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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 29 octobre 1998, n° 96-01807

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mmes Marie, Content

Avocats :

Mes Fourment, Iweins, Sautelet, Caballero

TGI Paris, 31e ch., du 18 déc. 1995

18 décembre 1995

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire en application de l'article 411 du Code de procédure pénale a déclaré

- F Jacques André coupable de publicité illicite en faveur du tabac, du 29 novembre 1994 au 14 décembre 1994, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09/07/1976

- L Francis coupable de publicité illicite en faveur du tabac, du 29 novembre 1994 au 14 décembre 1994, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09/07/1976

Et par application de ces articles, a condamné

F Jacques André à 50 000 F d'amende,

L Francis à 50 000 F d'amende,

le tribunal a déclaré:

- la X civilement responsable de M. L;

- la Y dite Y, civilement responsable de M. F

Sur l'action civile : le tribunal a reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement L Francis et F Jacques à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et F Jacques la somme de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le tribunal a déclaré la X et Y solidairement responsables du paiement des amendes de leurs dirigeants respectifs et a débouté les prévenus de leurs demandes reconventionnelles.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur L Francis, le 19 décembre 1995 contre CNCT, Comité national contre le tabagisme

X le 19 décembre 1995 contre CNCT Comité national contre le tabagisme

M. le Procureur de la République, le 19 décembre 1995 contre Monsieur L Francis

Y, le 22 décembre 1995 contre CNCT Comité national contre le tabagisme

Monsieur F Jacques, le 22 décembre 1995 contre CNCT Comité national contre le tabagisme

M. le Procureur de la République, le 22 décembre 1995 contre Monsieur F Jacques

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus Jacques F et Francis L, les civilement responsables la société Y et la X et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Francis L et la X (X), demandent à la cour par voie de conclusions conjointes la relaxe de Francis L et la mise hors de cause de la X au vu du contrat de concession de régie publicitaire contenant délégation de responsabilité pénale versé aux débats.

A l'appui de leurs demandes les concluants font valoir

Que la citation du président de Y publicité révèle que le CNCT n'ignorait pas que la X avait concédé à cette société la régie exclusive de l'affichage publicitaire sur ses réseaux.

Que le courrier du CNCT adressé à la X pour lui demander de faire cesser immédiatement la campagne destinées à la promotion des montres W n'est pas parvenu dans un premier temps à Francis L, mais au département juridique de la X, qui a interrogé le régisseur Y publicité. Celui-ci a transmis à la X l'assurance que la campagne litigieuse était licite, la société "Universal Média" ayant notamment reçu de l'annonceur, la société Melco Watch Ltd, une attestation en date du 13 octobre 1993 certifiant que:

- les montres W avaient été mises sur le marché en 1987,

- la société Melco Watch Ltd était une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac.

Ce qui permettait de soutenir que la publicité litigieuse pouvait bénéficier de la dérogation prévue à l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique pour les produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique importe ou commercialise du tabac.

Ils ajoutent qu'il semblait même, dans ces circonstances, que le refus par le régisseur d'accepter de prendre en charge cette campagne aurait pu l'amener à être poursuivi pour refus de vente, infraction prévue et réprimée par l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Que c'est dans ces conditions que le président de la X répondait au CNCT le 16 décembre 1993 (soit 2 jours après la fin de la campagne litigieuse) pour lui faire part de l'analyse juridique de la X.

Francis L et la X soulignent qu'en décembre 1993, la loi du 10 janvier 1991 n'était applicable que depuis quelques mois et qu'aucune décision de justice n'avait encore été rendue pour permettre une interprétation éclairée de la loi.

Que malgré cela le 7 septembre 1994, le CNCT a adressé, par l'intermédiaire de son conseil, un projet de citation directe réclamant 800 000 F de dommages-intérêts faisant part de la prochaine délivrance, sauf transaction que vous "souhaiteriez envisager".

