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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 27 février 1998, n° 97-05907

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Conseillers :

Mme Marie, M. Buisson

Avocats :

Mes Deprez, Vincent, Giafferi.

TGI Paris, 31e ch., du 2 juin 1997

2 juin 1997

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré :

B Etienne Michel et C Régis coupables d'infraction à la réglementation de la publicité pour des boissons alcooliques, de juin 1996 à juillet 1996, à Paris, infraction prévue par les article L. 17, L. 18, L. 21 al. 1 du code des débits de boissons et réprimée par l'article L. 21 al. 1 du code des débits de boissons.

Et, par application de ces articles, a condamné :

- B Etienne Michel à 100 000 F d'amende,

- C Régis à 100 000 F d'amende,

a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;

Le tribunal a déclaré la société B K civilement responsable de M. C et la société Y et R France civilement responsable de M. B.

Sur l'action civile : le tribunal a reçu l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement C Régis et B Etienne à lui payer la somme de 50 000 F à titre de o in et celle de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

M. le Procureur de la République, le 6 juin 1997 contre M. C Régis,

M. C Régis, le 6 juin 1997 contre ANPA Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme,

B K (Sté), le 6 juin 1997 contre ANPA Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme,

M. le Procureur de la République, le 9 juin 1997 contre M. B Etienne,

M. B Etienne, le 9 juin 1997 contre ANPA Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme,

Y et R France (Sté), le 9 juin 1997 contre ANPA Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme.

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus, les sociétés civilement responsables et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;

Le Ministère public conclut à l'aggravation des sanctions contre les deux inculpés C Régis et B Etienne, en raison de l'importance des faits qui leur sont reprochés, ainsi que la mise en cause des B K, civilement responsable de C Régis. Il met en évidence que les deux prévenus sont des professionnels de la vente des alcools, alors qu'elle est strictement réglementée.

C Régis et la société K, appelants, exposent à la Cour que le jugement entrepris doit être réformé, qu'elle doit dire et juger que les publicités incriminées par l'ANPA sont conformes aux exigences de l'article L. 8 du code des débits de boissons.

Dire et juger que les éléments de l'infraction prévue et réprimée par l'article L. 21 du code des débits de boissons ne sont dès lors pas réunis.

En conséquence, infirmer le jugement du tribunal de grande instance du 2 juin 1997 en ce qu'il a déclaré M. C coupable d'infraction à la réglementation de la publicité pour des boissons alcooliques et l'a condamné à une amende délictuelle de 100 000 F et à des dommages-intérêts envers l'ANPA de 50 000 F, solidairement avec M. B plus 4 000 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et a déclaré les B K civilement responsables de M. C.

Faisant ce que les premiers juges auraient dû faire,

Débouter l'ANPA de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'égard de M. C, prévenu, et de la société B K, civilement responsable.

Relaxer M. C des fins de la poursuite.

Ils exposent à cet effet qu'il n'a pas été répondu à leurs conclusions qui avaient démontré au contraire l'existence d'un rapport entre les illustrations et les modalités de consommation de la boisson puisque ces illustrations incriminées sont conformes à l'article L. 18 du code des débits de boissons qui entérine expressément l'indication du mode de consommation de la boisson alcoolique ainsi que l'indication et l'adresse de son distributeur.

La raison de cette approbation est que ces illustrations se rapportaient directement et intrinsèquement au mode de consommation de la bière qui dans les débits de boissons est offerte, soit en bouteilles, mode de consommation commun à toutes les autres boissons, soit à la pression, mode de consommation propre à la bière, très usité, réservé aux seuls débits de boissons et requérant nécessairement l'intervention d'un serveur ou d'une serveuse.

Ils invoquent à cet effet l'étude publicitaire de M. Penimou, qui rejoint ainsi la recommandation du Bureau de Vérification de la publicité et la jurisprudence par défaut qu'a contribué à créer l'ANPA en n'émettant aucune critique à l'encontre de la pratique publicitaire en vigueur, ou d'innombrables publicités pour des boissons alcooliques, représentant les producteurs ou les distributeurs de ces boissons.

