CA Bordeaux, ch. soc. A, 14 mai 2001, n° 98-05669
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Delbrel
Défendeur :
Forbo Sarlino (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mellier
Conseillers :
Mme Duval-Arnould, M. Berthomme
Avocats :
Mes Lacaze, Roch
LA COUR
Monsieur Delbrel a relevé appel d'un jugement du Conseil de prud'Hommes de Bordeaux rendu le 21 septembre 1998 dans une procédure opposant l'appelant à la SA Forbo Sarlino et qui a condamné cette société à payer à Monsieur Delbrel la somme de 611,85 F à titre de reliquat de commissions, à lui remettre les bulletins de paie faisant état des commissions payées pendant le premier semestre 1998 au titre de son activité professionnelle de 1997, Monsieur Delbrel étant débouté de ses autres demandes.
La cour se réfère pour plus ample exposé des circonstances de fait, de la procédure et des prétentions des parties, au jugement déféré et aux conclusions déposées par :
- Monsieur Delbrel, le 31 octobre 2000, aux fins de réformation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes concernant son droit à paiement d'une indemnité de clientèle ; il prie la cour de le déclarer fondé en sa demande, de condamner la SA Forbo Sarlino au paiement de la somme de 1 377 150 F à titre d'indemnité de clientèle, équivalant à deux années de commissions sur la référence de la moyenne de la dernière année avec intérêts au taux légal à compter de l'audience de conciliation; il demande la confirmation du jugement sur la remise de ses bulletins de paie, mais sous astreinte définitive de 500 F par jour de retard, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte; il sollicite également la condamnation de la SA Forbo Sarlino au paiement de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour les retards systématiques dans le paiement des commissions, ainsi que de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
- La SA Forbo Sarlino, le 28 novembre 2000, aux fins de confirmation du jugement, de rejet des réclamations de Monsieur Delbrel, et pour obtenir la condamnation de l'appelant au paiement de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Décision de la cour:
Il convient d'adopter expressément l'exposé des faits et de la procédure énoncé par les premiers juges et non contesté;
Les parties sont essentiellement en désaccord sur le bien-fondé de la demande d'indemnité de clientèle formulée par Monsieur Delbrel, ainsi que sur son évaluation ;
- Sur la demande d'indemnité de clientèle de Monsieur Delbrel
Reprenant son argumentation de première instance, Monsieur Delbrel souligne que la SA Forbo Sarlino ne conteste pas le principe de son droit à indemnité de clientèle, mais aussi qu'il a été mis à la retraite par son employeur, dans le cadre des dispositions de l'article L. 751-9 du Code du travail, qui lui permet de prétendre à l'indemnité de clientèle sollicitée ; il rappelle les termes de son contrat de travail et plus particulièrement l'article 14, concernant l'indemnité de clientèle et son calcul, et l'article 7 qui prévoit une commission de 1 % sur les ordres directs et indirects à valoir sur une indemnisation éventuelle pour accroissement de la clientèle, selon le montant des chiffres d'affaires réalisés HT ; il indique que pendant toute son activité professionnelle, il a perçu une commission complémentaire de 1 % selon les chiffres d'affaires atteints, mais amputée de tous les frais de déplacement et sur laquelle il a payé des cotisations sociales et des impôts ; il insiste sur l'injustice de l'analyse de la SA Forbo Sarlino qui le pénaliserait sur le plan social et fiscal, en considérant que la clause contractuelle est abusive ; se fondant sur la jurisprudence applicable, il soutient que l'indemnité de clientèle n'a pas la nature de salaire et que les premiers juges devaient rechercher si l'avance sur indemnité de clientèle contractuellement prévue ne pouvait, en raison de son importance, être considérée comme partie intégrante du salaire, ce qui était pourtant le cas, selon les prévisions de l'employeur ; il demande en conséquence, la réformation du jugement;
Si la SA Forbo Sarlino poursuit la confirmation du jugement dont elle approuve en tous points la motivation, la cour, à l'examen des pièces du dossier, note que :
- par contrat du 1er juin 1981, la SA Forbo Sarlino a engagé Monsieur Delbrel en qualité de représentant de commerce aux conditions des articles L. 751 et suivants du Code du travail:
- aux termes de l'article 7 concernant la rémunération, il était prévu que Monsieur Delbrel aurait droit à une commission de 4 % sur les ordres directs et indirects enregistrés dans son secteur et à une commission de 1 % sur ces mêmes ordres à valoir sur indemnisation éventuelle pour accroissement de la clientèle, jusqu'à un chiffre d'affaires annuel de 3 millions de francs HT, et de 3 % et 1 % au-delà de 3 millions de francs HT; les commissions devaient être calculées et réglées mensuellement, en fonction des factures encaissées au titre du mois précédent et comprendraient les frais de déplacement et frais matériels exposés par Monsieur Delbrel
- l'article 8 du contrat prévoyait une participation exceptionnelle de l'employeur aux frais de déplacement pendant la première année;
