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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 3 décembre 2002, n° 2001-05142

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hermeline (ès qual.), Serra Vidéo (SARL)

Défendeur :

Nodée (ès qual.), Personal Vidéo (SARL), Vidéo Mat (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

MM. Vergne, Baby

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Cantaloube Ferrieu Cerri

Avocats :

SCP Camille, Sarramon, Vincenti, Ruff, Me Voituriez.

T. com. Toulouse, du 26 sept. 2001

26 septembre 2001

Faits et procédure

Par acte sous seing privé du 25 mai 1999, la SARL Serra Vidéo a fait l'acquisition de quatre distributeurs automatiques de cassettes et DVD auprès de la SARL Personal Vidéo. Le 16 juin de la même année, elle a conclu un contrat d'approvisionnement exclusif en cassettes auprès de la société Vidéo Mat, dont les appareils distributeurs devaient porter l'enseigne.

Dès la fin de l'année 1999, la SARL Serra Vidéo a cessé de payer les factures émises par Vidéo Mat, invoquant une non-conformité du matériel à la réglementation concernant l'accessibilité aux handicapés.

Le 21 mars 2000, la SARL Serra Vidéo a saisi le Tribunal de commerce de Toulouse sollicitant la résolution de la vente des distributeurs et l'annulation du contrat d'approvisionnement relatif aux distributeurs vendus, qui n'aurait pas été conclu conformément aux règles impératives relatives à la franchise.

La SARL Serra Vidéo a été placée en liquidation judiciaire le 7 juin 2000 par le Tribunal de commerce de Perpignan, et Vidéo Mat a déclaré le 19 juillet 2000 une créance de 103 503,46 F TTC entre les mains du liquidateur, Maître Hermeline, lequel est ensuite intervenu volontairement à l'instance pendante devant le Tribunal de commerce de Toulouse.

Cette juridiction, par jugement en date du 26 septembre 2001, a estimé que les deux contrats litigieux formaient un ensemble contractuel, et qu'elle était compétente pour statuer en application de l'article 48 du nouveau Code de procédure civile. Elle a ensuite débouté la SARL Serra Vidéo de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à payer la même somme de 5 000 F (762,25 euro) à la société Personal Vidéo d'une part et à la société Vidéo Mat d'autre part.

Maître Franck Hermeline, ès qualités de liquidateur de la SARL Serra Vidéo, a relevé appel de cette décision par déclaration remise le 23 octobre 2001 au greffe de la cour.

La société Personal Vidéo a été déclarée en liquidation judiciaire le 12 septembre 2001, et Maître Franck Hermeline justifie avoir produit sa créance pour un montant total de 1 381 080,56 F. Le liquidateur, Maître Nodée, a été assigné en intervention forcée le 10 juin 2002, et n'a pas constitué avoué.

Le dossier a été transmis au parquet général le 13 décembre 2001.

Moyens et prétentions des parties

L'appelant soutient que les deux contrats constituent bien un ensemble dans la mesure où ils l'indiquent expressément, et concourent en fait à la réalisation d'une opération économique unique. Dès lors, la compétence du Tribunal de commerce de Toulouse s'impose.

Au fond, il indique qu'en l'état d'un matériel non conforme à la réglementation et dont l'installation était à la charge de la société Vidéo Mat, le tribunal aurait dû annuler l'ensemble contractuel, devenu sans objet, étant précisé que la défaillance de l'une des parties dans l'exécution autorisait l'autre à refuser d'exécuter ses propres obligations devenues sans cause.

Par ailleurs, le contrat conclu avec Vidéo Mat doit être annulé: il entre à l'évidence dans les prévisions de la loi Doubin sur la franchise, et le franchisé n'a pas reçu l'information préalable rendue obligatoire par ce texte, la simple remise de plaquettes publicitaires n'étant à l'évidence pas de nature à répondre aux exigences légales très précises.

Il demande donc à la cour à la fois de prononcer la résolution du contrat de vente et du contrat d'approvisionnement, d'annuler le contrat d'approvisionnement au visa de l'article L. 330-3 du Code de commerce, et, partant, d'annuler l'ensemble contractuel, en condamnant les intimées à restituer la somme de 161 135,75 euro. Il est demandé en outre 20 000 euro de dommages intérêts et 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Vidéo Mat déclare qu'elle n'entend pas soulever devant la cour l'incompétence du Tribunal de commerce de Toulouse.

