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Décisions

Ministre de l’Économie, 9 décembre 2002, n° ECOC0300366Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la coopérative Sucreries distilleries des Hauts de France

Ministre de l’Économie n° ECOC0300366Y

9 décembre 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 5 novembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de certains actifs du groupe Béghin-Say SA (ci-après " Béghin-Say ") par la coopérative Sucreries distilleries des Hauts de France (ci-après " SDHF ").

I. - Les parties à l'opération

SDHF est une coopérative agricole issue de la fusion, en 1994, des coopératives d'Attin et de Lillers (Pas-de-Calais). En 1998, SDHF a acquis les quotas sucriers de la sucrerie d'Epancourt (Somme). Elle a pour activité la production de sucre blanc destiné à l'industrie, la production d'alcool à partir de betteraves, de bioéthanol et de pulpes de betteraves. En dehors de la France, SDHF détient 50 % de la société-holding Franco-roumaine de sucreries (ci-après " FRS "), qui contrôle des actifs implantés en Roumanie dont une sucrerie produisant du sucre blanc, de la mélasse et des pulpes de betteraves (Zaharul SRL), ainsi qu'une société de commercialisation du sucre (Zaharcom). La commercialisation de la production de SDHF en France est réalisée par des sociétés de commercialisation : Sucre Union pour le sucre industriel et la mélasse, France Alcool pour l'alcool éthylique, Ethanol Holding et Ethanol Union pour le bioéthanol, et Déshy France pour les pulpes de betteraves déshydratées. SDHF détient des participations dans le capital de chacune de ces sociétés sans pour autant exercer un contrôle sur elles (27,99 % dans Sucre Union, 20,16 % dans France Alcools, 10,3 % dans Ethanol Union, 8,56 % dans Ethanol Holding et 1,08 % dans Déshy France).

Le chiffre d'affaires de SDHF en 2001 s'est élevé à 122,9 millions d'euro* sur le plan mondial, dont 115,8 millions ont été réalisés en France.

Béghin-Say, né en juillet 2001 de la scission de la société Eridiana-Béghin-Say, est le premier producteur français de sucre et le deuxième en Europe et dans le monde derrière le groupe coopératif allemand Südzucker. Béghin-Say produit également en France de la mélasse et de l'alcool. En dehors de la France, le groupe Béghin-Say, avec sa filiale Açucar Guarani, dispose au Brésil de deux unités de production de sucre et en Hongrie de trois sucreries, les activités italiennes ayant été cédées en avril 2002. Béghin-Say est actuellement contrôlé par le groupe italien Edison, qui détient 53,8 % de son capital.

L'ensemble des actifs de Béghin-Say est actuellement en cours d'acquisition par un consortium (ci-après " le consortium ") formé par deux unions de coopératives agricoles, l'Union des sucreries et distilleries agricole (ci-après " Union SDA ") et l'Union des planteurs de betteraves à sucre (ci-après " Union BS ") et leur véhicule d'acquisition Origny-Naples, société détenue à parité par Union SDA et Union BS. Ce projet d'acquisition a été notifié au ministre le 31 octobre 2002 et a fait l'objet d'une lettre d'autorisation en date du 5 décembre 2002.

La présente opération consiste en l'acquisition par SDHF de certains actifs du groupe Béghin-Say auprès du consortium, à savoir :

Deux usines situées à Pont-d'Ardres (Pas-de-Calais) et Abbeville (Somme). Ce transfert s'accompagne des quotas sucriers qui sont attachés à ces usines ([...] de quotas A/B) ainsi que de contrats commerciaux conclus par Béghin-Say portant sur les volumes de sucre industriel correspondant aux quotas transférés. Il s'accompagne également du transfert de participations dans le capital (de respectivement [...] % et de [...] %) des SICA (cf. note 1) Flandre Artois Picardie et Pulpic d'Abbeville, spécialisées dans la déshydratation de pulpes de betteraves liées à la production des usines cédées et du transfert du contrat de commercialisation des mélasses produites par ces usines conclu par Béghin-Say avec la société France Mélasses ;

3 000 tonnes de quotas A/B en provenance de l'usine de Boiry (quotas " nus " sans autres éléments d'actifs), dont [...] tonnes de quota A ;

Une participation minoritaire de l'ordre de [...] % dans le capital de Nord-ETBE, société produisant du biocarburant, et des contrats commerciaux portant sur des volumes de [...] hectolitres de bioéthanol à livrer à cette société ;

Des droits de commercialisation portant sur [...] hectolitres d'alcool et [...] hectolitres de bioéthanol fabriqués par la distillerie de la région de Châlon (DRC), filiale à 100 % de Béghin-Say.