Que la complicité ne concerne que ceux qui, sciemment, prêtent leur aide ou assistance à la préparation ou à la consommation d'une infraction et qu'en l'espèce la X a concédé sa régie publicitaire, qu'elle n'a pas été consultée avant la campagne querellée et qu'elle n'a donc en rien facilité sciemment la commission de l'infraction.

Que surtout contrairement à ce qu'a cru pouvoir estimer le tribunal, l'interprétation de la loi telle qu'elle paraît ressortir aujourd'hui de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, n'était nullement évidente.

Qu'enfin il n'existe pas de complicité par abstention et qu'il est acquis aux débats et non contesté qu'ils n'ont été informés de la difficulté qu'après que les affiches litigieuses aient été apposées dans différentes stations du métropolitain, alors que la loi n'a pas incriminé en l'espèce l'abstention délictueuse.

Dans des conclusions complétives Francis L et la X soutiennent que le tribunal a retenu que Francis L avait été averti dès le 7 décembre 1993 par le CNCT de l'illicéité de la campagne en question et qu'il peut justifier avoir effectué un voyage à Singapour du 5 au 10 décembre 1993, étant observé que le 10 décembre 1993 étant un samedi, il ne pouvait donc être informé de la difficulté que dans la journée du lundi 12 décembre, la campagne d'affichage se terminant le 14.

Qu'au surplus le président de la X n'avait aucune autorité hiérarchique sur la société Y publicité, laquelle était une filiale de Publicis et de Havas chacune à proportion de moitié.

Jacques F représenté par son conseil, demande à la cour par des conclusions d'incident de dire et juger que les pièces extraites d'un dossier pénal, reproduites et communiquées dans l'intérêt du CNCT devront être écartées des débats.

Il ajoute que les documents en question, la plupart rédigés en langue anglaise, sont accompagnés de traductions dont il n'apparaît pas qu'elles aient été effectuées par un traducteur juré et que de même, le contenu des conclusions prises dans l'intérêt du CNCT comportent des citations et des traductions libres de passages extraits de ces documents.

Par voie de conclusions en réplique il fait valoir:

Que les textes en vigueur s'opposent à ce que le CNCT verse aux débats des pièces provenant d'une instruction.

Le concluant estime qu'il est inacceptable de la part du CNCT de justifier la production illicite aux débats de documents extraits d'une information pénale, par une sorte de nécessité dans laquelle il se trouverait placé de vaincre la résistance de "délinquants en col blanc" qui souhaiteraient que des documents soient couverts par un secret de l'instruction éternel, alors qu'il existe une procédure légale et réglementaire permettant la communication régulière au dossier de la cour des pièces litigieuses.

Dans ses conclusions sur le fond Jacques F demande à la cour de:

- Dire et juger qu'aucune "mesure" au sens de la loi du 3 août 1995 n'était encourue par les parties poursuivies, autre que la peine d'amende instituée par les dispositions de l'article L. 335-31 du Code de la santé publique.

- Déclarer en conséquence l'action publique éteinte par application de la loi d'amnistie du 3 août 1995.

- Dire et juger qu'à son égard le Tribunal de grande instance de Paris n'avait été valablement saisi que postérieurement à la promulgation de cette loi d'amnistie à l'issue de la consignation effectuée postérieurement à sa fixation à l'audience du 11 septembre 1995.

- Dire et juger en conséquence que, pour ce qui le concerne le tribunal n'était pas compétent pour statuer sur les intérêts civils par application des dispositions de l'article 21 de la loi du 3 août 1995.

A titre subsidiaire,

Dire et juger, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges, que les montres W ont été mises sur le marché avant le 1er janvier 1990 et que la société Melco Watch, de droit suisse, a une personnalité juridique propre et n'est pas contrôlée par un fabricant de tabac, et est dès lors "juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac".

- Dire et juger qu'ainsi les deux conditions posées par l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 sont réunies, de sorte que la campagne d'affichage était licite.

