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Décisions

Conseil Conc., 4 décembre 2003, n° 03-D-55

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Marché public passé par le District Urbain du Pays de Montbéliard pour la réfection de la pelouse d'un stade de football.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de M. Bonnelle, par Mme Hagelsteen, présidente, MM. Jenny, Nasse, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 03-D-55

4 décembre 2003

Le Conseil de la concurrence (commission permanente)

Vu la lettre enregistrée le 18 avril 2001 sous le numéro F 1304, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles concernant des marchés publics de réfection de pelouses de stades passés par le district urbain du Pays de Montbéliard et par la ville de Caen ; Vu le livre IV du Code de commerce, le décret 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la lettre en date du 8 avril 2003, par laquelle la Présidente du Conseil de la concurrence a informé les parties que la présente affaire serait examinée sans l'établissement d'un rapport, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la Compagnie générale des espaces verts (CGEV), la société Duc et Préneuf, la société Parcs et Sports et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Compagnie générale des espaces verts (CGEV), Duc et Préneuf Bourgogne ainsi que la société Parcs et Sports, entendus lors de la séance du 9 juillet 2003 ; Adopte la décision suivante :

I. - Constatations

1. En application des dispositions de l'article L. 462-5 du Code de commerce, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a, le 18 avril 2001, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles concernant le secteur de l'aménagement et de la rénovation des pelouses de stades, et plus spécialement les marchés passés au printemps 1999 pour la réfection des stades d'Ornano à Caen et Bonal à Sochaux-Montbéliard et mettant en cause la Compagnie générale des espaces verts (CGEV), et les sociétés "Parcs et Sports" et "Duc et Préneuf".

2. L'aménagement de terrains de sport, qu'il s'agisse de la réalisation ou de la rénovation des pelouses sur lesquelles se déroulent les manifestations sportives, s'inscrit dans le cadre plus général de la création et de l'entretien d'espaces verts. Mais la réalisation des pelouses de terrains de sport requiert habituellement la mise en œuvre de procédés particuliers, notamment pour le substrat qui doit être aussi drainant que possible et pour le gazon, naturel, synthétique ou mixte. Leur maîtrise par les entreprises est sanctionnée par l'obtention de qualifications délivrées par des organismes paritaires agréés et par la délivrance de brevets.

3. Deux procédés ont été retenus dans le cadre des marchés présentement examinés : "Terrafoot", qui a fait l'objet d'un brevet délivré, notamment, à la société Parcs et Sports et "Grassmaster" dont le brevet appartient à la société allemande Desso DLW Sports Systems qui, depuis la fin de l'année 1999, a choisi deux concessionnaires pour la mise en place de ce produit : CGEV pour la moitié nord de la France et Parcs et Sports pour la moitié sud.

4. La réalisation ou la réfection de pelouses de stades fait couramment l'objet de marchés publics passés par les collectivités locales propriétaires des installations sportives. L'appréciation des offres s'effectue d'après des critères tenant tant à la valeur technique de la soumission, aux délais d'exécution ou au prix des prestations qu'à la visite préalable du site. Liberté peut être laissée aux entreprises de présenter diverses propositions sous la forme de variantes. Ces travaux d'équipements sportifs sont liés au calendrier des championnats et doivent donc souvent être mis en œuvre dans des délais contraints, ce qui peut influer sur la sélection des offreurs.

5. Sur le marché de l'aménagement des terrains de sports, la confrontation de l'offre et de la demande met donc régulièrement en présence :

- des donneurs d'ordres (généralement des collectivités locales ou leurs établissements de coopération) qui doivent faire coïncider l'enveloppe financière dont ils disposent avec les exigences techniques des instances sportives en vue de la réalisation d'une opération engageant l'image de la ville ou de l'agglomération ;

- des entreprises qui, pour la plupart, proposent, aux maîtres d'ouvrage sur l'ensemble du territoire national, un produit spécifique dont elles détiennent souvent l'exclusivité.

La CGEV

6. La SA CGEV appartenait, à l'époque des faits, à la société Espaces Verts Participations dont les capitaux étaient détenus conjointement par un consortium de banques anglaises et par une partie de ses ex-dirigeants. Elle a été revendue, le 22 décembre 1999, à Espaces Verts SA, holding sans activité commerciale, dont le capital se partage entre une société d'assurance de droit britannique (51 % des parts) et l'ensemble de ses dirigeants et cadres (49 %). Se présentant comme le "premier groupe français de services paysagers", la SA CGEV compte 27 directions d'exploitation, filiales et agences réparties sur le territoire national. En Franche-Comté, elle détient trois implantations :

- CGEV-Domon Grands Travaux Est à Beaucourt (90) ;

- CGEV-Domon Nord-Franche-Comté à Montbéliard (25) ;

- CGEV-Domon Bourgogne et Sud-Franche-Comté à Besançon (25).

