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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 19 septembre 1997, n° 95-00003298

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gubri L (SA), GAN (Sté)

Défendeur :

Rotges, CPAM de Creil

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sempère

Conseillers :

Mmes Simonnot, Prager Bouyala

Avoués :

SCP Lambert Debray Chemin, SCP Fievet Rochette Lafon

Avocats :

Mes Lambard, Dolfi

TGI Nanterre, 6e ch., du 19 déc. 1994

19 décembre 1994

Faits et procédure

La société des établissements L Gubri est appelante d'un jugement rendu le 19 décembre 1994 par le Tribunal de grande instance de Nanterre qui l'a déclarée entièrement responsable d'un accident dont a été victime Monsieur Rotges, le 16 juin 1991, par chute d'une échelle, l'a condamnée, in solidum avec le GAN, son assureur, à en réparer les conséquences, a statué sur le préjudice personnel à l'exception du préjudice d'agrément et a sursis à statuer sur le préjudice corporel soumis à recours.

Un second jugement, rendu le 29 janvier 1996, après que Monsieur Rotges ait mis en cause la CPAM, a statué sur son préjudice soumis à recours et n'a pas été frappé d'appel.

Les établissements Gubri et le GAN font valoir que l'expert, désigné par une ordonnance de référé du 17 décembre 1991, n'a pu examiner l'échelle que Monsieur Rotges avait égarée et, au vu d'une échelle neuve d'un modèle similaire, a considéré que l'utilisation en avait été faite dans des conditions anormales.

Ils concluent à l'infirmation du jugement, au remboursement des sommes allouées, augmentées des intérêts capitalisés et au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils sollicitent, subsidiairement, un partage de responsabilité.

Monsieur Rotges considère que l'appel est sans objet du fait du jugement du 29 janvier 1996, devenu définitif.

Il soutient, subsidiairement, que la responsabilité des établissements Gubri est totale pour avoir commercialisé un produit dépourvu de protection mécanique contre une utilisation anormale, et sans informer le public des risques de celle-ci.

Il conclut à la confirmation du jugement, sollicite toutefois une augmentation des sommes qui lui ont été allouées, ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les établissements Gubri contestent la portée donnée par l'intimé à l'exécution, contraints et forcés, du jugement du 29 janvier 1996.

Ils concluent au remboursement des sommes ainsi payées.

La CPAM de Creil rappelle que sa créance s'est élevée à 28 052,21 F et sollicite une indemnité de 5 000 F en application de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale et une indemnité de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 juin 1997.

Motifs

Sur l'objet de l'appel

Attendu que Monsieur Rotges, sans soulever l'irrecevabilité de l'appel, soutient que celui-ci serait sans objet;

Attendu que le jugement du 29 janvier 1996 n'a pas statué sur le principe de la responsabilité, rappelant que celui-ci était soumis à l'appréciation de la Cour d'appel de Versailles;

Que l'exécution de cette décision par les établissements Gubri, alors que la détermination de la responsabilité n'était pas dans les débats, n'équivaut ainsi pas à un acquiescement sur ce point;

Qu'il ne saurait donc être soutenu que l'appel de la société des établissements Gubri serait sans objet;

Sur le fond

Sur la responsabilité

Attendu que l'expert n'a pu, ainsi que le relèvent les appelants, examiner l'échelle qui avait été à l'origine de l'accident;

Que la responsabilité du fabricant ne peut en conséquence être recherchée en raison d'un vice de fabrication qu'aurait présenté l'exemplaire acquis par Monsieur Rotges;

Mais attendu qu'il n'est pas contesté que l'expertise a porté sur un modèle identique;

Qu'il est donc possible de rechercher les responsabilités susceptibles d'être encourues en raison de la conception même de l'article;

Attendu qu'il s'agit d'une échelle dite transformable, c'est-à-dire d'une échelle composée de trois modules ou plans;

Qu'elle a été utilisée en position dite aérienne autostable;

Attendu que, dans cette utilisation, deux plans sont positionnés en "V" inversé, les quatre pieds reposant sur le sol, le troisième plan pouvant coulisser jusqu'au dernier échelon supérieur, doublant ainsi la hauteur;

Attendu que l'expert a relevé qu'aucun dispositif de sécurité n'interdisait une utilisation au cours de laquelle la projection de l'extrémité du 3ème plan dépasse la projection verticale du troisième échelon du plan de support ;

Attendu que, au cas d'un tel dépassement, le moindre mouvement du corps peut entraîner une chute;

Attendu que Monsieur Rotges a admis avoir fait coulisser le 3e plan jusqu'à cette position extrême;

Attendu qu'il y a donc eu une utilisation de l'échelle qualifiée d'anormale par l'expert;

Attendu que le matériel était vendu dans une grande surface, spécialisée dans le bricolage, mais s'adressant à une clientèle non professionnelle;

Attendu que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité du constructeur, sur le fondement d'un manquement à son devoir d'information, pour n'avoir pas attiré l'attention des utilisateurs sur les dangers d'une utilisation anormale, qu'aucun dispositif n'interdisait, par un étiquetage visible;