- Dire et juger qu'aucun élément du dossier ne démontre la création ni l'existence d'un quelconque contrat de licence de marque ou d'un "accord tacite" entre une société important ou commercialisant du tabac et la société Melco Watch.

- Dire et juger que le titulaire de la marque W apparaît être la société WBI.

- Dire et juger en conséquence que rien en l'espèce ne permet de conclure à la caducité de la dérogation instituée par l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée,

- Dire et juger que rien ne permet de douter de l'authenticité de la certification des caractères de distinction juridique et financière de l'annonceur, telle que d'ailleurs les premiers juges l'ont retenu à juste titre.

- Dire et juger que sa bonne foi est totale.

- Dire et juger que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réunis en l'espèce.

- Dire et juger que le CNCT ne justifie pas d'un quelconque préjudice.

Ce faisant,

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel.

- Le relaxer des fins de la poursuite.

A titre infiniment subsidiaire,

- Le dispenser de toute peine.

- Dire que la société Y devra le garantir de toute condamnation qui serait mise à sa charge.

- Condamner le CNCT au paiement de la somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A l'appui de ses demandes le concluant fait valoir:

En premier lieu que la société Y, société de régie publicitaire, s'était vu commander une opération d'achat d'espace par l'agence Universal Media, pour le compte d'un annonceur, la société Melco Watch Ltd, dont le siège est à Zurich, dans le cadre d'une campagne d'affichage visant à promouvoir les montres W campagne d'une semaine appelée à se dérouler sur le réseau du métropolitain du 7 au 14 décembre 1993.

Que le contrat d'achat d'espèce en date du 26 octobre 1993 avait été souscrit après que la société Y ait reçu de la société Melco Watch Ltd une attestation certifiant que les montres W avaient été mises sur le marché en 1987, et que l'annonceur était une entreprise "juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique importe ou commercialise du tabac, ou un produit du tabac".

Qu'ayant été informé que cette publicité était réalisée en violation des dispositions de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, modifié par la loi du 10 janvier 1991, relative à la lutte anti-tabac, il écrivait au CNCT en lui communiquant la copie de l'attestation susvisée de l'annonceur, qui laissait sa lettre sans réponse.

En deuxième lieu que l'infraction poursuivie est amnistiée de plein droit en vertu de l'article 2 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 qui dispose que les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure.

Qu'en l'espèce, dans l'hypothèse où les éléments constitutifs de l'infraction auraient été réunis, seule une peine d'amende aurait été encourue au regard des dispositions de l'article L. 335-31 du Code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991, la suppression, l'enlèvement et la confiscation de la publicité interdite ne constituant pas des "peines ou mesures" au sens de l'article 2 de la loi d'amnistie.

Que c'est donc à tort que le tribunal n'a pas constaté l'extinction de l'action publique.

Que le tribunal ayant été saisi postérieurement à la promulgation de la loi d'amnistie, en application de l'article 21 de ladite loi le tribunal était incompétent pour statuer sur les intérêts civils.

En troisième lieu qu'au soutien de la poursuite le CNCT soutenait que la marque W constituait une diversification illégale de la marque de cigarettes W, que la société Melco Watch Ltd possédait des liens juridiques avec le groupe Reynolds, fabricant de cigarettes et qu'elle incarnait la démonstration de l'existence d'une "filière suisse" destinée à "tourner la loi Evin" dans le cadre d'un plan prémédité mis en place par ce groupe.

Que les premiers juges pour entrer en voie de condamnation ont considéré que le lien juridique qui interdit à une entreprise de bénéficier de la dérogation à l'interdiction de toute publicité directe ou indirecte en faveur d'un produit qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, ont considéré que la loi ne distingue pas selon que le lien a été créé avant ou après le 1er janvier 1990.

Alors que la "dérogation à la dérogation" prévue à la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée, dispose pour l'avenir en ce qu'elle exige un acte positif, consistant dans "la création" d'un lien juridique ou financier et que le législateur n'a pas précisé que l'existence de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque cette dérogation.