Ils citent :

- l'arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 1995, qui a dit pour droit que les éléments écrits ou images d'une publicité pour une boisson alcoolique doivent se rapporter aux seuls mentions autorisées par la loi.

- l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 décembre 1995 qui en incluant dans une affiche un barman et un comptoir, leurs auteurs ont enfreint les dispositions de l'article L. 187 du code des débits de boissons, qui énumèrent de manière limitative les éléments dont peut être composée une publicité.

- l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 octobre 1994 qui a considéré que la représentation d'un camion bâché dans une publicité pour de la bière ne correspondait à aucune des indications autorisées par l'article L. 18 car une telle représentation est étrangère aux modalités de sa représentation.

B Etienne et la société Y et R demandent à la Cour :

Dire et juger que les publicités incriminées pour K comportent uniquement des textes et représentations autorisées par l'article L. 18 du code des débits de boissons, en rapport avec le mode de consommation d'une bière pression et les noms des dépositaires.

Infirmer en conséquence le jugement de la 31e CHAM du Tribunal correctionnel de Paris en date du 2 juin 1997 et relaxer les appelants des fins de la poursuite d'infraction à la réglementation des boissons alcoolisées.

Débouter en conséquence l'ANPA de toutes ses demandes à l'encontre de M. Etienne B, ès qualité de Président Directeur Général de la société Y et R France, ainsi qu'à l'encontre de Y et R France ès qualité de civilement responsable.

Ils exposent à cet effet que les textes de la publicité K se rattachent exclusivement aux indications autorisées par l'article L. 18 du code des débits de boissons, que les termes de distribution de " K Fraîche " constituent la dénomination du produit K et son mode de consommation, fraîche et par distribution, que ma mention " Aux copains frisant l'insolation ", et " Aux copains qui ont de la conversation " indiquant le noms et l'adresse des débits de boissons dépositaires du produit, que l'astérisque renvoie exclusivement au nom et à l'adresse de ces dépositaires, que les images de la publicité K illustrent ces indications licites et se rapportent aux seuls indications autorisées par l'article L. 18 c'est à dire au mode de consommation de la boisson, ainsi qu'au nom des dépositaires.

Or le tribunal a admis que ni les textes de la publicité K, ni le principe d'une représentation imagée des mentions autorisées par la loi, n'étaient contraire à l'article L. 18, mais a considéré que les illustrations des publicités étaient illicites.

Ils soutiennent que leurs textes de publicité sont de toute évidence en parfaite conformité avec la loi car elles ne comportent que le mode de consommation du produit, distribution de K fraîche, le nom et l'adresse du dépositaire " Aux copains frisant l'insolation " à l'exclusion de tout slogan publicitaire.

Ils mettent en évidence que le texte de l'article L. 18 qui entérine les indications et les références ne prévoit formellement la reproduction qu'en ce qui concerne le conditionnement du produit. Ils se rapportent à cet effet à l'arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 1996, ayant confirmé la possibilité de montrer une image dans la publicité des boissons alcoolisées, en précisant qu'elles devaient, comme les textes, être en rapport avec les indications autorisées, une image étant illicite, lorsqu'elle ne correspond à aucune des représentations limitativement prévues par la loi ; ils font état également d'un arrêt du 12 mars 1997, rendu par la Cour d'appel de Versailles, déclarant que les indications autorisées par l'article L. 18 peuvent consister dans tout procédé susceptible d'indiquer ay consommateur les qualités ou les spécificités qu'il énumère ; qu'au nombre de ces procédés figure évidemment le dessin, l'image ou tout autre procédé figuratif.

