Conseil Conc., 28 novembre 2003, n° 03-D-54
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées sur le marché des énergies renouvelables
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Avignon, par M. Nasse, vice-président, Mmes Aubert, Perrot ainsi que MM. Bidaud, Piot, membres.
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE (section I),
Vu la lettre du 9 septembre 1998, enregistrée sous le numéro F 1082, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques d'ententes relevées à l'occasion de la passation de marchés d'électrification de sites isolés par énergies renouvelables dans la région Languedoc-Roussillon; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, par les sociétés Apex, Vergnet, Total Energie et par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER); Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Apex, Vergnet, Total Energie et du Syndicat des Energies Renouvelables, entendus au cours de la séance du 1er octobre 2003; Adopte la décision suivante:
I. - Constatations
A. - Le secteur de l'électrification de sites isolés par énergies renouvelables
L'organisation du secteur
1. En 1993, les pouvoirs publics ont décidé de mettre en place un plan national de développement des énergies renouvelables en France en vue d'électrifier des sites isolés non raccordés au réseau électrique d'EDF et dont le raccordement ne pouvait présenter un intérêt économique, compte tenu de l'éloignement de ces sites du réseau traditionnel. Le ministère de l'Industrie a défini un cadre général pour le lancement de cette opération dont il a confié la mise en œuvre à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et à Electricité de France (EDF).
2. Par un accord du 9 février 1993 reconduit pour une période de trois ans le 14 octobre 1996, l'Ademe et EDF sont convenus d'engager les études nécessaires au repérage des sites à électrifier, et de mettre en place un programme de financement public des réalisations. Le recensement des sites a été réalisé en faisant appel à des entreprises et bureaux d'études spécialisés.
3. Dans la phase de développement des projets, l'Ademe a fourni aux collectivités locales une assistance administrative et financière pour la mise en place des appels d'offre correspondants tandis qu'EDF a apporté son concours technique à la rédaction des cahiers des charges.
4. La procédure, suivie pour la passation des marchés d'électrification des sites isolés par énergies renouvelables, est celle prévue par le Code des marchés publics puisque les collectivités locales demeurent propriétaires du système photovoltaïque ou éolien mis en place. Ces collectivités, seules ou regroupées en syndicat intercommunal ou départemental, assurent la maîtrise d'ouvrage de ces opérations. Après la réalisation des travaux, la collectivité passe une convention avec l'utilisateur pour le rendre responsable du bon usage du système d'électrification installé. En tant que concessionnaire de l'installation, EDF assure l'entretien du matériel et le renouvellement des batteries en contrepartie du versement par l'utilisateur d'une redevance dont le montant est aligné sur celui d'un abonné classique au réseau.
5. Dans les communes de moins de 2 000 habitants, le financement de ces installations est très largement assuré par le Fonds national d'amortissement des charges d'électrification (FACE) qui octroie, après examen du dossier par l'Ademe, une subvention représentant jusqu'à 70 % du montant TTC de l'installation photovoltaïque ou éolienne. Dans les zones urbaines, l'Ademe et EDF financent directement les travaux à hauteur de 50 % de leur montant. Dans les départements d'Outre-Mer, un mécanisme de défiscalisation remplace les aides du FACE, l'Ademe et EDF apportant 25 % du financement de l'investissement initial.
6. Par ailleurs, l'Union européenne s'est dotée d'un programme, dénommé Thermie, destiné à soutenir des opérations innovantes dans le domaine de l'utilisation rationnelle de l'énergie. Dans ce cadre, des appels à proposition sont régulièrement publiés, la décision d'accorder une subvention à un projet étant prise par un comité présidé par la Commission européenne et formé des représentants des Etats membres. Au plan national, la position des autorités françaises au sein du Comité européen de sélection est prise après consultation de diverses personnalités issues de l'administration ainsi que des organismes techniques et professionnels impliqués dans ce secteur. La "subvention Thermie" est allouée, sur présentation d'un projet, à la mise en œuvre sur un site donné d'un procédé technique, site et procédé étant sélectionnés par le comité. Elle peut être allouée à un même procédé mis en œuvre sur plusieurs sites. La subvention est directement versée à l'entreprise, après réalisation des ouvrages, sous forme d'un pourcentage de 20 à 25 % de la valeur des travaux. En 1993, un financement complémentaire a ainsi été assuré pour 70 sites situés essentiellement dans le département des Alpes-Maritimes.
7. Le 24 février 1993, les principaux opérateurs français agissant dans le domaine des énergies renouvelables ont créé le Syndicat des Industriels et Professionnels Français des Energies Renouvelables (Siprofer) devenu en 1998 le Syndicat des Energies Renouvelables (SER). A l'époque des faits, les sociétés adhérentes au syndicat sont les sociétés Apex, Total Energie, Vergnet, Photowatt International, Naps France et Giordano ainsi que le bureau d'études Tecsol spécialisé dans les opérations de dimensionnement et de repérage des sites. Dans le cadre de sa fonction de représentation des intérêts matériels et moraux de la profession, le Siprofer a participé au Comité technique de gestion de la charte de qualité mis en œuvre par l'Ademe afin de garantir la pérennité des réalisations et la qualité des prestations offertes aux utilisateurs. Le comité a, notamment, sélectionné les professionnels s'engageant à respecter les critères mentionnés dans la charte.
Les entreprises du secteur
8. Les principaux acteurs sont, d'une part, des constructeurs de matériels photovoltaïques, tels que la société Photowatt, qui fabrique des modules et des panneaux solaires, ou la société Vergnet qui occupe une position de leader en matière d'appareils éoliens de petite et moyenne puissance, et, d'autre part, des assembleurs spécialisés dans la mise en place, le montage et l'entretien des installations.
9. Le GIE Total Energie est la principale entreprise intervenant dans le secteur de l'énergie photovoltaïque. Ayant son siège à Dardilly (69), cette société était, à l'époque des faits, une filiale à 100 % du groupe Total. Son chiffre d'affaires consolidé, de près de 100 MF en 1996, est réalisé pour l'essentiel dans les DOM-TOM où elle possède de nombreuses filiales dont les sociétés Solélec Caraïbes, Solaire Energie et Soléco Borgo.
10. La société Vergnet, qui a son siège social à Malakoff (92), occupe une position de premier plan en matière de construction et d'installation d'appareils éoliens de petite et moyenne puissance. Elle a réalisé de très nombreuses installations en Afrique et en Outre-Mer. Elle a été à l'origine des premières installations réalisées en France, suite au recensement des sites effectué dans le département de l'Aude.