Que le texte signifie clairement que la dérogation ne devient caduque que dans la seule hypothèse où, postérieurement à la loi du 10 janvier 1991, un lien juridique ou financier vient à être créé entre l'annonceur et une société qui importe ou commercialise du tabac.

En quatrième lieu que les motifs consacrés par le tribunal, non pas à la création, mais à l'existence d'un lien juridique supposé entre la société Melco Watch et la société WBI ou la société RJ Reynolds ne manquent pas de surprendre, car il ne repose que sur des supputations.

Qu'en effet, le tribunal s'est fondé sur le dépôt à l'INPI de la marque W en date du 19 juin 1987 par la société Worldwide Brand Inc. en diverses classes de produits pour en déduire que cette marque n'aurait pu être utilisée "sans le consentement de ses titulaires (les sociétés WBI et RJ Reynolds Tobacco) sur le territoire français et qu'il en serait résulté qu'il existait nécessairement un lien juridique ou financier entre ces sociétés et la société Melco Watch - contrat de licence exprès ou accord tacite - qui permet seul d'expliquer que la société Suisse ait été en mesure, à grand renfort de publicité, de commercialiser son produit en se servant d'une marque mondialement connue dont elle a très exactement repris la campagne publicitaire.

Alors que la marque W est la propriété de la seule société WBI et que d'une part le dépôt d'une marque auprès de l'INPI a pour seul effet d'accorder à son titulaire un régime de protection dans les termes des dispositions du Code de la propriété intellectuelle, d'autre part l'accomplissement des formalités de dépôt par le propriétaire d'une marque ne signifie pas qu'un usage qui peut en être fait doive s'inscrire "nécessairement" dans un "lien juridique ou financier" entre le titulaire et l'auteur de l'usage.

Que bien plus, le titulaire de la marque en France, la société WBI n'apparaît pas se livrer à l'importation ou à la commercialisation de produits du tabac.

En cinquième lieu, que pour déclarer que les faits lui étaient imputables, les premiers juges ont retenu que le concluant aurait "sciemment procuré au responsable de la société Melco Watch les moyens de commettre une infraction à la loi du 9 juillet 1976 et ont incidemment écarté l'attestation de la centrale d'achat d'espace Universal Media, laquelle n'aurait pas été de nature à l'exonérer de sa responsabilité personnelle selon eux.

Alors que les principaux intervenants de l'opération, à savoir l'annonceur et l'agence conceptrice de la campagne, sont absents de la cause, ce qui rend le procès inéquitable en ce qu'elle a pour effet de tronquer le débat, leur absence étant significative de la démarche employée par le CNCT.

Qu'en présence de l'attestation de la société Melco Watch Ltd précisant qu'elle était bien une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise commercialisant des produits du tabac, on ne saurait faire peser d'autres obligations à la charge du vendeur d'espace, dès lors que celui-ci, comme en l'espèce, a pleinement satisfait à son devoir de vigilance, étant par ailleurs tenu rigoureusement d'honorer les commandes qui lui sont passées.

En dernier lieu, le concluant fait valoir que les chiffres qui étaient avancés par le CNCT à propos du prix de l'espace publicitaire n'avaient strictement rien à voir avec la réalité, la marge brute de Y pour une telle opération se situant autour d'une somme d'environ 150 000 F, le bénéfice retiré étant, bien entendu largement inférieur.

La société X publicitaire des transports parisiens dite Y Publicité représentée par son conseil, demande par voie de conclusions d'incident à la cour de:

- Dire que les pièces extraites d'un dossier pénal et produites par le CNCT au présent débat devront en être écartées,

- Dire que les conclusions du CNCT en ce qu'elles se réfèrent à ces pièces devront être écartées des débats.

- Ordonner, s'il plaît à la cour, le renvoi de l'affaire afin de permettre au CNCT de solliciter la communication régulière aux présents débats de l'ensemble de la procédure en cause et ce, dans les conditions prévues par la réglementation.

