Cass. com., 25 février 2003, n° 99-20.147
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Défendeur :
Française des jeux (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 7 juillet 1999), que le 28 janvier 1993, Mme X... a demandé à la société Française des jeux un agrément, en qualité de détaillant propriétaire de l'établissement Le Marigny qu'elle allait acquérir, pour les activités d'enregistrement de participation aux jeux de la Française des jeux (la Française des jeux), la perception des mises correspondant aux montants des jeux enregistrés sur terminal, la vente des billets de la Loterie Nationale, de Tacotac et des tickets de jeux instantanés, le contrôle et le paiement de reçus, billets et tickets gagnants ; que, par un contrat non daté, la société Française des jeux a agréé Mme X... ; qu'une nouvelle agence Loto ayant été ouverte à deux cents mètres de son commerce, Mme X... a fait assigner la Française des jeux en paiement de la somme de 218 565 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi du fait du manquement à l'obligation de bonne foi ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la Française des jeux reproche à l'arrêt de l'avoir déclarée responsable du préjudice subi par Mme X... et de l'avoir condamnée à lui payer diverses sommes, alors, selon le moyen : 1) qu'en affirmant que la clientèle est au moins partiellement commune comme l'exprime le mandat donné à Mme X... d'effectuer les opérations prévues aux contrats auprès des personnes fréquentant son établissement, qu'il est manifeste que compte tenu de la nature du commerce exploité une partie des joueurs acquéreurs de la Française des jeux constitue la clientèle de Mme X..., que la Française des jeux ne peut soutenir que la détaillante n'a aucun rôle déterminant dans le développement du chiffre d'affaires, le contrat l'obligeant à veiller à l'accueil et au contact clientèle pour expliquer et promouvoir les jeux de la Française des jeux, que l'activité déployée par Mme X... est un facteur de développement de sa propre clientèle tout comme ses efforts pour augmenter la fréquentation de son commerce sont susceptibles d'accroître le nombre des clients de la Française des jeux, la cour d'appel qui affirme l'existence d'un intérêt commun sans le caractériser a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1984 du Code civil ; 2) qu'en retenant l'existence d'un mandat d'intérêt commun motifs pris encore que l'examen de l'évolution du chiffre d'affaires Loto démontre qu'à compter du mois de septembre 1994, date d'ouverture du nouveau point de vente de la Française des jeux, une baisse moyenne d'environ 29 % a été enregistrée, aboutissant à une pareille diminution des commissions, la cour d'appel qui constate par-là même que la clientèle était personnelle à la Française des jeux et qualifie le contrat de mandat d'intérêt commun, a violé les articles 1984 et suivants du Code civil ; 3) que le mandat d'intérêt commun suppose caractérisée l'existence d'un intérêt du mandant et du mandataire à l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle ; qu'en retenant que la clientèle est au moins partiellement commune comme l'exprime le mandat d'effectuer les opérations prévues aux contrats auprès des personnes fréquentant son établissement, qu'une partie des joueurs acquéreurs de la Française des jeux constitue la clientèle de Mme X..., que la Française des jeux ne peut soutenir que la détaillante n'a aucun rôle déterminant dans le développement du chiffre d'affaires dès lors que le contrat l'oblige à veiller à l'accueil et au contact clientèle pour expliquer et promouvoir les jeux de la Française des jeux, que l'activité déployée par Mme X... est un facteur de développement de sa propre clientèle tout comme ses efforts pour augmenter la fréquentation de son commerce sont susceptibles d'accroître le nombre des clients de la Française des jeux, que le pouvoir d'attraction des produits de la Française des jeux contribue à l'augmentation et à la fidélisation de la clientèle de la détaillante, la cour d'appel qui retient l'existence d'un mandat d'intérêt commun tout en constatant l'existence de deux clientèles distinctes, n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles 1984 et suivants du Code civil ; 4) que le mandat d'intérêt commun suppose caractérisée l'existence d'un intérêt du mandant et du mandataire à l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle ; qu'en retenant que la clientèle est au moins partiellement commune comme l'exprime le mandat d'effectuer les opérations prévues aux contrats auprès des personnes fréquentant son établissement, qu'une