Le consortium cédera par ailleurs à la société Cristal Union les sucreries de Sillery et de Châlons-en-Champagne et des droits de commercialisation d'alcool et de bioéthanol. Il cédera en outre à la société Saint-Louis Sucre 67 000 tonnes de quota de sucre " A/B " et des droits de commercialisation de bioéthanol. De plus, ces deux entreprises se verront octroyer une participation au capital de la société Nord-ETBE, à proportion des quotas de sucre cédés.

Le chiffre d'affaires des sucreries d'Abbeville et de Pont-d'Ardres s'est élevé en 2001 à [...] millions d'euro* sur le plan mondial, dont [15] millions en France.

L'opération consiste par conséquent en l'acquisition par SDHF d'un ensemble d'actifs composés de sites de production et de contrats de commercialisation. Cette opération constitue donc bien une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.

II. - La définition des marchés

Les activités des parties se chevauchent dans les secteurs du sucre, de la mélasse, des alcools agricoles et de l'alimentation animale. SDHF est active sur une activité amont de la production de sucre, à savoir l'approvisionnement des sucreries distilleries en betteraves à sucre.

A. - Les marchés du sucre

A titre liminaire, il convient de souligner que le secteur de la fabrication du sucre fait l'objet depuis 1967 d'une organisation commune de marché (OCM) dans le cadre de la politique agricole commune. L'OCM du sucre est actuellement régie par le règlement (CE) n° 1260-2001 du Conseil du 19 juin 2001, qui est en vigueur jusqu'au 30 juin 2006.

Chaque Etat membre dispose ainsi d'un contingent de production de sucre relatif au volume nécessaire à la consommation annuelle des pays de l'Union (quota A) et d'un contingent prévu pour faire face à une éventuelle situation de pénurie (quota B). Ces contingents sont répartis par les autorités de chaque Etat entre les différents producteurs. Les Etats membres peuvent procéder à des transferts de quotas A et B entre entreprises en prenant en considération les intérêts de l'ensemble des parties concernées. Toute production supplémentaire hors quotas, dénommée " sucre C ", doit être exportée et vendue sur le marché mondial, sans bénéficier des mécanismes de soutien des prix.

Le règlement précité fixe un prix minimum pour la vente de sucre A ou B (actuellement 63,19 euro par quintal) ainsi que pour la vente de betteraves A ou B. En cas d'écoulement de sucre A ou B sur le marché mondial, un système de restitution de la différence entre le prix mondial et le prix d'intervention est prévu et financé par des cotisations à charge des producteurs de sucre.

En fonction des quotas A et B qui lui sont conférés par les autorités nationales (cf. note 2) , chaque entreprise sucrière répartit ses quotas entre ses usines et notifie aux planteurs situés à proximité de ses usines des " droits de livraison " correspondant aux quantités de betteraves que les planteurs peuvent lui vendre aux prix garantis. Sur la base des droits de livraison, des contrats sont conclus tous les ans entre les planteurs et les fabricants, sous forme d'engagement d'achats et de livraison de betteraves. Ces contrats sont régis par les dispositions du règlement (CE) n° 1260-2001 et des accords interprofessionnels conclus entre les représentants des planteurs de betteraves et de fabricants de sucre.

