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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 5 mai 1998, n° 97-005460

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Elena (SCI)

Défendeur :

Giber Marine (SA), Cigna France (Sté), Me Fréchou (ès qual.), Nautic Service (Sté), Me Pernot, Routtand Chimie (Sté), Zurich assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frizon de Lamotte

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

Me Fournier, SCP Labory-Moussie-Andouard, SCP Boyreau, SCP Arsene-Henry & Lancon, SCP Fonfouge-Barennes & Gautier

Avocats :

Mes Pejoine, Simon, Soubeille, Lallement, Sammarcelli, Duperie, Peuchot, Hascoet

TGI Bordeaux, du 24 oct. 1995

24 octobre 1995

LA COUR,

Le 8 janvier 1983, la SCI Eléna a acheté à la société Nautic Service d'Arcachon pour un prix de 597 500 F un bateau de type Gib Sea 126 fabriqué par la société Giber Marine.

En avril 1990, lors d'un carénage, la présence de cloques sur la coque a été constatée.

Suite à une assignation en date du 27 septembre 1990, une ordonnance de référé désignant M. Rabate en qualité d'expert était rendue. Cette ordonnance était ensuite déclarée commune aux sociétés Giber Marine, Routtand Chimie, Cigna France ainsi qu'au Groupe Saltiel.

L'expert déposait son rapport le 7 octobre 1992 et c'est par acte du 15 avril 1993 que la SCI Eléna assignait devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux son vendeur pour obtenir la réparation de son préjudice. Il s'en suivait un certain nombre d'appel en garantie.

Par jugement du 24 octobre 1995, les premiers juges ont débouté la SCI Eléna des fins de son assignation.

Par acte du 8 décembre 1995, la SCI Eléna a relevé appel de cette décision.

Par acte du 3 janvier 1996, la SA Giber Marine a fait de même.

Par des conclusions du 9 avril 1996, la SCI Eléna soutient que l'expert a dans le présent rapport abouti à des conclusions totalement contraires à celles qui avaient été les siennes dans un litige devant le Tribunal de La Rochelle concernant le même type de bateaux.

Elle soutient que la décision du Tribunal de commerce de La Rochelle s'impose en l'espèce. Elle fonde son action sur l'existence d'un vice caché. Elle indique que le vice est constitué par l'osmose et qu'il rend la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée. Elle soutient avoir agi à bref délais.

Elle sollicite soit la résolution de la vente soit la réduction du prix. Elle désire 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Nautic Service a répliqué le 25 octobre 1996. Elle soutient que sur le seul terrain encore retenu par l'appelante, soit celui du vice" caché son action est prescrite.

A titre subsidiaire, elle indique que l'osmose ne constitue pas un vice caché mais un vieillissement normal des matériaux.

Elle ajoute que c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'irrecevabilité tirée de l'article 8 de la Loi du 3 janvier 1967.

Elle sollicite 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

A titre infiniment subsidiaire, elle demande à être relevée indemne par la société Giber Marine et que celle-ci soit tenue de lui verser 10 000 F pour les frais irrépétibles qu'elle a exposés.

La société Giber Marine a conclu le 10 février 1997.

Elle soutient que l'action fondée sur la garantie des vices cachés est prescrite.

Elle soutient que sur les navires qu'elle a produits, seuls certains ont présenté rapidement un phénomène d'osmose. Les autres par contre ont vieilli normalement et n'ont été touchés par l'osmose que plus de 5 ans après leur construction.

Elle déclare déraisonnable la demande de l'appelante qui 13 ans après l'achat du navire veut se faire offrir un bateau neuf.

Elle sollicite 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

A titre subsidiaire, elle désire que Routtand Chimie, Cigna France et le Groupe Saltiel soient tenus de la relever indemne.

A titre encore plus subsidiaire, elle sollicite que Nautic Service soit tenue de lui reverser la somme qu'elle a reçue pour ce bateau soit 428 468 F.

La société Zurich assurances venant aux droits du Groupe Saltiel soulève la prescription de l'action tant sur les dispositions de l'article 1648 du Code civile que des articles 7 et 8 de la Loi du 3 janvier 1967.

A titre subsidiaire, elle conteste l'existence d'un vice caché affectant les fournitures de son assuré Routtand Chimie.

Encore plus subsidiairement, elle conteste sa garantie: en effet la première réclamation au sujet de ce problème d'osmose date du mois de mai 1978 alors que sa garantie n'a été acquise qu'au 1er janvier 1988.

De plus ce sinistre se situe hors garantie et la police était suspendue depuis le 26 mai 1990 faute de paiement des primes.

En toutes hypothèses, elle indique que sa garantie prévoit une franchise de 10 % avec un minimum de 10 000 F et un maximum de 50 000 F, l'expert ayant retenu ce dernier chiffre.