Ces trois implantations, qui emploient au total plus de 130 salariés, constituent le secteur Est, dont la direction régionale se trouve à Beaucourt.

7. Le chiffre d'affaires du groupe CGEV, qui emploie environ 1300 personnes, s'est élevé, entre 1996 et 2000, à un montant compris entre 74 millions euros et 93 millions euros, réalisé en moyenne à 80 % avec le secteur public ou parapublic et à 20 % avec le privé. Il comprend des opérations de maintenance (35 %) et des créations ou rénovations d'équipements (65 %). Les aménagements, constructions et régénérations de terrains de sport, principalement de football, représentent 7 % du chiffre d'affaires, soit 6,4 M euros en 1999.

8. Seulement huit agences ont la compétence technique nécessaire pour réaliser des stades (essentiellement dans le Nord, à Tours, à Belfort et Montbéliard). CGEV Est Domon possède notamment la qualification Qualipaysage P 210 en aménagement de terrains de sports. La classe 7, correspondant à un chiffre d'affaires hors taxes moyen annuel supérieur à 3 M euros, lui a été attribuée pour l'aménagement d'espaces verts.

9. L'agence de Montbéliard réalise un chiffre d'affaires annuel hors taxes de près de 2,6 M euros, répartis à hauteur de 36 % en terrains de sport, 53 % autres travaux neufs et 11 % entretien.

Parcs et Sports

10. Depuis le 9 mars 1984, l'entreprise Parcs et Sports dont le siège est situé à Chassieu (Rhône) est exploitée sous la forme d'une société ouvrière de production (SCOP) à capital variable (253 792 k euros à fin 2002). Son activité porte sur l'aménagement et l'entretien d'espaces verts ainsi que sur la réalisation de sols sportifs. Sur les gros marchés, elle peut intervenir depuis Chassieu sur l'ensemble du territoire français.

11. Comme CGEV, elle détient, entre autres, la qualification Qualipaysage P 210 en aménagement de terrains de sports et est classée, au regard de son chiffre d'affaires, dans la plus haute catégorie pour l'aménagement d'espaces verts.

12. Sur les trois derniers exercices antérieurs à l'enquête des services de la concurrence, la SCOP Parcs et Sports, dont l'effectif atteint 110 personnes, a vu son chiffre d'affaires passer de 8 M euros à 9 M euros. Elle possède une filiale, Sports et Paysages qui comptait, en 1999, environ 30 personnes pour un chiffre d'affaires de 2 590 k euros.

Duc et Préneuf Bourgogne

13. Duc et Préneuf Bourgogne est une SARL, au capital de 45 000 euros, qui a son siège social à Chenove, près de Dijon. Elle possède, par ailleurs, à Montbéliard une implantation technique chargée de l'entretien des espaces verts de la ville. Elle est spécialisée en aménagement et entretien d'espaces verts, élagage et installation de systèmes d'arrosage automatique. Elle exerce habituellement son activité en Bourgogne et Franche-Comté.

14. Comme CGEV et Parcs et Sports, elle possède la qualification P 210 en aménagement de terrains de sports. Elle n'atteint, en revanche, que la classe 6 (chiffre d'affaires compris entre 1,5 et 3 M euros) pour l'aménagement d'espaces verts. La réfection de terrains de sports a représenté environ 2,6 % de son chiffre d'affaires en 1998 et 9,8 % en 1999.

L'attribution du marché de réfection de la pelouse et des abords du stade Bonal à Sochaux-Montbéliard

15. Le district urbain du pays de Montbéliard a lancé, en mars 1999, un appel d'offres ouvert pour la réfection de la pelouse et des abords du stade Bonal à Sochaux-Montbéliard. L'opération a été estimée globalement à 0,61 M euros (4 MF) TTC par le district qui assurait lui-même à la fois la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre. Les entreprises soumissionnaires pouvaient présenter des variantes limitées mais aussi des variantes larges. Dans le cadre de variantes libres, elles pouvaient faire toute proposition susceptible d'intéresser la collectivité tant financièrement que techniquement. La date limite de réception des offres avait été fixée au 16 avril 1999, puis a été reportée successivement au 23 et au 30 avril 1999.