Ils font valoir en outre que le tribunal n'a pas motivé sa décision, ni répondu aux moyens des prévenus ; dès lors qu'il admettait la licéité des textes figurant dans la publicité, et le droit de représenter les indications autorisées, il devait au contraire constater que les illustrations de la publicité K, respectaient les dispositions de l'article L. 18.

Ils rappellent à cet effet le principe d'interprétation stricte de la loi pénale ; l'article L. 18 autorise un certain nombre d'indications ou de références, limitativement énumérées, mais ne comporte aucune prohibition de fond, contrairement à sa rédaction antérieure, résultant de la loi du 30 juillet 1987.

Ils soutiennent qu'il y a eu confusion entre le caractère limitatif des mentions autorisées par l'article L. 18 et l'interprétation restrictive de ces mentions, elle-même contraire au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, tel qu'il résulte de l'article 111-4 du code pénal.

Ils affirment que les illustrations des publicités K se rapportent aux mêmes indications autorisées que les textes ; les personnages, leurs vêtements et la présentation du produit sur un plateau se rapportent sans aucun doute possible au mode de consommation spécifique de la bière. Dès lors que le tribunal a admis qu'une publicité pour K dont les textes étaient en relation avec le mode de consommation et le nom des dépositaires, pouvait faire l'objet d'une représentation imagée, il devait nécessairement constater que celle-ci comportait le même support, étroit et immédiatement perceptible, avec les indications autorisées par l'article L. 18.

L'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme demande à la Cour de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit et jugé B Etienne et C Régis prévenus et convaincus des infractions visées par l'article L. 18 du code des débits de boissons et réprimées par l'article L. 21 du même code, de statuer ce que de droit, de dire et juger l'ANPA recevable et bien fondée en sa constitution de partie civile, et réformant la décision entreprise, ordonner l'interdiction des deux publicités litigieuses et de prononcer la condamnation solidaire de la société B K SA et de la société Y et R France, ès qualité de civilement responsables à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 30 000 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Elle expose à cet effet que la société B K a fait paraître dans le magazine Entrevue du mois de juillet 1996, en page 13 ainsi que dans la revue " Les incorruptibles " du mois de juin 1996, en dernière page de couverture une publicité en faveur de la boisson alcoolisée qu'elle fabrique et vend, que cette illustration est complétée par un commentaire en lettres blanches sur fond rouge, représentant plus de la moitié du support publicitaire, que ces deux publicités ne sont pas conformes aux dispositions des articles L. 18 et suivant du code des débits de boissons, que le message est diffusé limitativement qu'en outre sont interdites toutes mentions portées sur un support publicitaire, à l'exception de celles portés dans ledit article, qu'ainsi le commentaire de chacune de ces deux publicitaires est contraires aux termes de la loi, qu'en outre l'astérisque mentionnant directement l'adresse d'un établissement susceptible de distribuer des produits K, constitue également un procédé illégal au regard de l'article L. 18.

Elle invoque à cet effet l'arrêt rendu le 20 mai 1994 par la Cour d'appel de Paris qui rappelait que le mode de consommation autorisé par l'article L. 18 constitue un texte restrictif de la publicité et s'accommode mal des termes incitatifs à la consommation ;

- l'arrêt rendu par la Cour de cassation Civile le 28 juin 1995 considérait que la publicité litigieuse était illicite, que par cette décision la Cour de cassation démontre que les références figurant à l'article L. 18 doivent être interprétées strictement, dans le respect de la lettre et de l'esprit de la loi, que la jurisprudence retient donc une interprétation restrictive des mentions autorisées et apprécie " in concreto " les publicité litigieuses afin de sanctionner tout contournement subtil des dispositions légales qui ont voulu une publicité informative plus que subjective.