- Débouter le CNCT de ses demandes, fins et prétentions.

A l'appui de ses demandes la concluante fait valoir :

- Que la loi du 2 juillet 1931 interdit de publier sous peine d'amende, quelque information que ce soit relative à des constitutions de parties civiles tant qu'une décision judiciaire n'est pas intervenue.

- Que de l'aveu même du CNCT, aucune décision judiciaire n'est encore intervenue.

- Que les pièces communiquées ont été reproduites en violation de l'article 114 du Code de procédure pénale.

- Enfin que ces pratiques sont en contradiction avec le principe du contradictoire et des droits de la défense.

- Que les documents sont en outre extraits de leur contexte, choisis délibérément comme documents à charge alors qu'ils sont qualifiés d'essentiels.

Par voie de conclusions sur le fond la concluante demande à la cour de:

- Dire et juger que les éléments constitutifs de l'infraction poursuivie ne sont pas réunis,

- Déclarer le CNCT mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions, l'en débouter,

- Relaxer Jacques F des fins de la poursuite et ce faisant, mettre purement et simplement hors de cause la société Y Publicité,

- Déclarer recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de la société Y Publicité et y faisant droit,

Vu l'article 472 du Code de procédure pénale,

- Condamner le CNCT à lui verser la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts,

- Condamner en outre le CNCT à lui verser la somme de 50 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A l'appui de ses demandes la Y, dite Y Publicité, reprenant certains moyens de Jacques F, fait valoir :

- Que dans son courrier adressé à la X Autonome des Transports Parisiens le CNCT prétendait que la publicité en cause constituait une publicité visée par la loi car on y retrouvait selon lui "la marque et la couleur d'une marque de cigarettes bien connue" et faisait allusion à une procédure de référé qui aurait abouti dans le cadre d'une campagne similaire à une décision de justice ordonnant l'arrêt de la campagne sous peine d'astreinte, sans cependant joindre cette décision à son courrier.

- Que le conseil du CNCT n'a répondu à aucun des courriers qui lui avait été adressés tant par Jacques F que par le nouveau président du conseil d'administration de la société.

- Que la loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et pré-enseignes dispose en son article 1er :

"Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser informations et idées quelles qu'en soit la nature, par le moyen de la publicité, d'enseignes et de pré-enseignes, conformément aux lois en vigueur...".

- Que l'ordonnance 86-1243 relative à la liberté des prix et de la concurrence dispose en son article 36:

"Qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan:...

... 2; De refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi...",

- Que la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme qui prévoit une dérogation à l'interdiction de toute publicité en faveur du tabac ou des produits du tabacs pour les produits mise sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, la création de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rendant caduque cette dérogation et qu'il n'existe aucune définition légale de la notion de lien juridique et financier entre entreprises,

- Qu'il a été jugé à propos de l'utilisation d'une publicité apposée sur les supports de la société Y Publicité par le groupe d'achats Edouard Leclerc, de la croix verte emblème des pharmacies que le caractère illicite de l'illustration n'apparaissait pas d'une manière suffisamment évidente pour justifier d'un refus d'affichage.

Le civilement responsable souligne qu'aucune indication de l'affiche ne mentionne le tabac, ni le produit, ni sa consommation, qu'à supposer même qu'il existe une analogie entre la marque W Montres et la marque W du fabricant de tabac, l'attestation fournie par l'agence de publicité était la preuve nécessaire à la société Y Publicité, que la publicité en cause rentrait bien dans le champ de la dérogation prévue à l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 qui prévoit l'exception à l'interdiction.

- Que dans ces conditions elle a respecté son devoir de vigilance puisqu'elle s'est fait remettre cette attestation qui jusqu'à preuve du contraire doit être considérée comme exacte et que par suite elle ne pouvait refuser ladite publicité.