16. Huit entreprises ont retiré un dossier et le procès-verbal de la commission d'ouverture des plis du 3 mai 1999 mentionne que :

- l'une d'elles n'a pas répondu ;

- une autre a déposé un dossier jugé non conforme ;

- quatre se sont désistées dont Parcs et Sports, par courrier du 28 avril 1999 ; de sorte que, seules, deux entreprises ont déposé une offre conforme : Duc et Préneuf, et CGEV Est Domon (agence de Montbéliard).

17. La lettre de désistement de Parcs et Sports contient les passages suivants :

"Nous vous prions de bien vouloir nous excuser de ne pas donner suite à l'appel d'offres concernant la réfection de la pelouse du stade Bonal. ... la solution de base nous fait courir un risque important quant à la réussite de l'ouvrage. Nous avons réalisé à Caen la pelouse du nouveau stade Michel d'Ornano en 1991... La Ville de Caen nous consulte en ce moment pour la mise en place de notre mélange "Terrafoot" sur le stade d'Ornano ...Un autre système pourrait être intéressant sur le stade Bonal, le procédé "Grassmaster", ..."

18. Le tableau ci-après reprend le détail chiffré TTC des deux offres recevables :

EMPLACEMENT TABLEAU

19. La commission d'ouverture des plis s'est réunie à nouveau le 17 mai 1999 et, après examen des offres, a retenu l'entreprise CGEV Est Domon pour sa proposition en variante large, pour un montant de 1 044 334 euros. Ce choix a été motivé par la valeur technique du procédé Grassmaster auquel a été adjoint un chauffage électrique intégré dans la pelouse. La collectivité remarque toutefois que le niveau de prix de cette offre implique l'inscription de crédits supplémentaires, la proposition retenue dépassant finalement de 434 538 euros l'estimation initiale TTC des travaux.

20. Le directeur d'exploitation de la société CGEV a déclaré aux enquêteurs, au sujet du procédé Grassmaster : "Sur Bonal,... je pensais effectivement être le seul à proposer ce procédé...". Ce marché a représenté pour CGEV l'une des deux plus grosses commandes d'aménagement de terrains de sport obtenues par cette entreprise sur le territoire national au titre de l'année 1999 et 10,6 % du montant total du chiffre d'affaires de l'ensemble de cette activité.

21. Le 29 avril 1999 à 9 heures 04, c'est-à-dire la veille de la date limite de dépôt des offres, fixée au 30 avril 1999 à 17 heures, une télécopie émanant de l'entreprise Parcs et Sports a été envoyée à l'entreprise Duc et Préneuf à Dijon. Cette télécopie, d'une page recto et verso, communiquée aux enquêteurs par l'entreprise Duc et Préneuf, comportait (p. 269 et 270 du rapport) :

- d'une part, la décomposition des travaux à réaliser ainsi que les quantités requises, rubrique par rubrique, dans les mêmes termes que ceux portés sur le bordereau des prix établi par la collectivité mais avec une présentation différente ;

- d'autre part, les prix unitaires de vente correspondants et les montants globaux de chaque rubrique, permettant le chiffrage de l'offre en solution de base.

22. Le même jour, le directeur de Duc et Préneuf a fait parvenir à la collectivité organisatrice de la consultation un bordereau de prix, daté du 29 avril 1999, qui reprend strictement les données chiffrées portées sur la télécopie reçue le matin de Parcs et Sports et a déposé un acte d'engagement présentant une offre de base de montant exactement identique à celui figurant dans cette télécopie, soit 2 851 936,50 F HT (434 775 euros).

23. Il ressort des pièces du dossier (copie d'écran d'ordinateur, rapport p. 328-329 et 330) et des déclarations du directeur d'exploitation de l'entreprise attributaire, CGEV-Est-Domon à Montbéliard (procès-verbal d'audition du 14 septembre 2000, rapport p. 320) que cette société est l'auteur du chiffrage qui a été envoyé à Parcs et Sports. Ce document, télécopié ensuite le 29 avril 1999 par Parcs et Sports à Duc et Préneuf, a été enregistré, le 19 avril 1999, chez CGEV-Est-Domon dans un fichier informatique intitulé "BONPAR" qui figure dans une liste comprenant également les fichiers "Bonalgrasmater", "Bonal. Var..Lavat" (Bonal Variante Lavater), et "Bon.Var.Arro" (Bonal Variante arrosage). Le montant total hors taxes qui figure sur ce fichier informatique "Bonpar" est de 2 851 936,50 F HT (434 775 euros). Il est calculé à partir d'un montant de débourser net, de 1 734 451,90 F (264 416 euros) identique à celui de l'étude de prix de CGEV.

