CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 18 juin 2003, n° 2003-507
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jacques
Conseillers :
Mme Varlamopf, M. Lacan
Avocats :
Mes Nourrit, Gaudon, Collard.
Rappel de la procédure:
La prévention:
Alain V a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Draguignan par ordonnance en date du 1er février 2002 rendue par le juge d'instruction, pour avoir:
- à Draguignan (83), courant février 1996, frauduleusement pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre d'une participation, pour empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché, en l'espèce le marché de l'éclairage public et de la signalisation lumineuse de la ville de Draguignan, à des actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, coalitions, tendant à:
* limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises,
* faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse,
Faits prévus et réprimés par les articles L. 420, L. 420-6 alinéa 1, L. 420-4 du Code de commerce NATINF 2709;
- à Draguignan (83), le 9 mai 1996, par quelque moyen que ce soit, falsifié un devis de l'entreprise X, écrit destiné à établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, et ce, au préjudice de l'entreprise X et, à Draguignan (83), le 15 mai 1996, fait usage de ce devis ainsi falsifié,
Faits prévus et réprimés par les articles 441-1, 441 alinéa 2, 441-9, 441-10 et 441-11 du Code pénal, NATINF 69 et 70;
- à Lorgues (83), le 9 septembre 1997, par quelque moyen que ce soit, falsifié une facture pro-forma de l'entreprise X, écrit destiné à établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques et ce au préjudice de l'entreprise X et, à Lorgues (83), le 15 septembre 1997, fait usage de cette fausse facture pro-forma, faits prévus et réprimés par les articles 441-1, 441-1 alinéa 2, 441-9, 441-10 et 441-11 du Code pénal, NATINF 69 et 70.
Le jugement:
Par jugement contradictoire du 6 juin 2002, le Tribunal correctionnel de Draguignan a constaté l'extinction de l'action publique par prescription pour les délits de faux et usage de faux, et relaxé V Alain du chef d'action concertée tendant à limiter l'exercice de la libre concurrence.
Statuant sur l'action civile, par jugement contradictoire à son égard, le tribunal a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Y.
Les appels:
Le Ministère public a interjeté appel principal de ce jugement, par déclaration au greffe du tribunal, le 10 juin 2002.
La société Y a relevé appel incident le 13 juin 2002.
Décision:
En la forme,
Attendu que les appels formés par le Ministère public et la partie civile sont recevables pour avoir été interjetés dans les formes et délais légaux;
Que V Alain, cité à mairie le 29 avril 2003 (AR signé le 2 mai 2003), a comparu assisté de son conseil:
Que la société Y, citée à personne morale le 17 février 2003, est représentée par son gérant, lui-même assisté de son conseil;
Qu'il sera statué par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties.
Rappel succinct des faits:
V Alain exerce les fonctions de directeur au sein de la société à responsabilité limitée Entreprise d'électricité Z, filiale de la Compagnie des Eaux et de l'Ozone (CEO), qui appartient elle-même au Groupe générale des Eaux (Vivendi). La société Z intervient dans le département du Var, notamment à Draguignan, dans le secteur de l'éclairage public.
Il est reproché à V Alain divers agissements en vue de faire attribuer à son entreprise des marchés de travaux d'installation de l'éclairage public ou des marchés de maintenance et d'entretien des installations existantes, au mépris de la législation tendant à assurer le libre exercice de la concurrence entre les entreprises.
1. Dans le cadre d'un appel d'offres ouvert, lancé courant février 1996 par la commune de Draguignan visant la maintenance et l'entretien de l'éclairage public de la ville, V Alain aurait demandé à la SARL d'Exploitation Ellena, en la personne de son gérant M. Georges Ellena, de faire une offre de couverture, c'est-à-dire de soumissionner à un prix convenu, supérieur à celui de la société Z.
2. La société Z s'est vu attribuer, par délibération du 4 juin 1996, le marché de travaux de l'éclairage public de la rue Jean Aicard à Draguignan, sur la base de son offre de prix, qui était la moins disante. A l'occasion de vérifications opérées par la mairie concernant les prix de certains matériels, V Alain a fourni une facture pro-forma de la société Approvisionnement Electrique Hyères (X), justifiant le détail des coûts figurant dans la soumission de la société Z, mais ne correspondant ni aux spécifications du CCTP, ni à la réalité des achats effectués par ladite société dans l'exécution du marché.
3. Alors que la société Z avait soumissionné au marché de maintenance et d'entretien du réseau d'éclairage public et des points lumineux de la commune de Lorgues (Var), les services techniques lui ont réclamé, par courrier du 11 septembre 1997, de justifier les prix de certains matériels figurant dans son offre. Là encore, V Alain a fourni une facture pro-forma de la société X, qui justifiait le détail des coûts de la société Z, mais qui ne correspondait pas aux références de matériel spécifiées par la commune, basées sur l'installation existante.
Moyens des parties:
Le conseil de la société Y a déposé des conclusions au nom de M. Max Martin, gérant statutaire de cette dernière. Ces écritures, qui dénoncent les pratiques commerciales de la société Z, ne réfutent pas de manière précise la motivation du jugement déféré. Il y est demandé la condamnation de V Alain à verser à M. Martin diverses sommes d'argent.
Le ministère. Public ne discute pas l'absence d'élément légal de la première des infractions reprochées à V Alain, mais fait valoir qu'une plainte avec constitution de partie civile faisant état d'une opération complexe déterminée, met l'action publique en mouvement et interrompt la prescription à l'égard de toutes les infractions, même non expressément qualifiées dans cette plainte, qui ont été commises à l'occasion de cette opération. Il en déduit que les délits de faux et d'usage ne sont pas atteints par la prescription et requiert contre le prévenu une peine d'emprisonnement avec sursis et une amende de 5 000 euro.