Selon la pratique, tant de la Commission européenne (cf. note 3) que du Conseil de la concurrence (cf. note 4) ou du ministre (cf. note 5), deux marchés au moins doivent être distingués en matière de commercialisation du sucre : d'une part, le marché du sucre destiné à l'industrie et, d'autre part, le marché du sucre destiné à la vente au détail, encore appelé sucre de bouche. Cette distinction est due essentiellement au fait que les produits ne sont pas destinés au même type de clientèle (industrie agroalimentaire pour le premier et grande distribution pour le second) ni au même usage (incorporation dans les préparations alimentaires ou vente du produit en tant que tel au consommateur final). Dès lors, des différences notables existent au niveau du conditionnement, du mode de distribution, mais aussi dans la spécialisation de certains sites industriels, voire de certaines entreprises et par conséquent au niveau du prix de vente. Le test de marché mené dans le cadre de l'instruction de la présente opération a confirmé cette distinction. Au cas d'espèce, SDHF est uniquement présente sur le marché du sucre industriel.

Sur le plan géographique, dans sa décision M2530 Südzucker/ Saint-Louis Sucre, la Commission a estimé qu'en vertu de la réglementation en vigueur, qui a pour conséquence de cloisonner le marché du sucre, la dimension géographique des marchés du sucre est en principe nationale. En ce qui concerne la France et particulièrement pour le sucre industriel, le test de marché a permis de mettre en évidence que la proximité entre les sucreries et les usines de transformation demeurait un facteur essentiel d'achat pour les clients, compte tenu du niveau particulièrement élevé des coûts de transport. Il n'y a toutefois pas lieu de retenir une dimension géographique plus fine des marchés du sucre dans la mesure où l'essentiel de la production se situe au nord et à l'est du pays et que la commercialisation des produits s'effectue sur tout le territoire français (cf. note 6) .

B. - Le marché de la mélasse

La mélasse est un coproduit issu de la fabrication du sucre à partir de cannes ou de betteraves. Ce produit contient environ 60 % de sucre qui n'est plus extractible dans des conditions économiquement viables. La mélasse a trois applications essentielles : la distillation, afin de produire de l'alcool (cf. infra), la fermentation (en vue de la production de levures) et l'alimentation animale. Aux fins de la présente analyse, il sera retenu un marché unique de la mélasse, la question d'une segmentation plus fine de ce marché par destinations pouvant rester ouverte.

En ce qui concerne la dimension géographique du marché de la mélasse, il apparaît que les importations de mélasse en France se sont élevées à 400 000 tonnes, soit près de 50 % de la production et environ le tiers de la consommation française. Compte tenu de l'importance de ces flux et de l'absence de quotas de mélasse attribués à chaque Etat membre alors que l'OCM sucre lui est applicable, on peut considérer que le marché pertinent de la mélasse est au moins communautaire, voire mondial. En tout état de cause, une délimitation géographique plus précise du marché de la mélasse peut rester ouverte, l'opération n'ayant pas d'impact significatif sur la concurrence quelle que soit la définition adoptée.

C. - Les marchés des alcools

Les parties produisent et commercialisent des alcools éthyliques d'origine agricole à partir de betteraves. Ces alcools sont destinés d'une part à l'industrie de transformation (boissons spiritueuses, vinaigrerie, chimie, cosmétique, parfumeries, chimie) et d'autre part à la fabrication de biocarburant, l'ETBE (éthyl-tertio-buthyl-éther), qui est incorporé dans les essences pour la préparation de carburants. L'ETBE bénéficie d'un régime fiscal spécifique (exonération partielle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou TIPP) car il permet de répondre à des objectifs de développement des carburants non polluants et de soutien de la production agricole nationale.

SDHF estime que l'alcool de synthèse produit à partir d'huiles minérales comme l'éthylène ou de gaz est en termes de produit substituable à l'alcool d'origine agricole. Il apparaît toutefois que ce n'est pas le cas pour certains clients. Par exemple, les producteurs de boissons spiritueuses ne peuvent utiliser que de l'alcool d'origine agricole. L'article 4-7 (a) du règlement (CE) n° 1576-89 du Conseil du 29 mai 1989 (cf. note 7) établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses prévoit que " Pour l'élaboration des boissons spiritueuses, l'alcool éthylique utilisé ne peut être que d'origine agricole " et l'article 4-7 (b) précise que " Quand il est fait usage d'alcool éthylique pour étendre ou dissoudre les matières colorantes, les arômes ou tout autre additif autorisé, utilisé dans l'élaboration des boissons spiritueuses, il ne peut s'agir que d'alcool éthylique d'origine agricole ". Le secteur des spiritueux représente environ 35 à 40 % de l'alcool agricole consommé en France. Il y a donc lieu de distinguer l'alcool éthylique d'origine agricole de l'alcool de synthèse (cf. note 8) .

