CJCE, 6e ch., 8 mai 2003, n° C-328/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
République italienne, SIM 2 Multimédia SpA
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schintgen
Rapporteur :
M. Gulmann
Avocat général :
Me Geelhoed
Juges :
M. Skouris, Mme Macken, M. Cunha Rodrigues
Avocats :
Mes Fiumara, Vianello, Abate, Cappelli.
LA COUR (sixième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er septembre 1999 et enregistrée sous le numéro C-328-99, la République italienne a, en vertu de l'article 230, premier alinéa, CE, introduit un recours visant:
- à titre principal, à faire annuler la décision 2000-536-CE de la Commission, du 2 juin 1999, relative à l'aide d'État octroyée par l'Italie à Seleco SpA (JO 2000, L 227, p. 24, ci-après la "décision attaquée"), et
- à titre subsidiaire, à faire annuler cette décision, d'une part, en tant qu'elle impose à la République italienne d'adopter les mesures nécessaires pour récupérer auprès de Seleco SpA (ci-après "Seleco") l'aide non compatible accordée par Ristrutturazione Elettronica SpA (ci-après "REL") en 1996 et, d'autre part, en tant qu'elle impose à la République italienne d'adopter les mesures nécessaires pour récupérer auprès de Seleco Multimédia Srl (ci-après "Multimédia") et de toute autre entreprise ayant bénéficié de transferts d'actifs les aides non compatibles accordées à Seleco, pour la partie qui ne pourrait être récupérée auprès de celle-ci.
2. Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance le 6 septembre 1999 et enregistrée sous le numéro T-195-99, SIM 2 Multimédia SpA (ci-après "SIM Multimédia"), qui a pris la succession juridique de Multimédia, a introduit un recours visant à faire annuler l'article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée en tant qu'il impose à la République italienne d'adopter les mesures nécessaires pour récupérer auprès de Multimédia les aides non compatibles accordées à Seleco, pour la partie qui ne pourrait être récupérée auprès de celle-ci.
3. Conformément aux articles 47, troisième alinéa, du statut CE de la Cour de justice et 80 du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal, par ordonnance du 16 octobre 2000, s'est dessaisi de l'affaire T-195-99 au profit de la Cour, afin que celle-ci puisse statuer sur la demande en annulation. Cette affaire a été enregistrée au greffe de la Cour le 31 octobre 2000 sous le numéro C-399-00.
4. Étant donné la connexité entre les deux affaires, le président de la Cour a décidé, par ordonnance du 5 février 2001, de les joindre aux fins de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 43 du règlement de procédure de la Cour.
Le cadre juridique
5. Aux termes de l'article 87, paragraphe 1, CE, "[s]auf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".
6. L'article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE dispose:
"Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine."
7. Selon l'article 88, paragraphe 3, CE, "[l]a Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale".
Les faits du litige
Les parties intéressées
8. Seleco exerçait ses activités sur le marché de l'électronique grand public et, plus précisément, dans le secteur des téléviseurs couleur, celui des décodeurs de programmes cryptés et celui des vidéoprojecteurs et moniteurs.
9. Multimédia a été constituée en 1995. En mars 1996, Seleco a regroupé au sein de Multimédia ses activités les plus rentables (vidéoprojecteurs et moniteurs) en y apportant 29 milliards de ITL de capital et en en devenant le propriétaire unique. En juin 1996, Multimédia a été transformée en société par actions. En juillet 1996, Seleco a vendu 33,33 % des actions qu'elle détenait dans Multimédia à Italtel et 33,33 % à Friulia SpA (ci-après "Friulia"). Le prix de vente s'est élevé à 10 milliards de ITL pour chacun de ces deux lots d'actions. Les actions restantes ont été transférées à une société écran appartenant à Seleco puis ont été vendues à une société privée au cours d'une vente publique judiciaire qui a eu lieu le 20 décembre 1997 dans le cadre de la liquidation de Seleco.
Objet de la décision attaquée
10. À la fin de l'année 1993, le capital de Seleco était détenu par SOFIN SpA (ci-après "SOFIN"), Friulia et REL à hauteur de, respectivement, 37 %, 3,7 % et 59,3 %. SOFIN est une société privée. Friulia est une société financière entièrement contrôlée par la région du Frioul-Vénétie-Julienne, dont elle est chargée de promouvoir le développement économique. REL est une société constituée en 1982 et contrôlée par le ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat italien, dont l'objectif était de réorganiser le secteur de l'électronique grand public grâce à la création de sociétés, à des prises de participations et à l'octroi de crédits en faveur d'entreprises dont elle détenait des participations.
11. À la même époque, les pertes de Seleco étaient devenues si importantes que ses actionnaires avaient pour seule alternative, en vertu de la loi italienne, de procéder à la liquidation de la société ou à sa recapitalisation. Dans ces circonstances, les actionnaires ont opté dans un premier temps pour la liquidation (décision du conseil d'administration du 1er février 1994) puis, après l'intervention des autorités italiennes provoquée par les troubles sociaux que la décision de liquidation engendrait, ils sont finalement convenus de procéder à sa recapitalisation.
12. Selon cet accord, REL devait couvrir l'ensemble des pertes excédant le capital social, y compris la part qui aurait dû être épongée par les autres actionnaires, tandis que ces derniers devaient reconstituer le capital de Seleco. L'accord intervenu entre REL et les autres actionnaires a été formalisé par une directive du conseil des ministres italien avant d'être communiqué à Seleco. C'est ainsi que REL a partiellement abandonné les créances qu'elle avait sur Seleco (16,8 milliards de ITL sur un total de 82 milliards), que Friulia a fait un apport de 13 milliards de ITL (apport de 7 milliards de capital et conversion d'un prêt de 6 milliards de ITL précédemment consenti à Seleco en actions de cette société), que SOFIN a fait un apport de 19 milliards de ITL et qu'un consortium de banques a fait un apport de 10,5 milliards de ITL.
