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Décisions

CCE, 11 décembre 2002, n° 2003-883

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Aide d'État C 46-2001 - Centrales de trésorerie mis à exécution par la France

CCE n° 2003-883

11 décembre 2002

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 88, paragraphe 2, premier alinéa, après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations conformément audit article (1), considérant ce qui suit:

I. PROCÉDURE

(1) En 1997, le Conseil "Ecofin" a adopté une résolution sur un Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises (2) afin de mettre fin aux pratiques dommageables en la matière. Suite à l'engagement pris dans le cadre de ce Code, la Commission a publié en 1998 une communication sur l'application des règles relatives aux aides d'État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (3) (ci-après "la communication"), réaffirmant sa détermination à appliquer ces règles avec rigueur et dans le respect du principe d'égalité de traitement. La présente procédure s'inscrit dans ce cadre.

(2) Par lettre du 4 août 1999 (D-63323), la Commission a demandé des informations relatives au régime français dit des centrales de trésorerie. Ces informations ont été communiquées par lettre de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne en date du 12 octobre 1999 (A-37816).

(3) Par lettre SG (2001) D-289747 du 11 juillet 2001, la Commission a notifié à la France sa décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, du traité à l'égard du régime fiscal applicable aux centrales de trésorerie. Par lettre du 31 octobre 2001 (A-38577) la France a transmis des observations à l'égard de cette ouverture.

(4) La décision de la Commission d'ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (4). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure en cause. La Commission n'a pas reçu d'observations à ce sujet de la part des parties intéressées.

II. Description de la mesure

(5) Le statut des centrales de trésorerie, approuvé le 3 novembre 1998, donne droit à un traitement fiscal spécial fixé par l'instruction du 16 avril 1999 de la direction générale des impôts (ci-après "l'instruction"). Cette instruction, en vigueur à partir du 1er janvier 1999, précise l'application des articles 39.1° 3 et 131 quater du Code général des impôts (ci-après "CGI"), portant sur le traitement fiscal des intérêts payés par une société à ses associés pour des sommes que ces derniers mettent à sa disposition.

(6) L'article 39.1° 3 du CGI prévoit la limitation de la déduction des intérêts payés aux associés pour des sommes qu'ils laissent ou mettent à la disposition d'une société, indépendamment de sa forme juridique, en sus de leur part du capital. La limitation prend la forme d'un taux de référence égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens, pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts aux entreprises, à taux variable, et d'une durée initiale supérieure à deux ans. Selon l'instruction, l'administration fiscale française peut autoriser une dérogation à cette limitation pour les opérations réalisées dans le cadre des centrales de trésorerie.

(7) L'article 131 quater du CGI prévoit l'exonération de la retenue à la source pour les opérations en compte courant d'associés établis hors de France lorsqu'il s'agit de sociétés tierces ou associées. L'instruction précise que le bénéfice de cette mesure est également ouvert aux opérations en compte courant d'associés, réalisées entre une société mère et ses filiales ou sous-filiales, dans le cadre d'une convention entre sociétés appartenant à un même groupe, concernant la création d'une centrale de trésorerie, et portée à la connaissance de l'administration fiscale.

(8) Afin de bénéficier de ces dispositions, une centrale de trésorerie doit être établie en France sous forme de société filiale et être chargée au sein d'un groupe de la centralisation des flux de trésorerie entre les sociétés appartenant à ce groupe. Son rôle consiste à recevoir, de manière effective, des flux de trésorerie venant des sociétés du groupe liées à elle par la convention et à répondre aux besoins de trésorerie de ces mêmes sociétés.

(9) L'adhésion à cette convention est réservée aux sociétés contrôlées directement ou indirectement par une même société et à cette société elle-même. De plus, le bénéfice de la mesure est limité aux groupes d'entreprises présents dans au moins trois États différents.

III. Raisons ayant conduit à l'ouverture de la procédure

(10) Dans son évaluation des informations fournies par les autorités françaises, la Commission estimait que la dérogation au dispositif de plafonnement de la déduction des intérêts, limitée uniquement aux centrales de trésorerie, semblait un avantage sélectif non justifié par la nature ou l'économie du système.