SDHF considère par ailleurs qu'il convient de distinguer entre l'alcool agricole destiné à la fabrication de carburant (bioéthanol) (cf. note 9) et l'alcool agricole destiné à d'autres applications. SDHF indique en effet que le processus de fabrication du bioéthanol est distinct de celui des autres alcools agricoles, que le bioéthanol est exclusivement utilisé comme composant de biocarburant et qu'enfin les quantités produites de bioéthanol sont strictement limitées au volume d'ETBE bénéficiant de l'exonération partielle de la TIPP.

Ainsi, il est possible de définir deux marchés pertinents de produits pour ce qui est de l'alcool éthylique d'origine agricole :

- le marché du bioéthanol ;

- le marché de l'alcool éthylique d'origine agricole hors bioéthanol.

Sur la dimension géographique de ces marchés, il apparaît que l'alcool agricole hors bioéthanol fait l'objet d'un commerce important au sein de l'Union européenne (plus de 7 millions d'hectolitres), du fait de la présence de pays exportateurs nets et d'autres Etats importateurs nets. La France a exporté en 2001 plus de 2 millions d'hectolitres d'alcool sur les 6 millions produits. Le taux d'importation, bien que moindre, est également significatif. A l'inverse du sucre, il n'existe pas à l'heure actuelle d'organisation commune de marché et donc de quotas nationaux pour le secteur de l'alcool agricole. De plus, les données fournies par les parties permettent d'établir que les prix de l'alcool agricole hors bioéthanol sont homogènes entre les différents pays producteurs de l'UE. La dimension géographique du marché des alcools agricoles hors bioéthanol est donc européenne.

Les parties estiment par ailleurs que le marché du bioéthanol est de dimension nationale, les exonérations fiscales ne s'appliquant qu'à l'ETBE produit sur le territoire national, ce qui limite considérablement les échanges intracommunautaires. Aux fins de la présente décision, le marché géographique du bioéthanol est donc national.

D. - Les marchés de l'alimentation animale

Les parties sont présentes dans ce secteur car elles commercialisent des pulpes de betteraves déshydratées qui sont utilisées pour l'alimentation animale.

Les pulpes de betteraves fraîches sont produites par la sucrerie à l'occasion du traitement des betteraves pour fabriquer du sucre. En vertu des dispositions des accords interprofessionnels cités plus haut, elles sont alors soit restituées aux planteurs (moyennant paiement par ces derniers de frais de manutention et administratifs fixés par les accords interprofessionnels) qui les utilisent pour nourrir leurs élevages ou les confient à des SICA de déshydratation, soit déshydratées par la sucrerie et revendues aux planteurs ou sur le marché de l'alimentation animale.

SDHF estime que la pulpe déshydratée présente des qualités énergétiques et nutritives qui la rendent substituable à d'autres aliments pour animaux comme le son, le " corn gluten feed " ou le manioc et qu'ainsi le marché de produits est celui de l'alimentation animale. Si elle ne s'est jamais formellement prononcée sur la délimitation d'un tel marché, la Commission européenne a indiqué dans sa décision Cargill/Agribrands (cf. note 10) que les investigations auxquelles elle s'était livrée avaient confirmé la substituabilité des différents produits destinés à l'alimentation animale. Il convient de noter toutefois, que dans sa décision Archer Daniels Midland/Alfred C. Toepfer International/Intrade (cf. note 11) , la Commission a envisagé de distinguer pour l'alimentation animale entre un marché des céréales et de leurs sous-produits, un marché des farines oléagineuses, un marché des farines animales et un marché des pulpes. La Commission justifiait cette éventuelle distinction par une substituabilité limitée de ces divers produits entre eux, pour des raisons techniques, d'apport nutritionnel et de toxicité, mais avait laissé la question ouverte.

En tout état de cause, la définition précise du marché de produits peut rester ouverte puisque l'opération n'a pas d'effets significatifs sur la concurrence quelle que soit la définition retenue.

