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Décisions

Cass. crim., 22 octobre 2003, n° 02-83.372

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Samuel

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner.

TGI Le Havre, du 10 janv. 2001

10 janvier 2001

LA COUR : - Statuant sur le pouvoi formé par L Dominique, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 25 février 2002, qui, pour entente anticoncurrentielle, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 4 500 euros d'amende ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 111-4 du Code pénal, L. 470-5 du Code de commerce, 458, 459, 509, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'écarter des débats les "conclusions" de la DGCCRF en date du 28 novembre 2001 et annexées, en cause d'appel, au dossier de la procédure à l'initiative du Ministère public et a en conséquence prononcé des condamnations contre le demandeur;

"aux motifs (page 11) que "le Ministère public a adressé aux avocats des prévenus le 30 novembre 2001, une copie de ses réquisitions écrites en date du même jour prises en cause d'appel et le 29 novembre 2001 pour 11 des prévenus, les 30 novembre 2001 et 4 décembre 2001 pour Michel Tollemer et Patrîck M une copie d'un rapport de 82 pages, intitulé "conclusions" en date du 28 novembre 2001 établi par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et déposé au dossier de la procédure à l'initiative du Ministère public ; que, la Cour, rappelant que la DGCCRF n'est pas intervenue à l'audience pour développer oralement les conclusions datées du 28 novembre 2001 et déposées au dossier de la procédure à l'initiative du Ministère public, relève d'une part, qu'aucun texte du Code de procédure pénale n'interdît au Ministère public de solliciter, même en cause d'appel, de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes un avis sur les pratiques anticoncurrentielles définies aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce relevées dans la procédure dont est saisie la juridiction d'appel dès lors que cet avis, exprimé sous forme de conclusions, est soumis aux débats et à la libre discussion des parties devant les juges du fond et d'autre part, que les dispositions de l'article L. 470-5 du Code de commerce, qui autorisent le ministre ou son représentant à déposer des conclusions devant la juridiction pénale, ne confère pas pour autant à celui-ci la qualité de partie à la cause et que leur application n 'est donc pas soumise aux règles de procédure régissant l'intervention des parties en première instance et en appel; le délai écoulé entre l'envoi de ces conclusions, qui ne constituent qu'une analyse approfondie des éléments de la procédure déjà connue des prévenus et notamment de MM. B, S, C et M, et la date d'audience (10 décembre 2001) fut suffisamment important pour permettre à ces derniers d'en prendre connaissance et de les discuter soit dans des conclusions ainsi que l'ont fait MM. E, F et G, soit encore à l'audience lors des débats devant la Cour";

"Alors, d'une part, qu'incombe au juge répressif de vérifier la régularité de la procédure à toutes les étapes du procès ; que l'administration économique n'ayant pas été représentée en première instance comme le soulignait le demandeur dans ses conclusions, n'ayant pas comparu en cause d'appel et n'ayant pas la qualité de partie comme le constate l'arrêt, la Cour d'appel ne justifie pas légalement la présence de ce document aux débats lui attribuant tour à tour la qualification de "conclusions'; déposées en application de l'article L. 470-5 du Code de commerce, ce qui supposait que le ministre, ou l'un de ses représentants qualifiés, ait lui-même déposé la pièce au greffe, et "d'avis" transmis à la juridiction par le canal du Ministère public, ce qui ne correspondait pas à l'application du texte sus visé ;

"Alors, qu'au surplus, que le signataire du document ne pourrait prétendre à la qualité de représentant du ministre de l'Economie sans justifier d'une délégation de pouvoir ou de signature, lesquelles ne se présument pas, de sorte qu'en s'abstenant de vérifier la qualité en laquelle prétendait agir le chef de service régional de la DGCCRF, la cour d'appel a violé de plus fort les textes susvisés;

"Alors, d'autre part, qu'il appartient au Ministère public de prendre des réquisitions écrites personnelles en vertu de l'article 458 du Code de procédure pénale et que considérant comme régulière la production aux débats par ce dernier de conclusions rédigées par un service administratif et non régulièrement déposées ni revêtues de la signature du président et du greffier, la cour d'appel a violé ensemble les articles 458 et 459 du Code de procédure pénale;

"Alors, de troisième part, qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que l'origine du document signé de la main d'un agent de la DGCGRF n'est pas clairement établie de sorte qu'en se fondant sur le rapport ainsi versé aux débats par le biais du Ministère public, l'arrêt a privé sa décision de base légale;

"Qu'il en est d'autant plus ainsi que la force probante d'un avis librement délivré par un agent du service de DGCCRF n'est pas la même que celle de conclusions prises par le ministre ou son représentant;

