CA Lyon, 3e ch. civ., 23 octobre 2003, n° 02-02186
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Colin distribution (SARL)
Défendeur :
Lyonnaise de développement commerciale (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
MM. Simon, Kerraudren
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, SCP Brondel-Tudela
Avocats :
Me Bensoussen, SCP Deprez Dian Guignot.
Faits, procédure et prétentions des parties
La SA Lyonnaise de développement commercial, filiale du groupe Auchan, a conclu, le 29 octobre 1999, avec la SARL Colin distribution, un contrat de franchise à effet au 17 novembre 1999 d'une durée de sept années, portant sur une formule de distribution de produits de grande consommation à prédominance alimentaire à l'enseigne "Eco Service" et le savoir-faire afférent à l'organisation et au mode particulier de distribution et de promotion des produits, relativement à un point de vente situé à Villeurbanne (Rhône).
Dans le courant du mois de mai 2000, la SA Lyonnaise de développement commercial a cédé au Groupe Casino la branche d'activité représentée par les magasins de commerce de proximité à l'enseigne commerciale "Eco Service", (représentant notamment cent trente magasins environ pour ceux exploités en franchise).
La SARL Colin distribution a fait assigner, le 10 juillet 2000, la SA Lyonnaise de développement commercial en résiliation du contrat de franchise.
Par courrier en date du 4 décembre 2000, la SA Lyonnaise de développement commercial se prévalant d'une clause résolutoire insérée dans contrat de franchise et de manquements de la part de la SARL Colin distribution dans le paiement des redevances convenues et dans celui des marchandises livrées, a mis fin audit contrat à la date de réception de la lettre de rupture.
Par jugement rendu le 15 mars 2002, le Tribunal de commerce de Lyon, constatant la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la SARL Colin distribution, l'a condamnée à payer à la SA Lyonnaise de développement commercial la somme de 52 402,76 euro au titre de la clause pénale insérée au contrat de franchise, la somme de 29 880,01 euro au titre de "la redevance initiale forfaitaire" et celle de 36 035,29 euro au titre de "la restitution de la participation d'ouverture" avec intérêts au taux légal à compter du prononcé dudit jugement outre une somme de 1 524,49 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et a débouté la SA Lyonnaise de développement commercial de l'ensemble de ses autres demandes.
La SARL Colin distribution a régulièrement formé appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu l'article 455 alinéa premier du nouveau Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre1998;
Vu les prétentions et les moyens développés par la SARL Colin distribution dans ses conclusions récapitulatives en date du 7 août 2003 tendant à faire juger:
- que la SA Lyonnaise de développement commercial a manqué à son obligation d'information précontractuelle prévue à l'article L. 330-3 du Code de commerce en remettant au futur franchisé un document lacunaire et imparfait ne prenant pas en compte toutes les données de la situation commerciale de la zone de chalandise dans laquelle le magasin en franchise allait ouvrir ses portes,
- que cette faute équivalente à un dol (dissimulation de la réalité de la situation de concurrence) doit être sanctionnée par l'annulation du contrat de franchise ou à défaut, par l'allocation de dommages et intérêts réparant le préjudice résultant de ces inexactitudes délibérées ou de ces erreurs grossières,
- que, subsidiairement, la rupture du contrat de franchise résulte de la défaillance de la SA Lyonnaise de développement commercial qui, à l'occasion de la cession du réseau de commerces de proximité au Groupe Casino et après celle-ci, n'a plus assuré de manière satisfaisante l'approvisionnement du magasin, l'assistance de son franchisé et la promotion du réseau subsistant de magasins,
- que la SA Lyonnaise de développement commercial a mis abusivement en œuvre la clause résolutoire en invoquant le non-paiement d'une dette dont le règlement avait été tacitement suspendu jusqu'à ce que l'activité du magasin de Villeurbanne génère une trésorerie suffisante,
- que le préjudice résultant de cette rupture abusive doit être apprécié en cas de résiliation du contrat de franchise aux torts du franchiseur à la somme de 38 397,82 euro à titre de dommages et intérêts pour perte financière,
- qu'enfin la SA Lyonnaise de développement commercial doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes liées à la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchisé dès que la SA Lyonnaise de développement commercial porte seule l'entière responsabilité de la rupture du contrat de franchise.