13. Après ces mesures, le nouveau capital se répartissait comme suit: SOFIN 42,64 %, Friulia 28,89 %, le consortium de banques 23,33 % et les salariés de Seleco 5,13 %.
14. En 1994 et en 1995, Seleco a encore enregistré de lourdes pertes entraînant une nouvelle fois, à la fin de l'année 1995, l'obligation de choisir entre la liquidation ou la recapitalisation. Il a été décidé une nouvelle fois de procéder à la recapitalisation. En particulier, un nouvel actionnaire, la société privée SOREC, a apporté 28,8 milliards de ITL. En février 1996, le capital de Seleco présentait la structure suivante: SOREC 87,91 %, SOFIN 5,22 %, Friulia 3,49 %, le consortium de banques 2,82 % et les salariés 0,56 %. En avril 1996, Friulia a accordé à Seleco un prêt convertible de 12 milliards de ITL garanti par quatre marques industrielles de Seleco. En juin de la même année, REL a cédé à Seleco le reliquat de sa créance de 65,2 milliards pour un montant de 20 milliards de ITL.
15. Ces interventions ne suffisant pas à permettre, du point de vue juridique, la poursuite de l'activité de Seleco, d'autres interventions ont été indispensables. Ainsi, Seleco a lancé un emprunt obligataire, qui a été souscrit par un consortium de banques, et a vendu deux tiers des actions qu'elle détenait dans Multimédia, ainsi qu'il a été indiqué au point 9 du présent arrêt.
16. Seleco a été déclarée en faillite le 17 avril 1997. L'administrateur judiciaire a entamé une action révocatoire à l'encontre du rachat, pour un montant de 20 milliards de ITL,de la dette restante de 65,2 milliards de ITL due par Seleco à REL. La juridiction italienne saisie a supprimé le caractère privilégié de la dette que Seleco avait contractée auprès de Friulia. Cette dernière a reçu un milliard de ITL à titre de compensation pour la perte du gage sur les quatre marques industrielles de Seleco qui lui avaient été données en garantie.
La décision attaquée
17. Après avoir appris que l'aide en faveur de Seleco, qui lui avait été notifiée par la région autonome du Frioul-Vénétie-Julienne, avait déjà été mise en œuvre et que REL avait partiellement renoncé aux créances qu'elle détenait sur Seleco en raison d'un accord conclu en 1994 destiné à couvrir les pertes relatives à l'exercice 1993, la Commission a décidé, le 27 septembre 1994, d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu, article 88, paragraphe 2, CE). Ayant par la suite appris par la presse que d'autres interventions publiques avaient été accordées à Seleco, la Commission a, par décision du 3 février 1998, étendu ladite procédure à ces autres mesures.
18. Cette procédure a été clôturée par l'adoption de la décision attaquée, dont le dispositif est libellé comme suit:
"Article premier:
Les aides d'État suivantes, mises en œuvre par l'Italie en faveur de Seleco SpA, sont incompatibles avec le marché commun:
a) la renonciation en 1994 de la part de Ristrutturazione Elettronica SpA à 16,8 milliards sur une créance de 82 milliards de lires;
b) le rachat par Seleco SpA en 1996 de la créance de 65,2 milliards de lires que Ristrutturazione Elettronica SpA détenait encore sur elle, pour un montant de 20 milliards de lires;
c) la conversion en actions, par Friulia SpA, d'un prêt de 6 milliards de lires que cette société avait octroyé en 1992;
d) l'apport de 7 milliards de lires en capital effectué par Friulia SpA en 1994;
e) l'octroi par Friulia SpA en 1996 d'un prêt convertible de 12 milliards de lires au taux de 7 %, garanti par quatre marques industrielles de Seleco SpA.
Article 2
1. L'Italie prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides visées à l'article 1er et déjà mises illégalement à la disposition des bénéficiaires, auprès de Seleco SpA et, pour la partie qui ne pourrait pas être récupérée auprès de Seleco SpA, auprès de la société Seleco Multimédia Srl et de toute autre entreprise au profit de laquelle ont été transférés des actifs de sorte à priver la présente décision de ses effets.
2. La récupération se fait conformément aux procédures du droit national. Les sommes à récupérer produisent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu'au jour de leur récupération effective. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale au moment de l'octroi des aides.
Article 3
L'Italie informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures qu'elle a prises pour s'y conformer.
Article 4
La République italienne est destinataire de la présente décision."
19. C'est dans ces conditions que la République italienne et SIM Multimédia ont introduit les présents recours contre la décision attaquée.
Sur le fond
20. Le recours formé par le Gouvernement italien met en cause la qualification d'aides d'État des opérations de REL et de Friulia, l'obligation de récupérer auprès de Seleco la prétendue aide que REL lui a accordée en 1996 ainsi que l'obligation de récupérer les soi-disant aides d'État auprès de Multimédia. Seul ce dernier aspect fait l'objet du recours de SIM Multimédia.
Sur la qualification d'aides d'État des opérations de REL et de Friulia
Arguments des parties
21. Le Gouvernement italien soutient que, si les deux opérations de recapitalisation de Seleco réalisées en 1994 et en 1996 comportaient certes une marge de risque, elles présentaient néanmoins a priori des perspectives raisonnables de succès. À cet égard, le Gouvernement italien rappelle que, en 1994, les interventions publiques ont été de l'ordre de 30 milliards de ITL et les interventions privées d'environ 32 milliards de ITL. En 1996, les interventions de Friulia se seraient élevées à 12 milliards de ITL et celles de REL à 45 milliards de ITL, tandis que les personnes privées auraient apporté 40,8 milliards de ITL. Cette importante intervention d'investisseurs privés permettrait déjà en soi de démontrer que les deux opérations de recapitalisation, qui avaient en vue la relance des activités de Seleco, étaient considérées comme raisonnables pour un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché.
