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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 18 janvier 2001, n° 00-00217

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moignard

Avocat général :

M. Avignon

Conseillers :

Mmes Turbe-Bion, Jeannesson

Avocats :

Mes Chas, Plaud, Mallet

TGI Lorient, ch. corr., du 25 oct. 1999

25 octobre 1999

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le Tribunal correctionnel de Lorient par jugement contradictoire en date du 25 octobre 1999, pour : publicité mensongère ou de nature a induire en erreur a condamné V Jean-Pierre à 100 000 F d'amende ; a ordonné la publication par extraits de la décision dans les journaux Ouest-France, Le Télégramme et Nice-Matin (page départementale) et dit que le coût de ces publications n'aura d'autre limite que le montant de l'amende encourue ;

Et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à Mme Le Corre née Bonnard la somme de 80 000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Les appels:

Appel a été interjeté par :

Monsieur V Jean-Pierre, le 26 octobre 1999, à titre principal, sur les dispositions pénales et civiles M. le Procureur de la République, le 27 octobre 1999, à titre incident ;

La prévention:

Considérant qu'il est fait grief au prévenu :

- d'avoir à Ploemeur, le 15 juin 1998, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la portée des engagements de l'annonceur, en transmettant à André Le Corre des documents rédigés de façon ambiguë, laissant croire à André Le Corre qu'il est l'heureux gagnant d'une somme de 59 000 F d'un bien ou d'un service ;

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al.1, L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.

En la forme:

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Au fond :

Le 21 janvier 1998 Paulette Le Corre recevait de la société X un courrier mentionnant en lettres capitales qu'elle avait gagné un chèque de 80 000 F. Il était précisé en-dessous, que pour l'obtenir elle devait retourner sous les 15 jours à ladite société, le "Titre Spécial N° 125 797", déclaré gagnant par l'huissier. ("Dès réception de ce ticket vert, le chèque de 80 000 F sera envoyé en recommandé avec AR bien sûr ").

Suivait un échéancier des paiements des prix qui montrait des paiements déjà effectués en faveur de précédents vainqueurs ; le paiement suivant à effectuer était celui de Paulette Le Corre. Aucun règlement n'accompagnait l'envoi de ce formulaire.

Dans les 15 jours, Paulette Le Corre répondait et passait une commande, qu'elle réceptionnait le 2 février 1998.

Par lettres recommandées des 20 février et 5 mars 1988, son époux André Le Corre écrivait à la société X en s'étonnant de n'avoir toujours pas vu les suites de cette promesse de gain. Puis, il saisissait le Procureur de la République sur les conseils d'une association de consommateurs et du service de la Répression des Fraudes.

Le 15 juin 1999, André Le Corre recevait un courrier identique envoyé par la société Y, lui précisant qu'il avait gagné la somme de 59 000 F. Il lui suffisait pour cela de retourner le "Titre Spécial n° 125 797 " déclaré gagnant par l'huissier. Or, la société Y est l'une des enseignes commerciales de la société X.

Entendu par les services de gendarmerie, Jean-Pierre V, le PDG de la SA X, déclarait que le formulaire reçu par André Le Corre était un pré-tirage comportant un gagnant potentiel (en l'espèce, Paulette Le Corre pour les 80 000 F et André Le Corre pour les 59 000 F) et des perdants. Ledit gagnant potentiel ne pouvait devenir le gagnant définitif qu'à la double condition d'être tiré au sort par l'huissier et d'avoir participé au second tirage dans les délais.

Jean-Pierre V affirmait donc que la lecture attentive des documents et du règlement devait faire comprendre à la victime qu'elle ne faisait que participer à un jeu.

Devant les premiers juges, le 11 octobre 1999, Jean-Pierre V précisait que d'une manière genérale le règlement était joint à l'envoi du prospectus.

André Le Corre affirmait quant à lui, qu'aucun règlement n'était joint au courrier et qu'il avait dû le réclamer par la suite.

Selon la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, il apparaissait clairement que "la société en cause avait transmis des documents publicitaires rédigés de manière ambiguë laissant croire au destinataire qu'il était l'heureux gagnant d'un lot conséquent (80 000 ou 59 000 F), alors qu'il n'était en fait qu'un gagnant potentiel ".

Le Tribunal correctionnel de Lorient, le 25 octobre 1999, déclarait Jean-Pierre V coupable des faits reprochés.

Devant la cour, Jean-Pierre V fait valoir qu'il s'agit d'un jeu publicitaire prévu par l'article L. 121-36 du Code de la consommation et que Mme Le Corre ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'un pré-tirage.

L'envoi par courrier de prospectus incitant à l'achat s'analyse en publicité et la cour est saisie de celle-ci.

Le fait que dans cette publicité il y ait un jeu autorisé par les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation n'exonère pas l'annonceur des dispositions relatives au caractère mensonger de la publicité.

La présentation des documents et les mentions y figurant doivent permettre à un consommateur moyen de déceler aisément et sans ambiguïté la nature de ce qui lui est annoncé, en l'espèce la certitude ou l'aléa du lot.

En l'espèce, il convient de relever l'absence dans l'envoi du règlement qui, ainsi que l'ont relevé les premiers Juges, a été adressé en ces termes aux époux Le Corre ultérieurement :

"Suite à votre demande, nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint le règlement du jeu relatif à votre bon de participation" confortant les affirmations du plaignant selon lequel ce règlement ne figurait pas dans l'envoi initial et ce, d'autant qu'aucune formule du style : Nous vous prions de trouver un deuxième exemplaire du règlement" n'est employée.

D'autant que l'article 11 du règlement prévoit expressément que le règlement sera envoyé gratuitement à toute personne qui en fait la demande par écrit.

De plus, sur les documents publicitaires, "Monsieur Le Corre est sur de recevoir un chèque de..." est écrit en gras en lettres de huit millimètres de haut et la somme s'étale sur 13 centimètres alors que la mention d'un pré-tirage avec un gagnant et des perdants figure sur un autre feuillet, au recto en lettre de un millimètre de haut, dans un texte confus sur plusieurs lignes.

Cette habileté rédactionnelle tendant à créer une confusion et à induire en erreur le consommateur pour le persuader qu'il a gagné un lot est constitutif d'une publicité mensongère.

Les faits sont constants et le jugement entrepris sera confirmé sur la culpabilité.

Les pénalités apparaissent adaptées aux faits, au contexte de leur commission et aux ressources de l'intéressé, elles seront donc confirmées.

La partie civile doit voir réparer le préjudice résultant de cette publicité de nature à l'avoir induit en erreur et non de l'absence de paiement du lot annoncé.

La déconvenue de s'apercevoir qu'il s'agit d'un pré-tirage après avoir passé commande doit être réparé par une somme de 8 000 F à titre de dommages-intérêts et le jugement sera réformé de ce chef.

Il serait inéquitable de laisser à la partie civile la charge des frais engagés à l'occasion de cette procédure et il lui sera alloué de ce chef les sommes de 3 000 F pour la première instance et 3 000 F en cause d'appel, soit 6 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de V Jean-Pierre et Bonnard Paulette épouse Le Corre, En la forme Reçoit les appels Au fond Confirme le jugement sur la culpabilité, la peine et les publications. Prononce la contrainte par corps, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné, Le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1,749 et 750 du Code de procédure pénale. Infirmant sur les dispositions civiles, Condamne Jean-Pierre V à payer à Paulette Bonnard épouse Le Corre les sommes de 1) 8 000 F à titre de dommages-intérêts, 2) 6 000 F en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation aux dépens en vertu de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 et du décret d'application n° 93-867 du 28 juin 1993.