détail des critiques, mais à relever cette globalité illustrée par les données ci-dessus;
Attendu que le dommage subi par le destinataire d'une telle publicité, normalement trompé par cette présentation, résulte de la déception de ne pas avoir gagné ce qui était apparemment promis, et de la sensation désagréable d'être traité comme un imbécile;
Attendu que cela constitue certainement un préjudice;
Attendu par contre que l'évaluation de ce préjudice ne peut pas être égal au montant de la somme apparemment promise dans la mesure où aucun accord de volontés n'est allégué et où la réception d'une telle publicité entraîne un mélange d'espoir et de certitude;
Attendu en conséquence qu'il faut évaluer le montant des dommages-intérêts à 20 000 F;
Par ces motifs, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Toulouse Condamne la société Maison Française de Distribution à une amende civile de 10 000 F, La condamne aux dépens.