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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 22 novembre 2001, n° 2000-04318

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Masson

Défendeur :

Biotherm Distribution & Compagnie SNC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Richiardi, Baby

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Nidecker Prieu

Avocats :

Soucaze Sarrazin, Henriot Bellargent Sicard.

T. com. Toulouse, 3 juill. 2000

3 juillet 2000

Par lettre du 17 mars 1997, la pharmacie Lafayette a demandé, l'agrément au réseau de distribution sélective de Biotherm qui lui a indiqué par lettre du 4 avril 1997 ses conditions générales d'agrément, ses tarifs et les conditions générales de vente de ses produits.

Le 16 juin 1997, le représentant de Biotherm, après enquête émettait un rapport négatif et le 25 juillet 1997, la société Biotherm signifiait à la pharmacie Lafayette, son refus d'agrément.

La pharmacie entreprenait des travaux et provoquait une seconde enquête qui se soldait par une lettre du 15 janvier 1998 lui refusant à nouveau l'agrément.

Le 3 mars et 11 mai 1998, la pharmacie contestait cette décision et assignait, le 21 mai 1999 la société Biotherm devant le Tribunal de commerce de Toulouse, en paiement avec exécution provisoire de 200 000 F en réparation des manœuvres discriminatoires et de son préjudice moral; de 525 000 F par an depuis le second refus le 15janvier 1998 en réparation de son préjudice financier et de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elle sollicitait également qu'il soit ordonné à Biotherm de lui accorder l'agrément, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard;

Pour s'opposer à ces demandes, la société Biotherm a essentiellement fait valoir qu'elle distribuait des produits de luxe et que la pharmacie Lafayette ne correspondait pas à ses critères d'agrément.

Par jugement du 3 juillet 2000, la juridiction a débouté la pharmacie Lafayette de l'ensemble de ses demandes après avoir retenu que la société Biotherm n'avait pas appliqué ses critères d'agrément à son réseau de distribution sélective, de façon discriminatoire et allouait 20 000 F à la sté Biotherm au titre de l'article 700 du NCPC.

M. Masson, titulaire de la pharmacie Lafayette a relevé appel de ce jugement et demande, au terme de ses conclusions du 24 août 2001 de réformer le jugement.

Invoquant le caractère illicite des critères d'agrément la carence de la société Biotherm dans l'administration de la preuve de la non-discrimination, et considérant que Biotherm s'est rendue coupable de pratique discriminatoire, il soutient que le refus d'agrément constitue un refus abusif et une entente prohibée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Il estime que la société Biotherm a engagé sa responsabilité à son égard et demande sa condamnation à lui verser :

- 200 000 F en réparation des manœuvres discriminatoires.

- 525 000 F par an depuis le 15janvier 1998 en réparation de son préjudice financier.

- 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC

Il demande également qu'il soit enjoint à Biotherm de cesser ses agissements en lui accordant l'agrément de vente, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard.

Il soutient que les critères appliqués par Biotherm sont illicites et que la notification du refus a été faite sur le fondement de ces critères; déclarés anticoncurrentiels par le Conseil de la Concurrence le 10 octobre 1996, décision confirmée par la Cour d'appel de Paris en juillet 1997. Ainsi le refus fondé sur les critères illicites est abusif.

La clause d'enseigne : le caractère imprécis et son objectif de cette clause est prohibé par l'article 7 de l'ordonnance de 1986.

La clause de marques concurrentes : elle peut avoir pour effet de créer une entrave artificielle au marché considéré et est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 10 décembre 1986.

Il fait valoir que les critères prohibés dans les conditions générales d'agrément figurent dans la fiche d'évaluation. On y retrouve de plus, la référence à la surface de vente et à la clause de vitrine, deux critères déclarés anticoncurrentiels par le Conseil de la Concurrence.

Il estime qu'il existe des distorsions entre les critères donnés par les conditions générales d'agrément et des éléments justifiant l'accès du représentant de Biotherm.

Il verse aux débats les bons de caisse du 14 novembre 1997 qui font apparaître la visite de 274 clients dans la journée et non la fréquentation en moyenne de 10 personnes par jour indiqué par le représentant de Biotherm.

Cette distorsion souligne le caractère non objectif et anticoncurrentiel des critères retenus. Il s'agit d'un détournement de la loi.

Cette pratique constitue un détournement de pouvoir, peut être assimilé à un refus non motivé et ne permet pas d'apprécier les critères réellement retenus.

Il estime particulièrement contradictoire la motivation du tribunal, qui a statué sans vérifier que Biotherm rapportait la preuve de l'objectivité des critères retenus et sans en apprécier le caractère licite.