partie des joueurs acquéreurs de la Française des jeux constitue la clientèle de Mme X..., que la Française des jeux ne peut soutenir que la détaillante n'a aucun rôle déterminant dans le développement du chiffre d'affaires dès lors que le contrat l'oblige à veiller à l'accueil et au contact clientèle pour expliquer et promouvoir les jeux de la Française des jeux, que l'activité déployée par Mme X... est un facteur de développement de sa propre clientèle tout comme ses efforts pour augmenter la fréquentation de son commerce sont susceptibles d'accroître le nombre des clients de la Française des jeux, que le pouvoir d'attraction des produits de la Française des jeux contribue à l'augmentation et à la fidélisation de la clientèle de la détaillante, la cour d'appel qui relève ainsi que les produits de la Française des jeux étaient un facteur de développement de la propre clientèle de la détaillante, que le pouvoir d'attraction de ses produits contribuait à l'augmentation et à la fidélisation de la clientèle de la détaillante, tous éléments caractérisant l'absence de clientèle commune et d'un intérêt commun, a violé les articles 1984 et suivants du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que, compte tenu de la nature du commerce exploité par Mme X..., une partie des joueurs acquéreurs des produits de la Française des jeux constitue la clientèle personnelle de Mme X..., si bien qu'une partie de la clientèle est commune aux deux parties ;qu'il retient encore que le contrat impose à Mme X... de veiller au contact et à l'accueil de la clientèle pour expliquer et promouvoir les jeux de la Française des jeux, de sorte que l'activité déployée dans ce but par Mme X... est un facteur de développement de sa propre clientèle, tout comme ses efforts pour augmenter la fréquentation de son commerce sont susceptibles d'accroître le nombre de clients de la Française des jeux ;qu'il ajoute que Mme X... a eu nécessairement en vue que le pouvoir d'attraction des produits de la Française des jeux pour son établissement contribuait à l'augmentation et à la fidélisation de sa clientèle ;qu'il constate enfin que le chiffre d'affaires de Mme X..., et par voie de conséquence ses commissions, a baissé de 29 % à compter de l'ouverture d'un nouveau point de vente de la Française des jeux ;qu'en l'état de ces constatations et appréciations, qui caractérisent l'intérêt commun du mandant et du mandataire à l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que la Française des jeux fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1) que demandant confirmation du jugement entrepris, la Française des jeux faisait valoir que le contrat ne stipulait aucune limite d'implantation d'autres points de vente ni n'imposait à la Française des jeux une consultation préalable des détaillants, la Française des jeux précisant qu'aux termes du contrat elle mettait à la disposition du détaillant sa clientèle ; qu'en relevant que l'ouverture d'un nouveau point de vente, commercialisant les mêmes produits, à environ deux cent mètres du fonds de Mme X..., dans une ville de moyenne importance où existait déjà, à faible distance, une autre agence identique et où la clientèle est nécessairement limitée, la Française des jeux a rendu plus difficiles les conditions d'exécution du contrat et crée le risque de retrait de l'agrément pour non-réalisation du chiffre d'affaires imposé contractuellement, la cour d'appel qui décide que la Française des jeux a manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi prescrites par l'article 1134, alinéa 3, du Code civil et adopté un comportement fautif, cependant que le contrat ne prévoyait aucune clause d'exclusivité au profit du détaillant, n'a pas caractérisé les manquements de la Française des jeux au regard du contrat et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ; 2) qu'en affirmant qu'en laissant ouvrir un point de vente commercialisant les mêmes produits, à environ deux cents mètres de celui pour lequel Mme X... avait, dans la perspective du développement de son fonds de commerce, sollicité et obtenu un agrément moins d'un an auparavant, dans une ville d'importance moyenne, où existait déjà à faible distance, une autre agence identique et où la clientèle potentielle est nécessairement limitée, la Française des jeux a rendu plus difficiles les conditions d'exécution du contrat et créé le risque d'un retrait de l'agrément pour non-réalisation du chiffre d'affaires imposé contractuellement, la cour d'appel s'est prononcée par voie de motivation hypothétique et, partant, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3) que la