22. Ce gouvernement réfute l'argument de la Commission selon lequel les investisseurs privés auraient été induits par les pouvoirs publics à recapitaliser Seleco. En réalité, ce seraient les entités publiques qui auraient décidé de n'intervenir que dans la mesure où des personnes privées y étaient également disposées.
23. Concernant l'opération effectuée par REL en 1994, le Gouvernement italien indique que la créance de 82 milliards de ITL n'était assortie d'aucune garantie et que, en cas de liquidation de Seleco, REL n'aurait pratiquement eu aucune chance de recouvrement, même partiel. Dans ces conditions, REL aurait préféré renoncer à un cinquième de sa créance, à la condition que d'autres investisseurs assurent la totalité de la recapitalisation. En procédant de la sorte, elle aurait pu se retirer du capital de Seleco, conformément aux engagements qu'elle avait pris à l'égard de la Commission de céder à des actionnaires privés les participations qu'elle détenait dans les entreprises du secteur. En outre, REL aurait eu l'espérance fondée de récupérer les quatre cinquièmes restants de sa créance. De même, en cédant en 1996 le solde de la créance de 65,2 milliards de ITL pour un montant de 20 milliards de ITL, REL aurait agi pour les mêmes motifs.
24. Quant à Friulia, le Gouvernement italien relève que, bien que la participation de la région du Frioul-Vénétie-Julienne au capital de cette société soit majoritaire, les associés privés y disposent de larges pouvoirs de décision et de désengagement. Ce serait avec ses propres fonds que Friulia est intervenue en 1994 et en 1996. Dès lors, les interventions de cette société ne seraient pas de nature publique.
25. En tout état de cause, compte tenu des pertes enregistrées par Seleco au titre de l'exercice 1993 et ayant constaté que, en cas de liquidation, elle ne pourrait réaliser tout au plus que 50 % de sa créance de 6 milliards de ITL, Friulia aurait, en 1994, estimé opportun de convertir en actions cette créance et d'apporter de nouveaux capitaux à concurrence de 7 milliards de ITL, comme le faisaient parallèlement des personnes privées et des banques publiques et privées.
26. En ce qui concerne l'octroi en 1996 par Friulia du prêt convertible de 12 milliards de ITL au taux de 7 %, garanti par quatre marques de Seleco, le Gouvernement italien soutient qu'il s'agissait d'une opération conforme au marché. En effet, d'une part, la valeur des marques aurait été manifestement considérable et, d'autre part, un prêt obligataire du même montant aurait été accordé à un taux moins élevé et sans autre garantie ou contrepartie par un consortium de banques privées et publiques, sans que la Commission ait soulevé d'objection à cet égard. Le fait que, lors de la liquidation de Seleco, ces marques aient été cédées pour seulement 1 milliard de ITL serait dû à la diminution importante de leur valeur après la faillite. Enfin, contrairement à ce qu'a soutenu la Commission au point 91 des motifs de la décision attaquée, la législation italienne ne prévoirait pas, lors de la liquidation d'une société en faillite, que les créances relatives à un prêt obligataire sont prioritaires par rapport aux autres créances chirographaires.
27. Se référant à sa communication 94-C 368-05, intitulée "Lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté", publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 23 décembre 1994 (JO C 368, p. 12), la Commission fait valoir que les mesures accordées à Seleco ne correspondaient pas à la logique d'un investisseur privé normal. Selon elle, ces mesures auraient eu pour seul objectif de retarder le plus possible la disparition de Seleco et d'éviter les conséquences sociales découlant d'un plan de licenciement.
28. À cet égard, la Commission relève en substance que la mauvaise situation financière de Seleco était déjà ancienne et qu'il n'existait aucun plan de restructuration crédible. En outre, depuis 1992, le secteur européen des biens de consommation électroniques aurait souffert d'une crise de surproduction accompagnée d'une augmentation des coûts, d'une chute des prix, d'un accroissement de la concurrence et d'une réduction sensible de la main-d'œuvre. L'érosion des prix s'avérant plus rapide en Italie que dans les autres États membres, les concurrents de Seleco auraient décidé d'augmenter leurs dépenses de publicité et leurs investissements dans la recherche et le développement.
29. La Commission soutient que la décision de ne pas procéder à la liquidation de Seleco, adoptée en 1994, et l'intervention d'investisseurs privés et publics dans l'opération de recapitalisation de celle-ci ont en réalité été dictées par les autorités italiennes. Elles ne correspondraient pas à des opérations réalisées par un investisseur privé agissant selon les principes usuels du marché. Le fait que des investisseurs privés aient pris part aux deux recapitalisations ne pourrait pas exclure automatiquement la nature d'aides d'État des interventions concomitantes effectuées par les autorités publiques. Ces dernières ne devraient pas se lancer dans des investissements déraisonnables même si des investisseurs privés mal avisés s'y risquent.
30. Selon la Commission, Friulia, dont 87 % du capital social appartiennent à la région du Frioul-Vénétie-Julienne, se trouve sous le contrôle de cette région. Par conséquent, ses apports de capitaux auraient été le résultat d'un comportement imputable à l'État membre.
Appréciation de la Cour
31. Il convient d'abord d'examiner si les opérations de Friulia visées à l'article 1er, sous c), d) et e), de la décision attaquée, telles que rappelées notamment au point 18 du présent arrêt, doivent être considérées comme ayant été réalisées au moyen de ressources d'État, au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.
32. À cet égard, il importe de relever que, bien qu'ayant soutenu que les associés privés de Friulia y disposent de larges pouvoirs de décision et de désengagement, le Gouvernement italien ne conteste pas l'allégation de la Commission selon laquelle cette société se trouve sous le contrôle de la région du Frioul-Vénétie-Julienne.