- Que n'étant pas et ne revendiquant en aucun cas le rôle de conseil de l'annonceur, elle ne pourrait que constater, si tel était le cas, qu'elle aurait été trompée si publicité était jugée comme contraire à la loi, mais sans que sa responsabilité puisse être recherchée puisqu'elle a obéi à ce devoir de vigilance qui a été défini par la jurisprudence.

Qu'il est de jurisprudence constante que les support ne peuvent être poursuivis que lorsque c'est en connaissance de cause qu'ils ont "imaginé une publicité de mauvaise foi".

- Qu'il incombe au CNCT, ce qu'il ne fait pas, de démontrer le lien financier qu'il invoque.

- Que le CNCT s'étant abstenu d'exercer aucune action pendant la campagne pour la faire arrêter, sa demande ultérieure de se voir attribuer des panneaux

En premier lieu à propos de la dérogation, prévue à l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 (article L. 355-26 du Code de la santé publique) à l'interdiction de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, que l'argumentation des prévenus et des civilement responsables qui revient à affirmer que l'article L. 355-26 du Code de la santé publique aurait été rédigé de façon à préserver des "droits acquis" à la publicité indirecte en faveur du tabac, et que le Tribunal de Paris aurait une interprétation contestable de la notion de "création de tous liens juridique ou financier" rendant caduque la dérogation.

Que cette argumentation n'est pas nouvelle, les prévenus et civilement responsables oubliant que cette argumentation a été écartée par la Cour de cassation.

Il souligne que les dirigeants de WBI et RJ Reynolds Tobacco ont mis au point un plan de fraude pour contourner la législation anti-tabac et maintenir une continuité de communication entre le tabac et les marques sous licences, ce qui démontre selon lui que toute la communication du groupe Reynolds Tobacco en France, notamment par le biais de ses campagnes d'affichage et sur les panneaux de Y est volontairement illégale.

Le concluant ajoute que le WBI France 93-97 Stratégic Plan se donne également comme objectif "le maintien de la continuité de la communication entre les marques RJR et les marques de diversification", plan qui prévoit de "disperser l'utilisation des marques de diversification, de façon à minimiser et séparer les risques juridiques de telles campagnes".

Le CNCT prétend que plusieurs campagnes à caractère délibérément provocateur ont eu lieu sur le territoire français en application de cette stratégie, que l'une de ces campagnes provocatrices a été réalisée sur les panneaux d'affichage du métro parisien par la société Y.

En deuxième lieu que lors de la perquisition en février 1995 chez Reynolds Tobacco France, les policiers ont également saisi une liste des contrats passés par WBI au profit des marques de diversification de W et de Winston, documents desquels il résulte que la société WBI a signé avec la société Melco Watch le 1er avril, 31 mars et 13 septembre 1993 des contrats relatifs aux campagnes en faveur des montres W, créateurs de liens juridiques et financiers postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Que par suite ces campagnes ne peuvent, profiter de la dérogation instituée au profit des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990, puisque des liens juridiques et financiers ont été créés postérieurement à la loi.

En troisième lieu sur la responsabilité personnelle de Francis L et Jacques F, dirigeants de la X et de la société Y que ceux-ci ne sauraient se retrancher derrière les incertitudes existant à l'époque de la campagne sur l'interprétation des dispositions de la loi du 10 janvier 1991, alors que cette argumentation a été écartée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Rappel des faits

La X et la société Y faisaient paraître du 7 au 14 décembre 1993, une campagne d'affichage en faveur des montres W dans l'ensemble des stations du réseau métropolitain parisien.

Cette campagne de publicité comportait deux affiches exposées l'une à côté de l'autre sur les emplacements publicitaires des stations de métro. L'une d'entre elles représentait une voiture tout terrain, type 4X4, à laquelle étaient agrippés quatre hommes. L'inscription W était visible sur la portière de la voiture.

L'autre affiche montrait six hommes portant des vêtements sur lesquels ont pouvait apercevoir l'inscription W.