11. La société Apex a été créée, en 1991, à l'initiative d'un groupe de cadres qui avaient souhaité quitter leur entreprise, la société Solelec, après son rachat par la société Total Energie. Filiale à 100 % du groupe BP, elle a son siège à Lavérune (34). Elle est devenue le deuxième assembleur français de matériel photovoltaïque et réalise 80 % de son chiffre d'affaires sur le territoire métropolitain.
12. La société Entreprises Nouvelles Energies (ENE), qui a son siège à Saint-Mamert (30), est une petite société spécialisée dans l'électrification des sites isolés, opérant dans les régions méditerranéennes. Elle soumissionne aussi bien aux marchés de recensement et de dimensionnement des sites isolés financés par l'Ademe et EDF qu'aux marchés d'installation proprement dits.
B. - Les pratiques
La répartition des zones géographiques
13. Un document à en-tête du Siprofer, daté du 30 mai 1994 et signé du président du Siprofer à l'époque des faits, par ailleurs président de la société Tecsol, a été saisi dans les locaux de la société Vergnet. Il est adressé "A tous les adhérents: Apex [Monsieur le représentant de la SA Apex] Vergnet SA - [Monsieur le représentant de la SA Vergnet] Total Energie - [Monsieur le représentant de Total Energie]". Il comporte une liste de départements et de régions répartis entre les entreprises Apex, Vergnet SA et Total Energie. La mention "Confidentiel" y est apposée. Il est ainsi rédigé:
"Messieurs, Pour faire suite à notre réunion du 24-05, je vous prie de trouver, ci-dessous, la répartition des zones géographiques telle qu'elle a été arrêtée.
Pour la bonne forme, je vous remercie de bien vouloir me retourner une copie de la présente, signée et revêtue de la mention "Lue et approuvée".
Une copie des trois lettres signées sera alors transmise à chacun d'entre vous.
Total Energie
Drôme, Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Loire, Rhône, Ain, Haute-Savoie, Savoie, Isère, Pyrénées-Orientales, Pyrénées-Atlantiques, Var, Tarn-et-Garonne, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège.
Corse, Franche-Comté, Champagne-Ardenne, Alsace-Lorraine, Bretagne (STN), Mayenne, Puy-de-Dôme, Haute-Loire.
Vergnet SA
Région Centre, Loire-Atlantique, Vendée, Charente-Maritime, Gard, (hors 18 projets Thermie), Vaucluse, Gironde, Dordogne, Landes.
Aude 100 %
Apex
Lozère, Hérault, Gard (18 projets Thermie), Bouches-du-Rhône, Gers, Lot, Lot-et-Garonne, Tarn, Aveyron, Ardèche (Apex prendra contact avec M. Arnaud X... afin de préserver ses intérêts sur ce département)."
Le document est signé par le représentant de la société Vergnet, avec les mentions manuscrites "Lu et approuvé" et "avec rajout pour Vergnet SA de l'Aude à 100 %".
14. Le représentant de la société Apex a déclaré: "Je ne reconnais pas ce document". Celui du GIE Total Energie a indiqué: "J'ai eu connaissance du courrier du 30 mai 1994 émanant du Siprofer et qui concernait un projet de répartition des zones géographiques entre Total Energie, Vergnet SA et Apex. Je n'ai jamais adhéré à ce projet, compte tenu de l'historique extrêmement conflictuel entre Apex et Total Energie." Un des responsables de la société Vergnet a exposé: "Quand cette répartition géographique est intervenue entre Apex, Total Energie et Vergnet, il existait un problème technique particulier pour les systèmes d'électrification par énergies renouvelables qui résidait en une certaine inconnue quant à la durée de vie du système ... La répartition géographique a donc été organisée autour de cette idée de maintenance et elle est donc liée à l'implantation des entreprises Apex, Total Energie et Vergnet..." Le président directeur général du bureau d'études Tecsol a confirmé: "Le courrier du 30 mai 1994 faisait suite à une réunion du Siprofer et participait à une définition des zones d'influence entre les principaux intervenants en matière d'installations photovoltaïques ou éoliennes. Cette répartition a été demandée par les professionnels."
L'accord entre le GIE Total Energie et les sociétés Apex et Vergnet sur l'attribution des projets FACE dans la région Languedoc-Roussillon
15. Un compte rendu, daté du 13 juillet 1995 et rédigé par le représentant de la société Vergnet (désignée par les lettres VSA), a été rédigé à l'occasion d'une réunion au Siprofer entre les responsables des trois sociétés mentionnées ci-dessus. On peut y lire:
"Accord (oui I) sur VSA Aude
Gard 1re tranche FACE
VSA 6 sites
Apex 5 sites
2e tranche et suivantes
1/3 VSA
2/3 Apex" mais
Sur les mêmes bases c'est-à-dire que chacun se bat pour apporter des sites au FACE les 2/3 1/3 ne valent qu'à l'origine.
VSA Aquitaine, Centre"
Le paragraphe suivant comporte la mention: "Eolien
VSA peut prospecter
toutes zones..."
En page 2 de ce document, sous l'indication "YP [employé de la société Vergne] journée du 18", il est ensuite fait référence à un accord entre les sociétés Apex et Total Energie (désignée par les lettres TE) qui doit être annoncé à l'occasion de la réunion du 18 juillet 1995 organisée par l'Ademe Provence-Alpes-Côte d'Azur avec les sociétés Apex, Vergnet, Total Energie et Tecsol. Il est ainsi mentionné:
"Faire part de cet accord. Fermement Entre Apex et TE
Objectif: 60 TE 30 Apex des projets FACE
Démarrage sur base accords géographiques avec aménagement si ces proportions ne sont pas atteintes".
16. Le président directeur général de la société Apex a déclaré: "La réunion du Siprofer en 1995 a eu lieu et faisait suite au conflit avec M. le responsable du GIE Total Energie. Ce conflit mettait en cause le fonctionnement du Siprofer dont j'étais alors président.
Suite à cette réunion, il n'y a pas eu accord portant sur une répartition du marché FACE du Gard, en dehors du groupement Apex/Vergnet."