33. Or, les ressources financières d'une société de droit privé telle que Friulia, détenue à 87 % par une collectivité publique telle que la région du Frioul-Vénétie-Julienne et agissant sous le contrôle de cette dernière, peuvent être considérées comme des ressources d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 32, et du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, points 36 et 38). Le fait que Friulia soit intervenue avec ses propres fonds est sans pertinence à cet égard. En effet, pour que ceux-ci soient qualifiés de ressources d'État, il suffit, ainsi qu'il apparaît en l'espèce, qu'ils restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités publiques compétentes (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C-482-99, Rec. p. I-4397, point 37).
34. Il s'ensuit que la Commission a pu, à juste titre, retenir dans la décision attaquée que les opérations de Friulia avaient été réalisées au moyen de ressources d'État, au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.
35. Ensuite, il convient de rappeler que l'article 87 CE a pour objet de prévenir que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. La notion d'aide peut recouvrir dès lors non seulement des prestations positives telles que des subventions, des prêts ou des prises de participation au capital d'entreprises, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234-84, Rec. p. 2263, point 13, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39-94, Rec. p. I-3547, point 58).
36. Selon la jurisprudence de la Cour, l'intervention des pouvoirs publics dans le capital d'une entreprise, sous quelque forme que ce soit, peut constituer une aide étatique lorsque toutes les conditions visées à l'article 87, paragraphe 1, CE sont remplies (voir, notamment, arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit "Tubemeuse", C-142-87, Rec. p. I-959, point 25; du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92 à C-280-92, Rec. p. I-4103, point 20, et France/Commission, précité, point 68).
37. En outre, il convient de souligner qu'il résulte du principe d'égalité de traitement entre entreprises publiques et privées que les capitaux mis à la disposition d'une entreprise, directement ou indirectement, par l'État, dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché, ne sauraient être qualifiés d'aides d'État (arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, Rec. p. I-1433, point 20).
38. Dès lors, selon une jurisprudence également constante, il y a lieu d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d'une taille qui puisse être comparée à celle des organismes gérant le secteur public aurait pu être amené à procéder à des apports de capitaux de la même importance (arrêts du 3 octobre 1991,Italie/Commission, C-261-89, Rec. p. I-4437, point 8; Espagne/Commission, précité, point 21, et du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-42-93, Rec. p. I-4175, point 13), eu égard notamment aux informations disponibles et aux évolutions prévisibles à la date desdits apports (voir arrêt France/Commission, précité, point 70).
39. S'agissant là d'une appréciation économique complexe, le contrôle juridictionnel d'un acte de la Commission impliquant une telle appréciation doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir, notamment, arrêt du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, point 11).
40. En l'occurrence, il importe donc d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d'une taille comparable à celle de REL ou de Friulia aurait pu être amené à procéder à des apports de capitaux de la même importance, eu égard notamment aux informations disponibles et aux évolutions prévisibles à la date desdits apports.
41. En premier lieu, il est constant que, à l'époque de la première opération de recapitalisation de Seleco, la situation financière de cette société était mauvaise. En effet, ainsi qu'il est rappelé au point 62 des motifs de la décision attaquée, alors que Seleco a bénéficié d'aides publiques pendant plus de dix ans, elle n'a pas cessé d'enregistrer des résultats négatifs tout au long de la période, à l'exception de profits très bas lors des exercices 1991 et 1992. En particulier, le résultat net de l'exercice de 1993 s'est soldé par une perte de 77,5 milliards de ITL, soit un montant une fois et demie supérieur au capital social de Seleco (points 19 et 61 des motifs de la décision attaquée). De plus, ce résultat s'inscrivait dans un contexte de récession économique qui avait provoqué un ralentissement de la croissance, un renforcement de la concurrence et une baisse sensible des prix dans le secteur européen de l'électronique grand public, dont le déclin avait commencé en 1992 (points 52 et 53 des motifs de la décision attaquée). L'année 1993, qui a été également la deuxième année de déclin pour le secteur italien de l'électronique grand public, a connu une érosion des prix plus rapide en Italie que dans les autres États membres. Sur le marché italien, qui, selon les prévisions, devait ressentir les effets de la récession économique tout au long de l'année 1994, les concurrents de Seleco ont investi des sommes plus importantes dans la publicité et dans la recherche et le développement, et certains d'entre eux ont même lancé de nouveaux produits (points 54 et 56 des motifs de la décision attaquée).
42. En deuxième lieu, il convient de rappeler que le plan de restructuration de Seleco portant sur la période 1993-1996, qui était le second depuis le début de la décennie, envisageait un "retour à la profitabilité" dès 1995, le premier plan, qui couvrait les années 1990-1993, ayant quant à lui prévu un retour à un bénéfice significatif en 1993 (point 68 des motifs de la décision attaquée). Cependant, à la demande de Friulia, le plan de restructuration relatif à la période 1993-1996 avait été examiné par KPMG Peat Marwick Corporate Finance (ci-après "KPMG"), une société d'expertise indépendante, qui avait conclu que celui-ci était trop ambitieux en raison tant de la situation de Seleco que des hypothèses sur lesquelles il s'appuyait. En particulier, l'étude de KPMG précisait que:
"- les prévisions selon lesquelles la contraction significative du volume des ventes serait compensée par une hausse des prix de 8 % à compter de la seconde moitié de 1994 étaient infondées,
- Seleco n'avait pas les moyens de lancer ses produits en les présentant comme des produits 'technologiques de qualité',
- l'hypothèse liée à l'augmentation des prix ne tenait pas compte de la force contractuelle des grandes surfaces et donc de la diminution subséquente des marges bénéficiaires de Seleco, point faible de la société depuis toujours. En effet, le positionnement de Seleco sur le moyen de gamme ne lui a jamais permis de s'affirmer ni au niveau des marges (prix élevés) ni au niveau des quantités (parts de marché insuffisantes),
- le développement du seul secteur effectivement rentable de Seleco (produits professionnels), dont la croissance devait être de 21 % en 1995, risquait d'être ralenti par la crise financière du groupe".