Sur le plan géographique, SDHF estime que le marché est probablement de dimension nationale, compte tenu des coûts de transport et des caractéristiques de la demande. Sans se prononcer explicitement, la Commission a estimé dans sa décision Cargill/ Agribrands précitée qu'il était probablement national (cf. note 12). La définition géographique peut en tout état de cause rester ouverte, compte tenu de l'absence d'effets significatifs sur la concurrence de l'opération.

E. - Le marché de l'approvisionnement

Comme il a été indiqué plus haut, l'approvisionnement en betteraves est fonction des quotas de production de sucre attribués à chaque usine. SDHF s'adresse à 3 550 planteurs de betteraves et coopérateurs, répartis autour de ses usines d'Attin et Lillers (Pas-de-Calais) tandis que les usines cédées par Béghin-Say sont alimentées par 2 700 planteurs regroupés en coopératives qui deviendront membres de SDHF.

On peut s'interroger sur la nécessité de délimiter un marché amont de l'approvisionnement en betteraves auprès des planteurs sur lequel SDHF et les coopératives de Pont-d'Ardres et d'Abbeville seraient présentes en tant que coopératives-transformateurs de betteraves. Cette question ne se pose que si l'on considère que les agriculteurs membres d'une coopérative et la coopérative elle-même, qui en l'espèce est également transformateur de betteraves, constituent deux entités juridiquement et économiquement distinctes (cf. note 13) .

Au cas d'espèce, les accords interprofessionnels cités plus haut déterminent le prix des betteraves A et B livrées par le planteur à l'entreprise sucrière, les conditions de paiement, les modalités de réception des betteraves, les conditions de livraison et les bonus-malus attribués au planteur en fonction de la propreté des betteraves (tare-terre). Dans le cas des coopératives, la mise en œuvre de ces accords est assumée par le conseil d'administration de la coopérative ou une commission qu'il désigne. Même si on estimait que les agriculteurs membres de la coopérative et la coopérative constituent des entités juridiques distinctes, les liens économiques entre eux apparaissent suffisamment étroits pour considérer que les règles habituelles de l'offre et de la demande n'existent pas en l'espèce, dans la mesure où des règles strictes d'affectation de la production de betteraves à l'industrie sucrière s'y substituent.

Dans cette perspective, comme a pu le relever le Conseil de la concurrence dans son avis relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say (cf. note 14) , il convient de souligner que les producteurs de betteraves bénéficient d'une protection importante dans leurs rapports avec les producteurs de sucre en vertu de la réglementation communautaire et des accords interprofessionnels précités. Dans ces conditions, l'opération ne devrait pas modifier de façon substantielle la situation des planteurs de Pont-d'Ardres et d'Abbeville.

En conséquence, compte tenu du faible impact concurrentiel de la présente opération pour ce qui est de l'approvisionnement en betteraves auprès des planteurs, il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si les planteurs et les coopératives-transformateurs constituent des entités juridiques et économiques distinctes et, dans l'affirmative, la question de l'existence du marché amont de l'approvisionnement en betteraves.

III. - Analyse concurrentielle

Dans le cadre de cette opération, SDHF rachètera au consortium des actifs de Béghin-Say acquis par ce dernier dans le cadre de sa prise de contrôle sur Béghin-Say. D'autres actifs de Béghin-Say seront cédés à Cristal Union et Saint-Louis Sucre. Il convient donc de procéder à une analyse globale des effets de ces opérations sur la concurrence sur les marchés du sucre, de la mélasse, du bioéthanol et de l'alcool agricole hors bioéthanol. Toutes les données chiffrées figurant dans la présente décision sont donc estimées en tenant compte de la future répartition des actifs de Béghin-Say.

A. - Le marché du sucre industriel

Le volume du marché est d'environ 1,6 million de tonnes annuel pour un chiffre d'affaires correspondant de 1,2 milliard d'euro. Le sucre industriel représente 80 % de l'ensemble du sucre vendu en France.