17. Le représentant de la société Total Energie a ajouté: "En ce qui concerne la rencontre entre moi-même et MM. les représentants de la SA Vergnet et de la SA Apex, elle faisait suite à une réunion du Siprofer. L'objet principal de la réunion entre les trois responsables de sociétés portait sur le marché du Gard. Vergnet SA et Apex souhaitaient savoir comment s'organiser dans le cadre de leur offre de groupement. J'ai assisté en témoin à cet échange. Les mentions relatives à la journée du 18 procèdent de la même logique que le projet de répartition du marché précité. Il s'agit encore de la même volonté d'Apex de faire pression pour pénétrer le marché, pour en revendiquer une part plus importante. Je rappelle que Total Energie n'adhère pas à cette démarche.
En ce qui concerne les notes manuscrites relatives à l'éolien, je les interprète comme un souhait de M. le représentant de la SA Vergnet de voir nos structures faire la promotion de ses produits."
Les accords commerciaux entre les entreprises
18. Le 20 mars 1994, un responsable de la société Vergnet a rédigé le compte rendu d'une réunion avec des représentants de la société Total Energie dont l'objectif était de faire le point des actions techniques et commerciales possibles. Ce document, dans le chapitre "Accords commerciaux" précise:
Total Energie "souhaite travailler avec nous en éolien
- Polynésie
- Réunion
voudront un accord signé ... ou parlé plutôt de collaboration. Souhaite découpage France, mais n'a rien envoyé à Tecsol."
19. En octobre 1996, les sociétés Apex et Total Energie ont signé avec une société d'investissement, la SIIF, un contrat de fourniture de matériel et de sous-traitance pour les marchés des énergies renouvelables des trois départements d'Outre-Mer et de la Polynésie française aux termes duquel non seulement: "Apex s'oblige à se concerter avec SIIF et Total Energie et, le cas échéant, l'ensemble des autres partenaires du projet décrit à l'exposé préalable pour toute action commerciale, publicitaire ou à caractère technique susceptible d'avoir une incidence sur le déroulement dudit projet", mais encore "... s'interdit de concurrencer, directement ou indirectement, SIIF ou Total Energie sur l'ensemble des départements et territoires d'Outre-mer, pour tout projet de défiscalisation faisant appel à des investisseurs, et notamment bénéficiant des dispositions de la loi relative aux investissements réalisés Outre-mer, relatif à la vente ou l'exploitation d'énergie photovoltaïque ... "
Le rôle du Siprofer
20. L'envoi du courrier du 30 mai 1994 est expliqué ainsi par la société Total Energie:
"Ce document fait suite à des incitations du Siprofer, suite à des manœuvres d'Apex visant à obtenir une plus grosse part du marché, en visant en priorité les zones de proximité correspondant au Sud de la France ... Je faisais peser une menace permanente de quitter le Siprofer, car j'estimais que ce n'était pas son rôle d'organiser le marché."
21. De leur côté, deux responsables de Photowatt se sont expliqués sur le départ de leur société du syndicat professionnel: "Ce syndicat procède d'une optique de marché protégé
La raison de notre départ est que cet organisme voulait avoir des activités qui ne dépendaient pas d'un syndicat professionnel telles que: négociations et gestions de contrats."
22. Enfin, le directeur de la société ENE, qui a déposé une plainte auprès de la DGCCRF à propos des conditions d'attribution du marché du Gard, a déclaré: "En 1995, nous avons réalisé 12 installations. Notre chiffre d'affaires a été de 2,1 MF. ENE connaît des difficultés depuis 1994 (CA en diminution de 25 %) dues à mon sens à des faits liés qui sont l'accord cadre Ademe/EDF de février 1993 qui a décidé de subventionner à hauteur de 95 % les installations solaires, l'installation fin 93 d'Apex à Montpellier et la création du syndicat Siprofer. Alors que le marché s'œuvre avec le large subventionnement, il se referme pour nous comme pour d'autres et cela au bénéfice des adhérents du Siprofer". A propos des études de dimensionnement, il a indiqué: "C'est le bureau d'études Tecsol de Perpignan qui a obtenu le marché (de dimensionnement). Il l'a fait sous-traiter en fait à des concurrents Apex et Vergnet qui ont pu ainsi avoir accès à des sites avant de pouvoir répondre aux appels d'offres d'installation."
23. La société ENE a aussi dénoncé le fait que son adhésion au Siprofer a été refusée par l'assemblée générale de cet organisme. Son président, par lettre du 26 décembre 1994, a précisé les raisons de ce refus: "Vous avez bien été candidat à l'adhésion au Siprofer au même titre que deux ou trois autres installateurs et l'assemblée générale du Siprofer a décidé, compte tenu du faible nombre de candidats, qu'il était impossible de constituer un collège de membres associés, comme cela avait été envisagé par mon prédécesseur. A ce jour, vous n'êtes donc pas membre du Siprofer, votre candidature n'ayant pas été acceptée par l'assemblée générale de notre association."
Le marché du Gard
24. Le Syndicat mixte départemental d'électricité du Gard, prenant en compte, d'une part, l'étude de dimensionnement des sites réalisée par la société Tecsol et, d'autre part, les enquêtes internes de faisabilité menées par EDF, a décidé en novembre 1995 de lancer une procédure de passation de marché public pour l'électrification de 12 sites par des installations de type photovoltaïque ou éolien.
25. Ces installations incluaient:
- la conception technique, la fourniture, la pose et la mise en service des générateurs
- la réalisation de l'ensemble des ouvrages nécessaires au bon fonctionnement de l'installation, notamment du système de régulation et de gestion de l'énergie, d'acquisition et de transmission de données
- les travaux connexes d'installation intérieure et de génie civil.
26. Pour l'équipement éolien, compte tenu du faible montant du marché (inférieur à 700 000 F) et du nombre restreint d'entreprises spécialisées en matière éolienne, le maître d'ouvrage avait prévu de passer un marché négocié pour les deux sites concernés. L'entreprise Vergnet était la seule à avoir remis une offre et a été déclarée attributaire, le 26 janvier 1996, pour un montant de 699 410,05 F.
27. Pour les dix sites isolés à électrifier par énergie photovoltaïque, la collectivité, sur la base d'études de dimensionnement réalisées en 1994 par la société Tecsol, a retenu la procédure d'appel d'offres restreint. Le marché a été publié dans le bulletin officiel des annonces légales (BOAMP), le 14 novembre 1995; la date limite de réception des candidatures étant fixée au 1er décembre 1995 et celle de réception des offres le 12 janvier 1996.
28. Sur un total de 11 candidatures, la commission d'appel d'offres a retenu les candidatures des entreprises Total Energie, ENE ainsi que celle du groupement Apex/Vergnet, comme étant les seules à présenter un dossier complet et à disposer des références exigées.