Les deux affiches comportaient un encart dans lequel figurait une montre surmontée de l'inscription W montres.

Le terme W, en gros caractère était calligraphié de façon identique à la marque de cigarettes W chaque fois qu'il était utilisé sur les affiches.

Les termes Trophy et Montres qui figuraient au-dessous de la marque W étaient plus fins, et le graphisme employé des plus ordinaires.

Le slogan publicitaire apposé sur l'affiche "The legend aventure" (traduit en bas de l'affiche par "la légende de l'aventure" et le thème choisi se référaient au climat d'aventure et d'évasion habituellement associé à la marque W.

Estimant qu'il s'agissait d'une publicité indirecte en faveur d'une marque de cigarette le CNCT faisait citer directement devant le Tribunal de grande instance de Paris Francis L, président du conseil d'administration de la X, Jacques F, président du conseil d'administration de la société Y, en qualité de prévenus, la X et la société Y en qualité de civilement responsables en vue de voir condamnés prévenus à lui payer la somme de 800 000 F à titre de dommages-intérêts. Il demandait également qu'en application de l'article 11 du nouveau Code de procédure civile et 427 et suivants du Code de procédure pénale, les contrats en exécutions desquels avait été menée la campagne publicitaire soient produits sous peine d'une astreinte de 5 000 F par jour de retard.

A l'appui de sa demande le CNCT faisait valoir qu'il avait écrit aux prévenus afin d'attirer leur attention sur les textes de lutte contre le tabagisme et leur demander la cessation immédiate de la campagne illicite, en retirant les affiches, mais que ceux-ci s'étaient bornés à répondre que la campagne publicitaire bénéficiait de la dérogation prévue à l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976.

La partie civile relevait l'existence de liens juridiques et financiers entre la société Worlwide Brand propriétaire de la marque W et la société Reynolds Tobacco.

Sur ce

Sur l'action publique

Sur le moyen tiré de l'application de la loi d'amnistie

Considérant que selon l'article 2 alinéa 1 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure, lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 355-31 du Code de la santé publique, applicable aux faits de la cause, le juge peut également ordonner la suppression, l'enlèvement ou la confiscation de la publicité interdite aux frais des délinquants;

Que dès lors les faits visés à la prévention n'entrent pas dans le champ d'application de la loi d'amnistie et que par suite le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il n'a pas fait application de la loi d'amnistie du 3 août 1995;

Sur le moyen tiré du bénéfice de la dérogation prévue par l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique

Considérant qu'il résulte de ce texte que la dérogation au régime de la publicité indirecte en faveur du tabac, est exclu pour les produits commercialisés, même avant le 1er janvier 1990, par les entreprises qui, sans constituer juridiquement et financièrement une entité avec celle qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, se rattachent à cette dernière par un lien juridique ou financier, fût-il indirect ou occasionnel;

Que ce moyen doit donc être écarté;

Sur le moyen tiré de l'absence de lien financier entre la société Melco Watch et une entreprise fabricant important ou commercialisant du tabac

Considérant que le secret de l'instruction ne peut plus être invoqué après que les pièces tirées d'un dossier d'instruction aient été produites lors de l'audience publique qui a suivi le renvoi devant le tribunal de l'affaire en question;

Que les prévenus ont été mis à même de débattre contradictoirement devant la cour du contenu et de la portée de ces pièces;

Que le récapitulatif des contrats passés avec la société Melco Watch et W Watches a été ainsi produit;

Que le plan stratégique WBI pour la France traduit par Anne Picard traducteur assermenté montre que ce plan qui avait pour objectif l'augmentation des ventes de la marque W prévoyait des manifestations destinées à soutenir la marque par des publicités et par la mise en œuvre d'événements particuliers tel le W Trophy;

Que la société WBI tenait ses droits sur la marque W de la société RJ Reynolds fabricant de tabac;

Qu'il en résulte qu'il existait bien un lien juridique entre la société Melco Watch et la société WBI titulaire de la marque W;