Comme il a été indiqué plus haut, SDHF commercialise l'intégralité de sa production de sucre via Sucre Union, filiale de commercialisation contrôlée par Cristal Union, et ce sera également le cas pour la production des actifs acquis auprès du consortium. Dans l'analyse des effets sur la concurrence des acquisitions d'actifs de Béghin-Say par Cristal Union, il a été tenu compte non seulement de la production des actifs acquis par Cristal Union et Sucre Union, mais également de celle des actifs acquis par SDHF et commercialisée par Sucre Union. L'analyse relative à l'acquisition d'actifs de Béghin-Say par Cristal Union et Sucre Union conclut à l'absence d'atteinte à la concurrence sur le marché du sucre industriel, du fait de la croissance des importations et du pouvoir de la demande. Il en est donc de même pour la présente opération.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où SDHF commercialiserait elle-même l'intégralité du sucre industriel qu'elle produit après réalisation de ces opérations, elle serait confrontée à des concurrents puissants puisque sa part de marché serait au maximum de [0-10] %, contre [20-30] % pour Union SDA Union BS et [20-30] % pour Saint-Louis Sucre, selon les résultats du test de marché mené dans le cadre de l'instruction de la présente opération.

En conséquence, quel que soit le mode de commercialisation du sucre industriel produit par SDHF, il apparaît que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché français du sucre industriel.

B. - Le marché de la mélasse

Actuellement, SDHF utilise la mélasse produite par ses sucreries pour la transformer en alcool éthylique. SDHF indique dans sa notification que la totalité de la production de mélasse qui lui sera rétrocédée ([...] tonnes) sera vraisemblablement distillée pour produire de l'alcool. En tout état de cause, dans l'hypothèse où SDHF commercialiserait cette mélasse, sa part de marché dans sa dimension géographique la plus étroite (Union européenne) serait inférieure à [0-10] %. L'opération notifiée n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché de la mélasse par création ou renforcement de position dominante.

C. - Le marché de l'alcool agricole hors bioéthanol

SDHF commercialise l'intégralité de sa production d'alcool agricole via France Alcools, qui est contrôlée par Cristal Union. Dans l'évaluation de la position de Cristal Union après réalisation des opérations, il a été tenu compte de la production d'alcool agricole de SDHF et des actifs acquis par SDHF dans le cadre de la présente opération. L'analyse relative à l'acquisition d'actifs de Béghin-Say par Cristal Union conclut à l'absence d'atteinte à la concurrence sur le marché européen de l'alcool agricole, compte tenu de la faible addition de parts de marché (moins de [0-10] %). Il en est donc de même pour la présente opération. Si SDHF commercialisait elle-même les alcools qu'elle produit, sa part de marché et l'addition qui résulterait de l'opération seraient évidemment inférieures.

L'opération notifiée n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché européen de l'alcool agricole hors bioéthanol.

D. - Le marché du bioéthanol

Les parties sont toutes deux présentes sur le marché national du bioéthanol : SDHF commercialise du bioéthanol par l'intermédiaire de sociétés de commercialisation Ethanol Union et Ethanol Holding, Béghin-Say y est active par l'intermédiaire de sa filiale DRC.

Le bioéthanol est exclusivement destiné à la production d'un adjuvant, l'ETBE, qui est ensuite incorporé à l'essence pour remplacer le plomb. La totalité de la production française de bioéthanol (1,2 million d'hectolitres pour un volume de ventes de 59 millions d'euro) est exclusivement destinée à la production d'ETBE dans les trois unités de production agréées, pour une quantité totale de 219 000 tonnes d'ETBE produites par an.

Les trois unités de production agréées d'ETBE sont :

- Feyzin, qui appartient au groupe TotalFinaElf (ci-après " TFE ") et est alimentée par Union SDA, Béghin-Say, Ethanol Union et Amylum ;

- la société-unité Nord-ETBE, à Dunkerque : cette société a été créée par le groupe pétrolier TFE, Béghin-Say, Union SDA et des organisations agricoles. En retour de leur investissement, Union SDA et Béghin-Say bénéficient [...] ;

- la société-unité Ouest-ETBE, à Gonfreville-l'Orcher, créée également par TFE, Ethanol Holding et des organisations agricoles.