(11) La Commission considérait également que l'extension de l'exonération de la retenue à la source pour les intérêts payés hors de France par les centrales de trésorerie ne pouvait pas être considérée comme un avantage spécifique, compte tenu du fait que cette exonération était déjà applicable aux intérêts payés hors de France par toute société à des sociétés tierces ou affiliées.

IV. Commentaires de la France

(12) Les autorités françaises constatent que, lors de l'ouverture de la procédure, la Commission n'a pas retenu la qualification d'aide d'État à l'encontre de l'exonération de la retenue à la source pour les intérêts payés hors de France par les centrales de trésorerie. La France estime dès lors peu cohérent que la Commission considère la dérogation au dispositif de plafonnement de la déduction des intérêts pour les centrales de trésorerie comme un avantage, compte tenu du fait que l'objectif et le champ d'application des deux mesures sont identiques.

(13) La France considère que l'exception au plafonnement de la déduction des intérêts, applicable aux centrales de trésorerie, n'est pas susceptible de donner lieu à un avantage. En effet, cette exception n'a en réalité que peu de portée pratique depuis son entrée en vigueur en janvier 1999, puisque le taux plafond, défini comme le taux moyen des prêts à taux variables octroyés aux entreprises par les établissements de crédit, est, dans la plupart des cas, proche du taux de marché.

(14) En outre, la France signale que le service d'enquêtes statistiques de la direction générale des impôts n'a recensé que huit accords conventionnels déposés par des sociétés remplissant les conditions d'application de ces deux mesures. Ceci indiquerait que le régime n'offre pas d'avantage concret.

(15) Selon les autorités françaises, la dérogation au dispositif de plafonnement de la déduction des intérêts, pour les centrales de trésorerie de groupes implantés dans trois pays au moins, n'est pas une mesure sélective car elle ne leur confère aucun avantage comparatif par rapport aux groupes exclus de la mesure. En considérant la base imposable au niveau du groupe, ce régime ne fait que déplacer l'imposition de la centrale de trésorerie vers l'associé: les intérêts qui sont déductibles du résultat de la centrale de trésorerie sont corrélativement imposés chez l'associé comme des produits financiers, alors que dans une situation où la déduction des intérêts est plafonnée, les intérêts non déductibles et donc imposés au niveau de la filiale sont déduits du résultat de la société mère du fait de leur requalification en bénéfices distribués, exonérés en application du régime d'exemption des participations entre mère et fille.

(16) Selon les autorités françaises, la dérogation au plafonnement de la déduction des intérêts applicable aux centrales de trésorerie est justifiée par la nature et l'économie du système de déduction des intérêts pour les opérations en compte courant d'associés. La logique du plafonnement de la déduction des intérêts versés par une société à ses associés est d'introduire une présomption légale d'anormalité de la déduction d'intérêts au-delà d'un certain niveau fixé par rapport au taux de marché, évitant ainsi des contentieux sur l'appréciation du taux normal à retenir. Une telle présomption n'est pas pertinente lorsque la relation entre les associés et la société s'inscrit dans le cadre d'un accord de centralisation de trésorerie, puisque la relation commerciale entre prêteur et emprunteur prime sur la relation d'associé entre mère et filiale. La déduction des intérêts est alors soumise à la seule condition de leur conformité au taux du marché entre tiers indépendants. Cette même logique justifie la doctrine administrative française qui prévoit depuis 1984 que les intérêts versés par une filiale à sa société mère ayant la qualité d'établissement de crédit ne soient pas plafonnés.

V. Appréciation de la mesure introduction

(17) Après avoir considéré les observations de la France, la Commission maintient la position exprimée dans sa lettre du 11 juillet 2001 (5) ouvrant la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, du traité. Elle estime que les observations soumises par la France n'ont pas permis de lever les doutes qu'elle y exprimait et considère par conséquent que le régime fiscal examiné constitue une aide au fonctionnement illégale et incompatible avec le marché commun au titre de l'article 87, paragraphe 1, du traité. Elle estime cependant que, en l'espèce, la France et les entreprises bénéficiaires étaient fondées à entretenir une confiance légitime de nature à empêcher la récupération de l'aide.