"Alors, enfin, de toute façon, que viole l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et méconnaît le principe du contradictoire l'arrêt qui décide de maintenir dans les débats un document accusatoire de plus de 80 pages établi par une administration tierce aux poursuites et produit pour la première fois en cause d'appel seulement 10 jours avant l'audience";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le procureur général près la Cour d'appel de Rouen a déposé au dossier de la procédure qui devait être examinée à l'audience du 10 décembre 2001, un rapport de 82 pages, en date du 28 novembre 2001, établi par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et intitulé "conclusions", et en a adressé copie, le 29 novembre, à 11 prévenus, puis, les 30 novembre et 4 décembre, à deux autres prévenus;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité soulevée par certains d'entre eux, la cour d'appel énonce, notamment, qu'aucun texte du Code de procédure pénale n'interdit au Ministère public, même en cause d'appel, de demander à cette administration un avis sur les pratiques anticoncurrentielles faisant l'objet des poursuites, dès lors que cet avis, exprimé sous la forme de conclusions, est soumis au débat et à la fibre discussion des parties devant les juges du fond; qu'ils ajoutent que le délai écoulé entre l'envoi de ce document et la date d'audience a été suffisamment important pour permettre aux prévenus d'en prendre connaissance et de le discuter, soit dans des conclusions, soit lors des débats devant la Cour;

Attendu qu'en cet état, l'arrêt attaqué, qui n'a pas méconnu la disposition conventionnelle invoquée, n'encourt pas les griefs allégués; que le moyen ne peut dès lors être accueilli;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 420-1, L. 420-6 du Code de commerce, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale;

"En ce que l'arrêt attaqué a condamné Dominique L à une peine d'emprisonnement de quatre mois avec sursis et une amende de 4 500 euros pour avoir participé à une entente prohibée;

" aux motifs qu'il résulte des déclarations de PB, un ingénieur de la société N qui est aujourd'hui décédé, et des déclarations des participants à la réunion du 19 janvier 1995, MM. H, I, J et en particulier K, M, L, que cette réunion fut organisée à l'instigation de la société N par l'intermédiaire de PB dans le but de s'entendre afin de garantir à la société N l'attribution de ce marché en contrepartie de quoi celle-ci ne soumissionnerait pas ou pour le moins ne ferait pas d'offres compétitives sur les prochaines consultations en matière d'éclairage public de la ville du Havre; qu'une fois le principe de l'entente accepté par Jean-Paul M directeur de la société Forclum, Dominique L, chef de service en charge du secteur d'éclairage public, de la société SEEE et André K, responsable d'exploitation de la société X, à la différence de MM. I, J et H qui ont refusé cette entente, PB a élaboré pour chacune des entreprises participant à l'entente un devis estimatif et un bordereau de prix unitaire à un niveau plus élevé afin que celles-ci puissent présenter des offres cohérentes mais suffisamment élevées de manière à ce que la société N soit l'entreprise moins disante et finalement désignée attributaire de ce marché public que les sociétés Y, SEEE et X ont recopié les bordereaux de prix et devis estimatifs fournis par la société N et les ont envoyés, comme offre de leur part, à la municipalité du Havre, validant ainsi l'accord obtenu lors de la réunion du 19 janvier 1995;

" et aux motifs qu'il n'est pas contestable que cette entente décidée le 19 janvier 1995, a eu pour but de tromper la commission d'appel d'offres de la ville du Havre en lui faisant croire faussement à l'authenticité de la situation de concurrence entourant la consultation; MM. M, K et L, agissant en tant que représentants de leur société, ont bien pris une part personnelle à cette entente ainsi qu'en atteste leur présence à cette réunion à l'issue de laquelle il fut décidé de favoriser l'attribution du marché à la société N tout en faisant croire à une apparence de concurrence; leur participation fut déterminante car sans leur acceptation et sans l'accord qu'ils ont donné à PB l'entente n'aurait pas pu être et le fait qu'ils aient accepté de déposer des offres de couverture concrétisées par le dépôt, au nom de leur société, d'un dossier de soumission fictif en ce que par rapport à leur entreprise il était dépourvu de toute authenticité et ne comportait que de fausses énonciations concertées avec l'intention de tromper l'acheteur public sur la situation de la concurrence, constitue un acte de mauvaise foi et de tromperie et confère à leur participation un caractère frauduleux au sens de l'article L. 420-6 du Code de commerce;

"alors, d'une part, que le délit d'entente suppose que la personne ait eu une part déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre des pratiques illicites, c'est-à-dire que sans lui ces pratiques n'auraient pas existé; de sorte qu'en se contentant d'affirmer que Dominique L avait accepté de présenter sous sa signature une offre qui reprenait le devis estimatif fournis par la société N, la cour d'appel n'a pas caractérisé de sa part une intervention déterminante dans l'entente violant les articles L. 420-1 et L. 420-6 du Code de commerce;

"Qu'il en est d'autant plus ainsi que l'arrêt ne s'explique pas sur le fait qu'il était notoire que l'émission d'offres de couverture était par ailleurs vouée à l'échec dès lors que la plupart des candidats au marché soumissionnaient en toute indépendance et qu'il s'agissait, pour Dominique Legros d'une attitude complaisante envers PB, salarié de la société N, avant son départ à la retraite et aujourd'hui décédé;

"Alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui caractérise l'élément frauduleux de l'infraction exigé par l'article L. 420-6 du Code de commerce en se référant seulement à l'émission d'offres de couverture destines à tromper les clients sur l'étendue de la concurrence et les possibilités alternatives de choix, ne démontre aucunement en l'absence de contrainte ou d'abus d'autorité l'élément intentionnel particulier de l'infraction d'entente prohibée visée par l'article L. 420-6 du Code de commerce, la cour d'appel a méconnu les articles visés au moyen";

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, partiellement reprises au moyen, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.