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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 23 janvier 2003, n° 00-2451

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Département de l'Hérault

Défendeur :

Blanc (ès qual.), Dauverchain (ès qual.), Calytique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cuttat

Conseillers :

MM. Favre, Bancal, de Guardia, Bertrand

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Pomies Richaud Astraud

Avocats :

SCP Coulombie Gas-Crétin, SCP Roze Prunet Puech.

T. com. Montpellier, du 27 nov. 1996

27 novembre 1996

FAITS ET PROCEDURE:

Par acte du 18 juin 1996, la SARL Calytique a fait assigner le Département de l'Hérault, et plus spécialement le Laboratoire Départemental Vétérinaire, devant le Président du Tribunal de commerce de Montpellier, statuant en référé, reprochant, au Laboratoire Départemental Vétérinaire (LDV), de ne pas respecter les règles du droit de la concurrence, par un démarchage systématique, des pratiques de mailing, et une concurrence tarifaire avec des prix anormalement bas, sollicitant qu'il soit ordonné: la cessation immédiate de pratiques commerciales du Laboratoire Départemental Vétérinaire, à savoir les publicités, démarchages de la clientèle relevant du marché concurrentiel, et la désignation d'un expert.

Par ordonnance du 19 septembre 1996, le Président du Tribunal de commerce de Montpellier, statuant en référé, estimait que l'affaire ressortait du fond, et la renvoyait à une audience de la juridiction consulaire.

Par jugement rendu le 27 novembre 1996, le Tribunal de commerce de Montpellier rejetait l'exception d'incompétence soulevée par le Département de l'Hérault, se déclarait compétent, renvoyait l'affaire à une audience ultérieure pour qu'elle soit plaidée au fond.

Sur appel interjeté par le Département de l'Hérault, la Cour de Montpellier, par arrêt du 18 novembre 1997, infirmait le jugement déféré, disait que l'affaire relevait exclusivement de la compétence administrative, renvoyait les parties à mieux se pourvoir, condamnait la société Calytique, à payer, au Département de l'Hérault, la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur pourvoi formé par la SARL Calytique, la première chambre civile de la Cour de cassation cassait et annulait l'arrêt, rendu le 18 novembre 1997, renvoyait l'affaire et les parties devant la cour de ce siège. La Cour suprême indique que l'arrêt attaqué retient qu'au regard de son objet, de l'origine de ses ressources, et des modalités de son fonctionnement, le Laboratoire Départemental Vétérinaire était un service public administratif, et que s'il effectuait des prestations de service à l'égard des tiers, cette activité était accessoire, son rôle essentiel étant une activité administrative, d'intérêt général visant à la salubrité publique; "mais ajoute" qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'activité litigieuse, bien qu'exercée par un service administratif, ne constituait pas une activité industrielle et commerciale, justifiant la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

La cour de ce siège était saisie par le Département de l'Hérault, par acte du 5 juin 2000.

Le 23 février 2001, le Tribunal de commerce de Montpellier ouvrait une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL Calytique, Maître Blanc étant désigné en qualité d'administrateur, et Maître Dauverchain en qualité de représentant des créanciers.

Par acte du 16 mai 2001, Maître Blanc et Maître Dauverchain constituaient avoué, et déclaraient reprendre l'instance.

Le 27 juillet 2001, la liquidation judiciaire de la SARL Calytique était prononcée, Maître Dauverchain étant désigné en qualité de liquidateur.

Celle-ci intervenait volontairement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Par conclusions récapitulatives, avec bordereau de communication de pièces, signifiées le 8 novembre 2002, la SARL Calytique, Maître Jean-François Blanc, en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société Calytique, Maître Christine Dauverchain prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique et d'ancien représentant des créanciers au redressement judiciaire de ladite société, demandent:

- de constater que l'activité exercée par le service du Laboratoire Départemental Vétérinaire, a un caractère commercial et concurrentiel, relevant de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire;

- de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Montpellier, du 27 novembre 1996, en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par le Département de l'Hérault,

- de recevoir l'intervention volontaire de Maître Dauverchain en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique;

- de mettre hors de cause Maître Blanc, précédemment désigné administrateur judiciaire au redressement judiciaire de ladite société;