(18) En particulier, la Commission ne peut pas accepter l'assimilation faite par les autorités françaises entre, d'une part, l'exonération du prélèvement à la source pour les intérêts payés hors de France, et, d'autre part, la dérogation au plafonnement de la déductibilité des intérêts pour les opérations en compte courant d'associés. En effet, la Commission estime que ces deux mesures ont des portées différentes et doivent donc être traitées séparément.

Exonération de la retenue à la source

(19) En ce qui concerne l'exonération de la retenue à la source pour les intérêts payés hors de France, l'article 131 quater du CGI prévoyait déjà l'exonération de la retenue d'une façon générale (6). L'instruction a simplement précisé que les intérêts payés hors de France par les centrales de trésorerie, qui sont soumises aux conditions reprises aux points 3 à 9 de ladite instruction, bénéficient de l'exonération existante.

(20) Conformément au point 13 de la communication, les mesures de pure technique fiscale, comme l'exonération de la retenue à la source, constituent des mesures générales et se situent hors du champ d'application de l'article 87, paragraphe 1, du traité dans la mesure où leurs bénéfices sont ouverts à tous les acteurs économiques opérant sur le territoire.

(21) La Commission peut donc conclure que la portée générale de l'exonération de la retenue à la source pour les intérêts payés hors de France, confirmée par l'instruction en ce qui concerne l'application de cette exonération aux centrales de trésorerie, ne permet pas de considérer cette mesure comme une aide d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité.

Régime de déduction des intérêts servis aux associés

(22) En ce qui concerne la dérogation à la limitation de la déductibilité fiscale des intérêts servis à raison des sommes mises à disposition d'une société par ses associés, la Commission considère que cette mesure fiscale constitue une aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité, car elle satisfait cumulativement aux quatre critères développés ci-dessous. Avantage

(23) En premier lieu, la mesure procure un avantage qui allège les charges qui grèvent normalement le budget des entreprises. La dérogation au plafonnement de la déductibilité des intérêts pour les opérations en compte courant d'associés effectuées par les centrales de trésorerie leur permet de réduire le montant de l'assiette imposable. Comme mentionné au point 9 de la communication, un avantage peut être procuré par une réduction de la charge fiscale, et notamment par la réduction de l'assiette imposable d'une entreprise, suite à une déduction supplémentaire accordée d'une façon dérogatoire vis-à-vis du plafond de déduction ordinaire. Les centrales de trésorerie et les groupes auxquels elles appartiennent reçoivent un avantage chaque fois que lesdites centrales peuvent déduire de leur assiette imposable l'entièreté des intérêts versés à ces associés tandis que les autres entreprises françaises devraient, dans la même situation, respecter un plafond.

(24) En ce qui concerne l'observation de la France, visée au considérant 13, selon laquelle la mesure n'aurait en réalité que peu de portée pratique puisque le taux plafond utilisé se rapproche dans la plupart des cas du taux de marché, la Commission constate que l'existence de quelques cas d'avantage, voire la simple possibilité que le régime confère des avantages, suffit pour le qualifier de régime d'aide, pour autant que les autres conditions de l'article 87, paragraphe 1, du traité soient remplies.

(25) La Commission note l'argument de la France, visé au considérant 15, selon lequel la dérogation au dispositif de plafonnement ne ferait que déplacer l'imposition de la centrale de trésorerie vers l'associé et ne conférerait aucun avantage comparatif au niveau du groupe concerné par rapport aux groupes exclus de la mesure. Toutefois, la comparaison effectuée par les autorités françaises sur le niveau d'imposition effective d'un groupe, selon que les sommes versées par une centrale de trésorerie à sa société mère prennent la forme d'intérêts déductibles ou de bénéfices distribués (dividendes), ne permet pas d'écarter dans tous les cas l'existence d'un avantage car elle repose sur la comparaison de situations différentes qui varient en fonction de paramètres externes. Le montant des dividendes distribués dépend en effet de la réalisation de bénéfices distribuables par la filiale ainsi que de ses choix de gestion, et leur traitement fiscal dépend pour sa part de l'importance du capital détenu par la société mère ainsi que des règles fiscales - notamment internationales - susceptibles de s'appliquer. À cet égard, la situation évoquée par la France vise seulement un cas de figure très restreint, qui présuppose notamment un contexte dans lequel la société mère et la société filiale sont soumises au même niveau d'imposition effective. Ce raisonnement repose également sur l'hypothèse que les bénéfices de la filiale sont intégralement distribués à la société mère. Enfin, le raisonnement de la France présuppose que la société mère puisse bénéficier d'un régime d'exemption des participations entre mère et filiale, ce qui n'est pas toujours le cas.