Ethanol Union et Ethanol Holding sont des sociétés de commercialisation de bioéthanol, qui alimentent des unités de production d'ETBE. Ces deux sociétés s'approvisionnent en bioéthanol auprès de leurs actionnaires (Cristal Union, SVI (cf. note 15) , SDHF, Saint-Louis Sucre) [...]. L'actionnariat de ces sociétés étant éclaté entre plusieurs entreprises sucrières, aucune majorité stable n'apparaît dans la prise de décision au sein d'Ethanol Union et Ethanol Holding. Dès lors, afin d'estimer la position de SDHF sur ce marché, il sera tenu compte du pourcentage représenté par SDHF dans la production commercialisée par ces sociétés.

Ethanol Holding ne livre que l'unité de Gonfreville-l'Orcher, alors qu'Ethanol Union n'alimente que l'unité de Feyzin. L'intégralité de la production française d'ETBE, incorporée dans de l'essence, est commercialisée par la seule société TFE, sur le territoire français.

Les volumes produits par SDHF représentent [...] hectolitres, soit [0-10] % de la consommation de bioéthanol par les unités de production d'ETBE. Les actifs cédés permettront à SDHF d'accroître cette part de marché d'environ [0-10] %. Après réalisation des opérations notifiées, le principal concurrent sera Union SDA Union BS, avec [40-50] % de parts de marché. Par ailleurs, le marché du bioéthanol se caractérise par l'existence en France d'un seul acheteur, la société TFE, qui possède l'unité d'ETBE de Feyzin et exploite les unités de Gonfreville et Dunkerque.

Dès lors, compte tenu de cette structure de marché et de la présence d'un concurrent détenant une part de marché élevée, l'opération notifiée n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché français du bioéthanol.

E. - Les marchés de l'alimentation animale

SDHF est présente sur ce marché par l'intermédiaire de la société de commercialisation Déshy France, à laquelle elle vend des pulpes de betteraves déshydratées destinées à l'alimentation animale.

La production annuelle nationale de pulpes déshydratées a atteint environ 1,3 million (cf. note 16) de tonnes en 2001. SDHF a produit [...] tonnes de pulpes déshydratées, dont [...] tonnes ont été commercialisées par Déshy France, le reste faisant l'objet d'une revente aux planteurs pour leur usage propre. Les actifs cédés par Béghin-Say représentent une capacité de production de pulpes de [...] tonnes.

Dans sa dimension la plus étroite (marché national de pulpes de betteraves déshydratées), la part de marché de SDHF après réalisation de l'opération notifiée sera au maximum de [0-10] % (contre [10-20] % pour Union SDA, [10-20] % pour Saint-Louis Sucre et [0-10] % pour Cristal Union, le reste de l'offre étant particulièrement morcelé).

L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur un éventuel marché des pulpes de betteraves déshydratées en France ni, a fortiori, sur un marché de l'alimentation animale en France.

Sur le plan vertical, les opérations ont pour résultat de placer les actifs du groupe Béghin-Say sous le contrôle des coopératives Union SDA, Cristal Union et SDHF et donc des agriculteurs betteraviers adhérant à ces coopératives. Les coopératives contrôlent aujourd'hui environ 30 % de la production française de sucre, cette part devant passer à 63 % après réalisation des opérations notifiées (cf. note 17).Cette évolution est le résultat de la volonté des planteurs de maîtriser la filière aval de la betterave, pour laquelle il n'existe pas de marché au sens strict du terme, la betterave étant une culture industrielle qui ne peut être transformée que dans une sucrerie.

A l'heure actuelle, pratiquement tous les planteurs de betteraves appartiennent à un syndicat régional ou départemental et la totalité de ces syndicats est confédérée à l'échelon national, dans le cadre de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), fondée en 1921. L'article 4 des statuts de la CGB précise que " le but de la CGB est la représentation, l'organisation et la défense de tous les intérêts professionnels des producteurs de betteraves, en usant de toutes les latitudes prévues par la législation relative aux syndicats professionnels ".