24. Ainsi, le même montant de 2 851 936,50 F HT figure sur trois documents :

- le fichier "Bonpar" élaboré par CGEV, le 19 avril 1999 ;

- la télécopie transmise par Parcs et Sports à Duc et Préneuf, le 29 avril 1999 à 9 heures 04 ;

- l'offre déposée par Duc et Préneuf Bourgogne, le 29 avril 1999.

Le grief notifié

25. Par une notification de griefs complémentaire en date du 10 avril 2003 indiquant qu'elle se substituait à la notification de griefs adressée le 7 mai 2002 et, sur la base des constatations qui précèdent, il a été notifié aux sociétés CGEV, Duc et Préneuf Bourgogne et Parcs et Sports un grief "d'entente ayant pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence et, de surcroît, de nature à tromper le maître d'ouvrage sur l'étendue de la concurrence concernant les travaux de rénovation du stade Bonal à Sochaux-Montbéliard."

II. - Discussion

26. Il résulte des éléments relevés au paragraphe 23 que l'agence de Montbéliard de la société CGEV a élaboré deux chiffrages de l'appel d'offres relatif au marché de réfection de la pelouse et des abords du stade Bonal à Sochaux-Montbéliard, l'un pour son propre usage et un autre qui a été enregistré sous le nom "Bonpar" et transmis à sa concurrente Parcs et Sports.

27. Il résulte, des éléments relevés aux paragraphes 21 et 22, que le chiffrage "Bonpar", élaboré initialement par CGEV puis transmis à Parcs et Sports, a ensuite été communiqué par Parcs et Sports à Duc et Préneuf Bourgogne qui en a fait usage pour l'établissement de son offre, dont le niveau de prix, fixé à l'origine par CGEV, ne pouvait constituer pour cette dernière une menace réelle dans le cadre de l'appel d'offres du district urbain du Pays de Montbéliard.

28. Ainsi, la société CGEV a transmis à Parcs et Sports, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres à laquelle elle entendait participer, un chiffrage dont elle avait préalablement réglé l'écart de prix par rapport à celui de sa propre offre. Ce chiffrage ne pouvait avoir d'autre objet que de contribuer à l'élaboration d'une autre offre qui perdait, de ce fait même son caractère d'offre indépendante.

29. La société CGEV admet avoir voulu aider Parcs et Sports à déposer une offre "carte de visite" mais considère que, dès lors qu'une telle offre n'a finalement pas été déposée par Parcs et Sports, aucune pratique anticoncurrentielle ne saurait lui être reprochée et que son attitude pourrait être qualifiée de "tentative d'accord anticoncurrentiel non suivie d'effet".

30. Mais le fait que la société Parcs et Sports n'ait pas elle-même fait un usage direct du chiffrage qu'elle avait reçu de la société CGEV, ne saurait exonérer cette dernière de sa participation à une pratique concertée anticoncurrentielle dès lors, d'une part, que la communication d'un chiffrage à un concurrent pour susciter une offre de couverture dans une procédure d'appel d'offres a, en elle-même, un objet anticoncurrentiel et, d'autre part, que l'effet anticoncurrentiel sur le déroulement de l'appel d'offres est établi par le fait que le maître d'ouvrage a effectivement reçu deux offres non réellement concurrentes, dont une constituée à partir de ce chiffrage litigieux.

31. La société Parcs et Sports considère que sa participation à la concertation n'est pas établie car elle ne serait fondée que sur la réception dans ses bureaux sous forme de télécopie du chiffrage de couverture, insuffisante pour établir un rôle actif dans la pratique prohibée. La société Parcs et Sports soutient qu'elle n'avait aucune raison de solliciter CGEV pour obtenir un chiffrage de l'appel d'offres du stade Bonal, dès lors qu'elle avait la capacité technique d'établir sa propre offre et qu'elle avait manifesté sa forte volonté de soumissionner à cet appel d'offres ; cette volonté étant manifeste puisque c'est son président lui-même qui avait accompli la visite obligatoire et préalable à la remise des offres. Selon elle, le grief qui lui est reproché n'est appuyé que sur une déduction hypothétique sans preuve suffisante.