43. En troisième lieu, il ressort du procès-verbal de l'assemblée de Seleco du 1er février 1994, dont copie est annexée à la requête du Gouvernement italien, que REL, dont les représentants avaient pris part à plusieurs réunions avec des représentants du ministère de l'Industrie et de la présidence du Conseil, s'est déclarée prête, compte tenu notamment des intérêts liés à l'emploi, à couvrir le montant des pertes excédant le patrimoine net de la société proportionnellement à sa part sociale, en abandonnant partiellement les créances qu'elle avait envers Seleco.
44. Il découle de ce qui précède que, s'agissant de l'opération de recapitalisation de Seleco de 1994, ni Friulia ni REL ne se sont conduites comme un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché. En effet, un investisseur privé opérant dans de telles conditions n'aurait pas procédé aux apports de capitaux consentis par Friulia ou REL en faveur d'une entreprise en difficulté telle que Seleco sans disposer d'un plan de restructuration crédible et réaliste ou en prenant en compte des préoccupations d'ordre social (voir, sur ce dernier point, arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, précité, points 18 et 24), ne cherchant ainsi pas à s'assurer d'une perspective vraisemblable de rentabilité de tels apports.
45. Dès lors, la Commission a pu, à juste titre, estimer que REL et Friulia ne pouvaient pas s'attendre à ce que les apports de capitaux conférés dans le cadre de l'opération de recapitalisation de Seleco de 1994 génèrent un rendement acceptable pour un investisseur privé opérant dans des conditions normales de marché.
46. Il convient de considérer, par conséquent, que les interventions de REL et de Friulia dans le cadre de la première opération de recapitalisation de Seleco constituaient des aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.
47. En ce qui concerne la seconde opération de recapitalisation de Seleco, il importe de souligner que l'exercice 1995 s'était soldé, pour Seleco, par une perte de 64,2 milliards de ITL, représentant près de deux fois le montant de son capital social, alors que le plan de restructuration de cette société portant sur la période 1993-1996 tablait sur un "retour à la profitabilité" dès 1995.
48. Le plan de restructuration de Seleco s'étant avéré irréalisable, et à défaut d'avoir reçu communication de tout autre plan de restructuration lui permettant, le cas échéant, de considérer comme acceptable cette seconde intervention, la Commission a pu, à bon droit, estimer qu'aucun investisseur privé avisé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché n'aurait procédé aux apports de capitaux que REL et Friulia ont, lors de l'opération de recapitalisation de Seleco de 1996, conférés à cette société, dont la situation financière demeurait mauvaise, voire critique.
49. Dès lors, les interventions de REL et de Friulia dans le cadre de la seconde opération de recapitalisation de Seleco constituaient également des aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.
50. Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen avancé par le Gouvernement italien.
Sur l'obligation de récupérer auprès de Seleco l'aide que REL lui a accordée en 1996
Arguments des parties
51. Selon le Gouvernement italien, la décision de la Commission, en tant qu'elle impose aux autorités italiennes de récupérer l'aide consistant dans le rachat par Seleco en 1996 de la créance de 65,2 milliards de ITL que REL détenait encore sur elle, pour un montant de 20 milliards de ITL, n'aurait pas de sens au regard de la sauvegarde des intérêts communautaires. En effet, si une telle opération de rachat constituait une aide, elle devrait être annulée. Dans ce cas, REL devrait restituer à la faillite 20 milliards de ITL et déclarer ensuite sa créance antérieure de 65,2 milliards de ITL à titre chirographaire dans la faillite. Or, un tel résultat ne profiterait qu'à Seleco.
52. La Commission fait valoir que, en ordonnant la récupération de l'aide illégale, elle se limite à appliquer un principe général et contraignant qu'elle ne peut moduler en fonction des intérêts des entreprises impliquées dans une procédure de faillite. La suppression d'une aide illégale au moyen de sa restitution constituerait la conséquence logique de la constatation de son illégalité.
Appréciation de la Cour
53. À cet égard, il convient de rappeler qu'il découle d'une jurisprudence constante que la suppression d'une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (voir, notamment, arrêts Tubemeuse, précité, point 66, et du 22 mars 2001, Commission/France, C-261-99, Rec. p. I-2537, point 22).
54. Ainsi, dans la mesure où le rachat par Seleco en 1996 de la créance de 65,2 milliards de ITL que REL détenait encore sur elle, pour un montant de 20 milliards de ITL, constitue une aide d'État illégale, la Commission peut enjoindre à la République italienne de prendre les mesures nécessaires pour la récupérer (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310-85, Rec. p. 901, point 24).
55. La circonstance que REL devrait restituer à la faillite 20 milliards de ITL et demander l'inscription de sa créance chirographaire antérieure de 65,2 milliards de ITL au passif de Seleco, à supposer même qu'elle soit établie, ne saurait, en l'occurrence, remettre en cause le principe de la récupération de l'aide illégale.
56. Par conséquent, le deuxième moyen du Gouvernement italien doit être rejeté.
Sur l'obligation de récupérer les aides d'État auprès de Multimédia
57. La décision attaquée, en tant qu'elle fait obligation à la République italienne de récupérer, le cas échéant, les aides en cause auprès de Multimédia, fait l'objet de plusieurs moyens d'annulation. Le Gouvernement italien et SIM Multimédia invoquent tous deux un moyen tiré de la violation des droits de la défense. SIM Multimédia fait également valoir des moyens tirés de l'inexistence d'aides d'État en faveur de Multimédia, de l'insuffisance et du caractère contradictoire de la motivation de la décision attaquée, ainsi que de la disproportion entre l'ordre de récupération au détriment de Multimédia et la taille de la branche d'entreprise en cause.
