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Décisions

CA Douai, 1re ch., 29 septembre 1997, n° 95-10766

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Civad et compagnie "la Blanche Porte" (SNC)

Défendeur :

Jeanjean

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Corroller

Conseillers :

Mme Lévy, M. Méricq

Avoués :

SCP Levasseur- Castille-Lambert, SCP Le Marc'Hadour Pouille Groulez

Avocats :

SCP Lebas-Lemistre, Me Dumont.

TGI Lille, du 27 oct. 1995

27 octobre 1995

Par jugement en date du 27 octobre 1995, auquel il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens antérieurs des parties, le Tribunal de grande instance de Lille a, dans un litige opposant Mme Francette Jeanjean à la société Civad Blanche Porte:

- condamné la société Civad Blanche Porte à payer Mme Jeanjean la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cette décision a été frappée d'appel par la société Civad Blanche Porte qui, développant les moyens qu'elle avait fait valoir en première instance, conclut à la réformation de la décision entreprise et au débouté de Mme Jeanjean de ses demandes, fins et conclusions.

Mme Jeanjean dans le cadre d'un appel incident, sollicite une augmentation des dommages- intérêts à elle alloués outre une indemnité procédurale complémentaire au titre de la procédure d'appel.

L'analyse plus ample des moyens sera effectuée à l'occasion de la réponse qui y sera apportée.

Sur ce:

Il résulte des pièces versées aux débats et contradictoirement débattues devant la cour que dans le courant de l'année 1993, Mme Jeanjean a reçu de la "Blanche Porte", maison de vente par correspondance qui est en réalité une enseigne commerciale exploitée par la société Civad, des documents concernant une loterie dénommée "Tirage exceptionnel du blanc".

Cet envoi était composé d'une lettre personnalisée, à laquelle se trouvait joint un titre de propriété, d'une photographie représentant une magnifique maison de famille, d'un bon de commande à renvoyer, accompagné du titre de propriété, avec ou sans commande d'articles, ainsi que d'une carte signée du directeur commercial souhaitant au destinataire du pli de "bons achats".

La lettre personnalisée invitait le destinataire à vérifier si le numéro porté sur le titre de propriété correspondait au numéro affecté à l'un des 10 lots mentionnés en marge de la lettre.

Le numéro du titre de Mme Jeanjean correspondant, d'après cette liste, à la maison qu'elle se trouvait à même de visualiser, l'intéressée a considéré qu'elle avait effectivement gagné ce lot.

Cependant la société de vente par correspondance lui a répondu qu'il n'en était rien et lui a communiqué le numéro gagnant qui s'est avéré être un numéro différent du sien.

Devant la cour Mme Jeanjean qui est appelante incidente et qui sollicite une augmentation du montant des dommages-intérêts qui lui a été alloué se plaint de ce que l'attitude de la Blanche Porte a été équivoque, ce qui implique qu'elle prétend, que l'on se trouve en présence d'une publicité fallacieuse même si elle parait, dans des écritures rectificatives, en se prévalant d'un arrêt 74-96 de la Cour d'appel de Toulouse en date du 14 janvier 1996 qu'elle verse aux débats à cet effet, vouloir en outre, semble-t-il, invoquer l'existence d'un engagement unilatéral de volonté qui émanerait de la société qu'elle cherche, non sans contradiction, à faire sanctionner "sur le terrain contractuel".

Il sera, à cet égard, rappeler que par opposition au contrat et plus généralement à la convention -qui se forment par la rencontre de deux volontés au moins- l'acte juridique unilatéral est une manifestation de volonté par laquelle une personne agissant seule détermine des effets de droit.

L'acte juridique unilatéral et le contrat sont donc deux notions antinomiques.

Aussi la cour, en l'état des écritures dont elle est saisie et qui nécessite une interprétation, cela sans qu'il y ait prise à faire application de la régie du non-cumul qui n'est pas opposée par la société Civad Blanche Porte et qui n'est pas d'ordre public, se placera-t-elle sur le terrain délictuel qui est seul utilement invoqué, un engagement unilatéral de volonté ne pouvant, par évidence, pas être sanctionné sur le terrain contractuel et Mme Jeanjean prenant, au demeurant, soin d'indiquer dans le dispositif de ses écritures qu'elle entend, uniquement, voir appliquer l'article 1382 du Code civil qu'elle vise expressément à cet effet.

Il sera, à toutes fins, ajouté que l'engagement unilatéral de volonté n'est admissible qu'autant que les circonstances mêmes où il a été pris révèlent de la part du déclarant une volonté certaine et réfléchie de s'engager et qu'il est, pour le moins, contradictoire de soutenir tout à la fois que le message diffusé est ambiguë et d'affirmer qu'il est d'une parfaite clarté, l'erreur aurait-elle été délibérément provoquée ne pouvant être la source de l'engagement unilatéral qui implique une volonté effective de s'engager dont Mme Jeanjean dénie, elle même, l'existence puisqu'elle reconnaît qu'elle n'est pas gagnante et qu'on lui a laissé croire qu'elle l'était.