32. Mais le point de savoir si Parcs et Sports a ou non sollicité de CGEV l'envoi d'un chiffrage de couverture pour son propre usage n'est pas nécessaire pour démontrer sa participation à la pratique de concertation, dès lors qu'il est établi que Parcs et Sports a pris une part active aux échanges d'informations en transmettant par télécopie l'offre de couverture établi par CGEV à Duc et Préneuf Bourgogne.

33. Le représentant de Parc et Sports a également soutenu oralement devant le Conseil que le chiffrage litigieux préparé dans les services de CGEV avait pu être destiné à Duc et Préneuf Bourgogne, comme l'attesterait le fait que le numéro de télécopie de Duc et Préneuf était porté sur ce document et qu'il avait pu être adressé par erreur à Parcs et Sports. Un employé de Parcs et Sports, ne comprenant pas à quoi correspondait ce document provenant de CGEV et portant le numéro de télécopie d'une tierce entreprise, avait pu le renvoyer à cette entreprise sans se rendre compte de l'importance de son geste.

34. Cependant, cette présentation des faits n'est appuyée sur aucun élément matériel et se trouve en contradiction avec les déclarations concordantes faites par les sociétés CGEV et Duc et Préneuf Bourgogne au cours de l'enquête et réitérées oralement devant le Conseil, selon lesquelles, d'une part, le chiffrage litigieux a bien été transmis par le directeur d'exploitation de CGEV-Est-Domon à Parcs et Sports à la demande de ce dernier, (cf. procès-verbal d'audition du 14 septembre 2000 précité, rapport p. 230) et, d'autre part, a été renvoyé par la société Parcs et Sport à Duc et Préneuf Bourgogne à la demande de cette société qui souhaitait présenter une offre "carte de visite" sans avoir les moyens de la chiffrer en détail, (cf. observations présentées par la société Duc et Préneuf Bourgogne, le 10 juin 2003, en réponse à la notification de griefs complémentaire).

35. Au surplus, l'hypothèse présentée par Parcs et Sports, lors de la séance, ne permet pas d'expliquer pourquoi le chiffrage litigieux a été enregistré dans le système informatique de la CGEV sous le nom "Bonpar", alors même qu'il a été démontré par rapprochement avec les fichiers voisins que la première syllabe de cet intitulé renvoie à "Bonal", nom du stade objet du marché en cause, et qu'il n'est pas vraisemblable que la seconde syllabe, "PAR", désigne Duc et Préneuf Bourgogne plutôt que Parcs et Sports.

36. Enfin, Parcs et Sports a soutenu oralement, lors de la séance, que le fait que le directeur de la société CGEV-Est-Domon soit aujourd'hui salarié de Duc et Préneuf Bourgogne pourrait jeter le doute sur ses déclarations, notamment celle où il indique que le chiffrage réalisé par ses soins a été envoyé au président du conseil d'administration de Parcs et Sports ; toutefois elle n'a présenté aucun élément matériel permettant de contester ces déclarations, recueillies par procès-verbal et confirmées par les représentants de CGEV en séance.

37. Ainsi, il est démontré qu'en recevant ce chiffrage par télécopie, Parcs et Sports ne pouvait ni ignorer le fait qu'il lui avait été adressé par CGEV ni supposer que CGEV, entreprise particulièrement bien implantée dans le pays de Montbéliard, ne soumissionnerait pas pour le marché du stade Bonal. En communiquant ce document à Duc et Préneuf Bourgogne, elle a donc contribué à ce que le district reçoive, de la part de deux entreprises différentes, deux offres apparemment indépendantes mais en réalité établies à partir des données fournies par CGEV.