58. Il convient d'examiner, en premier lieu, le moyen tiré de l'inexistence d'aides en faveur de Multimédia.
Arguments des parties
59. SIM Multimédia fait valoir que la Commission n'a pas démontré que la branche d'entreprise comprenant les vidéoprojecteurs et les moniteurs (ci-après la "branche multimédia"), qui a été séparée de Seleco et incorporée dans Multimédia, a bénéficié des aides visées à l'article 1er de la décision attaquée. En ce qui concerne les aides octroyées par REL et Friulia à Seleco en 1994 [voir article 1er, sous a), c) et d), de la décision attaquée], SIM Multimédia soutient qu'il ressort de l'analyse des comptes économiques de Seleco relatifs aux exercices 1993, 1994 et 1995 que la branche multimédia n'a pas tiré bénéfice de celles-ci. S'agissant des aides que Seleco a reçues de REL et de Friulia en 1996 [voir article 1er, sous b) et e), de la décision attaquée], la branche multimédia ne saurait non plus en avoir bénéficié. En effet, lesdites aides auraient été allouées à Seleco postérieurement à la cession de sa branche multimédia à Multimédia.
60. SIM Multimédia rappelle que, à la suite de la cession de la branche multimédia à Multimédia, Seleco, qui avait obtenu 100 % des actions de Multimédia en échange de cette cession, a vendu à Friulia et à Italtel les deux tiers de ces actions à un prix correspondant à la valeur de cette branche d'entreprise, telle qu'elle avait été évaluée par un expert indépendant. Par conséquent, à supposer même que la branche multimédia ait bénéficié des aides en cause, leur montant aurait été inclus dans la valeur de celle-ci, estimée par l'expert indépendant et transférée ensuite à Seleco par le truchement du prix payé pour les actions de Multimédia. Ainsi, Seleco resterait l'unique et véritable bénéficiaire desdites aides. Il s'ensuivrait que le patrimoine de la faillite de cette société ne s'est pas appauvri et n'a subi aucun préjudice.
61. La Commission indique que la branche multimédia a fait partie intégrante de Seleco, du moins jusqu'au 18 juillet 1996, date à laquelle cette société, dont Multimédia était une filiale à 100 %, a vendu à Friulia et à Italtel deux tiers des actions qu'elle détenait dans Multimédia. Dès lors, la branche multimédia devrait aux aides visées à l'article 1er de la décision attaquée non seulement sa survie, mais son existence même. À cet égard, la Commission rappelle que, compte tenu de l'état de crise profonde de Seleco depuis 1983, l'entreprise aurait sombré depuis longtemps sans les aides de REL et de Friulia. Par ailleurs, ces aides auraient été accordées à Seleco pour compenser les pertes d'exploitation considérées globalement, sans que les pouvoirs publics imposent des conditions spécifiques quant à leur destination. Ainsi, toutes les branches de Seleco auraient bénéficié indistinctement de ces aides à différents titres. En effet, sans lesdites aides, les administrateurs de Seleco auraient certainement distrait des sommes d'argent provenant des ressources propres et destinées aux activités multimédia afin de satisfaire aux exigences sociales, par définition prioritaires.
62. En ce qui concerne plus particulièrement les aides accordées à Seleco en 1996, la Commission soutient qu'elles ont bel et bien profité à la branche multimédia. En effet, il s'agirait d'aides de sauvetage, à savoir des aides destinées à compenser des pertes subies antérieurement par Seleco, en l'occurrence des pertes enregistrées au cours de l'exercice 1995, époque à laquelle Seleco n'avait pas encore cédé ladite branche à Multimédia et à laquelle cette dernière société n'était encore qu'une coquille vide.
63. La Commission fait également valoir que le fait que la société mère décide, ultérieurement, de vendre à des tiers la totalité ou une grande partie des actions de la filiale en sa possession est sans pertinence aux fins de l'obligation pour la filiale de restituer les aides indûment perçues. En effet, si l'évolution de l'actionnariat modifie le rapport patrimonial avec la société mère sur le plan interne, elle ne modifierait pas la capacité de production de la filiale qui, par ses activités économiques ayant indûment bénéficié d'aides illicites, continue à provoquer des distorsions de concurrence.
64. Enfin, la Commission fait observer que le prix de cession de la branche multimédia a été influencé par la circonstance que les intéressés, en particulier Friulia et Italtel, ainsi que l'expert indépendant n'ont certainement pas ignoré les risques inhérents à la procédure engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui avait fait l'objet d'une communication au Journal officiel des Communautés européennes du 29décembre 1994 (JO C 373, p. 5), notamment celui de devoir, à terme, restituer des aides.
Appréciation de la Cour
65. À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément au droit communautaire, lorsqu'elle constate que des aides sont incompatibles avec le marché commun, la Commission peut enjoindre à l'État membre de récupérer ces aides auprès des bénéficiaires (voir arrêt du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70-72, Rec. p. 813, point 20).
66. La suppression d'une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (voir arrêt Tubemeuse, précité, point 66) et vise au rétablissement de la situation antérieure (arrêt du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C-382-99, Rec. p. I-5163, point 89).
67. L'article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée dispose que la République italienne est obligée de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides incompatibles identifiées par la Commission et déjà mises illégalement à la disposition des bénéficiaires, auprès de Seleco et, pour la partie qui ne pourrait pas être récupérée auprès de celle-ci, auprès de Multimédia et de toute autre entreprise au profit de laquelle ont été transférés des actifs de sorte à priver la décision attaquée de ses effets.