Vu les prétentions et les moyens développés par la SA Lyonnaise de développement commercial dans ses conclusions récapitulatives n° 4 en date du 2 septembre 2003 tendant à faire juger:
- à titre préliminaire, qu'elle était fondée juridiquement à céder le réseau de commerces de proximité au Groupe Casino, sans recueillir l'accord des franchisés dont la situation n'était pas substantiellement modifiée, les "contrats de franchise étant poursuivis dans des conditions identiques",
- qu'elle n'a jamais cessé d'assurer ses obligations vis-à-vis de la SARL Colin distribution même après la cession du réseau de franchise qui cependant ne pouvait être "dédoublé" et ne pouvait donc continuer à co-exister" avec celui cédé au Groupe Casino,
- que la SARL Colin distribution a eu une attitude "défaitiste" et "passive" qui explique ses mauvais résultats commerciaux,
- que la SARL Colin distribution a refusé de mauvaise foi de conclure un contrat de franchise avec le Groupe Casino, représenté par la société Medis alors que les conditions du contrat de franchise proposé étaient identiques à celles en vigueur,
- qu'elle a parfaitement respecté toutes les obligations qui lui incombaient aux termes du contrat de franchise (approvisionnement de son franchisé et actions de promotion de l'ensemble du réseau des magasins "Eco Service" et d'assistance auprès de la SARL Colin distribution),
- que la rupture du contrat de franchise étant imputable à la SARL Colin distribution, celle-ci sera condamnée à restituer à son franchiseur la somme de 36 035,29 euro représentant la participation accordée lors de l'ouverture du magasin litigieux et à lui payer la somme de 29 880 euro au titre de la redevance initiale forfaitaire et la somme de 52 407,76 euro au titre de l'indemnité forfaitaire de rupture, outre une somme de 30 489,80 euro à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence,
- subsidiairement, que la SARL Colin distribution ne fait pas la preuve de l'existence de son préjudice, que le montant des réclamations formulées par la SARL Colin distribution est exagéré et qu'en toutes hypothèses, la somme de 30 189,30 euro reste due par la SARL Colin distribution au titre du coût des travaux d'aménagement du magasin qu'elle a été amenée à payer à des entrepreneurs aux lieu et place de son franchisé.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2003.
Par conclusions déposées le 5 septembre 2003, la SARL Colin distribution sollicite le rejet des dernières conclusions de la SA Lyonnaise de développement commercial.
Motifs et décision
Attendu qu'il convient de déclarer recevables les conclusions récapitulatives n° 4 (les cinquièmes !) déposées par la SA Lyonnaise de développement commercial, deux jours avant l'ordonnance de clôture, dès lors qu'elles ne modifient que de très peu les précédentes (sur de simples questions de fait accessoires -voir pages 12 et 17-) et dès lors surtout qu'elles ont été établies en réponse à celles de la SARL Colin distribution, déposées le 7 août 2003, en période estivale, avec communication de nouvelles pièces; que la SARL Colin distribution avait obtenu pour pouvoir déposer ses conclusions, le 7 août 2003, la révocation de l'ordonnance de clôture fixée initialement au 8 août 2003;
Attendu que l'article L. 330-3 du Code de commerce impose à une entreprise proposant à une autre une collaboration commerciale d'une certaine nature comme celle résultant d'un contrat de franchise, de lui fournir un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause; que le décret n° 91-337 du 4 avril 1991 précise les informations que ce document doit contenir; qu'en l'espèce, la SA Lyonnaise de développement commercial a rempli son obligation à cet égard en fournissant à la SARL Colin distribution préalablement à la conclusion du contrat de franchise, un dossier intitulé "dossier d'information précontractuelle";que ce dossier comprend une étude de marché délimitant deux zones de chalandise la plus étendue allant jusqu'à 400 mètres du lieu d'implantation;qu'à partir de ces délimitations, il est déterminé un chiffre d'affaires brut "possible" compte tenu de l'impact du magasin dans ces deux zones;qu'il n'est pas avéré que les modalités de calcul pour déterminer le chiffre d'affaires potentiel ou la situation de concurrence à l'intérieur des zones de chalandise sont entachés d'erreurs patentes;que la SA Lyonnaise de développement commercial n'était tenue que d'une obligation de moyens en ce