Qu'au surplus, la marque W qui a été déposée ne peut avoir été utilisée sans l'autorisation de son titulaire;

Qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu qu'il ait été fait une utilisation abusive de cette marque par la société Melco Watch;

Sur le moyen tiré de l'erreur de droit

Considérant que le doute dont font état les prévenus sur la portée réelle de l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique ne pouvait conduire un professionnel de bonne foi qu'à s'abstenir de participer à une campagne publicitaire dont le Comité national contre le tabagisme dénonçait le caractère illicite;

Que ce moyen doit donc lui aussi être écarté;

Sur le caractère illicite de la publicité en cause

Considérant que, selon l'article L. 355-26 du Code de la santé publique est considéré comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou le produit du tabac, toute publicité qui par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, lorsqu'elle rappelle le tabac ou un produit du tabac;

Considérant que le mot W qui rappelle sans confusion possible une marque de tabac, était présenté sous la forme du logo utilisé par cette marque;

Que cette présentation flatteuse d'une marque de tabac, constitue une publicité indirecte en faveur du tabac, qui est interdite par le texte susvisé;

Considérant que la liberté d'expression et l'interdiction du refus de vente invoquées par Jacques F ne justifie pas qu'une loi tendant à la protection de la santé publique soit enfreinte;

Que la procédure suivie par le CNCT qui n'a pas fait supprimer la publicité en cause, mais a préféré agir par voie de citation directe est sans incidence sur la constitution de l'infraction;

Qu'il n'avait pas non plus à poursuivre les auteurs principaux de l'infraction pour que celle-ci soit constituée à l'égard des complices;

Considérant que le tribunal a donc retenu à juste titre Jacques F et Francis L à qui il incombait de veiller au respect de la loi interdisant toute publicité en faveur du tabac, dans les liens de la prévention;

Que le jugement prononcé sera confirmé sur la peine prononcée à l'égard de Francis L;

Que toutefois, il sera fait une application plus significative de la loi pénale à l'égard de Jacques F qui se devait d'être plus attentif à l'égard des publicités qui lui étaient proposées en sa qualité de régisseur de publicité;

Que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné solidairement les prévenus et la X et la société Y publicité au paiement des amendes prononcées en application de l'article L. 335-31 du Code de la santé publique;

Sur l'action civile

Considérant que le Comité national contre le tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité de son but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac dont il lui est dû réparation;

Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu;

Que, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le Comité national de lutte contre le tabagisme, partie civile des agissements de Jacques F, Francis L, ainsi que de la X et de la société Y;

Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles;

Que la demande d'une somme de 30 000 F formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la cour, est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 3 000 F;

Sur la demande de Jacques F en application des dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale

Considérant que la condamnation de Jacques F prive de fondement la demande qu'il a formée tendant à voir faire application des dispositions de ce texte qui ne peut bénéficier qu'à la personne citée par la partie civile et qui a été relaxée des fins de la poursuite;

Que cette demande est donc mal fondée;

Sur la demande de Jacques F et Francis L en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

Considérant que les dispositions de ce texte ne bénéficient qu'à la partie civile;

Que cette demande est donc irrecevable;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit les appels des prévenus, des civilement responsables et du Ministère public, Confirme le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité à l'égard de Jacques F et Francis L, sur la peine prononcée à l'égard de Francis L, sur la condamnation solidaire de Jacques F, Francis L, de la X et de la société Y au paiement des amendes et des dommages-intérêts alloués à la partie civile; Le réforme en répression à l'égard de Jacques F : Condamne solidairement avec la société Y, Jacques F au paiement d'une amende de 80 000 F; Y ajoutant; Condamne solidairement Jacques F, Francis L, la X et la société Y à payer au CNCT, partie civile, la somme de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Déclare mal fondée la demande de Jacques F en application de l'article 472 du Code de procédure pénale et l'en déboute; Déclare irrecevables les demandes de Jacques F et Francis L sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable chaque condamné.