Sur ce,

Sur l'action publique :

Considérant que selon l'article L. 18 du code des débits de boissons : " la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit, cette publicité peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production et aux distributions obtenues, le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes " ;

Considérant que la publicité en faveur des boissons alcooliques est strictement limitée pour des motifs de santé publique ;

Considérant d'une part que, la publicité en question représente trois jeunes hommes ou trois jeunes femmes souriants portant des tee-shirts et des chapeaux de pailles pour les jeunes gens, avec les textes suivants : aux copains frisant l'insolation, aux copines qui ont de la conversation ;

Que ces images présentent une atmosphère ensoleillée et détendue de nature à inciter les destinataires de ces publicités à consommer une boissons représentée comme rafraîchissante et particulièrement agréable à consommer pendant la période estivale ;

Considérant que les prévenus soutiennent vainement qu'il s'agit de la représentation de serveurs dans l'exercice de leur profession en insistant sur la présence du torchon sur l'épaule d'un des jeunes gens, d'un carnet de commande, d'un ouvre bouteille et d'un plateau, dès lors qu'il n'est pas d'usage dans la profession de serveur de porter un chapeau de paille pour travailler, cet accessoire n'étant là que pour renforcer le caractère attractif de la publicité ;

Considérant d'autre part, que les mentions qui accompagnent ces photographies, aux copains qui frisent l'insolation et aux copines qui ont de la conversation, sont en réalité des slogans publicitaires, d'autant qu'elles sont précédées de l'indication : " distribution de bière " ;

Considérant en outre que les concepteurs de cette publicité, avaient indiqué l'adresse de deux débits de boissons, dans le sud de la France pour pouvoir prétendre qu'ils répondaient par-là aux exigences de la loi, alors que pour une publicité diffusée sur l'ensemble du territoire national, il ne peut être sérieusement soutenu que cette indication avait pour objet d'informer le public sur les modalités de vente du produit objet de la publicité ;

Considérant que ces images, en réalité sans rapport avec les modalités de vente ou de consommation de la boisson, ne correspondent à aucune des représentations limitativement prévues par la loi ;

Considérant que les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis et que le jugement doit être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée, laquelle a été exactement appréciée par les premiers juges ;

Sur l'action civile :

Considérant que, l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme, association qui a été reconnue d'utilité publique à l'effet de lutter contre les méfaits de l'alcool, subit, en raison de la spécificité du but que ses membres se sont assignés et de l'objet de sa mission un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur de l'alcool, un préjudice dont il lui est dû réparation ;

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour l'association nationale de prévention de l'alcoolisme, partie civile des agissements de Régis C et Etienne B ;

Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles ;

Que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré les société B K et Y et R France civilement responsables ;

Considérant que la partie civile avait demandé en première instance que les sociétés B K et Y et R France soient condamnées solidairement avec les prévenus ;

Que le tribunal ayant omis de statuer sur ce chef, il convient d'annuler le jugement en ce qu'il n'a pas prononcé une condamnation solidaire des prévenus et de civilement responsables et les conditions de la solidarité étant réunies de faire droit à la demande ;

Sur la demande d'interdiction des publicités litigieuses :

Considérant que cette demande est sans objet, dès lors que les publicités en question ne font plus l'objet d'aucune diffusion au moment où la Cour statue ;

Sur la demande en remboursement des frais irrépétibles exposés en cause d'appel :

Que, la demande d'une somme de 30 000 F formulée par ladite association au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la Cour, est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 2 500 F pour chacun des prévenus et solidairement responsables ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties, Reçoit les appels des prévenus Régis C et Etienne B, des civilement responsables la société B K et la société Y et R France, et du Ministère public, Confirme le jugement entrepris en ses dispositions pénales et civiles, L'annule en ce qu'il n'a pas condamné solidairement les prévenus et les solidairement responsables, Evoquant : Condamne les sociétés B K et Y et R France solidairement avec Régis C et Etienne B au paiement des dommages-intérêts alloués à l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme. Y ajoutant : Condamne Régis C, Etienne Michel B et les société B K et Y et R France à payer à l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme, partie civile, la somme de 2 500 F chacun au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de 800 F dont est redevable chaque condamné.