- de statuer au fond,

- d'ordonner la cessation immédiate des pratiques commerciales du Laboratoire Départemental Vétérinaire du Département de L'Hérault, à savoir les publicités, démarchages par toutes voies, de la clientèle relevant du marché concurrentiel, sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée;

- de condamner le Département de l'Hérault, à indemniser l'entier préjudice subi par la société Calytique, du fait de ces pratiques illicites, et de le condamner au paiement de la somme de 1 000 000 F, soit 152 449 euros, ainsi qu'au remboursement de l'entier passif de la SARL Calytique, tel qu'admis à la procédure collective par le juge commissaire, à titre provisionnel, et à valoir sur l'entier préjudice qui sera chiffré par expertise;

- d'ordonner une expertise, ayant notamment pour but d'établir l'entier préjudice subi par la société Calytique du fait des pratiques incriminées, en ce y compris les conséquences de sa mise en redressement judiciaire;

- de condamner le Département de l'Hérault à la publication, à ses frais, de la décision à intervenir, dans trois quotidiens, Le Midi Libre, L'Hérault du jour, Le Monde, dans la limite de la somme de 8 000 euros;

- de le condamner au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives et responsives dites n° 2, avec bordereau de communication de pièces, le Département de l'Hérault, service du Laboratoire Départemental Vétérinaire, représenté par le Président du Conseil Général, conclusions signifiées le 13 novembre 2002, il est demandé:

- de donner acte, à Maître Dauverchain, de son intervention volontaire, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique;

- de déclarer recevable et bien fondé l'appel du Département de l'Hérault;

- de confirmer l'ordonnance de référé du 19 septembre 1996;

- de réformer en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 27 novembre 1996 par le Tribunal de commerce de Montpellier;

à titre principal,

- de dire et juger que le Laboratoire Départemental Vétérinaire gère un service public administratif du Département de l'Hérault;

- que ce service public administratif comprend les activités litigieuses;

- que les juridictions de l'ordre judiciaire sont incompétentes pour connaître du litige porté devant le tribunal de commerce;

- de renvoyer en conséquence, la cause et les parties devant les juridictions administratives;

à titre infiniment subsidiaire,

- si par impossible, la cour estimait que le litige relève de la juridiction judiciaire, et se saisissait au fond du litige;

- vu l'article 40 du nouveau Code de procédure civile, et les conclusions adverses,

- de dire et juger que la cour d'appel n'est pas compétente pour juger de l'éventuel caractère anticoncurrentiel des tarifs du Laboratoire Départemental, lequel tarif est fixé par délibérations du Conseil Général de l'Hérault;

- de dire et juger que la validité des délibérations et la légalité du tarif relèvent de la compétence exclusive des juridictions administratives;

- de constater dès lors, l'existence d'une question préjudicielle générale, afférente à la validité des délibérations du Conseil Général et à la légalité des tarifs;

- de renvoyer la cause et les parties à mieux se pourvoir devant les juridictions administratives, afin que la question préjudicielle soit tranchée;

- de surseoir à statuer dans l'attente de la saisine et de la décision de la juridiction administrative sur la question préjudicielle;

- à défaut, de dire et juger que le Laboratoire Départemental Vétérinaire ne s'est rendu coupable d'aucune atteinte à la concurrence;

- de rejeter la demande indemnitaire de la société Calytique;

- et de débouter celle-ci, représentée par son liquidateur, de toutes ses autres demandes;

En toutes hypothèses,

- de condamner conjointement et solidairement la SARL Calytique et son liquidateur, Maître Dauverchain, à payer au Département de l'Hérault, une somme de 1 524,49 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'affaire a été communiquée au Ministère public.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité:

1°) recevabilité des interventions volontaires:

Alors qu'il a été mis fin à la mission de Maître Blanc, en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la SARL Calytique, ce qui ne fait l'objet d'aucune contestation, il convient de le mettre hors de cause.

En raison de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de cette société, Maître Christine Dauverchain ayant été désignée comme liquidateur, il convient de recevoir l'intervention volontaire de ce mandataire de justice, seul habilité à représenter la SARL Calytique.

2°) recevabilité des appels:

La recevabilité des appels n'est ni contestable, ni contestée.