68. C'est à juste titre que la Commission a motivé cette partie du dispositif de la décision attaquée en rappelant, au point 113 des motifs, que, aux fins d'exécuter correctement ladite décision, l'État membre est invité à adopter le comportement d'un créancier privé.
69. C'est également à juste titre que, aux points 113 à 115 des motifs de la décision attaquée, la Commission relève ce qui suit:
- aux fins d'exécuter correctement la décision de la Commission, l'État membre est invité à récupérer l'aide sans délai en recourant à toutes les voies de droit disponibles, y compris la saisie des actifs de l'entreprise et, au besoin, la mise en liquidation de celle-ci, si elle n'est pas en mesure de procéder au remboursement en question. Les résultats de la vente des actifs permettraient de rembourser les différents créanciers, dont l'État membre, même s'il est possible qu'ils ne suffisent pas à couvrir la totalité des dettes contractées par l'entreprise et, partant, que l'aide ne soit pas intégralement récupérée. C'est pourquoi la liquidation de l'entreprise n'en demeure pas moins importante sous l'angle de la concurrence, car elle libère la part de marché occupée par l'entreprise liquidée et la met à la disposition des créanciers, offrant ainsi à ceux-ci également la possibilité d'acquérir les actifs et de les employer plus efficacement;
- toutefois, certaines circonstances peuvent contrecarrer ce processus, nuire à l'efficacité de la décision de récupération et mettre en échec les règles relatives aux aides d'État. Tel serait le cas si, à la suite de l'enquête ou de la décision de la Commission, les actifs et les passifs de l'entreprise étaient transférés à une autre société, contrôlée par les mêmes personnes, à des conditions plus avantageuses que celles du marché ou moyennant des procédures non transparentes. L'objectif d'une telle opération peut être de mettre les actifs en question à l'abri de la décision de la Commission et de permettre la poursuite de l'activité économique en cause;
- comme dans toute autre procédure de recouvrement, l'État membre, pour agir en créancier diligent, doit épuiser toutes les voies de droit disponibles dans son ordre juridique, par exemple celles relatives aux comportements frauduleux dont sont victimes les créanciers et prenant la forme d'actes de l'entreprise en liquidation exécutés pendant la période suspecte précédant la faillite, qui permettent d'obtenir l'inopposabilité de ces actes.
70. Ensuite il y a lieu de rappeler, ainsi qu'il est relevé au point 47 des motifs de la décision attaquée, que, selon le Gouvernement italien, "Seleco aurait créé Multimédia avant tout pour s'associer à la seule autre entreprise italienne fabriquant le même genre de produits (vidéoprojecteurs, moniteurs et décodeurs), à savoir Italtel, et profiter ainsi de la mise en commun du savoir-faire technique et de la clientèle que Seleco avait sur ce marché" et que "[l]a vente des actions de Multimédia permettait par ailleurs à Seleco de se procurer une partie des liquidités dont le groupe avait besoin pour couvrir les pertes de 1995".
71. Il découle par ailleurs du dossier que:
- dans un premier temps, après la constitution en 1995 de Multimédia, Seleco a, en mars 1996, regroupé au sein de celle-ci certaines de ses activités et en est devenu le propriétaire unique;
- dans un deuxième temps, en juin 1996, Multimédia a été transformée en société par actions;
- dans un troisième temps, en juillet 1996, Seleco a vendu deux tiers de ses actions dans Multimédia respectivement à Italtel et à Friulia pour une somme de 20 milliards de ITL, Seleco restant proprétaire du dernier tiers;
- dans un quatrième temps, ce dernier tiers des actions dans Multimédia a été vendu, en décembre 1997, à une société privée au cours d'une vente publique judiciaire dans le cadre de la liquidation de Seleco.
72. Il est en outre constant que la valeur de la branche multimédia cédée par Seleco à Multimédia en échange de la totalité des actions de cette dernière avait été estimée par un expert assermenté nommé à cet effet par un juge national. Il est également constantque le prix payé par Friulia et Italtel pour l'achat, intervenu quelques mois après ladite cession, des deux tiers des actions que Seleco détenait dans Multimédia correspondait en substance aux deux tiers de la valeur de la branche multimédia, telle qu'elle avait été estimée par l'expert assermenté précité. Or, la Commission n'a apporté aucun élément de preuve concret dont il pourrait être inféré que ledit expert a estimé la valeur de la branche multimédia cédée par Seleco à Multimédia en prenant en considération le risque que cette dernière société soit tenue, le cas échéant, de restituer tout ou partie des aides octroyées à Seleco.
73. Il est également constant que l'administrateur judiciaire de la faillite de Seleco n'a pas agi en révocation de la cession, par Seleco, des deux tiers des actions qu'elle détenait dans Multimédia.
74. Enfin, il ressort du dossier que l'expertise effectuée, fin 1997, à la demande du juge des faillites, a fixé la valeur du capital économique de Multimédia à une valeur sensiblement inférieure à celle à laquelle il avait été estimé dans le cadre de la précédente expertise.
75. Dans ces circonstances se pose la question de savoir si Multimédia doit également être regardée comme ayant été bénéficiaire de l'aide.
76. À cet égard, il convient de relever que la possibilité pour une société en difficulté économique de prendre des mesures d'assainissement de l'entreprise ne saurait être écartée a priori en raison des exigences tenant à la récupération des aides incompatibles avec le marché commun.
77. Cependant, ainsi que l'a fait valoir en substance la Commission devant la Cour, s'il était permis, sans plus, à une entreprise se trouvant en difficulté et sur le point d'être déclarée en faillite de créer, au cours de la procédure d'enquête formelle sur les aides qui la concernent individuellement, une filiale à laquelle elle transférerait ensuite, avant la conclusion de la procédure d'enquête, ses actifs les plus rentables, il serait admis la possibilité pour toute société de soustraire ces actifs du patrimoine de l'entreprise mère lors de la récupération des aides, ce qui risquerait de priver d'effets le recouvrement desdites aides en tout ou en partie.
