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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 23 mai 2001, n° 00-04040

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lemaire (SA)

Défendeur :

Etienne Lerat (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Poumarede

Avoués :

SCP Leroyer-Barbarat Gauvain & Demidoff, SCP Bazille & Genicon

Avocats :

Mes Menage, Menard.

T. com. Nantes, du 27 mars 2000

27 mars 2000

Exposé des faits, procédure, objet du recours

Par acte du 16 juin 2000, la société anonyme Lemaire (SA Lemaire) a interjeté appel partiel d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nantes en date du 27 mars 2000 qui l'a déboutée au titre de ses demandes de redevances impayées et de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme commercial.

La société à responsabilité limitée Lerat (SARL Lerat), intimée, a formé appel incident afin d'obtenir la réformation de cette décision en ce qu'elle a prononcé sa condamnation, assortie de l'exécution provisoire, à payer à la SA Lemaire, la somme de 141 385,36 F au titre d'impayés sur des livraisons de marchandises.

Dans le dernier état de ses écritures, l'appelante conclut à la confirmation de la décision, mais demande en outre la condamnation de la SARL Lerat au paiement de la somme de 900 833,76 F au titre des redevances à payer et ce avec intérêts aux taux légal à compter du 28 avril 1997, de dommages et intérêts à hauteur de 200 000 F au titre des actes de concurrence déloyale et de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Lerat conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a débouté la SA Lemaire de ses demandes de redevances impayées et de dommages et intérêts et, formant appel incident, demande sa réformation partielle en ce qu'elle l'a condamnée à lui payer la somme de 141 385,38 F et demande en outre qu'il soit constaté que la SA Lemaire a commis un abus dans la fixation du prix de ses fournitures et, avant dire droit sur le quantum, la désignation d'un expert avec pour mission de faire les comptes entre les parties, et enfin la condamnation de l'appelante à indemniser l'intimée du surcoût facturé et à lui verser la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du même Code.

Moyens proposés par les parties

Considérant qu'à l'appui de son recours, la SA Lemaire soutient que la SARL Lerat a délibérément refusé de déclarer les volumes de farine biologique non Lemaire qu'elle a fabriqués ou commercialisés afin de diminuer l'assiette de calcul des redevances qu'elle lui devait, et ajoute qu'elle s'est rendue coupable de concurrence déloyale dès la fin de leurs relations contractuelles.

Considérant que pour sa part, la SARL Lerat fait valoir:

- que les sommes réclamées par la SA Lemaire prétendument en vertu du contrat de concession, concernent des emballages et des accessoires publicitaires, et que ce même contrat prévoit une clause de réévaluation générale obligatoire en cas de modification des coûts de revient; que faute d'avoir accepté une renégociation du contrat, la SA Lemaire a commis un abus dont elle doit réparation et qu'il convient de désigner un expert afin de procéder à un calcul de restitution;

- que le paiement de redevances spécifiques ne résulte pas d'une obligation contractuelle et que leur réclamation n'est pas fondée;

- et enfin, que la prétendue concurrence déloyale n'est ni caractérisée ni effective.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée, et aux écritures des parties régulièrement signifiées;

Motifs de l'arrêt

Considérant, d'une part, qu'il résulte des pièces régulièrement produites par les parties:

Que le contrat de concession de marques prévoit en son article 2 que la SARL Lerat "s'interdit également de fabriquer et/ou vendre des farines biologiques sous une autre marque que celles présentement concédées, sauf celles correspondant à sa dénomination sociale" et lui laisse donc la possibilité de fabriquer et commercialiser ses propres farines biologiques, qu'il stipule en outre, dans son article 12, que "en contrepartie de la présente concession exclusive, le concessionnaire s'engage à verser au concédant des redevances calculées sur la totalité des quintaux de farines biologiques fabriqués et/ou vendus par lui" en distinguant les farines Lemaire des autres farines biologiques;

Que l'analyse des factures de redevance adressées par la SA Lemaire à la SARL Lerat pendant les années 1992 à 1995 montre que celles-ci n'étaient pas assises sur la totalité de la production non Lemaire, mais seulement sur les farines de marques Lemaire et Biopain et celles de cinq clients nominativement précisés et que la SA Lemaire n'a réclamé à la société Lerat des redevances sur l'ensemble de la production de farine non Lemaire que le 28 avril 1997, date à laquelle expirait le contrat de concession.