V Alain fait observer qu'il n'exerce aucune fonction dirigeante dans la société Z et qu'il accomplit ses taches pour le compte de celle-ci et sous le contrôle de sa hiérarchie invoquant l'absence d'élément légal concernant le premier chef de prévention, la prescription concernant les deux autres et, de surcroît, l'absence de constitution des infractions, il sollicite la confirmation de la décision entreprise. Il soulève, en tout état de cause, l'irrecevabilité des écritures déposées au nom de M. Martin.
Motifs de la décision:
Sur l'action publique:
1- Sur l'infraction d'action concertée tendant à limiter l'exercice de la libre concurrence
Attendu que, par des motifs adoptés par la cour, les premiers juges ont retenu que les faits reprochés à V Alain, en l'état du refus opposé par M. Georges Ellena, s'analysaient en une tentative d'entente en vue de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises; qu'ils en ont justement déduit que, la tentative d'entente n'étant pas punissable, il convenait de relaxer le prévenu de ce chef.
2- Sur les infractions de faux et usage
2.1 Sur la prescription:
Attendu que les factures pro-forma litigieuses ont été fournies par V Alain:
- par télécopie du 2 juillet 1996, en ce qui concerne la facture X du 9 mai 1996, relative au marché de travaux d'éclairage public de la rue Jean Aicard à Draguignan (D4, p.l2);
- par courrier du 15 septembre 1997, en ce qui concerne la facture X non datée, relative au marché de maintenance et d'entretien du réseau d'éclairage public et des points lumineux de la commune de Lorgues (D4, p.19);
Attendu que le réquisitoire supplétif aux fins d'instruire sur les faits de faux et d'usage de faux, a été pris le 22 septembre 2000, soit plus de trois années après la commission des infractions; que cette circonstance a été retenue par les premiers juges pour constater l'extinction de l'action publique du fait de la prescription;
Attendu, par ailleurs, que les plaintes avec constitution de partie civile déposées le 23 octobre 1998 par la société Y (D21) concernaient, pour la première, l'attribution du marché de l'éclairage du stade Raoul Brulat à Draguignan, et, pour la seconde, l'attribution du marché d'entretien de l'éclairage public et de la signalisation de la commune de Draguignan; qu'il s'agissait de marchés clairement identifiés et non d'une opération complexe déterminée, au sens de la jurisprudence invoquée par le Ministère public (Cass. Crim. 20.10.93); que, dès lors, ces plaintes n'ont pu interrompre la prescription de l'action publique relative aux infractions de faux et d'usage de faux, commises à l'occasion du marché de travaux d'éclairage public de la rue Jean Aicard à Draguignan, et du marché de maintenance et d'entretien du réseau d'éclairage public et des points lumineux de la commune de Lorgnes;
Mais attendu que les procès-verbaux établis par les officiers et agents de police judiciaire pour l'exécution de la mission qui leur est confiée par l'article 14 du Code de procédure pénale, interrompent la prescription; qu'il importe peu à cet égard que ces procès-verbaux, établis dans le cadre d'une commission rogatoire du juge d'instruction, portent sur des faits non visés au réquisitoire, un tel cas étant expressément prévu par l'article 80, alinéa 3, du même Code;
Attendu qu'en l'espèce, le 28 avril 1998, l'officier de police judiciaire Ginieys, en fonction à l'antenne de Toulon du service régional de police judiciaire de Marseille, agissant pour l'exécution de la commission rogatoire n° 98-112, délivrée le 8 décembre 1998 par le juge d'instruction Liegeois, a procédé, par procès-verbal n° 1998-000294-002, à l'audition de M. Paul Lemoyne, inspecteur à la Direction régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à Marseille, sur les faits qui font l'objet des préventions de faux et d'usage de faux dans la présente procédure; que ce procès-verbal a interrompu la prescription de l'action publique relative aux délits commis respectivement le 2 juillet 1996 et le 15 septembre 1997.
2.2 Sur la culpabilité:
Attendu que V Alain ne conteste pas avoir transmis aux autorités municipales des factures pro-forma qu'il savait ne pas correspondre au matériel de référence, dans le seul but de baisser artificiellement le montant des offres de la société Z et de lui faire ainsi remporter les marchés; qu'il est donc coupable des délits de faux et d'usage de faux qui lui sont reprochés, sous la réserve que, dans chaque cas, le faux n'est pas constitué par la facture elle-même mais par l'offre globale de la société Z, qui la contient et dont elle altère la sincérité;
Attendu, par ailleurs, que le fait que V Alain ait accomplit de tels actes pour le compte de son employeur et sous le contrôle de sa hiérarchie, ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale personnelle.
2.3 Sur la peine:
Attendu que V Alain n'a jamais été condamné; qu'une simple peine d'amende paraît suffisante pour sanctionner les infractions
Sur l'action civile:
Attendu que M. Martin n'est pas partie à l'instance; qu'il n'a, au demeurant, pas souffert personnellement du dommage directement causé par les infractions;
Que les conclusions déposées en son nom sont irrecevables.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'encontre de V Alain et de la société Y, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, en la forme, reçoit les appels formés par le Ministère public et la société Y. Au fond, confirme le jugement déféré en ce qu'il a relaxé V Alain du délit d'action concertée tendant à limiter l'exercice de la libre concurrence. Infirmant sur le surplus, Déclare V Alain coupable des délits de faux et d'usage de faux. Le condamne à une amende de 10 000 euro. Déclare irrecevables les conclusions de partie civile de M. Max Martin. Constate que la société Y ne formule aucune demande. Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.