CA Paris, 13e ch. B, 31 janvier 2003, n° 02-07957
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Syndicat des artistes musiciens de Paris et de l'Ile-de-France, Schmitt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbarin
Avocat général :
M. Madranges
Conseillers :
MM. Nivose, Gueret
Avocat :
Me Loir.
Rappel de la procédure:
La prévention:
Y Pascal, est poursuivi pour publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur, courant 1999, janvier 2000 et notamment le 13 janvier 2000, à Paris,
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré Y Pascal, coupable de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur, courant 1999, janvier 2000 et notamment le 13 janvier 2000, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
et, en application de ces articles, l'a condamné à Amende délictuelle 5 000 euro
a ordonné la publication, à ses frais, d'un extrait du jugement dans le journal Libération;
a rejeté en l'état la demande de non-inscription de cette décision au B2;
Sur l'action civile: le tribunal a reçu Georges Schmitt et la SAMUP en leur constitution de partie civile et a condamné Pascal Y à payer:
- à Georges Schmitt, la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts
- au SAMUP la somme de 750 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 450 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Monsieur Y Pascal, le 7 juin 2002, contre Monsieur Schmitt Georges, SAMUP (Syndicat des artistes musiciens de Paris et de l'Ile de France);
M. le Procureur de la République, le 7 juin 2002, contre Monsieur Y Pascal;
SAMUP (Syndicat des artistes musiciens de Paris et de l'Ile-de-France), le 11 juin 2002, contre Monsieur Y Pascal;
Monsieur Schmitt Georges, le 11 juin 2002, contre Monsieur Y Pascal,
Décision:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels du prévenu, du Ministère public et des deux parties civiles, interjetés à l'encontre du jugement entrepris
Rappel des faits et demandes:
La société X, dont Pascal Y est président du conseil d'administration, a publié en 1999 un disque compact intitulé "Flûte de Pan" contenant 32 titres dont les enregistrements ont été réalisés au moyen d'un synthétiseur, comme cela ressort des constatations faites deux experts musicaux, désignés l'un par la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) et l'autre par la société X;
Le 13 janvier 2000, Georges Schmitt, joueur professionnel de flûte de Pan, dont le projet de collaboration pour la production d'un album avait été rapidement abandonné, s'est plaint auprès de la DGCCRF de ce que l'album susvisé indiquait faussement qu'il s'agissait de flûte de Pan, alors que les sons étaient enregistrés par ordinateur en imitant cet instrument; il a estimé être victime d'un préjudice personnel et a dénoncé le remplacement des musiciens par des procédés techniques abusant le consommateur;
A la suite de cette plainte, la société a arrêté la commercialisation du double disque compact et a fait procéder au retrait des exemplaires en vente; l'enquête des inspecteurs de la DGCCRF a permis de constater que le budget de la campagne publicitaire télévisuelle de ce disque s'était élevé à la somme de 1 366 752 F et que cet album avait été vendu à 40 565 exemplaires;
Pascal Y, poursuivi ès qualité pour publicité trompeuse, a expliqué à l'audience du tribunal que le disque incriminé avait été produit par la société Y et que les destinataires des enregistrements, n'étant pas des professionnels de la flûte de Pan, n'avaient pas pu faire la différence entre cet instrument et un synthétiseur; il a prétendu qu'il lui était impossible de présenter chaque disque à un expert avant de décider de le diffuser et que par ailleurs, ce disque s'était peu vendu; il a contesté le lien causal entre l'infraction et le préjudice subi par Georges Schmitt du fait de la diffusion de l'album en cause;
Le syndicat des artistes musiciens de Paris et de l'Ile de France (SAMUP), partie civile représentée par son avocat, demande par voie de conclusions à la cour de le dire recevable et bien fondé en son appel incident, de confirmer la culpabilité du prévenu sur l'action publique et sur l'action civile, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Pascal Y à lui payer la somme de 450 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, pour les frais irrépétibles exposés en première instance de l'infirmer pour le surplus et de condamner le prévenu à lui payer:
1°) la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession de musicien,
2°) la somme de 1 500 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et d'ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais du prévenu, dans trois journaux à diffusion nationale de son choix;