Elle nie l'existence d'un ensemble contractuel unique: les parties ne sont pas les mêmes, et les contrats diffèrent par leur objet. II n'y a pas de volonté expresse des parties de lier les deux contrats: la partie présente dans les deux contrats demeurait libre de choisir son cocontractant, et aucune mention ne permet de conclure à l'existence d'un ensemble contractuel. Vidéo Mat a pour sa part exécuté son obligation, et elle est en droit de réclamer le paiement correspondant. Le contrat qu'elle a conclu est en effet un simple contrat d'approvisionnement exclusif, sans mise à disposition d'enseigne, de sorte que la double condition mise à l'application de la loi Doubin n'est pas réalisée. L'annexe invoquée n'est pas contractuelle, faute de renvoi fait dans le corps du contrat à cette annexe. D'autre part, les plaquettes mises à la disposition des visiteurs du salon de la franchise fournissaient toutes les informations exigées par la loi Doubin, de sorte qu'aucune annulation n'est encourue.

Il est donc demandé à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter Maître Hermeline de ses demandes, une somme de 2 000 euro devant être allouée à la société Vidéo Mat en indemnisation de ses frais irrépétibles.

Sur quoi

La compétence du Tribunal de commerce de Toulouse n'est plus contestée devant la cour, de sorte que les écritures de l'appelant à cet égard sont sans intérêt.

Il ressort des éléments du dossier que le matériel litigieux (les quatre distributeurs de cassettes et DVD) a été payé et livré, de sorte que la vente est parfaite. L'appelant demande successivement:

- son annulation, soit pour défaut de conformité du matériel à la réglementation, soit, compte tenu de l'ensemble contractuel formé avec le contrat d'approvisionnement en cassettes, pour non-respect des obligations d'information précontractuelle imposées par l'article L. 330-3 du Code de commerce,

- sa résolution, aux torts du vendeur, la SARL Serra Vidéo se voyant privée, par la non-conformité du matériel, de la possibilité de le déplacer, alors que cette faculté avait été déterminante de son achat. Cette résolution privant d'objet le contrat d'approvisionnement participant de l'ensemble contractuel, ce deuxième contrat doit être aussi résolu, le débiteur étant autorisé à ne pas acquitter le prix des cassettes.

Il ressort du dossier de l'appelant, qui n'est pas contredit sur ce point, que les matériels livrés n'étaient pas conformes aux exigences de la réglementation française en matière d'accessibilité des lieux publics aux handicapés, de sorte que leur exploitation n'a pas été possible.

Il appartenait à la société Personal Vidéo, importateur en France de ces matériels, d'en garantir la conformité à la réglementation applicable: sa défaillance à cet égard autorise l'acheteur à demander sinon la nullité, du moins la résolution de la vente du fait de la délivrance de matériels inexploitables.

Mais il est par ailleurs exact, comme l'a reconnu le tribunal, que le contrat d'approvisionnement en cassettes est indissociable du contrat de vente du matériel, comme d'ailleurs de celui relatif à son installation: cela résulte en premier lieu des circonstances de la conclusion de ces contrats, proposés en un même lieu et au même moment, sur des documents de présentation identique, dont la version manuscrite émane d'un même scripteur, qui a rédigé et signé les documents relatifs à l'achat de matériel, mais aussi rédigé la commande de cassettes, agissant ainsi tant pour le compte de la société Personal Vidéo que pour celui de Vidéo Mat.

Vidéo Mat était par ailleurs non seulement le fournisseur de cassettes, mais aussi l'installateur du matériel qui devait permettre d'assurer leur distribution et qui était dans le même temps acheté auprès de Personal Vidéo, ainsi qu'il résulte du bon de commande à son en-tête prévoyant les travaux d'aménagement et d'habillage des distributeurs.

Même s'il est exact que rien, dans les documents contractuels relatifs à l'acquisition du matériel, n'imposait formellement à la SARL Serra Vidéo de souscrire un contrat d'approvisionnement en cassettes auprès de Vidéo Mat, il ne résulte pas moins des circonstances sus-rappelées que les deux contrats, économiquement complémentaires, ont été présentés au client comme un ensemble indissociable, l'exploitation du matériel supposant la mise à disposition de cassettes. La plaquette publicitaire de Vidéo Mat proclame même dès sa première page que "... notre expérience nous permet de sécuriser au maximum votre création avec la machine Personal Vidéo". Par ailleurs, le même document qualifie de "concept" le système qu'elle propose, avec "une équipe expérimentée professionnelle" et "un matériel très professionnel": son intention est bien de mettre en place un ensemble contractuel, l'identité de parties et d'objet n'étant pas une condition nécessaire de l'existence d'un tel ensemble.

Surtout, cet ensemble contractuel comportant le contrat de vente du matériel, le contrat d'installation de celui-ci et le contrat d'approvisionnement en cassettes vidéo entrent bien, malgré les efforts des sociétés Personal Vidéo et Vidéo Mat pour éviter la qualification de contrat de franchise et ses conséquences, dans les prévisions de l'article L. 330-3 du Code de commerce: il suffit à cet effet que soit établie la mise à disposition, en contrepartie d'un engagement d'exclusivité, d'une marque ou d'une enseigne. L'artifice consistant à renvoyer dans une annexe au contrat (au demeurant dûment signée par les deux parties) ces deux obligations réciproques ne saurait permettre d'écarter l'application d'une loi d'ordre public, s'agissant d'ailleurs d'un contrat consensuel, conclu entre commerçants.