La société Cigna International venant aux droits de Cigna France a conclu le 4 septembre 1997.

Elle reprend les moyens d'irrecevabilité pour tardiveté qu'elle avait exposés en première instance et fait siennes les observations développées par Giber Marine et Zurich assurances.

En ce qui concerne le préjudice, elle conteste l'existence de toute malfaçon dans la fabrication de la coque du navire.

A titre subsidiaire, elle soutient qu'il n'existe aucune preuve quant à la possible implication de son assurée Routtand Chimie dans la réalisation du dommage. Elle oppose l'inapplicabilité de sa garantie au sinistre dont s'agit.

A titre principal elle sollicite que l'action de la SCI Eléna soit déclarée irrecevable.

A titre subsidiaire elle demande que l'action en garantie de Giber Marine envers elle soit déclarée sans objet et soutient que la preuve d'un vice dans la fourniture de son assurée n'est pas rapportée et que sa garantie n'est pas acquise.

La société Giber Marine a conclu le même jour. Elle soutient que les assureurs Saltiel et Cigna doivent leur garantie à leur assurée la société Routtand Chimie.

La SCI Eléna a conclu le 5 septembre 1997. Elle indique qu'à la suite du jugement du Tribunal de La Rochelle du 10 octobre 1995, seul un fournisseur a fait appel, Routtand Chimie et SCPO ayant conclu un accord avec Giber Marine. Elle ajoute que les bateaux concernés par cette décision sont du même type et de dates de construction proches que celui objet du présent litige.

L'appelante a de nouveau conclu le 9 septembre 1997 pour commenter une communication de pièces de la SA Giber Marine.

La SA Routtand Chimie n'a pas constitué avoué, en effet sa liquidation judiciaire a été clôturée le 28 février 1992.

Par des conclusions du 10 septembre 1997, la SA Nautic Service a sollicité soit que les pièces et conclusions signifiées à partir du 4 septembre 1997 soient rejetées des débats, soit que l'affaire soit renvoyée à une audience ultérieure pour pouvoir répliquer.

A l'audience du 23 septembre 1997 toutes les parties ayant sollicité le renvoi de la procédure, celle-ci a été radiée par arrêt du 6 octobre 1997. Elle a été remise au rôle à la demande de l'appelante.

La SA Nautic Service n'a pas conclu.

Sur quoi LA COUR :

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise de Monsieur Rabate que le navire en cause est atteint d'osmose soit un cloquage du gel-coat à l'apparition duquel la présence de polyols hydrosolubles dans un catalyseur du gel-coat a notablement participé.

Qu'il découle de ce même rapport que les procédés de construction et de fabrication des matériaux composants mis en œuvre en 1982 par de nombreux fabricants de bateaux ont suscité de très nombreux travaux et études de laboratoires qui ont conduit les milieux professionnels à modifier certaines de leur pratiques antérieures.

Attendu que le "consommateur" n'a pas à supporter les conséquences de la mise sur le marché d'un produit alors que l'évolution de ce dernier, du fait de la modification de ses composants internes, le rend à terme, inapte à l'usage auquel il est destiné.

Attendu qu'il appartient à tout industriel, avant de vendre un produit de s'assurer qu'il pourra pendant un temps raisonnable compte tenu de son prix, remplir l'usage pour lequel il a été acheté.

Qu'en l'espèce en acquérant au début de l'année 1983, un bateau pour un prix de 597 500 F, la SCI Eléna était en droit d'attendre que ce navire ait une durée de vie supérieure à 7 ans.

Attendu qu'il résulte des factures produites aux débats et des constatations de l'expert que ce navire a fait l'objet d'un entretien régulier, que deux attestations démontrent un développement rapide de l'osmose depuis l'achèvement des opérations d'expertise, osmose qui va atteindre les œuvres vives du navire et le rend impropre à sa destination.

Attendu qu'en conséquence, le vice dont est atteint le navire Eléna constitue bien un vice caché qui le rend impropre à la navigation, que l'action rédhibitoire est donc bien recevable en son principe.

Attendu que le rapport définitif de Monsieur Rabate a été déposé le 7 octobre 1992, que ce n'est qu'à cette date que les parties ont eu connaissance de l'existence de ce vice, les rapports provisoires déposés en cours d'expertise par un expert n'ayant pour effet que de solliciter des contestations ou la production de dires de la part des parties avant l'établissement d'un rapport définitif

Attendu que l'assignation au fond a été délivrée 6 mois après le dépôt de ce rapport, qu'ainsi le bref délai a été respecté et la SCI Eléna doit être déclarée recevable en sa demande tant sur le fondement des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civile, que sur le fondement des dispositions de la Loi du 3 janvier 1967, le délai d'un an courant à compter de la découverte du vice.