Mais attendu que le danger de l'utilisation faite par Monsieur Rotges, qui impliquait nécessairement que le sommet du plan aérien se trouve extérieur au plan du troisième échelon à partir du sol et que le haut de son corps se positionne à l'extérieur du polygone de sustentation, relève de notions de physiques plus qu'élémentaires et ne pouvait échapper à l'observation d'un utilisateur normalement vigilant;

Attendu qu'il convient donc de considérer que l'imprudence de Monsieur Rotges a concouru à la réalisation de son dommage et de lui laisser un tiers de la responsabilité;

Sur l'indemnisation du préjudice

Attendu que l'évaluation du préjudice soumis au recours de la CPAM n'est pas remise en cause;

Qu'il revient donc à Monsieur Rotges, compte tenu du partage:

- Créance de la CPAM: 28 052,13 F

- ITT: 300 000 F

- IPP: 52 000 F

Total: 380 052,13 F

- dont les deux tiers à la charge des appelants: 253 368,08 F

- dont créance CPAM: 2 052,13 F

Reste: 225 315,95 F

Attendu, s'agissant du préjudice personnel, qu'il a été alloué à Monsieur Rotges par le jugement entrepris 26 000 F au titre du pretium doloris;

Qu'il demande que cette somme soit portée à 50 000 F et sollicite, en outre, une somme de 10 000 F au titre d'un préjudice esthétique rejeté par les premiers juges;

Attendu que Monsieur Rotges a été victime d'une fracture des deux poignets;

Qu'après une simple réduction orthopédique sans anesthésie, Monsieur Rotges a été hospitalisé et a subi une réduction sous anesthésie;

Que les deux plâtres ont été maintenus du 16 juin à la fin du mois de juillet 1991;

Que Monsieur Rotges a subi ensuite une vingtaine de séances de rééducation fonctionnelle, puis des séances d'ostéopathie;

Attendu que le pretium dolons, évalué pan l'expert à 4/7, a été justement évalué par les premiers juges à la somme de 26 000 F:

Attendu que le préjudice esthétique allégué consiste en une minime déformation du poignet droit presque non visible;

Que celui-ci, bien que qualifié de non quantifiable pan l'expert, existe et pourra être évalué à la somme de 5 000 F;

Attendu qu'il revient donc à Monsieur Rotges au titre du préjudice non soumis au recours de la CPAM:

- Pretium doloris: 26 000 F

- Préjudice esthétique: 5 000 F

Total: 31 000 F

- dont les deux tiers à la charge des appelants: 20 666,66 F

Attendu qu'il revient donc au total à Monsieur Rotges: 225 315,95 F + 20 666,66 F

Total: 245 982,61 F

Attendu que ces sommes lui sont dues, augmentée des intérêts à compter de la présente décision;

Qu'il y a lieu d'ordonner la restitution de toutes sommes perçues en sus, augmentées des intérêts à compter de la signification de la présente décision, accompagnée d'une sommation de restituer;

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, les conditions légales n'en étant pas réunies ;

Sur la créance de la CPAM et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu qu'il sera donné acte à la CPAM du montant de sa créance, non modifié depuis le jugement du 29 janvier 1996 ;

Attendu qu'il sera fait droit à sa demande d'indemnité forfaitaire, conforme aux dispositions de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Qu'il n'apparaît pas que la CPAM ait engagé des frais complémentaires non compris dans les dépens;

Que sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile sera donc rejetée;

Attendu que l'équité et la situation des parties justifient que chacune, appelants et intimés, supportent la charge des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel, l'indemnité allouée à Monsieur Rotges par les premiers juges étant toutefois confirmée;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort; Déclare l'appel recevable; Infirme le jugement rendu le 19 décembre 1994 par le Tribunal de grande instance de Nanterre, à l'exception de ses dispositions relatives à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Statuant à nouveau, Déclare la société des établissements Gubri responsable pour les 2/3 et Monsieur Rotges pour 1/3 de l'accident dont celui-ci a été victime le 16 juin 1991; Constate qu'il revient en conséquence à Monsieur Rotges, au titre du préjudice soumis au recours de la CPAM, une somme de 225 315,95 F sur la somme de 380 052,13 F retenue au titre de l'évaluation de ce préjudice par le jugement définitif du 29 janvier 1996; Fixe à 31 000 F l'indemnité compensatrice de son préjudice personnel et constate qu'il lui revient, après partage, une somme de 20 666,66 F; Condamne, en conséquence, la société des établissements Gubri, in solidum avec le GAN, à lui payer, en deniers ou quittances, la somme de 245 982,61 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt; Ordonne la restitution au GAN par Monsieur Rotges de toutes sommes versées en sus, augmentées des intérêts au taux légal à compter de la signification, accompagnée d'une sommation de payer, du présent arrêt; Dit n'y avoir lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts; Donne acte à la CPAM de Creil du montant de sa créance, non modifié depuis le jugement du 29 janvier 1996; Condamne la société des établissements Gubri et le GAN à payer à la CPAM de Creil la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale; Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société des établissements Gubri et le GAN in solidum aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Fievet Rochette Lafon, et de la SCP Jullien Lecharny Rol, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.