qui concerne la réalisation de cette étude et l'établissement du compte prévisionnel de l'activité de son futur franchisé;que l'analyse faite par la SA Lyonnaise de développement commercial n'apparaît pas critiquable,que notamment la SARL Colin distribution ne peut faire grief à la SA Lyonnaise de développement commercial de ne pas avoir pris en compte d'une part, des marchés forains ou des "grandes surfaces" tous situés hors de la zone de chalandise délimitée à 400 mètres comme étant situés à 700 mètres pour les plus proches d'entre eux et d'autre part, le particularisme des habitudes alimentaires d'une partie de la population habitant dans la zone de l'obligation de présenter l'état local du marché (en l' occurrence celui de l'alimentation générale dans un quartier central de Villeurbanne) ne comprend pas celle de réaliser une étude de la composition et des origines des populations concernées, y compris leurs habitudes alimentaires; que la SARL Colin distribution sera déboutée de sa demande en annulation fondée sur un manquement de la SA Lyonnaise de développement commercial à son obligation d'information précontractuelle;
Attendu que la SA Lyonnaise de développement commercial a affirmé dans un courrier en date du 16 août 2000 que, ne voulant pas imposer un nouveau partenaire commercial à la SARL Colin distribution, elle poursuivrait la relation commerciale avec son franchisé "jusqu'à l'issue de la période contractuelle, soit le 16 novembre 2006"; que dans ses dernières conclusions devant la Cour d'appel de Lyon, la SA Lyonnaise de développement commercial reconnaît "qu'un réseau de franchise est unique et ne peut être dédoublé" et "qu'il ne serait lui être reproché de ne pas avoir fait co-exister un second réseau "Eco Service" à côté de celui cédé au Groupe Casino"; que la SARL Colin distribution reproche précisément à la SA Lyonnaise de développement commercial d'avoir cessé d'assurer après la vente de l'entier réseau de magasins en franchise "Eco Service", les obligations qu'elle avait souscrites dans le contrat de franchise et qu'elle s'était engagée à respecter scrupuleusement jusqu'au terme du contrat, soit le 16 novembre 2006; que la volonté de la SA Lyonnaise de développement commercial de mettre fin progressivement mais rapidement "au réseau" de magasins en franchise s'est traduite par une succession de manquements de plus en plus graves à ses obligations contractuelles; que notamment, l'approvisionnement du magasin de la SARL Colin distribution n' était plus assuré de manière satisfaisante; que les bons de livraison à partir de la cession du réseau de magasins " Eco Service " mentionnent un nombre très important de produits " manquants à recommander " ou " supprimés (retirer l'étiquette) " ou " non disponibles " ou " rupture fournisseur " ou "épuisés attendre info" de telles sorte que le magasin de la SARL Colin distribution n'était plus approvisionné par la SA Lyonnaise de développement commercial en marchandises destinées à la vente dans des conditions satisfaisantes et suffisantes; que les opérations promotionnelles à la charge de la SA Lyonnaise de développement commercial n'étaient plus effectuées en raison du désintérêt et du désengagement de la S A. Lyonnaise de développement commercial dans l'animation de l'étique réseau de magasins subsistants et voués à la disparition; que la SARL Colin distribution a protesté à plusieurs reprises par courriers (le 7 juin 2000, le 16 juin 2000, le 22 juin 2000, le 4 août 2000, le 1er septembre 2000); que ces courriers faisaient état de manquants en nombre inhabituel et d'absence d'actions promotionnelles (absence de distribution de prospectus national) alors que la SARL, Colin distribution recevait du Groupe Casino des offres pour participer à des campagnes promotionnelles, réservées aux franchisés du Groupe Casino; que la SA Lyonnaise de développement commercial a manqué à ses obligations contractuelles en matière de "promotion et publicité", de développement du réseau en franchise et d'approvisionnement telles que stipulées aux articles 1-4.2.3 et 1-4.2.4 du contrat de franchise; que sa rupture est imputable à la SA Lyonnaise de développement commercial;