Georges Schmitt, partie civile, comparaît et soutient devant la cour que le titre publié par la société X l'a empêché de produire un album de flûte de Pan pour l'UNESCO; il demande que le prévenu soit condamné à lui payer la somme de 152 000 euro à titre de dommages-intérêts;
Le Ministère public soutient que le délit est bien constitué et demande la confirmation du jugement déféré;
Pascal Y qui comparaît, assisté de son avocat, soutient dans des conclusions que le caractère trompeur d'une publicité s'apprécie au regard du consommateur moyen, rappelle que les rapports d'expertise ont estimé qu'un auditeur ordinaire ne peut pas déceler que l'enregistrement en cause n'est pas interprété par un musicien jouant de la flûte de Pan pour conclure qu'aucun consommateur n'a pu être déçu; notant que personne ne s'était plaint, le prévenu estime que l'élément matériel du délit de publicité trompeuse n'est pas constitué; soutenant que la société X n'a commis aucune négligence et qu'elle a arrêté la commercialisation du disque en cause dès qu'elle a eu confirmation de ce que les enregistrements avaient été réalisés au moyen d'un synthétiseur, le prévenu conclut que l'élément moral du délit n'est pas établi et en conséquence, il sollicite sa relaxe;
A titre subsidiaire, le prévenu plaide l'indulgence, car aucun consommateur n'aurait été trompé; de plus, la société X a spontanément fait retirer le disque du marché et le trouble causé est resté infime; le prévenu demande que la publication ne soit pas ordonnée et qu'une dispense d'inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire lui soit accordée;
Pour les intérêts des parties civiles, le prévenu soutient que:
- Le SAMUP ne justifie pas de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession de musicien et doit être déclaré irrecevable en sa demande; à titre subsidiaire, que les dommages-intérêts accordés doivent rester symboliques et que la publication de la décision, étant une peine, n'a pas à être accordée au titre de l'action civile;
- Georges Schmitt, aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, ne peut solliciter que la réparation du "dommage directement causé par l'infraction"; qu'ainsi doit être écartée la demande fondée sur une chute des revenus de Georges Schmitt alors que les redevances qui lui ont été versées par la société X, du premier semestre 1998 au 1er semestre 2000 inclus, n'ont pas varié, ainsi que la demande de réparation du dommage moral;
Sur ce
Sur l'action publique
Considérant que la société X, dont Pascal Y est président du conseil d'administration, a édité et distribué en 1999 un disque compact portant le titre "flûte de Pan", contenant 32 titres dans un double album, accompagné d'un message publicitaire télévisuel concernant ce disque, qui indiquait également que les chansons avaient été interprétées à la flûte de Pan; que tous les enregistrements ayant été réalisés au moyen d'un synthétiseur, comme cela ressort des constatations faites par deux experts musicaux, il en résulte que la dénomination "flûte de Pan" correspond à une indication fausse sur les qualités substantielles et les propriétés du disque diffusé, des lors que les enregistrements n'ont pas été réalisés avec l'instrument de musique appelé "flûte de Pan";
Considérant, que contrairement à ce que soutient le prévenu, l'élément matériel du délit poursuivi est bien établi dès lors que les publicités faites sur la jaquette du disque et à la télévision, étaient de nature à induire le consommateur en erreur, celui-ci étant fondé à croire que les musiques enregistrées avaient été jouées par des artistes interprètes de la flûte de Pan; que la cour adopte les motifs des premiers juges qui relèvent que la mention "flûte de Pan" est attractive pour le consommateur en raison de l'image qu'évoque cet instrument et que cette indication a pu susciter des achats que celle de synthétiseur n'aurait peut-être pas provoqués;
Considérant que Pascal Y, pénalement responsable du délit de publicité de nature à induire en erreur, ne peut utilement faire plaider le défaut d'élément intentionnel dès lors que la société qu'il dirige devait, avant de mettre le disque en vente sur le marché français, vérifier que les mentions de la jaquette du disque et la campagne publicitaire étaient conformes à la réalité; que le disque litigieux n'étant pas réalisé à l'aide d'instruments, la faute du prévenu est caractérisée par la circonstance qu'aucun musicien ne recevait de droits pour cet enregistrement et que la pochette du disque ne comportait aucune mention d'un interprète; que la cour note que le retrait de la vente du disque après que l'album ait été vendu à 40 565 exemplaires constitue seulement un repentir actif mais n'enlève pas aux faits leur caractère délictueux;