Française de jeux faisait valoir que le contrat ne stipulait aucune clause d'exclusivité au profit de la détaillante qui a conclu le contrat avant de faire l'acquisition du fonds de commerce ; qu'en ne recherchant pas si, dans ces circonstances, Mme X... n'avait pas conclu le contrat en connaissance de cause de cette absence d'exclusivité et de la faculté pour la Française des jeux de conclure de nouveaux contrats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ; 4 ) que demandant confirmation du jugement entrepris, la Française des jeux faisait valoir que Mme X... n'avait pas subi de préjudice, le chiffre d'affaires réalisé avec la clientèle de la Française des jeux étant supérieur au montant des investissements réalisés par la détaillante ; qu'en retenant que le manquement imputé à la Française des jeux est d'autant plus caractérisé qu'elle impose des investissements à sa détaillante qui peut en espérer légitimement l'amortissement, la cour d'appel qui ne précise dès lors en quoi la détaillante n'était pas en mesure d'amortir les investissements inhérents au contrat a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 5) qu'en affirmant que le manquement et le comportement fautif de la Française des jeux sont d'autant plus caractérisés qu'elle s'était engagée à donner au détaillant tous les éléments pour maintenir et développer son activité dans les meilleures conditions, la cour d'appel qui ne précise pas en quoi la Française des jeux aurait manqué à cette obligation, par la seule ouverture d'un nouveau point de vente à proximité, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, loin de statuer par des motifs hypothétiques, l'arrêt retient qu'en laissant ouvrir un point de vente à deux cent mètres de celui de Mme X..., dans une ville de moyenne importance où existait déjà à faible distance une agence identique, tandis que Mme X... avait sollicité, moins d'un an auparavant un agrément dans la perspective du développement de son fonds de commerce, la Française des jeux a rendu l'exécution du contrat plus difficile et créé un risque de retrait de l'agrément pour non-réalisation du chiffre d'affaires, dont une baisse de 29 % a été constatée ;qu'il en déduit que la Française des jeux a manqué aux obligations de loyauté et bonne foi inhérentes à tout contrat ;qu'ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatrième et cinquième branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses quatrième et cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la Française des jeux fait enfin le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1) qu'il appartient à la prétendue victime de rapporter la preuve de son préjudice ; qu'ayant constaté qu'en l'absence de toute précision de la part de l'appelante qui n'a pas cru devoir exposer les modalités de calcul de son préjudice et qui ne produit aucune pièce justificative autre que le tableau comparatif des chiffres d'affaires en 1993 et 1994, la cour d'appel qui décide qu'elle trouve dans les éléments d'appréciation qui lui étaient soumis la possibilité de fixer à 10 000 francs le montant de l'indemnité à laquelle est tenue la Française des jeux, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il ressortait qu'aucune preuve du prétendu préjudice n'était rapportée, a violé l'article 1147 du Code civil ; 2) qu'il appartient à celui qui allègue d'un préjudice d'en rapporter la preuve ; que la Française des jeux demandant confirmation du jugement entrepris, faisait valoir l'absence de tout préjudice prouvé par Mme X..., laquelle, ainsi qu'il résulte de ses conclusions, s'était contentée d'affirmer l'existence d'un préjudice de 218 565 francs ; qu'en ne relevant aucun élément de preuve produit par Mme X... permettant de caractériser l'existence d'un préjudice, la cour d'appel qui affirme qu'elle trouve "dans les éléments d'appréciation qui lui sont soumis la possibilité de fixer à 10 000 francs le montant de l'indemnisation", sans préciser quels étaient ces éléments en l'absence de tout moyen de preuve produit par Mme X..., a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, dès lors que le tableau comparatif des chiffres d'affaires de l'année 1993 et de l'année 1994 versé aux débats n'était pas contesté, l'arrêt, qui a constaté une baisse du chiffre d'affaires de 29 % à la suite de l'ouverture fautive d'un nouveau point de vente, et qui constate que Mme X... n'a fourni aucun autre élément, ni exposé les modalités de calcul de son préjudice, a légalement justifié sa décision en évaluant souverainement celui-ci à la somme de 10 000 francs ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.