29. Les soumissions déposées ont été les suivantes:
EMPLACEMENT TABLEAU
30. Le représentant de la société Vergnet a déclaré, le 14 mars 1997, aux enquêteurs:
"Suite au groupement avec la société Apex, les deux financements obtenus dans le cadre de Thermie par Apex et Vergnet ont été regroupés pour être pris en compte dans le montant de la soumission proposée pour le marché d'appel d'offres du Gard de janvier 1996. Total Energie, acteur du projet Transeuropéo, bénéficiait de la même remise que la société Vergnet et pouvait donc aussi soumissionner avec un rabais de 21 %.". La soumission déposée par le groupement s'est révélée la moins disante, bien que supérieure de 2,73 % à l'estimation du maître d'ouvrage. Par délibération du 4 mars 1993, la commission d'appel d'offres a désigné le groupement Apex/Vergnet, moins-disant, comme attributaire du marché.
31. Les sociétés ENE et Total Energie n'avaient pas engagé de procédure dans le cadre du programme Thermie.
32. Un document saisi dans le dossier d'appel d'offres de la société Apex montre que, lors de l'exécution du marché, les sociétés Apex et Vergnet se sont partagées à égalité les sites à électrifier par énergie photovoltaïque, la société Vergnet assurant l'électrification du site électrifié par énergie éolienne.
33. Cette répartition des travaux est confirmée par un document de l'Ademe Montpellier que décrit le tableau général des sites réalisés dans la région Languedoc-Roussillon. Pour l'ensemble de la région, le nombre de marchés d'électrification, financés par le FACE et réalisés en 1995, a été respectivement de 12 pour la société Apex (1 dans l'Aude, 5 dans l'Hérault et 7 dans le Gard) et 6 pour la société Vergnet (1 en Lozère et 5 dans le département du Gard). La société Total Energie n'a pas obtenu directement de marchés dans cette région mais a été sous-traitante de quatre marchés dans l'Hérault pour le compte de la société Spie Trindel.
C. - Les griefs notifiés
34. Sur la base des constations qui précèdent, deux griefs ont été notifiés sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce:
Il a été reproché "à la SA Apex, à la SA Vergnet, au GIE Total Energie d'avoir mis en œuvre et participé sous l'égide du syndicat Siprofer, à des échanges d'informations ayant pour objet la répartition entre les membres de l'entente des marchés d'électrification par énergies renouvelables financés par le FACE, particulièrement dans le département du Gard, et pour effet, notamment par le dépôt d'une offre de couverture sur ce dernier marché, de limiter la concurrence sur ces marchés en trompant le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence".
Il a été reproché "au Syndicat des Energies Renouvelables (Siprofer) d'avoir, en refusant de manière discriminatoire et non transparente l'adhésion de l'entreprise ENE, empêché cette entreprise de bénéficier de l'ensemble des informations techniques et financières lui permettant de soumissionner utilement au marché d'électrification par énergies renouvelables du département du Gard. Cette pratique a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence sur ce marché".
II. - Discussion
A. - Sur la procédure
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'habilitation, de compétence et de délégation hiérarchique des fonctionnaires ayant recueilli les documents et les déclarations de la société Apex
35. La société Apex avance que les enquêteurs ne possédaient pas d'habilitation nominative pour effectuer les opérations de visite et saisies et que, par ailleurs, ils sont intervenus dans un ressort territorial hors de leur champ géographique de compétence et sans délégation valable de leur chef de service.
36. L'article L. 450-1 du Code de commerce dispose que "Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'Economie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du présent livre". Les fonctionnaires de catégorie A et B, placés sous l'autorité du directeur de la DGCCRF et habilités à procéder aux enquêtes, sont désignés nominativement par arrêtés signés du ministre de l'Economie. Aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige les enquêteurs à présenter une habilitation nominative lorsqu'ils se présentent dans les locaux.
37. Le procès-verbal établi à la suite de l'intervention des enquêteurs, en date du 11 février 1997, indique expressément que les enquêteurs ont agi sous l'autorité de leurs responsables administratifs, soit le chef de la Brigade interrégionale d'enquêtes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Languedoc Roussillon - Corse et le chef du service régional de la DGCCRF à Montpellier. Les fonctionnaires habilités sont donc intervenus dans le champ de leur compétence géographique et sous l'autorité de leur hiérarchie. Le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de définition précise du marché pertinent
38. La société Apex considère que le marché pertinent affecté n'est pas précisément défini dans la notification de griefs et que cette imprécision porte atteinte aux droits de la défense puisqu'elle n'a pas été en mesure de savoir s'il lui est reproché d'avoir participé à une entente sur le marché du Gard ou sur le marché national, c'est-à-dire de connaître le reproche qui lui était adressé. Cette équivoque est, selon elle, contraire aux termes de l'article 6 de CEDH.
39. La notification de griefs expose dans sa partie 3.1 - analyse des pratiques: "En conclusion, ces documents révèlent un partage national de ces marchés entre plusieurs entreprises, partage réalisé concrètement dans la région Languedoc-Roussillon et particulièrement sur les marchés de l'électrification des sites isolés du département du Gard". Il était donc clairement fait grief aux entreprises concernées de s'être concertées afin de se répartir les marchés d'électrification des sites isolés au niveau national et d'avoir mis en œuvre cette concertation lors de la passation des marchés relatifs au département du Gard. De jurisprudence constante, chaque appel d'offres organisé pour la passation d'un marché public constitue un marché en soi, le demandeur unique étant représenté par le maître d'ouvrage, dont la demande est exprimée dans les documents contractuels, et l'offre étant constituée par les soumissions des entreprises. Les marchés passés en 1994 par le Syndicat mixte départemental d'électricité du Gard pour l'électrification de 11 sites isolés par énergies renouvelables constituent donc des marchés pertinents. La société Apex ne saurait, en conséquence, valablement alléguer l'imprécision de la définition du marché concerné par les pratiques notifiées pour soutenir que cette imprécision l'aurait empêchée d'assurer sa défense. Le moyen doit être écarté.
B. - Sur les pratiques relevées
En ce qui concerne le refus d'adhésion opposé à la société ENE
40. Le Siprofer fait valoir que la candidature de l'entreprise ENE a été rejetée par le conseil d'administration conformément aux statuts parce que cette société ne présentait pas les garanties techniques nécessaires à la qualité des installations. Il ajoute, qu'en tout état de cause, aucune autre société n'a été agréée jusqu'en 1997, compte tenu de l'impossibilité de créer un collège d'entreprises associées.