78. Aussi la Commission a-t-elle indiqué, aux points 116 et 117 des motifs de la décision attaquée, que:
- pour éviter que la décision de récupération des aides ne perde son effet utile et que la distorsion de concurrence ne continue, la Commission peut être amenée à exiger que la récupération ne se limite pas à l'entreprise de départ, mais qu'elle s'étende à l'entreprise qui en assure la pérennité grâce aux moyens de production qui lui ont été transférés, lorsque certains éléments du transfert permettent de constater une continuité économique entre les deux entités;
- c'est ainsi que la Commission examine les éléments suivants: l'objet du transfert (actifs et passifs, maintien de la force de travail, actifs groupés), le prix du transfert, l'identité des actionnaires ou des propriétaires de l'entreprise repreneur et de l'entreprise de départ, le moment où le transfert a lieu (après le début de l'enquête, l'ouverture de la procédure ou la décision finale) ou encore la logique économique de l'opération.
79. En l'occurrence, il est certes pertinent de relever, ainsi que l'a fait la Commission aux points 118 et 119 des motifs de la décision attaquée, que:
- Seleco a regroupé, en mars 1996, ses activités les plus rentables au sein de Multimédia en apportant 29 milliards de ITL au capital de cette société;
- cette opération, qui a contribué à vider Seleco de sa substance à double titre (activités et capital), est intervenue à un moment où la Commission avait ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité;
- il est vraisemblable que l'opération ne se soit pas limitée à un transfert d'actifs et que le transfert des principales activités de Seleco se soit accompagné du transfert du personnel correspondant (ou d'une partie de celui-ci) vers Multimédia et donc d'un transfert de dettes sociales à tout le moins;
- après la vente par Seleco des deux tiers de ses actions dans Multimédia, celle-ci est restée sous le contrôle de Seleco et/ou de Friulia (cette dernière étant elle-même troisième actionnaire de Seleco et ayant accordé à celle-ci un prêt convertible de 12 milliards de ITL).
80. Néanmoins, force est de constater que, dans cette motivation, la Commission ne s'est aucunement exprimée au sujet du prix du transfert, alors qu'elle a elle-même mentionné cet élément dans la décision attaquée comme étant un de ceux qu'il fallait prendre en considération.
81. À cet égard, elle a fait valoir notamment dans sa duplique:
- qu'elle suppose que le prix de la cession de la branche multimédia a été influencé et dicté par les circonstances: en d'autres termes, lors de la fixation du prix de vente et de la valeur des actifs concernés, les parties n'auraient certainement pas pu ignorer qu'elles risquaient d'encourir une procédure au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE et de devoir à terme rembourser les aides qualifiées d'illégales, et
- que, quoi qu'il en soit, le montant du prix de vente n'est pas pertinent dans le cas d'espèce, vu qu'il s'agit d'une opération relative aux actions.
82. Or, pour ce qui concerne la première de ces affirmations, il convient de relever que, ainsi qu'il a été rappelé au point 72 du présent arrêt, la Commission n'a apporté aucune preuve concrète dont il pourrait être inféré que l'expert assermenté a pris en compte un tel risque lors de son estimation de la valeur de la branche multimédia.
83. S'agissant de la seconde affirmation, il y a lieu de relever que, s'il est correct que la vente d'actions d'une société bénéficiaire d'une aide illégale par un actionnaire à un tiers n'a pas d'influence sur l'obligation de récupération, la situation en cause en l'espèce est différente de ce cas de figure. En effet, il s'agit de la vente d'actions dans Multimédia, faite par Seleco, qui a créé cette société, et dont le patrimoine bénéficie du prix de vente des actions. Dès lors, il ne saurait être exclu que Seleco ait conservé le bénéfice des aides reçues par la vente de ses actions au prix du marché (voir, à cet égard, arrêt du 20 septembre 2001, Banks, C-390-98, Rec. p. I-6117, points 77 et 78).
84. Il importe en outre de rappeler que la Commission n'a pas, dans la décision attaquée, pris en considération les conséquences de l'obligation pour la République italienne de récupérer les aides illégales auprès de Multimédia à l'égard de la société privée qui a, au cours d'une vente publique judiciaire dans le cadre de la liquidation de Seleco, acheté le dernier tiers des actions dans Multimédia.
85. Compte tenu de ce qui précède, il s'avère que la motivation sur laquelle est fondée la décision attaquée est insuffisante au regard de l'article 253 CE, notamment pour ce qui concerne le caractère prétendument non-pertinent du fait que les actions dans Multimédia ont été achetées à un prix qui semble être le prix du marché, alors même que ce point devait également être pris en considération en l'espèce.
86. Dans ces conditions, il y a lieu d'annuler l'article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée en tant qu'il dispose que la République italienne prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides prévues à l'article 1er auprès de Multimédia, pour la partie qui ne pourrait pas être récupérée auprès de Seleco.
87. Le recours est rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
88. Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Dans l'affaire C-328-99, chaque partie ayant partiellement succombé en ses moyens, il y a lieu de décider que chacune supporte ses propres dépens.
89. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Dans l'affaire C-399-00, SIM Multimédia ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Déclare et arrête:
1) L'article 2, paragraphe 1, de la décision 2000-536-CE de la Commission, du 2 juin 1999, relative à l'aide d'État octroyée par l'Italie à Seleco SpA, est annulé en tant qu'il dispose que la République italienne prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides visées à l'article 1er auprès de Seleco Multimédia Srl pour la partie qui ne pourrait pas être récupérée auprès de Seleco SpA.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Dans l'affaire C-328-99, la République italienne et la Commission des Communautés européennes supportent chacune leurs propres dépens.
4) Dans l'affaire C-399-00, la Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.