(26) De surcroît, la Commission observe que l'examen du caractère d'avantage d'une mesure doit se faire par rapport au système national de l'État membre concerné et non dans un système assurant une hypothétique égalité de traitement interétatique, comme implicitement invoqué par la France.

(27) Sur cette base, la Commission conclut que la dérogation au plafonnement de la déduction des intérêts versés aux associés est susceptible de conférer un avantage aux centrales de trésorerie et aux groupes auxquels elles appartiennent.

Ressources d'État

(28) En second lieu, l'avantage est octroyé au moyen de ressources d'État. Dans le cas présent, la réduction de l'assiette imposable des centrales de trésorerie établies en France entraîne une diminution des recettes fiscales constituant des ressources d'État. Affectation de la concurrence et des échanges entre les États membres

(29) En troisième lieu, la mesure en cause affecte la concurrence et les échanges entre les États membres. Ce critère est rempli compte tenu du fait que les centrales de trésorerie doivent agir dans un cadre multinational, qui englobe notamment le commerce intracommunautaire. Du fait de l'avantage conféré aux centrales de trésorerie, la position de l'ensemble des sociétés et des groupes auxquels elles appartiennent est renforcée par rapport à celle d'autres sociétés ou d'autres groupes concurrents dans différents secteurs, dont certains ou moins se caractérisent par l'existence d'échanges communautaires.

(30) Comme le souligne le point 11 de la communication, l'importance relativement faible d'une aide (7), invoquée par la France, ne modifie pas ce constat. Sélectivité

(31) Enfin, la Commission estime que les dispositions de l'instruction sont sélectives dans la mesure où elles favorisent certaines entreprises, puisqu'en l'occurrence, elles ne concernent que les centrales de trésorerie de groupes implantés dans au moins trois États. Sont donc notamment exclues les sociétés appartenant à des groupes implantés uniquement en France ou dans deux États seulement. Justification par la nature ou l'économie du système

(32) La France défend l'argument que le régime de déduction non plafonnée des intérêts, applicable aux centrales de trésorerie, est justifié par la logique du plafonnement lui-même. En raison de la relation particulière entre un associé et sa société, le plafonnement introduirait une présomption légale d'anormalité de la déduction des intérêts excédant un certain niveau fixé par rapport au taux de marché, évitant ainsi des contentieux sur l'appréciation du taux normal à retenir. Une telle présomption ne serait pas pertinente dans le cadre d'un accord de centralisation de trésorerie, puisque la relation commerciale entre prêteur et emprunteur primerait sur la relation d'associé entre mère et filiale. Pour cette raison, la déduction des intérêts serait soumise à la seule condition de leur conformité au taux du marché entre tiers indépendants.

(33) La Commission ne peut pas accepter cet argument puisque la France n'explique pas les raisons pour lesquelles la relation commerciale primerait sur la relation mère/filiale uniquement dans le contexte des centrales de trésorerie par rapport aux fonctions de centralisation des flux de trésorerie exercées par des filiales non couvertes par un accord au sens de l'instruction. En outre, la France n'explique pas pourquoi les activités de centralisation effectuées par une société française au profit d'un groupe établi en France uniquement ou dans deux États seraient différentes de celles des centrales de trésorerie admises sous le régime. Par conséquent, la Commission estime que l'absence de pertinence de la règle générale de plafonnement dans le cas des centrales de trésorerie éligibles au régime n'est pas établie par des caractéristiques propres aux seules centrales de trésorerie, par opposition aux autres sociétés exerçant le même type d'activités. La circonstance que les intérêts versés par une filiale à sa société mère ayant la qualité d'établissement de crédit bénéficient d'une exemption similaire n'est pas susceptible de modifier cette appréciation puisque cette dérogation ne permet pas, en soi, de justifier la spécificité du régime visant uniquement certaines centrales de trésorerie. La dérogation à la règle générale de plafonnement applicable aux seules centrales de trésorerie d'un groupe établi dans trois pays au moins ne peut donc pas être justifiée par la nature et l'économie du système.