41. Concernant le handicap qu'aurait pu constituer, pour la société ENE, le fait de ne pas être adhérente du Siprofer, celui-ci soutient que ses membres ne bénéficiaient d'aucun avantage particulier pour l'attribution des subventions européennes. Il cite une lettre du directeur adjoint des énergies renouvelables à l'Ademe, selon laquelle: "L'influence du Siprofer sur les choix de la Commission européenne était donc très faible, voire nulle". Le syndicat précise encore que la charte de qualité à l'élaboration de laquelle il a participé n'avantage en rien ses propres membres et que les travaux qu'il a menés étaient destinés à toute la profession et étaient à la disposition de toutes les entreprises.
42. Les statuts du Siprofer prévoyaient, à l'époque des faits, que les entreprises candidates devaient réaliser au moins 2 millions de francs de chiffre d'affaires dans le secteur des énergies renouvelables et, qu'en tout état de cause, l'adhésion était subordonnée à l'agrément préalable du Conseil d'administration. Le caractère discrétionnaire des conditions d'adhésion est confirmé par le Siprofer dans ses observations. Toutefois, des conditions d'adhésion à une organisation professionnelle discriminatoires et non objectives ne peuvent porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence sur un marché que si cette adhésion est l'une des conditions de l'accès à ce marché ou est susceptible de conférer aux entreprises un avantage concurrentiel déterminant, ainsi qu'en a jugé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 27 mai 2003 (chambre syndicale des entreprises de déménagement et garde-meubles de France).
43. Au cas d'espèce, les éléments du dossier montrent que, dès le mois d'octobre 1994, la société ENE a adhéré à une charte de qualité gérée par un comité technique mis en place par l'Ademe et EDF. Il n'est pas établi que les références professionnelles dont elle a ainsi été en mesure de justifier aient pu être considérées comme inférieures à celles qu'aurait pu lui conférer une adhésion au Siprofer. La commission d'appel d'offres réunie pour la passation de marchés d'électrification de sites isolés dans le Gard a, d'ailleurs, retenu la candidature de la société ENE. Quant à l'accès aux subventions européennes, aucun élément du dossier ne permet de mettre en doute l'indépendance des procédures d'attribution par rapport aux prescriptions du Siprofer. Il n'est d'ailleurs pas allégué que la société ENE aurait sollicité une subvention qui lui aurait été refusée.
44. Ainsi, il n'est pas établi que le refus d'adhésion opposé par le Siprofer à la société ENE soit constitutif d'une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
En ce qui concerne l'entente générale de répartition des marchés d'électrification des sites isolés par énergie renouvelable et sa mise en application dans le département du Gard
45. Le document décrit au paragraphe 13 ci-dessus, daté du 30 mai 1994 "fait suite" à la réunion du 24 mai 1994. Ce document atteste que les entreprises Apex, Vergnet et Total Energie se sont réunies le 24 mai 1994, sous l'égide du Siprofer, et que, au cours de cette réunion, elles ont "arrêté" une "répartition géographique" sous forme de trois listes de régions ou de départements associées à chacune des entreprises. La date de cette "répartition" se situe avant celle du lancement des premiers marchés publics concernés, à savoir les marchés du département du Gard. La répartition arrêtée au cours de cette réunion a été adressée aux trois entreprises concernées par le président du Siprofer qui a demandé que "pour la bonne forme" la répartition arrêtée lui soit retournée par chacun des destinataires, "signée et revêtue de la mention lue et approuvée", afin qu'il puisse en donner à chacun copie, ce qui atteste de la volonté du président du Siprofer de donner à la répartition arrêtée la force d'un engagement formel des entreprises concernées d'avoir à respecter cette répartition. Le document figurant au dossier a, ainsi, été formellement approuvé par le président de la société Vergnet.
46. Un an plus tard, les sociétés Apex, Vergnet et Total Energie se sont à nouveau réunies dans les locaux du Siprofer, comme l'atteste le compte rendu du 13 juillet 1995 décrit au paragraphe 15. A cette occasion, les sociétés Apex et Vergnet sont revenues sur la répartition arrêtée un an plus tôt, en la confirmant pour ce qui concerne le département de l'Aude et la région Centre, attribués à VSA, en regroupant en faveur de VSA les départements de la région Aquitaine antérieurement partagés entre les trois entreprises, et en précisant la répartition du département du Gard pour ce qui concerne les projets financés par le FACE: 5 sites pour l'APEX et 6 pour VSA en première tranche, 1/3, 2/3 pour la seconde tranche et suivantes. Lors de cette même réunion, les sociétés Apex et Total Energie ont, quant à elles, envisagé une répartition globale des projets sur la base de 30 % des projets pour la première et 60 % pour la seconde.
47. La répartition, arrêtée le 30 mai 1994 puis précisée le 13 juillet 1995 pour ce qui concerne les travaux financés par le FACE, s'est concrétisée lors de l'appel d'offres lancé le 14 novembre 1995 par le syndicat mixte départemental d'électricité du Gard. Mais le maître d'ouvrage n'ayant lancé qu'un seul appel d'offres, tous sites regroupés, les entreprises Apex et Vergnet ne pouvaient mettre en œuvre la répartition dont elles étaient convenues en répartissant leurs offres. Elles se sont donc groupées pour répondre à l'appel d'offres unique. Leur groupement a remporté le marché. Elles ont ensuite exécuté les travaux en les partageant entre les deux sociétés, comme le montre le paragraphe 32 ci-dessus, conformément aux notes prises lors de la réunion du 13 juillet 1995, en tenant compte du fait qu'un projet d'électrification par énergie éolienne, qui devait être réalisé par la société Vergnet, a finalement été abandonné.
48. Les faits et les pratiques discutés aux paragraphes 45, 46 et 47 ci-dessus attestent d'une entente entre les entreprises Vergnet SA, Apex et Total Energie sous l'égide de leur syndicat professionnel le Siprofer, sur la répartition nationale des marchés d'électrification des sites isolés puis sur la répartition particulière des marchés relatifs au département du Gard. Le fait, pour des entreprises appelées à soumissionner aux mêmes appels d'offre, d'échanger des informations sur leur intérêt pour telles ou telles zones géographiques, sur le degré de priorité qu'elles accordent à une zone géographique ou sur leur intention de répondre à tel ou tel appel d'offres en particulier, est de nature à fausser le libre jeu de la concurrence dans l'attribution des marchés publics en cause et est prohibé par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. En organisant une telle concertation, un syndicat professionnel sort de son rôle et contrevient également aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
La défense des entreprises et du Siprofer
49. La société Vergnet fait valoir que, après un essai dans le département de l'Hérault en 1995, elle a choisi de se consacrer exclusivement à l'énergie éolienne et n'était donc pas concurrente des deux autres entreprises mentionnées sur le document du 30 mai 1994.