Qu'en conséquence, conformément aux articles 1156 et suivants du Code civil, la cour constate que les redevances dues par la SARL Lerat à la SA Lemaire n'étaient pas assises sur les farines non Lemaire, qu'il en résulte que la demande en paiement de 900 833,76 F au titre de ces redevances n'est pas fondée;

Considérant en outre que la lecture du courrier adressé le 1er mars 1997 par la SARL Lerat à ses clients montre que cette lettre avait pour but de les informer de la résiliation de son contrat de concession et qu'elle ne comportait aucun terme déceptif à l'encontre de la société [concédante], qu'il en résulte que rien ne permet d'affirmer que la SARL Lerat s'est rendue coupable de concurrence déloyale;

Qu'il convient en conséquence de confirmer sur ces points la décision déférée,

Mais considérant d'autre part, que la SA Lemaire s'est refusée à réviser les conditions du contrat en dépit des demandes répétées de la SARL Lerat, que cette dernière a procédé à des retenues sur les factures au motif que le prix du blé et celui des produits fournis, emballages et accessoires publicitaires, auraient augmenté de façon non concertée;

Mais considérant que s'il ne peut être reproché à la SA Lemaire d'être responsable de l'évolution du cours du blé, de l'augmentation des tarifs facturés par son fournisseur la société Sodipa emballages, et de l'augmentation des prix répercutée sur les clients, l'article 10 du contrat de concession prévoit que les parties devraient se réunir, à l'initiative de l'une d'elles, en particulier chaque fois qu'il serait constaté une variation de plus de 5 % du prix du blé ou de 10 % du prix hors taxe de certains éléments, dont les emballages,

Que c'est à tort que le Tribunal de commerce de Nantes a retenu que ces stipulations n'avaient aucun caractère obligatoire;

Qu'en application des articles 1156 et suivants du Code civil, la volonté commune des parties doit être recherchée, qu'en l'espèce le contrat prévoyait des réunions en vue d'améliorer la politique commerciale et promotionnelle des deux sociétés;

Que la SA Lemaire n'a jamais donné suite aux demandes répétées de renégociation des conditions contractuelles que lui adressait la SARL Lerat en dépit de l'obligation contractuelle qui pesait sur elle;

Que faut d'avoir accepté une renégociation du contrat, la SA Lemaire ne peut plus faire état d'aucun prix déterminé;

Que cette attitude caractérise un abus dans la fixation de prix laissé indéterminé par un contrat cadre;

Qu'elle doit dès lors réparation de l'abus commis;

Qu'un expert sera désigné afin d'établir les comptes entre les parties, sur la base des prix-plafonds prévus au contrat et tenant compte de l'évolution des prix;

Qu'il convient en conséquence de réformer partiellement la décision déférée;

Décision

Par ces motifs: LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, réformant partiellement la décision attaquée, Déboute la société anonyme Lemaire de sa demande en paiement, Ordonne une expertise, Commet Bernard Mainguy demeurant 217, avenue du Général Leclerc 35700 Rennes en qualité d'expert avec mission d'établir les comptes entre les parties sur la base des prix plafonds prévus au contrat et tenant compte de l'évolution des prix, Fixe à la somme de 20 000 F le montant de la provision qui devra être versée au greffe de la cour d'appel par la société à responsabilité limitée Lerat avant le 13 juillet 2001, Ordonne le dépôt du rapport au greffe de cette cour avant le 15 janvier 2002, Rappelle au besoin qu'à défaut de consignation de cette somme dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera de plein droit caduque, Dit qu'en cas de difficultés dans l'exercice de sa mission, l'expert devra en rendre compte au président de cette chambre, Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou de refus de sa part, il sera, à la requête de la partie la plus diligente, procédé à son remplacement par ordonnance du conseiller de la mise en état, Confirme pour le surplus le jugement du Tribunal de commerce de Nantes en date du 27 mars 2000, Réserve les dépens.