Il ajoute que c'est par la preuve de la non-discrimination que le fabriquant peut faire la preuve de la licéité du réseau. Il estime que Biotherm s'abstient d'administrer la preuve de l'application non discriminatoire du critère d'agrément.

Il soutient que contrairement à ce qui est indiqué, le réseau de distribution de Biotherm est principalement implanté dans les officines pharmaceutiques. En outre, les constats d'huissiers établis dans les locaux de trois dépositaires agréées démontrent que ces critères ont été différemment appliqués selon les points de vente.

Il s'étonne de la note de 12/20 attribuée pour la clause de localisation et soutient qu'il faut considérer la notation dans son ensemble puisque les refus seraient pris sur la moyenne des différentes notes. Selon lui, la note 12 est un détournement de critère permettant de justifier le refus par une moyenne plus basse.

Ses remarques valent également pour les clauses de point de vente, de qualification professionnelle et de service de démonstration. Il rappelle que sa pharmacie distribue de grandes marques de dermo-cosmétiques et que la plupart de ces marques vendent leurs produits à travers un réseau de distribution sélective.

Il rappelle que le Conseil de Concurrence a inclus Biotherm dans le secteur des cosmétiques et d'hygiène corporelle et qu'en Haute Garonne ses points de vente sont majoritairement des pharmacies.

Il lui apparaît que la pharmacie Lafayette répond aux critères demandés par les marques qu'elle référence et qui effectue des contrôles réguliers. La notation est donc en contradiction avec ces éléments, le représentant attribuant 1 sur 10 au personnel, et 3 sur 10 au suivi des recommandations des autres marques.

Il précise que les critères de surface de vente et de chiffres d'affaires ne figurent pas dans les conditions générales d'agrément, et constituent donc des critères supplémentaires.

Il lui apparaît que le tribunal renverse la charge de la preuve et qu'en réalité, les motifs qu'il a adoptés sont la preuve même de la discrimination.

La société Biotherm , par conclusions du 3 septembre 2001 demande la confirmation et sollicite 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elle rappelle avoir justifié sa décision par les considérations suivantes :

- aménagement du point de vente.

- qualité de la façade et esthétique de la vitrine.

- faible appréciation de l'utilisation de la surface et du linéaire

- part du personnel affecté à la vente de produits cosmétiques possédant la qualification requise.

- organisation du conseil à la vente lors de la remise d'échantillon.

- participation du personnel aux sessions de formation organisées par la marque.

Elle ajoute qu'en dépit de l'aménagement du prix de vente elle a maintenu son refus.

Elle rappelle qu'un producteur est libre de choisir sa politique de commercialisation et que ses modalités de distribution sont calquées sur celles concernant les produits de luxe.

Elle affirme avoir modifié ses contrats pour tenir compte des principes posés par le Tribunal de première instance des communautés européennes dans sa décision du 1er octobre 1996, notamment en ce qui concerne la clause d'enseigne et de vitrine.

Elle expose qu'en France elle est présente en parfumerie, dans les grands magasins et en pharmacie. Elle n'est présente que dans environ 15 % des officines.

Elle s'estime non concernée par la décision du Conseil de la Concurrence du 9 juin 1987 ni par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 septembre 1999. Elle rappelle que la clause d'enseigne n'est pas en cause dans le présent litige et que la clause de marques concurrentes n'est pas critiquée par le Conseil. La clause de vitrine n'est pas prohibée.

L'application non discriminatoire des critères ne conditionne plus la licéité des systèmes de distribution sélective au regard de l'interdiction des ententes.

Elle soutient s'être conformée à la procédure d'agrément, telle qu'acceptée par la Commission des Communautés européennes et que l'appelant n'établit pas un abus de droit.

Elle estime qu'il ne peut lui être ordonné d'agréer de façon contrainte un point de vente.

Elle s'étonne que l'appelant ait attendu plus de 16 mois avant d'introduire la procédure.

Elle rappelle que la grille d'évaluation comporte 3 rubriques et que le point de vente doit obtenir la moyenne dans chaque rubrique ce qui n'est pas le cas de la pharmacie Lafayette.

Sur quoi

C'est à juste raison que l'intimée rappelle qu'un producteur est libre de choisir sa politique de commercialisation et que ses modalités de distribution sont calquées sur celles applicables aux produits de luxe.

D'autre part, comme le fait observer l'intimée, la clause d'enseigne n'est pas en cause dans le présent litige alors que la clause de marques concurrentes telle que mise en œuvre par Biotherm, n'est pas critiquée par la décision du Conseil de la Concurrence du 1er octobre 1996.