(34) La Commission conclut donc qu'il s'agit d'un régime d'aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité.

Compatibilité

(35) Comme il a déjà été souligné dans la décision d'ouvrir la procédure formelle d'investigation, le régime en question ne semble a priori pouvoir bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 87, paragraphes 2 et 3, du traité et les autorités françaises n'ont pas contesté l'appréciation faite à cet égard par la Commission, et qui peut être résumée comme suit.

(36) Les dérogations prévues à l'article 87, paragraphe 2, du traité, visant les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, les aides visant à remédier aux calamités extraordinaires et autres événements extraordinaires et les aides accordées dans certaines régions de la République fédérale d'Allemagne ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce.

(37) La dérogation prévue à l'article 87, paragraphe 3, point a), du traité, qui prévoit la possibilité d'autoriser des aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ne saurait être invoquée, s'agissant d'un régime dont le domaine d'application territoriale n'est pas limité.

(38) De même, le régime des centrales de trésorerie ne rentre pas dans la catégorie des projets d'intérêt européen commun éligibles à la dérogation prévue à l'article 87, paragraphe 3, point b), du traité, et dans la mesure où il ne vise pas à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, il ne peut bénéficier de la dérogation prévue à l'article 87, paragraphe 3, point d), du traité.

(39) Les avantages fiscaux accordés dans le cadre du régime de centrales de trésorerie ne sont pas susceptibles de bénéficier de la dérogation prévue à l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité, qui autorise les aides facilitant le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques pour autant que les conditions des échanges ne soient pas altérées dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Il s'agit, en effet, d'aides au fonctionnement qui exonèrent les entreprises bénéficiaires, ou les groupes auxquels elles appartiennent, de certaines charges qu'elles devraient normalement supporter.

(40) Dès lors, le régime d'aides est incompatible avec le marché commun.

Récupération

(41) Les mesures en question ne peuvent être considérées comme des aides existantes au sens de l'article 88, paragraphe 1, du traité et de l'article 1er, point b), du règlement (CE) n° 659-99 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité (8). En effet, elles ont été mises en œuvre après l'entrée en vigueur du traité, n'ont jamais été notifiées à la Commission conformément à l'article 88, paragraphe 3, du traité, ne sont pas couvertes par la prescription et constituaient des aides dès le moment de leur mise en vigueur. Elles constituent donc des aides nouvelles. Lorsque les aides d'État illégalement accordées s'avèrent incompatibles avec le marché commun, la conséquence naturelle d'une telle conclusion est que l'aide devrait être récupérée auprès des bénéficiaires, conformément à l'article 14 du règlement (CE) n° 659-99. La récupération de l'aide vise à restaurer, dans la mesure du possible, l'état de compétitivité existant avant que l'aide ne soit accordée. Ni l'absence de précédent pour l'application des règles d'aides d'État dans des cas similaires, ni le prétendu manque de clarté de la politique communautaire en matière d'aides d'État ne justifieraient une dérogation à ce principe de base.

(42) Néanmoins, l'article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659-1999 dispose que "la Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire". La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et la pratique de la Commission ont établi qu'un ordre de récupération de l'aide violerait un principe général de droit communautaire lorsque, suite à l'action de la Commission, une confiance légitime existe dans le chef du bénéficiaire d'une mesure que l'aide a été accordée conformément à la législation communautaire.

(43) Dans l'affaire Van den Bergh en Jurgens (9) la Cour a déclaré: "Il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour que la possibilité de se prévaloir du principe de la protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées. En outre, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure communautaire de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque cette mesure est adoptée." La France n'a présenté à la Commission aucun argument portant sur l'existence d'une confiance légitime dans le chef des bénéficiaires du régime. Cependant, il découle de la jurisprudence de la Cour (10) que la Commission est tenue de prendre d'office en considération les circonstances exceptionnelles qui justifient, conformément à l'article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659-1999, qu'elle renonce à ordonner la récupération des aides accordées illégalement lorsque cette récupération est contraire à un principe général du droit communautaire, tel que le respect de la confiance légitime des bénéficiaires.