Considérant que les faits sont établis et l'infraction caractérisée en tous ses éléments; qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité de Pascal Y, pénalement responsable en l'absence de délégations de pouvoirs;
qu'il y a lieu également de rejeter la demande de non-inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire du prévenu, qui ne justifie pas en l'état de la nécessité de cette dispense, et d'ordonner une mesure de publication en application des dispositions de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, comme il sera précisé au dispositif de l'arrêt; que pour mieux prendre en compte la gravité des faits, il convient d'élever la peine d'amende prononcée par les premiers juges à 10 000 euro;
Sur l'action civile
Considérant que l'infraction de publicité de nature à induire en erreur, retenue à l'encontre du prévenu, altère l'image de marque des enregistrements réalisés par des musiciens à l'aide de leur instrument et lèse les intérêts collectifs de ces professionnels représentés par le SAMUP; que la cour confirmera donc le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile du syndicat des artistes musiciens de Paris et d'Ile de France; qu'elle dispose des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 2 000 euro le préjudice résultant directement, pour cette partie civile, des agissements délictueux du prévenu.
Considérant qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné le prévenu à payer au SAMUP la somme de 450 euro pour les frais irrépétibles exposés en première instance;
Qu'il convient de confirmer le jugement attaqué ayant rejeté la demande de publication de la partie civile, puisqu'elle a été prononcée à titre de peine complémentaire;
Considérant que la demande d'une somme de 1 500 euro, formulée par la partie civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, est justifiée dans son principe, mais doit être ramenée à la somme de 1 000 euro;
Considérant que Georges Schmitt a consacré sa vie à la flûte de Pan, à sa défense, à sa promotion et à la fabrication de cet instrument; que la publicité de nature à induire en erreur, retenue à l'encontre du prévenu, lui cause un préjudice moral direct et que la cour confirmera le jugement déféré ayant déclaré recevable sa constitution de partie civile; que la cour, tenue par les termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, ne saurait l'indemniser du préjudice qu'il aurait subi du fait de l'absence de réalisation d'un disque pour l'UNESCO ou de la baisse de ses revenus et possède les éléments d'appréciation suffisants pour confirmer la décision des premiers juges lui ayant accordé une somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts; que Georges Schmitt sera en conséquence débouté du surplus de ses demandes.
Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard du prévenu et des deux parties civiles, Reçoit les appels du prévenu des parties civiles et du Ministère public; Sur l'action publique: Confirme le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité de Pascal Y, Rejette, en l'état, la demande d'exclusion de la mention de cette condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire de Pascal Y, Ordonne la publication aux frais du condamné, en application des dispositions de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, dans les trois journaux "Libération", "Le Parisien" et "Le Monde de la Musique", dans un délai de 6 mois, à compter du présent arrêt, devenu définitif, du communiqué suivant: "Par arrêt du 31 janvier 2003, la 13e chambre de la Cour d'appel de Paris a condamné Pascal Y, président du conseil d'administration de la société X, pour le délit de publicité de nature à induire en erreur, à la peine de 10 000 euro d'amende pour avoir publié en 1999 un disque compact intitulé "flûte de pan" alors que les enregistrements de la totalité des 32 titres avaient été réalisés au moyen d'un synthétiseur", L'infirmant sur la peine d'amende, Condamne Pascal Y à amende délictuelle de 10 000 euro, Sur l'action civile: Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile du syndicat des artistes musiciens de Paris et de l'Ile de France et de Georges Schmitt, condamné Pascal Y à payer au SAMUP la somme de 450 euro pour les frais irrépétibles exposés en première instance, à payer à Georges Schmitt la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts; L'infirmant pour le surplus et y ajoutant, Condamne Pascal Y à payer au syndicat des artistes musiciens de Paris et de l'Ile de France (SAMUP), partie civile, la somme de 2 000 euro, à titre de dommages-intérêts, et celle de 1 000 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel; Déboute les parties civiles du surplus de leurs demandes.