50. Mais la spécialisation de la société Vergnet en énergie éolienne et le fait qu'elle ait, postérieurement à 1995, renoncé à diversifier son activité dans l'énergie photovoltaïque ne démontrent pas son absence d'intérêt, à l'époque des faits, pour cette dernière forme d'énergie. En décembre 1995, elle faisait d'ailleurs le compte-rendu suivant d'un séminaire sur l'énergie photovoltaïque organisé par l'Ademe et auquel elle participait: "il est clair que notre situation apparaît comme confortable. Nous existons en PV et récolterons quelques miettes mais surtout semblons incontournables en éolien".
51. Les sociétés Apex et Total Energie affirment qu'elles n'ont pas signé le document envoyé par le Siprofer le 25 mai 1994 et ne l'ont pas retourné. Les deux sociétés font, de plus, valoir que leurs relations ont toujours été très mauvaises, la société Apex ayant été créée par des cadres ayant quitté la société Solelec au lendemain de son acquisition par Total Energie. Selon elles, ce conflit rendait impossible tout accord de répartition entre elles. La société Total Energie expose par ailleurs que, compte tenu de sa position de leader dans le secteur des installations photovoltaïque, elle n'avait aucun intérêt à un partage de marché et que les zones géographiques qui lui auraient été attribuées selon le document du 30 mai 1994 correspondent de fait aux zones dans lesquelles elle était déjà implantée. S'agissant du compte rendu de réunion du 13 juillet 1995, elle affirme qu'il s'agit d'un document purement interne d'un collaborateur de la société Vergnet, au demeurant peu clair et qui, en conséquence, ne lui est pas opposable.
52. La société Apex prétend qu'à supposer qu'il y ait eu entente, celle-ci n'a été suivie d'aucun effet ni sur les marchés du Gard ni sur les marchés nationaux. En s'appuyant sur un tableau récapitulatif de l'ensemble des marchés FACE de 1994 à 2002, elle produit la liste de 32 départements dans lesquels les marchés ont été attribués en définitive à une autre société que celle initialement désignée dans le document analysé au paragraphe 15. Elle indique aussi que la répartition en pourcentage de ces marchés n'a pas été, entre elle et Total Energie, de 30 % et 60 % mais en réalité de 45 % et 48 %.
53. Cependant, même si les sociétés Apex et Total Energie se sont refusées, comme elles l'affirment, à revêtir de leur signature et de la mention "lue et approuvée" la répartition arrêtée lors de la réunion du 24 mai 1994, elles ne contestent pas avoir participé à cette réunion, au cours de laquelle la répartition a été arrêtée, comme l'indique le président du Siprofer dans son courrier du 30 mai suivant. En tout état de cause, même dans l'hypothèse où les sociétés Apex et Total Energie auraient contesté les termes de ce compte-rendu, ou changé d'avis postérieurement à cette réunion, les échanges d'information auxquels elles avaient ainsi procédé sont susceptibles d'avoir modifié leur comportement lors de leurs soumissions aux appels d'offre sur les marchés visés.Le président du syndicat précise, par ailleurs, que ce n'est que "pour la bonne forme" qu'il attend le retour du document signé. En outre, si la répartition arrêtée le 24 mai 1994 l'avait été de façon radicalement contraire à leurs volontés et n'avait été le fait que de l'entreprise Vergnet et du Siprofer, sans qu'elles n'y participent en rien, elles n'auraient pas eu de raison de se rendre à la réunion du 13 juillet 1995, au cours de laquelle la répartition de mai 1994 a été confirmée, modifiée ou précisée, notamment pour ce qui allait concerner le département du Gard, par ces mêmes trois entreprises et toujours sous l'égide du Siprofer.
54. Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier et des déclarations faites en séance que, s'il existait bien un contentieux entre les sociétés Apex et Total Energie, sur le rôle joué dans la création d'Apex par d'anciens cadres d'une entreprise absorbée par Total Energie, l'objectif recherché par le Siprofer, à travers la réunion et les documents des 24 et 30 mai 1995, était justement d'apaiser ce conflit. Le contrat de fourniture de matériel et de sous-traitance pour les marchés des énergies renouvelables des trois départements d'Outre-Mer et de la Polynésie française, signé en octobre 1996 par les deux sociétés, atteste que ce conflit, dont les sociétés Apex et Total Energie ont soutenu qu'il était toujours d'actualité au jour de la séance, n'a pas empêché toute coopération entre elles.
55. Enfin, la cour d'appel a rappelé, dans un arrêt du 18 décembre 2001, qu'"un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées, et peut être utilisé comme preuve par le rapprochement avec d'autres indices concordants, d'une concertation ou d'un échange d'informations". Le compte-rendu de la réunion du 13 juillet 1995, tenue sous l'égide du Siprofer, rédigé par le responsable de la société Vergnet, témoigne qu'une répartition des projets FACE entre les sociétés Apex et Total Energie a été étudiée. Cette répartition n'impliquant pas la société Vergnet, il ne peut être soutenu qu'elle n'aurait été envisagée que par elle, à l'insu des sociétés Apex et Total Energie et qu'elle n'aurait pas impliqué, entre ces deux sociétés, des échanges d'informations sur leurs stratégies et priorités en matière de développement géographique, de nature à fausser le libre jeu de la concurrence lors des appels d'offres lancés par les collectivités locales pour les marchés publics concernés.
56. Le Siprofer fait valoir que le document daté du 30 mai 1994 est un acte unilatéral de son signataire et qu'il n'engage pas le syndicat. De plus, il soutient qu'une telle répartition des marchés au niveau national ne pouvait avoir aucune incidence puisque les attributaires des marchés ne pouvaient être, dans les faits, que les bénéficiaires des subventions du programme européen Thermie. Enfin, il explique que le développement de l'électrification par énergies renouvelables était récent et que cette filière devait être crédibilisée en mettant l'accent sur la capacité des entreprises à assurer la maintenance des installations. Le développement prioritaire de chaque entreprise dans son secteur géographique devait garantir aux clients un service après-vente de qualité. Il estime qu'en agissant comme il a fait, il jouait pleinement son rôle de promoteur des énergies renouvelables, industrie alors nouvelle et peu connue du public.