- l'article 14 prévoyait une indemnité de clientèle, pour l'appréciation de laquelle il serait tenu compte des acomptes déjà versés sur accroissement de clientèle ; une liste des clients était jointe au contrat;
Or, il ressort de la lettre de Monsieur Delbrel en date du 7 février 1997, adressée au Président Directeur Général de la SA Forbo Sarlino, que Monsieur Delbrel avait considérablement développé le chiffre d'affaires de son secteur, mais qu'il avait toujours accepté, conformément au contrat, la charge de ses frais de route, mais aussi l'application des cotisations de retraite à l'ensemble de sa rémunération ; qu'il ressort clairement de cette lettre que les contestations des dispositions contractuelles sont apparues lors de la mise à la retraite de Monsieur Delbrel, et qu'elles se sont aggravées lors de la notification officielle par la SA Forbo Sarlino de la mise à la retraite de Monsieur Delbrel, notamment sur le calcul et le montant de l'indemnité de clientèle lui restant due que Monsieur Delbrel évaluait à 2 ans de salaires;
Il apparaît encore d'une lettre de la SA Forbo Sarlino en date du 11 septembre 1997, qu'elle reconnaît, d'une part, le droit à indemnité de clientèle de Monsieur Delbrel mais sous déduction du 1 % de commission à valoir sur l'indemnisation éventuelle pour accroissement de clientèle, et d'autre part, que les cotisations sociales ont été indûment appliquées ; qu'un échange de correspondances s'en est suivi entre les parties, au terme desquelles Monsieur Delbrel a refusé l'indemnité spéciale de mise à la retraite et maintenu sa demande d'indemnité de clientèle;
A cet égard, il ressort des écritures de la SA Forbo Sarlino qu'elle ne conteste pas le principe du droit à indemnité de clientèle de Monsieur Delbrel, mais uniquement ses calculs en voulant imputer sur le montant de cette indemnité le 1 % à valoir sur indemnisation éventuelle pour accroissement de la clientèle;
Or, Monsieur Delbrel est bien fondé à soutenir que l'évaluation d'une indemnité de clientèle ne peut se faire par anticipation, ce qu'impliquerait l'article 7 du contrat de travail, mais aussi qu'elle a essentiellement une nature indemnitaire, mais non pas de salaire, ce qui exclut toute application des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu; en outre, dans le cas particulier de Monsieur Delbrel, il avait développé de façon considérable son chiffre d'affaires, donc celui de l'entreprise, ainsi que la clientèle en la fidélisant, dans des conditions lui ouvrant droit à l'indemnité de clientèle sollicitée, mais dont le principe n'est pas contesté par l'employeur; que dans le cas inverse, il aurait pu, en effet, être exposé à rétrocéder à son employeur le 1 % prévu contractuellement;
La cour en déduit que l'article 7 du contrat de travail de Monsieur Delbrel prévoyait 1 % à valoir sur l'indemnisation éventuelle pour accroissement de clientèle, qui doit s'analyser comme un élément de salaire, traité comme tel par la SA Forbo Sarlino, mais non comme une avance sur indemnité de clientèle qui ne peut être déterminée à l'avance et bénéficie du régime propre à une indemnisation ; il s'ensuit que Monsieur Delbrel est bien fondé à demander paiement d'une indemnité de clientèle, le jugement devant être réformé sur ce point;
Sur le montant de l'indemnité de clientèle, il convient de se fonder sur les propres chiffres retentis par la SA Forbo Sarlino pour le calcul de l'indemnité de départ à la retraite de Monsieur Delbrel, pour lui allouer une indemnité de clientèle équivalant à deux années de commissions sur la base de la moyenne de la dernière année, soit une somme de 1 377 150 F avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, qui s'est prononcé sur l'indemnité sollicitée, étant par ailleurs établi et non sérieusement discuté, que Monsieur Delbrel avait, par son activité personnelle, développé de façon très importante la clientèle confiée par son employeur;
Le jugement doit, par contre, être confirmé sur les reliquats de commissions dus par la SA Forbo Sarlino, qui a tardé à régler son dû à Monsieur Delbrel dans des conditions justifiant qu'il lui soit alloué une somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'il a subi du fait du comportement de son employeur; le jugement sera également confirmé sur la condamnation de la SA Forbo Sarlino à remettre à Monsieur Delbrel les bulletins de salaire correspondant aux sommes versées en 1998 pour des opérations réalisées en 1997, sans qu'il soit besoin d'ordonner une astreinte ;
Enfin, il est équitable d'allouer à Monsieur Delbrel une indemnité de 7000 F pour les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer pour la procédure.
Par ces motifs, LA COUR, Déclare fondé l'appel de Monsieur Delbrel contre le jugement du Conseil de prud'Hommes de Bordeaux en date du 21 septembre 1998; Réforme pour partie le jugement et statuant à nouveau, Condamne la SA Forbo Sarlino à payer à Monsieur Delbrel : - 1 377 150 F (un million trois cent soixante-dix-sept mille cent cinquante francs) à titre d'indemnité de clientèle, avec les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt; - 5 000 F (cinq mille francs) à titre de dommages-intérêts; - 7 000 F (sept mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Confirme les autres dispositions du jugement; Condamne la SA Forbo Sarlino aux entiers dépens.