Attendu qu'à titre principal, l'appelante sollicite la résolution de la vente, qu'il échet de faire droit à cette demande et de condamner la société Nautic Service à restituer la somme de 597 500 F avec intérêts au taux légal à compter du jour où cette demande a été présentée en justice et de condamner la SCI Eléna à remettre le navire en cause à la société Nautic Service, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer, qu'il échet de faire droit à sa demande.

Attendu qu'assignée en justice la société Nautic Service a appelé à sa garantie la société Giber Marine, fabriquant du navire en cause, qu'il convient que ce fabriquant garantisse son vendeur, qu'ainsi il devra relever indemne ce dernier des condamnations mises à sa charge, sans qu'il puisse opposer l'intérêt qu'il a retiré de la vente en cause, qu'il serait Inéquitable que Nautic Service supporte les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer, qu'il convient de lui allouer une somme de 5 000 F.

Attendu que les deux assureurs successifs de la société Routtand Chimie contestent que leur assurée puisse avoir une responsabilité quelconque dans la survenance du dommage, qu'il faut relever que l'expert a indiqué sans que cela ne fasse l'objet de la moindre contestation que le catalyseur fourni par la société Routtand contenait des composants hydrosolubles, ce qu'elle ignorait alors qu'elle le commercialisait pour des usages spécifiques à la navigation de plaisance, qu'il a ajouté que cette présence de polyols hydrosolubles a contribué notablement à la formation de sites osmotiques dans le gel-coat.

Attendu qu'ainsi la responsabilité de cette entreprise doit être retenue pour avoir fourni, en informant de façon erronée ses clients, un produit hydrosoluble entrant dans la composition de la coque de navires de plaisance.

Attendu qu'à compter du 1er janvier 1988, la société Routtand a été assurée par le Groupe Saltiel devenu la société Zurich assurances, qu'il résulte des conditions générales souscrites que si la garantie s'applique aux réclamations formulées postérieurement à la date de prise d'effet du contrat, l'assuré pour sa part déclare qu'il n'a connaissance au jour de la signature du contrat d'aucun événement pouvant engager la garantie accordée par l'assureur, or cette assurance a pris effet au 1er janvier 1988 et la société Routtand était partie à une expertise ordonnée en référé le 7 mai 1987, pour apprécier le phénomène d'osmose affectant le navire de Monsieur Simeoni, navire construit par la société Giber Marine avec un produit identique à celui utilisé pour le navire Eléna,

Qu'ainsi au 1er janvier 1988, la société Routtand ne pouvait ignorer l'existence d'un sinistre résultant de l'utilisation de l'un de ses produits dans la construction de navire par la société Giber Marine, qu'elle a ainsi fait une fausse déclaration qui entraîne l'application des dispositions de l'article L. 113-8 du Code des assurances, qu'ainsi la société Giber Marine doit être déboutée des demandes dirigées contre cet assureur.

Qu'il n'apparaît pas inéquitable de ne pas faire application à l'égard de ce dernier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu que du 16 décembre 1985 au 1er janvier 1988, la société Routtand a été assurée par la Compagnie Cigna, que les conditions générales de la police de cette dernière indiquent que tous les dommages imputables à la même cause technique initiale constituent un seul et même sinistre, qu'il est précisé que sont garantis les dommages donnant lieu à réclamation postérieurement à la date de prise d'effet du contrat, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit ci-dessus, que la réclamation résultant de la fourniture d'un produit hydrosoluble pour la fabrication de coques de navire date du mois de mai 1987, soit entre les dates de prise d'effet et de résiliation du contrat, qu'ainsi la société Cigna est tenu d'indemniser la société Giber Marine du préjudice subi par cette dernière, sous déduction de la franchise contractuellement prévue.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare la SCI Eléna fondée en son appel, en conséquence, y faisant droit réforme la décision entreprise et statuant à nouveau; Condamne la société Nautic Service à restituer la somme de 597 500 F avec intérêts au taux légal, à compter de la demande à la SCI Eléna; Condamne cette dernière à restituer à la société Nautic Service le navire de type Gib Sea 126 acquis le 8 janvier 1983; Condamne la société Nautic Service à payer à la SCI Eléna la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Giber Marine à relever indemne la société Nautic Service de toutes les condamnations mise à la charge de cette dernière; Condamne Giber Marine à payer à la société Nautic Service la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Cigna à garantir la société Giber Marine des condamnations mises à la charge de cette dernière, sous déduction de la franchise contractuellement prévue; Met hors de cause la société Zurich assurances et dit qu'il n'y a lieu de faire application à cette dernière des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Cigna International; Application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.