Outre ce rôle de représentation des planteurs et une fonction de promotion de nouveaux produits issus de la betterave, le rôle de la CGB est très important dans le fonctionnement de l'industrie sucrière. En pratique, les principales missions de la CGB (cf. note 18) sont la négociation des accords interprofessionnels définissant dans le cadre de la législation communautaire les conditions générales d'achat par les usines et le suivi de leur bonne application ; l'organisation générale du contrôle dans les sucreries des réceptions de betteraves payées en fonction de leur richesse en sucre, après détermination du poids net ; le rassemblement, la synthèse et la diffusion des informations économiques intéressant les planteurs et le secteur de la betterave.

Ce rôle central de la CGB au sein de l'économie sucrière, qui fédère la totalité des producteurs de betteraves ainsi que la position désormais majoritaire du secteur coopératif dans la production et les ventes de sucre, pourrait susciter des interrogations en termes de concurrence sur les marchés de la vente de sucre, notamment en ce qu'elle serait susceptible de conduire à un renforcement de la transparence des marchés avals liée à des échanges d'informations entre coopératives sucrières par l'intermédiaire de l'organisation professionnelle à laquelle leurs planteurs adhèrent.

En tout état de cause, il ressort de l'analyse de la présente opération que les conditions et critères permettant de qualifier une position dominante collective ne sont pas, au cas d'espèce, réunis. Dès lors, sans préjudice des dispositions de l'article 420-1 du Code de commerce, il n'apparaît pas que la transparence accrue des marchés qui pourrait résulter de ces opérations soit en elle-même susceptible de porter atteinte à la concurrence.

En conclusion, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

NOTE (S) :

(1) Société d'intérêt collectif agricole. Les SICA ont pour objet de créer ou de gérer des installations ou équipements ou d'assurer des services soit dans l'intérêt des agriculteurs d'une région rurale déterminée, soit, de façon plus générale, dans celui des habitants de cette région sans distinction professionnelle. Elles ont le statut de société coopérative (art. L. 531-1 du Code rural).

3 * La somme de ces deux chiffres d'affaires excède 150 millions d'euro.

(2) Il s'agit en France du ministère de l'agriculture.

(3) Décision M2530, Südzucker/Saint-Louis Sucre du 20 décembre 2001.

(4) Avis n° 97-A-02 du 14 janvier 1997 relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.

(5) Lettre du 5 février 1997 relative à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana-Béghin-Say et lettre du ministre relative à l'acquisition de la sucrerie de Colleville par la société Vermandoise de sucreries du 21 août 2002, en instance de publication.

(6) Cf. décision M2530 Südzucker/Saint-Louis Sucre, en particulier les points 30 et 31.

(7) JOCE n° L 160 du 12 juin 1989, p. 0001-0017.

(8) En outre, la Commission européenne a présenté en juin 2001 un projet de règlement portant création d'une organisation commune de marché pour le seul alcool éthylique d'origine agricole (cf. JOCE n° C180C du 26 juin 2001, p. 146-150).

(9) Dans la notification, SDHF utilise le terme " éthanol " pour l'alcool agricole servant à la fabrication de biocarburant. Dans la mesure où cette dénomination est également utilisée pour désigner des alcools éthyliques d'origine agricole et de synthèse, il sera fait référence dans la présente décision au " bioéthanol " pour désigner les alcools agricoles destinés à la fabrication de biocarburant (cf. arrêt du TPICE du 27 septembre 2000 dans l'affaire T-184-97 BP Chemicals Ltd/Commission, point 20).

(10) Décision M2271 Cargill/Agribrands du 19 février 2001, point 8.

(11) Décisions M1348 Archer Daniels Midland/Alfred C. Toepfer International/Intrade du 9 novembre 1999, notamment le point 17.

(12) Cf. également la décision M2029 Tate & Lyle/Amylum du 11 août 2000, point 14.

(13) Cf. également lettre du ministre du 17 septembre 2002 relative à l'acquisition du groupe des Minoteries Cantin par le groupe Epis-Centre, en instance de publication.

(14) Avis n° 97-A-02 du 14 janvier 1997 précité.

(15) Société vermandoise Industries.

(16) Source : site internet de la CGB et Confédération internationale des betteraviers européens.

(17) Source : site internet de la CGB.

(18) Source : site internet de la CGB.