La faute, première condition de la responsabilité délictuelle de l'organisateur de la loterie dont la responsabilité est recherchée par Mme Jeanjean, consiste selon elle à avoir voulu la tromper en lui présentant de façon affirmative un événement hypothétique, cela en lui faisant parvenir des documents qui l'ont prédisposée à croire à la réalité d'un gain qui n'était pas acquis.

L'examen de la lettre d'envoi révèle effectivement qu'elle est rédigée de façon à laisser penser à son destinataire qu'il a toutes chances d'avoir gagné un lot - qui est le lot le plus attractif - cela par l'emploi abusif de l'indicatif présent "vous êtes propriétaire" situé au troisième paragraphe précédé par un premier paragraphe annonçant qu'un huissier de justice vient de désigner les numéros gagnants des titres de propriété et par un deuxième paragraphe qui invite ledit destinataire à se reporter aux numéros imprimés en marge de la lettre dont celui de tête, chance extraordinaire, correspond au numéro du titre de propriété qui lui a été affecté suivi des mots "une maison".

Cette illusion est confortée par le fait que l'indicatif présent ("vous êtes propriétaire") est suivi d'un point d'exclamation et précédé par les mots "si ce numéro a été désigné gagnant par Maître Bue" qui peuvent être perçus, compte tenu du contexte, comme voulant dire "oui c'est bien vrai", "ce numéro a été désigné gagnant par Maître Bue, vous êtes propriétaire !".

Le fait que sur le titre de propriété se trouve imprimée en caractère beaucoup plus petits la phrase "ce titre de propriété, valable si votre numéro a été désigné par Maître Bue, fait office de bon de participation" et que l'extrait du règlement imprimé au bas du bon de commande indique que pour savoir s'il a gagné chaque participant doit retourner son titre avec ou sans commande, la Blanche Porte s'engageant à vérifier si son numéro correspond à l'un des numéros tirés au sort, ne permet nullement de lever l'ambiguïté qui est délibérément entretenue par la phrase invitant chaque joueur à découvrir à quel lot correspond le numéro personnel qui lui a été attribué, lot qu'il peut donc penser avoir gagné: sous le coup de l'émotion et après avoir lu la lettre personnalisée, le destinataire est à même en effet de considérer que les vérifications auxquelles la Blanche Porte se propose de procéder sont des vérifications purement matérielles destinées à lui permettre de s'assurer, avant de délivrer le lot, que le numéro est effectivement gagnant et non pas de déterminer s'il s'agit ou non d'un numéro chanceux préalablement tiré au sort par l'huissier de justice.

Si la société Civad Blanche Porte, comme elle le prétend, avait voulu clairement indiquer que le numéro affecté au titre n'était pas nécessairement gagnant, elle aurait dû formuler son message d'une autre manière et si elle ne l'a pas fait, c'est, par évidence, après avoir fait un choix délibéré, la campagne publicitaire en question, destinée à plusieurs centaines de milliers de consommateurs, ayant nécessairement été préparée avec extrême minutie par des spécialistes au service de ladite société qui, en liaison avec la direction, ont fait les choix qui leur ont pour s'imposer pour la rentabiliser au mieux, en pesant tous les avantages et les inconvénients d'un document publicitaire destiné à une clientèle ciblée dont les goûts et les réflexes sont étudiés.

La cour est donc en mesure de constater que c'est à juste titre que Mme Jeanjean reproche à la Blanche Porte de lui avoir fait parvenir des documents publicitaires équivoques dans le fond et dans la forme et dont le but était de créer l'imprécision et la confusion dans son esprit en cherchant fallacieusement à faire naître chez elle un vain espoir d'un gain mirifique.

La seconde condition de la responsabilité délictuelle de l'organisateur d'une loterie est que le destinataire trompé par les documentsait subi un préjudice.

Tel est bien le cas ici où Mme Jeanjean, qui a des revenus modestes, a subi un choc émotionnel lié à la déception qui a été la sienne en constatant qu'elle n'était pas devenue propriétaire de la magnifique maison qu'elle pensait pouvoir habiter.

Ce préjudice, au regard des pièces produites devant la cour et contradictoirement débattues devant elle, sera justement réparée par l'allocation d'une somme de 7 600 F de dommages- intérêts à même de permettre d'en assurer l'entière réparation.

La cour, en l'état des éléments de la cause, estime équitable d'allouer à Mme Jeanjean une indemnité procédurale unique et globale de 11 000 F au titre des procédures de première instance et d'appel.

Par ces motifs: Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Emendant le jugement déféré, Condamne la société Civad Blanche Porte à payer aux époux Sanchez - la somme de 7 600 F à titre de dommages-intérêts, - la somme de 11 000 F à titre d'indemnité procédurale unique et globale pour les procédures de première instance et d'appel, Condamne la société Civad Blanche Porte aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Le Marc'Hadour Pouille Groulez dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.