Dès lors, il appartenait à Vidéo Mat d'apporter à son co-contractant les informations requises par l'article 1er du décret n° 91-337 du 4 avril 1991, et la plaquette publicitaire déjà citée ne saurait, en l'absence de tout autre élément, satisfaire aux exigences de cette réglementation.

Il n'est pas justifié notamment de la remise d'informations relatives à la consistance du réseau déjà existant. Or, ce qui a été dit plus haut de la non-conformité du matériel, et la défaillance rapide de Personal Vidéo, placée en liquidation judiciaire dès le mois de septembre 2001, tendent à établir que le "concept" n'était pas viable et n'a pas fonctionné, ce qui explique la discrétion entretenue par ses promoteurs quant à la composition du réseau de leurs co-contractants.

L'ensemble contractuel ainsi entaché d'une non-conformité du matériel et de défaillances graves dans l'information précontractuelle rendue obligatoire par un texte d'ordre public doit être annulé, le consentement de la SARL Serra Vidéo ayant été obtenu par des moyens dolosifs que ce texte a pour objet d'éviter.

La reconnaissance de l'existence d'un ensemble contractuel n'a cependant pas pour conséquence de rendre les deux fournisseurs co-débiteurs solidaires des sommes à restituer.

Il s'ensuit que la SARL Serra Vidéo est créancière de la liquidation judiciaire de la SARL Personal Vidéo à concurrence du prix d'achat du matériel, qu'elle seule a perçu et dont la restitution ne peut être demandée à la SARL Vidéo Mat, soit un montant de 105 904,32 euro (694 686,80 F) TTC en principal, qui devra être payé par le liquidateur dès lors que l'annulation du contrat est prononcée par le présent arrêt postérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation. La SARL Vidéo Mat sera pour sa part condamnée à rembourser à la liquidation de la SARL Serra Vidéo le solde, correspondant aux frais d'installation des matériels, soit la somme de 55 231,43 euro (362 294,46 F) TTC, et déboutée de ses propres demandes.

De la même façon, l'indivisibilité des contrats ne permet pas de prononcer la condamnation in solidum des deux fournisseurs fautifs au paiement des dommages intérêts sollicités, et qui apparaissent justifiés en l'espèce. Il sera alloué à ce titre à Maître Hermeline ès qualités une somme de 20 000 euro, dont 10 000 euro à la charge de la liquidation de la SARL Personal Vidéo, la SARL Vidéo Mat étant par ailleurs condamnée à payer le même montant.

L'équité commande en outre de condamner la SARL Vidéo Mat d'une part et Maître Nodée ès qualités de liquidateur de la SARL Personal Vidéo d'autre part à payer chacun à Maître Hermeline ès qualités une somme de 1 000 euro en indemnisation de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort; En la forme, Reçoit Maître Hermeline ès qualité de liquidateur de la SARL Serra Vidéo en son appel qui est régulier; Au fond, Y faisant droit, Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 septembre 2001 par le Tribunal de commerce de Toulouse; Statuant à nouveau, Déclare nul l'ensemble contractuel formé par le contrat de vente des quatre distributeurs de cassettes par la SARL Personal Vidéo, en liquidation judiciaire, et les contrats d'installation de ces matériels et d'approvisionnement exclusif conclus entre la SARL Serra Vidéo et la SARL Vidéo Mat; En conséquence, condamne Maître Nodée, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Personal Vidéo, à payer à Maître Hermeline, ès qualités de liquidateur de la SARL Serra Vidéo, une somme de 105 904,32 euro (cent cinq mille neuf cent quatre euro et trente deux centimes) TTC à titre de restitution du prix du matériel litigieux; Condamne la SARL Vidéo Mat à rembourser à Maître Hermeline ès qualités de liquidateur de la SARL Serra Vidéo la somme de 55 231,43 euro (cinquante cinq mille deux cent trente et un euro et quarante trois centimes), au titre de l'installation de ce matériel; La condamne à payer à Maître Hermeline en cette même qualité une somme de 10 000 euro (dix mille euro) à titre de dommages intérêts; Condamne Maître Nodée, ès qualités de liquidateur de la SARL Personal Vidéo à payer à Maître Hermeline ès qualités de liquidateur de la SARL Serra Vidéo une somme de 10 000 euro (dix mille euro) au même titre; Condamne la SARL Vidéo Mat à payer à Maître Hermeline ès qualités une somme de 1 000 euro (mille euro) en indemnisation de ses frais irrépétibles; Condamne Maître Nodée ès qualités à lui payer la même somme au même titre; Condamne solidairement les SARL Vidéo Mat et Personal Vidéo aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Boyer Lescat Merle.