57. Concernant le rôle joué par le Siprofer dans l'organisation de la concertation, il est attesté par les réunions des 24 mai 1994 et 13 juillet 1995, tenues dans ses locaux et sous son égide, par le document du 30 mai 1994, signé du président du syndicat, ainsi que par plusieurs déclarations. La société Total Energie déclare ainsi, à propos de l'envoi du courrier du 30 mai 1994: "Ce document fait suite à des incitations du Siprofer, suite à des manœuvres d'Apex visant à obtenir une plus grosse part du marché, en visant en priorité les zones de proximité correspondant au sud de la France ... Je faisais peser une menace permanente de quitter le Siprofer, car j'estimais que ce n'était pas son rôle d'organiser le marché". Par ailleurs, deux responsables de Photowatt se sont expliqués sur le départ de leur société du syndicat professionnel: "Ce syndicat procède d'une optique de marché protégé ... La raison de notre départ est que cet organisme voulait avoir des activités qui ne dépendaient pas d'un syndicat professionnel telles que: négociations et gestions de contrats". Le président directeur général du bureau d'études Tecsol a confirmé, pour sa part: "Le courrier du 30 mai 1994 faisait suite à une réunion du Siprofer et participait à une définition des zones d'influence entre les principaux intervenants en matière d'installations photovoltaïques ou éoliennes. Cette répartition a été demandée par les professionnels".
58. S'agissant, en outre, de l'incidence du programme Thermie sur la mise en concurrence des entreprises dans le cadre des appels d'offres organisés par les collectivités locales pour la passation des marchés publics correspondants, il y a lieu de relever que lorsqu'une entreprise attributaire de la subvention répond à un appel d'offres, elle doit choisir un prix intermédiaire entre deux extrêmes: soit proposer son prix normal, c'est-à-dire le prix qu'elle aurait proposé sans subvention, de façon à conserver pour elle-même la totalité de la subvention, mais elle court alors le risque de ne pas être la moins disante et de ne remporter ni le marché ni la subvention, soit proposer son prix normal diminué du montant de la subvention. Elle a, alors, la quasi-certitude de remporter l'appel d'offres, mais c'est le maître d'ouvrage qui bénéficie de la subvention et non elle-même. L'entreprise subventionnée doit donc arbitrer entre la part de la subvention qu'elle conserve pour elle-même et la part qu'elle rétrocède au maître d'ouvrage en baissant son prix, compte tenu des risques que comporte cet arbitrage au regard de l'attribution du marché. La présence d'une subvention n'élimine donc pas l'incertitude inhérente à l'appel d'offres à condition que les entreprises ne s'informent pas au préalable sur leurs intentions. Ce raisonnement, valable lorsqu'une seule entreprise est susceptible d'être subventionnée, l'est encore davantage lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, plusieurs entreprises peuvent présenter des projets concurrents auprès de la Commission européenne. Il a, de plus, été soutenu en séance que, pour les appels d'offres lancés postérieurement à celui du Gard, il était fréquemment arrivé que plusieurs entreprises soumissionnaires aient reçu l'assurance de bénéficier d'une subvention du programme Thermie pour leur projet, cette subvention n'étant débloquée qu'en cas de réalisation effective du projet. L'attribution de subventions dans le cadre du programme Thermie n'est donc pas de nature à justifier que les entreprises, en se concertant préalablement aux appels d'offre, faussent les résultats des mises en concurrence organisées par les collectivités locales.
59. La contrainte représentée par la maintenance des installations ne peut non plus être considérée comme suffisamment impérieuse pour justifier une répartition géographique des zones d'intervention. S'agissant des projets financés par le FACE, un accord intervenu entre l'Ademe et EDF à l'occasion d'un groupe de travail réuni en octobre 1995 et communiqué au Siprofer, ainsi qu'à tous les intervenants du secteur, précisait, d'ailleurs:
"Le coût de la maintenance de l'installation est intégralement pris en charge par EDF, au même titre que la maintenance du réseau électrique national : l'usager devient en effet client, abonné d'EDF au même titre que n'importe quel autre abonné ... Tout comme dans le cas des zones rurales, EDF a désormais acté le principe d'intégrer à la concession les installations de production décentralisée par énergies renouvelables, même si celles-ci n'ont pas été aidées par le FACE. Le problème de la maintenance des installations autonomes est donc résolu."
60. La société Apex justifie, dans ses observations, le groupement constitué avec la société Vergnet pour la soumission à l'appel d'offres lancé le 14 novembre 1995 par le syndicat mixte départemental d'électrification du Gard, par le fait que, compte tenu de la taille modeste de la société, de la lourdeur des contraintes administratives et techniques imposées par le programme Thermie et de l'obligation de maintenance mise à la charge des offreurs, elle n'aurait pas pu seule présenter une offre techniquement satisfaisante. En séance, en revanche, son représentant a soutenu qu'elle était tout à fait capable de réaliser seule les 10 projets concernés, d'autant qu'elle était la seule à avoir demandé et obtenu une subvention dans le cadre du programme européen Thermie, mais que le maître d'ouvrage, arguant de son manque de références, lui aurait demandé de s'associer à une autre entreprise.
61. L'analyse des marchés, passés dans d'autres départements pour des projets aussi importants au plan de la puissance des équipements installés et de la complexité des agencements, montre au contraire que chacune de ces entreprises a, par la suite, réalisé seule des installations comparables à celles des dix sites prévus dans le marché du syndicat mixte départemental du Gard. Il n'existe, par ailleurs, au dossier aucune trace de l'exigence du maître d'ouvrage dont excipe la société Vergnet. L'absence de justification à la constitution de ce groupement, rapprochée des compte-rendus des réunions des 24 mai 1994 et 13 juillet 1995, prouve que ce groupement n'avait d'autre objet que la réalisation du partage de marché convenu entre les sociétés Apex et Vergnet.
Sur le grief d'offre de couverture notifié à la société Total Energie
62. La société Total Energie justifie le montant de l'offre déposée en réponse à l'appel d'offres lancé le 14 novembre 1995 par le syndicat mixte départemental d'électrification du Gard, par le coût élevé de l'installation à prévoir, compte tenu du fait qu'elle devait faire appel à un sous-traitant et que son agence la plus proche se situait à 230 km des sites à électrifier.