De plus, Biotherm n'exige pas à proprement parler une surface minimum, mais attribue dans son évaluation, une note supérieure au points de vente dont la surface lui parait favoriser une présentation valorisante de ses produits. Quant à l'existence d'une vitrine, l'argumentation développée sur ce point est de peu d'efficience puisque la question du caractère extérieur ou intérieur des vitrines n'est pas en cause en l'espèce. Il va de soi que la décision d'agrément est prise au vu de la notation du point de vente, ce qui n'interdît nullement au représentant de transmettre les informations recueillies par ailleurs sur le point de vente visualisé pour renseigner sa direction.

Selon le règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999, la distribution sélective est un système de distribution dans lequel le fournisseur s'engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés, sur la base de critères définis et dans lequel ces distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés. Comme le fait observer l'intimée, cette définition ne fait référence, ni au caractère objectif et qualitatifs des critères, ni à leur application non discriminatoire. Certes et comme l'admet Biotherm, cela ne signifie pas que les critères peuvent être appliqués de façon discriminatoire mais il n'en reste pas moins que l'application non discriminatoire des critères ne conditionne plus la licéité des systèmes de distribution sélective au regard de l'interdiction des ententes.

Le droit de Biotherm d'établir sa propre grille d'appréciation, est reconnu par les textes communautaires et français, tout comme son droit de noter les points de vente candidats à l'agrément.

Dès lors, c'est avec pertinence que l'intimée fait observer qu'il revient à l'appelant d'établir quelle a subi un détournement de pouvoir ou un abus de droit et donc une pratique discriminatoire.

S'agissant de produit de luxe, il va de soi que la visualisation joue un rôle central et est le pivot de l'évaluation du point de vente.

Sur ce point, il apparaît que Biotherm s'est conformée à la procédure d'agrément telle qu'acceptée par la Commission. En effet, elle a procédé à deux visualisations du point de vente, le 16 juin 1997 et le 14 novembre 1997 à la suite de travaux effectués par la pharmacie Lafayette et à sa seule initiative, puis va clairement informée des raisons pour lesquelles le point de vente n'était pas conforme à ses critères.

Comme elle le rappelle encore, l'intimée ne conteste pas la qualification professionnelle de M. Masson, mais la part du personnel, possédant la qualification requise, affectée à la vente de produits cosmétiques dans le point de vente. D'autre part rien ne permet d'affirmer que la pharmacie Lafayette a été pénalisée par l'absence dans son point de vente de marques de prestige diffusées en parfumerie. Il reste que selon Biotherm, la qualité de la façade du magasin, c'est-à-dire de sa devanture, est insuffisante au regard de ses critères, tout comme l'aménagement intérieur, très encombré qui ne permet pas un accès aux linéaires et une implantation selon elle valorisante à sa marque.

Peu important, comme s'en prévaut l'appelant que d'autres marques de dermocosmétique lui ait donné leur agrément. En effet, les critères de sélection sont adaptés à la qualité, à l'image et au positionnement de la marque et ne sont pas les mêmes pour toutes les marques.

Il résulte de ces éléments, que c'est à juste raison que l'intimée soutient que la pharmacie Lafayette n'établit pas que Biotherm aurait fait une appréciation grossièrement erronée de son point de vente en commettant un abus de droit.

Par ailleurs, les constats d'huissiers dressés dans d'autre point de vente et la découverte d'un site Comestics on line justement analysé par le tribunal n'établissent pas davantage l'existence d'une pratique discriminatoire tombant sous le coup de l'article L. 442-6 du Code du commerce, relatif à la transparence des pratiques restrictives de concurrence.

D'autre part, la pharmacie Lafayette est dans l'incapacité de démontrer qu'elle remplit les critères définis ou que Biotherm aurait agréé un point de vente présentant les mêmes caractéristiques que son officine.

Enfin, on doit rappeler que la grille d'évaluation comporte 3 rubriques et que le point de vente doit obtenir la moyenne dans chacune des rubriques. Or dans, la rubrique 11 "Point de Vente" la pharmacie Lafayette n'a obtenu que 22 ou 23 (selon la date de visualisation sur un total de 70 points, soit sensiblement moins que la moyenne de 35 points. De même dans la rubrique III "Qualité du Conseil à la Vente" elle n'obtient que 16 sur 90 , soit également nettement moins que la moyenne de 45).

Quant à la rubrique I "Situation et Environnement" elle a obtenu 24 sur 40. Cependant, le reproche formulé sur ce point par l'appelant est inopérant, car même si elle avait obtenu la note maximum à cette rubrique I, cela ne lui aurait pas suffit pour être agréée.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré et de condamner l'appelant aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à l'intimée la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier; le déclare mal fondé. Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Toulouse du 3 juillet 2000 en toutes ses dispositions. Condamne M. Masson aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP Nidecker Prieu conformément à l'article 699 du NCPC. Le condamne en outre à verser à Biotherm la somme de 15 000 F (2 286,73 euro) au titre de l'article 700 du NCPC.