Sur la compétence:

Les demandes présentées par la SARL Calytique, puis par son liquidateur, contre le Laboratoire Départemental Vétérinaire (LDV), service dépendant du Département de l'Hérault, tendent à faire juger que certaines pratiques de ce Laboratoire, lorsqu'il effectue des analyses, et des prestations de conseil, d'audit et de formation, en matière d'hygiène alimentaire, dans le cadre d'un marché concurrentiel, sont constitutives de concurrence déloyale.

Elles ne concernent nullement la contestation de la légalité des actes administratifs, relatifs à la nature, à l'organisation, et aux conditions d'exploitation de l'ensemble de ce service, et notamment la validité du tarif de ce laboratoire, tel que voté par le Conseil Général de I'Hérault, ce qui ressortirait alors de la juridiction administrative.

Les demandes soumises à l'appréciation de la cour, visent à obtenir la cessation de pratiques commerciales qualifiées de fautives, imputées au LDV et la réparation du préjudice résultant, selon le liquidateur, de ses comportements déloyaux.

Il en est en effet reproché au LDV:

- non pas d'avoir une activité, découlant de son statut, et de sa mission de service public administratif, telle que définie par les textes;

- mais d'avoir eu des pratiques critiquables, dans le cadre d'une activité d'analyse, de conseil et de formation, en matière d'hygiène alimentaire, exercée, à l'égard de clients, et non d'usagers d'un service public, dans le cadre de contrats de droit privé, dans un secteur où les opérateurs économiques ont le choix de leur cocontractant.

Cette activité doit donc être qualifiée de commerciale, et ressort de la compétence des juridictions judiciaires.

Contrairement à ce qu'allègue le LDV, celle-ci est détachable des autres missions qu'il assume, puisqu'elle concerne précisément un secteur concurrentiel, où peuvent intervenir opérateurs privés et publics.

La communication, à un service de l'Etat, du résultat de ces analyses du LDV, ne change pas la nature de cette activité, la prestation commandée par le client étant alors achevée.

C'est donc avec raison, que les juges consulaires de Montpellier ont retenu leur compétence d'attribution, pour connaître des comportements ainsi reprochés au LDV.

Leur décision sera confirmée, étant précisé qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer, dans l'attente d'une décision sur une question préjudicielle, qui concernerait la validité du tarif du LDV.

Sur la concurrence déloyale, et l'abus de position dominante:

Le liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique reproche notamment au LDV:

- de pratiquer des prix prédateurs, c'est-à-dire des prix anormalement bas, désorganisant le marché, et rompant l'égalité des chances dans la concurrence (pages 20 et suivantes de ses conclusions);

- d'utiliser pour ses activités purement commerciales, les moyens du Conseil Général (matériel, véhicules, personnel);

- d'avoir des pratiques commerciales agressives sur le terrain, et d'entretenir une certaine ambiguïté, avec les services vétérinaires, organisme de contrôle, dépendant de l'Etat, laissant en outre soupçonner des pressions explicites, ou implicites, pour pousser les prospects à conclure avec le Conseil Général (pages 23 et 24 des conclusions);

- d'abuser de sa position dominante (page 34), n'ayant aucun souci de rentabilité et aucune conscience du coût de ses services;

- d'exercer des pressions sur les entités privées ou publiques, fournisseurs du Conseil Général, ou recevant des subventions de celui-ci, pour les obliger à contracter avec le LDV;

- de n'avoir d'autre but ou d'effet que d'exclure du marché concurrentiel, les entreprises privées, et notamment la société Calytique (page 24);

- d'être ainsi arrivé à ses fins, en évinçant du marché la SARL Calytique qui n'a pu résister aux abus commis par le LDV, et a été contrainte au redressement judiciaire, puis à la liquidation judiciaire, "conséquence logique et voulue des pratiques du LDV" (page 34 bis).

Il demande donc la condamnation du Département de L'Hérault, à payer l'entier passif de la SARL Calytique.