(44) Dans le cas présent, la Commission note que le régime français des centrales de trésorerie présente certaines analogies avec le système introduit en Belgique par l'arrêté royal n° 187 du 30 décembre 1982 concernant l'imposition des centres de coordination. Les deux systèmes concernent des activités intra-groupe et concernent des règles spécifiques de détermination de la base imposable. Dans sa décision du 2 mai 1984, la Commission a considéré que le système n'entraînait pas d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Même si la décision n'a pas été publiée, le fait que la Commission n'ait soulevé aucune objection à l'encontre du système belge de centres de coordination a été rendu public à cette époque dans le quatorzième rapport sur la politique de concurrence ainsi que dans une réponse à une question parlementaire (11).

(45) Dans ce contexte, la Commission note que sa décision sur le régime belge des centres de coordination a été adoptée avant l'adoption du régime français. Par ailleurs, cette adoption est intervenue avant la publication de la communication. Par conséquent, la commission conclut à l'existence d'une confiance légitime dans le chef des bénéficiaires du régime et de l'administration française, de nature à empêcher la récupération de l'aide et, pourtant, n'exige pas cette récupération.

VI. Conclusions

(46) La Commission constate que le régime français des centrales de trésorerie constitue une aide d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité et que la France a illégalement mis à exécution l'aide en question en violation de l'article 88, paragraphe 3, du traité.

(47) Néanmoins, la position prise par la Commission dans le passé, à l'égard de certaines mesures fiscales en faveur des multinationales, a pu susciter, dans le chef des autorités françaises et des bénéficiaires du régime, la confiance légitime que le régime des centrales de trésorerie était compatible avec les règles applicables en matière d'aides d'État. La Commission constate que la récupération de l'aide irait à l'encontre du principe général de respect de la confiance légitime et, par conséquent, renonce à exiger cette récupération,

A arrêté la présente décision :

Article premier

L'aide d'État mise à exécution par la France, sous la forme de la dérogation à la limitation de la déductibilité des intérêts pour les centrales de trésorerie, régie par l'instruction du 16 avril 1999 de la direction générale des impôts concernant le régime des centrales de trésorerie, ayant effet à partir du 1er janvier 1999, est incompatible avec le marché commun.

Article 2

La France est tenue de supprimer les éléments sélectifs d'aide, visés à l'article 1er, du régime régi par l'instruction du 16 avril 1999 de la direction générale des impôts concernant les centrales de trésorerie.

Article 3

La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, des mesures qu'elle a prises pour s'y conformer.

Article 4 La République française est destinataire de la présente décision.

(1) JO C 302 du 27.10.2001, p. 7.

(2) JO C 2 du 6.1.1998, p. 1.

(3) JO C 384 du 10.12.1998, p. 3.

(4) Voir la note 1 de bas de page.

(5) Voir la note 1 de bas de page.

(6) L'article 131 quater CGI prévoit que: "Les produits des emprunts contractés hors de France par des personnes morales françaises avec l'autorisation du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation (cette autorisation est considérée comme accordée à titre général par instruction administrative de la direction générale des impôts française) sont exonérés du prélèvement prévu au paragraphe III de l'article 125 A", et l'article 125 A, paragraphe III, concernant le prélèvement sur les produits de placement à revenu fixe, prévoit que "le prélèvement est obligatoirement applicable aux revenus visés ci-dessus qui sont encaissés par des personnes n'ayant pas en France leur domicile fiscal; la même disposition s'applique aux revenus qui sont payés hors de France ou qui sont encaissés par des personnes morales n'ayant pas leur siège social en France".

(7) Voir l'arrêt de la Cour de justice du 14 septembre 1994, dans les affaires jointes C-278-92, C-279-92 et C-280-92, Espagne contre Commission, Rec. 1994, p. I-4103, point 42.

(8) JO L 83 du 27.3.1999, p. 1.

(9) Arrêt de la Cour du 11 mars 1987, dans l'affaire 265-85, Van den Bergh en Jurgens e.a. contre Commission, Rec. 1987, p. 1155, point 44.

(10) Arrêt de la Cour du 24 novembre 1987, dans l'affaire 223-85, RSV contre Commission, Rec. 1987, p. 4617. (11) Voir la décision concernant le régime des centres de coordination belges SG (84) D-6421 du 16.5.1984 et la réponse à la question écrite n° 1735-90 (JO C 63 du 11.3.1991, p. 37).