38. Les éléments ainsi réunis permettent d'établir l'existence d'une entente anticoncurrentielle par échange d'informations, à laquelle ont participé CGEV et Parcs et Sports : CGEV en transmettant son chiffrage de couverture à la société Parcs et Sports, et celle-ci en utilisant ce document au profit d'un tiers, permettant ainsi qu'il soit utilisé pour le dépôt d'une offre faussement concurrente de celle de CGEV. Cette pratique est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

39. De son côté, la société Duc et Préneuf conteste son implication en indiquant, d'une part, que Parcs et Sports l'avait informée qu'elle ne soumissionnerait pas à l'appel d'offres du district urbain du Pays de Montbéliard, compte-tenu de son implication dans les travaux de réfection du stade de Caen, d'autre part, qu'elle ignorait que le chiffrage, qu'elle avait sollicité et reçu de la société Parcs et Sports, avait été établi par CGEV. Elle soutient qu'elle pouvait, dans ces conditions, librement utiliser le chiffrage reçu d'une entreprise non soumissionnaire à l'appel d'offres. Ces explications ne sont pas contredites par les éléments du dossier et il n'est pas établi que Duc et Préneuf avait connaissance de l'origine du chiffrage utilisé pour le dépôt de son offre ni qu'elle savait que sa proposition servirait en fait d'offre de couverture au bénéfice de CGEV. En effet, le seul fait de déposer une offre, dite "carte de visite" n'est pas condamnable au regard du droit de la concurrence dès lors que cette offre ne résulte pas d'une concertation préalable avec d'autres entreprises soumissionnaires. En l'espèce, cette concertation préalable ne peut être regardée comme établie.

En ce qui concerne les sanctions

40. Les faits en cause étant antérieurs à la date du 15 mai 2001, le texte applicable est l'article 22, alinéa 2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, codifié à l'article L. 464-5 du Code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000, aux termes duquel "La commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13. Toutefois, la sanction pécuniaire prononcée ne peut excéder 500 000 F (76 224 euros) pour chacun des auteurs des pratiques prohibées".

41. Les pratiques d'entente sur des marchés publics sont graves par nature dans la mesure où elles tendent à capter indûment des ressources qui sont confiées à la collectivité publique pour un usage d'intérêt général.

42. Pour apprécier le dommage à l'économie, il convient de relever que le marché a été passé pour un montant de 1,04 M euros, au regard d'une estimation initiale de 0,61 M euros, soit un dépassement de 71 %.

43. Le fait que ce dépassement a été couvert par une contribution du principal sponsor de l'équipe résidente du stade est présenté par CGEV comme la preuve qu'aucun dommage n'a été apporté à l'économie.

44. Mais le fait pour un constructeur automobile de dépenser une somme pour financer le surcoût constaté sur un marché public constitue une allocation sous-optimale des ressources dès lors que ce surcoût est indu. Il constitue un dommage à l'économie car si cette contribution n'avait pas été apportée au district à cette occasion, elle serait restée disponible pour d'autres actions de soutien du club ou de la collectivité. Ainsi, le surcoût du marché constitue une perte non compensée pour le propriétaire et les utilisateurs du stade.

45. La société CGEV conteste également le dommage à l'économie en soutenant qu'un autre déroulement de la consultation n'aurait pu la conduire à baisser ses prix car elle était assurée d'être la seule entreprise réellement capable de réaliser le marché.

46. Mais avec deux offres recevables pour huit dossiers retirés, le maître d'ouvrage a choisi de mener la procédure à son terme, dans l'ignorance que la concurrence entre les deux entreprises n'était qu'apparente. Il aurait été, sans nul doute, fortement incité à agir différemment s'il n'avait reçu qu'une seule offre recevable pour huit dossiers retirés. Dans cette situation et devant le niveau de prix constaté, il lui était loisible de déclarer l'appel d'offres infructueux et de tenter d'obtenir, par la procédure de marché négocié, une diminution des prix de l'offre de CGEV. L'offre de couverture de Duc et Préneuf Bourgogne, établie à partir du chiffrage de CGEV et transmise par Parcs et Sports, a donc bien eu pour effet de diminuer, pour CGEV, le risque de voir la collectivité publique contester le prix de son offre en engageant une procédure de marché négocié.

47. En 2002, le chiffre d'affaires de la société CGEV est de 76 784 000 euros et celui de la société Parcs et Sports de 11 649 000 euros.

48. En fonction des éléments généraux et individuels précédemment exposés, il y a lieu d'infliger à la société CGEV une sanction d'un montant de 75 000 euros, soit le maximum encouru dans le cadre de la procédure simplifiée, et à la société Parcs et Sports une sanction d'un montant de 35 000 euros.

DECISION

Article 1 : Il n'est pas établi que la société Duc et Préneuf Bourgogne a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Il est établi que les sociétés CGEV et Parcs et Sports ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 3 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 75 000 euros à l'encontre de la société CGEV et une sanction pécuniaire de 35 000 euros à l'encontre de la société Parcs et Sports.