Attendu que la SA Lyonnaise de développement commercial a, en revanche, mis en œuvre de mauvaise foi la clause de résiliation insérée au contrat de franchise; que le bénéfice de la clause résolutoire ne peut lui être acquis dès lors qu'elle a visé dans la lettre de résiliation le non-paiement d'une fraction (le dernier tiers) du stock initial de marchandise payable le 18 février 2000 alors que prenant en compte les difficultés réelles de son franchisé, elle s'était abstenue d'exiger ce règlement (145 154 F) et lui avait accordé implicitement des délais de paiement; que dans son courrier du 17 août 2000, la SA Lyonnaise de développement commercial mentionne pour mémoire cette dette qu'elle exige opportunément et brusquement lorsqu'elle entend mettre fin au contrat de franchise;
Attendu que du fait de la résiliation imputable à la SA Lyonnaise de développement commercial, la SARL Colin distribution a subi un préjudice lié d'une part, à l'insuffisance et aux difficultés d'approvisionnements de son magasin pendant la période du mois de juin 2000 au 4 décembre 2000 entraînant un manque à gagner et d'autre part, à une perte de chance de réaliser des gains pendant le temps d'exploitation du magasin; que ce préjudice total sera indemnisé au vu des justificatifs produits par l'allocation d'une somme de 15 000 euro;
Attendu que la SA Lyonnaise de développement commercial qui porte la responsabilité de la rupture anticipée du contrat de franchise ne peut se prévaloir de la clause 11.2 prévoyant à son profit, mais au seul cas de résiliation aux torts du franchisé, l'application de diverses sanctions : restitution par le franchisé à la SA Lyonnaise de développement commercial de "sa participation d'ouverture" qui restera acquise au franchisé et le double versement par le franchisé "d'une redevance initiale forfaitaire" et "d'une indemnité forfaitaire de rupture"
Attendu que si la SARL Colin distribution a violé la clause de non-concurrence d'une année (article 11.1 du contrat de franchise), la SA Lyonnaise de développement commercial ne fait pas la preuve que cette violation non sanctionnée par une indemnité forfaitaire et contractuelle lui a causé un préjudice; qu'ayant cédé l'intégralité du réseau de franchise et n'ayant plus d'activité dans le secteur de la distribution de proximité au moment où elle a résilié le contrat de franchise, la SA Lyonnaise de développement commercial ne se peut se plaindre d'un préjudice matériel ou financier quelconque, ce qu'elle n'invoque d'ailleurs pas à l'appui d'une demande à hauteur de 200 000 F;
Attendu que la SA Lyonnaise de développement commercial qui a fait réaliser par des entreprises du bâtiment certains travaux d'aménagement des locaux avant de signer avec la SARL Colin distribution le contrat de franchise, ne peut faire supporter par son franchisé le coût des frais qu'elle a engagés antérieurement à la signature du contrat de franchise, que si celui-ci prévoit à son article 2.2 que le franchisé devra procéder, à ses frais, aux travaux d'équipement et d'aménagement qui devront être réalisés conformément au descriptif d'Eco Service, il ne stipule pas que la SARL Colin distribution devra supporter la charge de travaux déjà réalisés avant son entrée dans les lieux à l'initiative de son franchiseur; que le contrat de franchise stipulait que le franchisé était informé préalablement à sa signature, de la nature des travaux d'équipement et d'aménagement; qu'à défaut de stipulations précises prévoyant une prise en charge des travaux déjà exécutés, seuls les travaux à réaliser postérieurement à la conclusion du contrat de franchise sont visés; que la SA Lyonnaise de développement commercial sera déboutée de sa demande en paiement des travaux qu'elle a fait exécuter spontanément avant la conclusion du contrat de franchise; qu' il ne ressort pas des stipulations contractuelles que leur charge incomberait à la SARL Colin distribution;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 2 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel de la SARL Colin distribution comme régulier en la forme; Déclare recevables les conclusions de la SA Lyonnaise de développement commercial déposées le 2 septembre 2003; Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Statuant à nouveau, condamne la SA Lyonnaise de développement commercial à porter et payer à la SARL Colin distribution la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et celle de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties de leurs plus amples ou contraires conclusions; Condamne la SA Lyonnaise de développement commercial aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués Junillon & Wicky, avoué sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.