63. En dépit de la participation de la société Total Energie aux concertations ayant précédé la passation du marché relatif aux sites isolés du département du Gard, le dossier n'apporte pas la preuve que l'offre de la société Total Energie aurait été élaborée à la suite d'échanges d'information sur les prix des soumissions préalablement aux dépôt des offres et constituerait donc une offre de couverture destinée à simuler une concurrence entre cette société et le groupement Apex/Vergnet. Cette partie du grief doit donc être écartée en qui concerne Total Energie.
64. Au total, les échanges d'information entre les sociétés Apex, Total Energie et Vergnet, organisés sous l'égide du Siprofer, attestés par les documents rendant compte des réunions des 24 mai 1994 et 13juillet 1995, et visant à une répartition géographique de leurs zones d'intervention, ont eu pour objet de fausser le libre exercice de la concurrence entre elles lors des appels d'offres ultérieurement organisés par les collectivités locales et pour effet de fausser ce libre exercice lors du marché relatif aux sites isolés du département du Gard. Ces faits sont constitutifs d'une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
C. - Sur les sanctions
65. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-4 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite, les dispositions introduites par cette loi dans l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles prévoient des sanctions plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
66. La société Apex estime que le principe de la légalité des peines, imposant la détermination préalable des sanctions encourues tel qu'il est prévu à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, n'est pas respecté dès lors que l'assiette de la sanction ne retient pas son chiffre d'affaires au jour des faits alors qu'il était très sensiblement inférieur à celui réalisé au jour de la décision du Conseil.
67. Aux termes de la Convention européenne des droits de l'homme, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. L'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, disposait que: "Les sanctions pécuniaires sont proportionnelles à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs."
68. Ainsi, le plafond de la sanction pécuniaire légalement applicable est fixé par rapport au chiffre d'affaires hors taxes de l'entreprise en France, au cours du dernier exercice clos, le Conseil devant, cependant, dans la détermination concrète du montant de la sanction qu'il va prononcer, tenir compte de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie ainsi que de la situation individuelle de l'entreprise, notamment, de l'évolution de son chiffre d'affaires et de ses résultats.
69. Les accords visant à se répartir artificiellement les marchés afin de limiter la concurrence par la pluralité des offreurs et par les prix sont graves en eux-mêmes. Ils ont, de plus, été mis en œuvre, dans le cas d'espèce, par les trois principaux acteurs travaillant sur le marché des énergies renouvelables en France dont deux au moins, la société Apex et la société Total Energie, font partie de groupes de dimension nationale et internationale.
70. L'entente nouée entre les entreprises Apex, Vergnet et Total Energie a eu un objet très large dès lors qu'elle a établi des zones d'influence sur une bonne partie du territoire national et de l'Outre-Mer. Cette concertation a, en outre, pris place, dans un contexte d'ouverture de ces marchés, à un moment où ceux-ci sont devenus éligibles aux financements publics tant nationaux qu'européens.
71. Dans la mise en œuvre de cette entente, le Siprofer a joué un rôle d'autant plus actif qu'il a vu dans ces pratiques le moyen d'apaiser les conflits entre ses membres. Loin d'assurer la défense matérielle et morale de toutes les entreprises du secteur, il a agi dans une optique de protection des intérêts de ses membres fondateurs par ailleurs mis en cause pour leur participation à l'entente.
72. La société Vergnet a arrêté, avec les sociétés Apex et Total Energie, une répartition de leurs zones d'intervention respectives. Elle a confirmé sa volonté de concertation en convenant d'une répartition précise, avec la société Apex, des sites à électrifier dans le département du Gard, comme le fait apparaître le compte-rendu de la réunion du 13 juillet 1995, et a mis en œuvre cette répartition par le dépôt d'une offre en groupement avec la société Apex. Son chiffre d'affaires a été de 1 932 591 euros en 2002. En fonction des éléments généraux et individuels appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 4 000 euros.
73. La société Apex BP Solar a arrêté, avec les sociétés Vergnet et Total Energie, une répartition de leurs zones d'intervention respectives. Elle a confirmé cette volonté d'entente en convenant d'une répartition précise, avec la société Vergnet, des sites à électrifier dans le département du Gard, comme en atteste le compte rendu de la réunion du 13 juillet 1995, et a mis en œuvre cette répartition par le dépôt d'une offre en groupement avec la société Vergnet. Elle a, de plus, convenu d'une répartition globale des projets FACE avec la société Total Energie, comme en atteste ce même compte-rendu. Son chiffre d'affaires a été de 22 981 974 euros en 2002. En fonction des éléments généraux et individuels appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 48 000 euros.
74. La société Total Energie a arrêté avec les sociétés Vergnet et Apex une répartition de leurs zones d'intervention respectives. Elle a, de plus, convenu d'une répartition globale des projets FACE avec la société Apex comme en atteste le compte rendu de la réunion du 13 juillet 1995. Son chiffre d'affaires a été de 5 835 396 euros en 2002. En fonction des éléments généraux et individuels appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 12 000 euros.
75. Le Syndicat des Energies Renouvelables, dénommé Siprofer au moment des faits, a contribué de manière active à mettre en place l'entente et à protéger les intérêts commerciaux de ses membres fondateurs. Le montant total des cotisations, perçues en 2002, s'élève à 357 222 euros. En fonction des éléments généraux et individuels appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 4 000 euros.
Décision
Article 1er: Il n'est pas établi que le Syndicat des Energies Renouvelables ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-l du Code de commerce en refusant l'adhésion de la société ENE.
Article 2: Il n'est pas établi que l'offre déposée par la société Total Energie, dans le cadre de l'appel d'offres organisé par le département du Gard pour l'électrification de sites isolés, constitue une offre de couverture prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3: Il est établi que les sociétés Apex BP Solar, Vergnet et Total Energie ainsi que le Syndicat des Energies Renouvelables ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-l du Code de commerce pour ce qui concerne le grief d'entente qui leur a été notifié, hormis la présentation par le GIE Total Energie d'une offre de couverture sur le marché des sites isolés du département du Gard.
Article 4: Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:
- 48 000 euros à la société Apex BP Solar;
- 4 000 euros à la société Vergnet;
- 12 000 euros à la sociétéTotal Energie;
- 4 000 euros au Syndicat des Energies Renouvelables.