CA Paris, 13e ch. B, 24 juin 1998, n° 97-08643
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marie
Avocat général :
Mme Auclair
Conseillers :
Mme Maestracci, M. Fallet
Avocats :
Mes Corone, Chatel, Antonini.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
LE TRIBUNAL, par jugement contradictoire,
- a rejeté l'exception de nullité soulevée par la défense
- a déclaré B Hakim
coupable de publicité illicite en faveur du tabac, faits commis du 1er janvier 1996 au 15 mars 1997, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09/07/1976
et, en application de ces articles,
l'a condamné à 20 000 F d'amende
l'a condamné à payer au Comité national contre le tabagisme, partie civile, la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du CPP
a déclaré la société X civilement responsable de B Hakim
a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
- Monsieur B Hakim, le 3 novembre 1997 contre Comité national contre le tabagisme
- X (Société), le 3 novembre 1997 contre Comité national contre le tabagisme
- M. le Procureur de la République, le 4 novembre 1997 contre Monsieur B Hakim
Décision:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu, Hakim B, la société X, civilement responsable et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention;
Hakim B et la société X, représentés par leurs conseils, demandent par voie de conclusions conjointes, à la cour:
- l'infirmation du jugement entrepris,
- la constatation de la nullité de la citation directe délivrée à la requête du CNCT, faute pour celle-ci de viser le texte de loi réprimant le fait poursuivi;
- de dire et juger que Hakim B ne saurait être déclaré responsable de la publicité parue dans le numéro d'octobre 1996 de la revue "Jeunes à Paris" de même que de la publicité parue dans le guide de l'Office du tourisme d'Avoriaz, lesquelles ne sont pas le fait de la société X,
- dire et juger que la photographie parue dans le catalogue de la société X et représentant un homme vêtu d'un coupe-vent au dos duquel est reproduite la marque Y ne saurait être assimilée à une publicité indirecte en faveur d'une marque de tabac,
- dire et juger, en conséquence, non établi l'élément matériel du délit prévu par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique,
- constater, en tout état de cause, la bonne foi et l'absence d'élément intentionnel d'Hakim B,
- prononcer en conséquence sa relaxe
- débouter le CNCT de l'ensemble de ses demandes
A l'appui de leurs demandes, les concluants font valoir en premier lieu que la citation directe délivrée à la requête du CNCT vise l'article L. 355-28 du Code de la santé publique qui, selon la partie civile, réprimerait les agissements qu'elle dénonce, alors que ce texte ne vise nullement les faits reprochés à Hakim B, mais prescrit l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif;
Ils estiment que l'interprétation que la Cour de cassation donne des dispositions de l'article 551 du Code de procédure pénale interdisait au tribunal de prononcer la peine prévue par l'article L. 355-31 du Code de la santé publique, alors que ce texte n'est pas visé dans la citation du CNCT;
Les concluants ajoutent que la Cour de cassation écarte l'exception de nullité soulevée par le prévenu lorsque la partie civile a communiqué à celui-ci ou à son conseil, le texte réprimant les infractions poursuivies, ce qui n'a pas été fait par le CNCT;
Ils prétendent que contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal, le prévenu ne pouvait avoir connaissance des faits qui lui étaient reprochés, sous le visa de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, alors qu'en réalité il lui est reproché une publicité indirecte en faveur du tabac définie par l'article L. 355-26 du même Code qui n'est pas visé par la partie civile;
En deuxième lieu, qu'il ne saurait leur être reproché d'avoir fait paraître une publicité illicite en faveur de la marque de cigarettes Z au travers de la marque Y dans le numéro d'octobre de la revue "Jeunes à Paris" et dans le guide distribué par l'Office de tourisme d'Avoriaz;
Les concluants prétendent qu'ils n'ont aucune responsabilité dans la publication de l'annonce parue dans la revue Jeunes à Paris qui a été commandée par la société Multipromotions, qui s'est rapprochée de X pour la distribution des voyages et séjours aux fins de promouvoir ses voyages distribués par X, l'annonce ayant été commandée et réglée par la société Multipromotions, cette société étant également responsable de la publicité figurant sur le guide distribué par l'Office du tourisme d'Avoriaz;
Ils critiquent la motivation du tribunal qui a jugé qu'il importe peu que la société X et Hakim B soient ou non les auteurs des publicités, dès lors qu'ils ont contribué à leur diffusion dans les locaux de la société, alors qu'aucun élément du dossier n'établit que ces publications aient été distribuées dans les locaux de la société X;