En l'état des explications fournies et des documents produits, la cour relève:

que le liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique n'a produit aucun document comptable ou fiscal de cette société, régulièrement communiqué par bordereau;

qu'il n'a versé aucune liste, détaillant pour chacune des prestations incriminées, année par année, le coût respectif facturé par le LDV et la SARL Calytique, notamment pour les actions de formation et d'audit;

qu'il ne s'est nullement expliqué sur la convention conclue en 1992, entre la SARL Calytique et le LDV, qui prévoyait que le LDV effectue, pour le compte de la SARL Calytique, des analyses, et sur les conditions de la suspension de cette convention en 1996, soit l'année ayant précédé l'engagement de la procédure judiciaire (lettre du LDV du 3 mai 1995);

que la clientèle n'est pas susceptible d'appropriation, la liberté du commerce et de l'industrie, et la concurrence qui en résulte, étant la règle;

que s'il est démontré que le LDV a de nombreux clients, et que certains ont pu quitter la SARL Calytique (en nombre d'ailleurs limité selon les seules pièces produites), il n'est pas prouvé que le LDV ait eu des comportements déloyaux, à l'égard de la SARL Calytique, notamment en la dénigrant auprès de ses clients;

que le seul fait de dépendre d'une collectivité territoriale, et de s'introduire sur un marché concurrentiel, ouvert tant aux opérateurs privés, que publics, ne peut suffire à caractériser un comportement fautif, traduisant une concurrence déloyale;

que le fait que des prix bas aient été pratiqués dans un marché ouvert à la concurrence, ne suffit pas, en lui seul, à constituer une faute, à défaut d'éléments supplémentaires;

que la désorganisation du marché et la volonté délibérée d'atteindre la SARL Calytique, afin de l'évincer, ne sont nullement démontrées;

qu'à cet égard, la lettre d'Isabelle Vézy, ancienne salariée de la SARL Calytique ne suffit pas à établir l'existence de faits de concurrence déloyale, pouvant être imputés au LDV;

qu'aucune étude complète du secteur en question, avec notamment l'indication des principaux acteurs privés, n'est versée par le liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique, alors qu'il appartient au demandeur de prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions;

que l'allégation de pressions exercées sur de futurs clients n'est nullement démontrée;

que si le demandeur impute au LDV, ses difficultés, l'ayant amené à une procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire, il se garde bien de produire et de communiquer par bordereau, les pièces concernant cette procédure collective: état du passif, rapport des organes de la procédure, et décisions rendues,

qu'il ne démontre donc pas que le comportement du LDV ait été à l'origine de la procédure collective qu'il subit;

qu'enfin, le transfert au Département du Laboratoire des Services Vétérinaires, dépendant auparavant de la Direction Départementale de l'Agriculture, résulte des lois et règlements de décentralisation, et d'une convention conclue entre le Préfet de l'Hérault et le Président du Conseil Général de ce département, les attributions respectives des services vétérinaires dépendant de l'Etat, et du LDV, dépendant du Département, étant fixées par les textes précités.

Dès lors que le demandeur n'établit nullement l'existence de comportements fautifs du LDV, soit au titre de la concurrence déloyale, soit au titre d'un abus de position dominante, il ne peut qu'être débouté de l'ensemble de ses demandes, étant rappelé qu'en aucun cas, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée, pour suppléer la carence d'une partie, dans l'administration de la preuve.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

L'équité ne commande nullement, d'allouer à l'une ou l'autre des parties, la moindre somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur les dépens:

Alors que le demandeur succombe, les dépens constitueront des frais privilégiés de procédure collective.

Par ces motifs: LA COUR: Statuant publiquement, contradictoirement, après avis du Ministère public, en audience solennelle après renvoi de cassation; Met hors de cause Maître Jean-François Blanc, en qualité d'ancien administrateur au redressement judiciaire de la SARL Calytique; Reçoit l'intervention volontaire de Maître Christine Dauverchain, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Calytique; Reçoit les appels; Confirme le jugement déféré, en ce que le Tribunal de commerce de Montpellier a retenu sa compétence d'attribution; Au fond, Evoquant, Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer en raison d'un renvoi devant la juridiction administrative pour question préjudicielle; Déboute Maître Christine Dauverchain, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de La SARL Calytique, de ses demandes; Déboute les parties de leurs demandes d'indemnité fondées sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Dit que les dépens de première instance et d'appel constitueront des frais de privilégiés de procédure collective.