En ce qui concerne la photographie publiée dans le catalogue de la société X et la remise des coupe-vents litigieux, les concluants soutiennent que la photographie litigieuse occupe une surface de 7 cm X 5 cm dans un catalogue de 40 pages et qu'on y voit un jeune homme revêtu d'un coupe-vent, au dos duquel figure la représentation d'un surfeur et l'inscription en petits caractères "Y", photographie qui a été fournie à la société X par la société Multipromotions et dont la publication se justifiait pleinement puisque l'un des avantages offerts aux clients de X consistait dans la remise à titre gratuit de ce coupe-vent, qui lui avait été fourni par la société Multipromotions et que la société X s'est contentée de remettre aux clients, pour le compte de Multipromotions, cet objet de faible valeur, comme le font tous les distributeurs de tours- opérators;
En ce qui concerne la façon dont pouvait être perçue par le public la dénomination Y, les concluants estiment que le tribunal qui a retenu qu'il est cependant manifeste que des cigarettes sont commercialisées par W sous la marque très voisine de Z dont la notoriété est infiniment plus grande et qu'il apparaît dès lors clairement que les publicités litigieuses sont destinées à être perçues davantage par rapport aux dites cigarettes plutôt qu'aux prestations de voyage, nettement moins connues du public, et pour lesquelles aucune dérogation légale n'est possible, s'est livré à une appréciation subjective qui n'est fondée sur aucun élément précis;
Ils ajoutent que c'est de même arbitrairement que les premiers juges ont estimé que la marque Z de la société W avait une notoriété infiniment plus grande que la marque Y, considération qui, en tout état de cause, ne permettait pas de caractériser l'élément matériel du délit, n'expliquant pas en quoi la marque Y rappellerait un produit du tabac et font observer que la dénomination Y est une marque notoirement connue depuis plusieurs années dans le domaine du voyage et que la présentation de celle-ci est différente, tant dans son graphisme que ses couleurs, de la marque de tabac Z, telle qu'elle figure sur les paquets de cigarettes vendus sous ce nom, le logo de la marque de cigarettes n'étant au surplus pas repris;
Les concluants estiment que pour qu'il y ait publicité indirecte en faveur du tabac, il faut qu'il y ait la réunion de cinq éléments, à savoir:
- le nom
- le graphisme
- la présentation
- la couleur
- l'emblème publicitaire
Le Comité national contre le Tabagisme, représenté par son conseil, demande outre la confirmation du jugement entrepris, la somme de 8 000F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale
Rappel des faits
Le 28 février 1997, le Comité national contre le Tabagisme faisait délivrer une citation directe contre Hakim B et la société X, civilement responsable, aux fins:
- de voir dire et juger Hakim B coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac, prévu par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique et réprimé par l'article L. 355-28 du même Code;
- dire et juger la société X civilement responsable
- sur l'action publique, prononcer les peines prévues par la loi sur les réquisitions de Monsieur le Procureur de la République;
- recevoir le CNCT en son action civile et y faisant droit, condamner Hakim B et la société X à lui payer la somme de 200 000 F en réparation de son préjudice et celle de 8 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
A l'appui de sa demande, il faisait valoir que la marque Z est une marque de cigarettes mondialement connue; que toute publicité en faveur de Z tombe sous le coup de la loi; que le fait de créer une activité intitulée Y constitue selon une jurisprudence constante une publicité indirecte en faveur du tabac; que par arrêt du 22 mars 1995, la Cour d'appel de Paris a condamné les publicités en faveur de Y, notamment à propos de dépliants et prospectus distribués dans les offices de tourisme des stations de sports d'hiver de Courchevel, Tignes et La Plagne;
Que la société X, tout en sachant pertinemment que toute publicité en faveur de Y constitue une infraction continue au mépris des décisions de justice, de réaliser d'abondantes publicités en faveur de cette marque de cigarettes;
Que tous les guides distribués par l'Office du tourisme d'Avoriaz comportent en 4e de couverture, une pleine page de publicité "Y - Saison 1996-1997"; que par ailleurs, toutes les publicités réalisées par X pour la saison 1996-1997 précisent: "cette année, pour chaque participant, nous vous offrons ce coupe-vent"; l'illustration accompagnant cette promesse montre un homme revêtu d'un coupe vent portant en caractères parfaitement visibles: Y; que ces documents sont distribués notamment à Paris dans les locaux de X; qu'ainsi, non seulement des dizaines de milliers de publicités écrites sont distribuées aux consommateurs, mais que ceux-ci sont transformés en supports de publicité en faveur de cigarettes Z;
Que ces faits causent aux intérêts de santé publique qu'il défend un préjudice d'autant plus grave qu'ils se poursuivent depuis des années et s'adressent essentiellement à une clientèle jeune;
Sur ce
Sur l'action publique
Sur l'exception de nullité
Considérant qu'il convient de lier l'incident au fond et de statuer par un seul arrêt;
Considérant que le dispositif de la citation vise l'article 355-25 du Code de la santé publique qui dispose que toute propagande ou publicité, directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite sont interdites;
Que si cette interdiction est sanctionnée par l'article L. 355-31 du même Code et non par l'article 355-28 comme il est mentionné par la citation, les mentions de la citation permettaient au prévenu et au civilement responsable de connaître la peine encourue, l'erreur étant flagrante comme l'a retenu le premier juge;
Qu'il convient donc de rejeter la nullité invoquée par le prévenu;
Sur le fond
Considérant que selon l'article L. 355-26 du Code de la santé publique: "est considérée comme propagande ou publicité indirecte, toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac lorsque par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac;
Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande, à la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, la création de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque cette dérogation";
Considérant qu'il n'est pas soutenu par le prévenu et le civilement responsable que la marque Y n'a aucun lien avec la marque de cigarettes Z;
Considérant que le texte susvisé interdit toute publicité qui a pour finalité de promouvoir un produit du tabac;
Que la marque Y a pour objet d'évoquer par association d'idées la marque de cigarettes;
Que cette association d'idées peut résulter soit du nom, du logo ou de tout autre élément propre à évoquer la marque, sans que ces éléments soient tous réunis;
Que comme l'a retenu le tribunal, la marque de cigarettes Z est suffisamment connue pour que son seul nom rappelle des cigarettes et incite à leur consommation;
Qu'en diffusant ces publicités, le prévenu a nécessairement participé à la promotion illicite d'un produit du tabac;
Que l'infraction est donc caractérisée dans son élément matériel;
Considérant, en ce qui concerne la publication Jeunes à Paris, la page de couverture pliée en deux, porte en première partie une photographie d'un jeune homme vêtu d'un blouson jaune sur lequel est inscrit dans le dos le nom Y et les indications "cadeau, spécial glisse, tournez vite la page", sur la seconde partie repliée se trouve une publicité pour un voyage à la montagne, avec la précision qu'un coupe vent était offert à chaque participant et indiquant que les informations et les réservations sur ce voyage pourraient être trouvées auprès de X;
Que l'infraction de publicité illicite pour cette photographie peut donc bien être reprochée à Hakim B, gérant de la société X, quel que soit le rôle joué par la société Multipromotions dans l'élaboration de cette publicité;
Considérant que le guide distribué par l'Office du tourisme d'Avoriaz et qui comporte une page de publicité Y était distribué dans les locaux de la société X et que là encore, l'infraction en question est imputable à Hakim B;
Que le jugement entrepris doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée, laquelle est équitable;
Sur l'action civile
Considérant que le Comité national contre le tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac, un préjudice dont il lui est dû réparation;
Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu;
Que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le Comité national de lutte contre le tabagisme, partie civile, des agissements de Hakim B;
Que dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles;
Que la demande formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la cour est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 2 500 F;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, du civilement responsable et du Ministère public, Joint l'incident au fond, Rejette les conclusions de nullité de la citation, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant pénales que civiles, Y ajoutant, Condamne solidairement Hakim B et la société X à payer au Comité national contre le tabagisme, partie civile, la somme de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du CPP, Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.