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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 15 octobre 2003, n° 2002-08911

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lecolier

Défendeur :

Thore (ès qual.), Manufacture Générale Roannaise (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Faucher, Picque

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Bernabe-Chardin-Chevillier

Avocats :

Mes Bellet, Toulouse.

T. com. Paris, 13e ch., du 6 mars 2002

6 mars 2002

Par contrat du 8 janvier 1996 à effet du 1er février suivant, la société Manufacture Générale Roannaise, anciennement dénommée Marcelle Griffon (société MGR), a consenti pour cinq ans à Marguerite Lecolier, une franchise d'exploitation de fonds de commerce sur le territoire de la ville de Nancy, avec exclusivité. Aux termes d'un autre contrat du même jour, la société MGR a alloué à Madame Lecolier une avance sans intérêts de 200 000 F pour le financement des travaux d'aménagement, remboursable en cinq annuités du 1er janvier 1997 au 1er janvier 2001.

La société MGR a été admise au bénéfice du redressement judiciaire suivant jugement du Tribunal de commerce de Paris du 25 août 1998, converti en liquidation judiciaire le 25 novembre 1999, Me Marguerite de Thore étant désignée mandataire à la liquidation.

Madame Lecolier restant débitrice du franchiseur, la liquidatrice judiciaire l'a attraite le 28 mars 2001, devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre condamner à lui payer ès qualités, 189 494,76 F, augmentés des intérêts au taux légal à compter de l'assignation et anatocisme, outre 5 000 F de frais irrépétibles.

Marguerite Lecolier a reconventionnellement sollicité la résiliation de la franchise au jour du jugement à intervenir, aux torts exclusifs du franchiseur et la condamnation de Me de Thore ès qualités à lui payer 561 860 F correspondant aux pertes sur toute la période contractuelle, majorés des intérêts au taux légal à compter du 15 août 1999 et anatocisme, outre 30 000 F de frais non compris dans les dépens. Subsidiairement, si la résiliation n'était pas prononcée, Madame Lecolier revendiquait la fixation à hauteur de la même somme, de sa créance au passif de la liquidation judiciaire.

Par jugement contradictoire du 6 mars 2002 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société MGR, à compter du 15 août 1999,

- condamné Marguerite Lecolier à payer à Me de Thore ès qualités, 28 888,29 euros (189 494,76 F), majorés des intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2001, avec capitalisation annuelle à partir du 28 mars 2002,

- implicitement rejeté la demande de Madame Lecolier de fixation de la créance de dommages et intérêts au passif de la liquidation judiciaire de la société MGR, en estimant que le préjudice allégué trouvait son origine antérieurement à l'ouverture de la procédure collective et que la créance correspondante était éteinte, à défaut de déclaration préalable dans le délai légal.

Il a mis par ailleurs les dépens de première instance à la charge de la liquidatrice judiciaire ès qualités.

Appelante le 15 mai 2002, Marguerite Lecolier expose, dans des conclusions signifiées le 6 septembre suivant, que la somme réclamée correspond au solde non encore remboursé de l'avance originelle et à des marchandises impayées. Elle soutient la recevabilité de sa demande reconventionnelle en résiliation du contrat de franchise, laquelle est soulevée en tant "qu'exception d'inexécution relative à la transmission du savoir-faire et à l'obligation d'assistance et de conseil" et ne tend pas à la condamnation de l'intimée au paiement d'une somme d'argent ni ne se fonde sur le défaut de paiement d'une somme d'argent par cette dernière. Estimant que ladite demande constitue "une défense à une action tendant à l'exécution du contrat de franchise, elle n'avait pas à produire de créance pour en conserver le bénéfice".

Elle fait valoir que la société MGR:

- a manqué à ses obligations dans l'établissement d'une étude de marché "sérieuse et prudente" en n'ayant pas donné une approche suffisamment avisée du projet, puisque le franchiseur prévoyait un chiffre d'affaires annuel de 1,6 MF pour chacune des trois premières années, alors que celui-ci s'est respectivement élevé à 994 KF, 814 KF et 640 KF de 1996 à 1998, les pertes cumulées s'élevant à 561 860 F,

- a été défaillante dans la transmission de son savoir-faire en n'ayant pas su l'actualiser et en ne l'ayant pas préalablement expérimenté dans ses propres établissements, préférant utiliser les franchisés comme pilotes lorsque le franchiseur a soudainement voulu donner une nouvelle image "élitiste" à la marque Marcelle Griffon en l'éloignant de la clientèle habituelle de femmes mûres,

- a failli dans son devoir contractuel d'assistance et de conseil de la franchisée.

Marguerite Lecolier précise que c'est en raison des manquements "graves et répétés" du franchiseur qu'elle a mis "fin de manière anticipée au contrat de franchise le 15 août 1999" mais soutient que la résiliation prend effet à compter de la décision judiciaire. Elle en déduit être fondée à invoquer le bénéfice de l'article L. 621-32 du Code de commerce (ancien article 40 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985) pour le paiement de l'indemnité de dommages et intérêts réparant le préjudice résultant de la résiliation du contrat, cette dernière intervenant postérieurement au jugement déclaratif ouvrant la procédure collective du franchiseur.

Marguerite Lecolier conclut:

- à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société MGR,

- à son infirmation pour le surplus et sollicite:

* le rejet des prétentions ès qualités de Me de Thore en accueillant l'exception d'inexécution des obligations contractuelles de la société MGR,

* de dire que la résiliation est prononcée à effet du jour du jugement et qu'il serait "inéquitable et injustifié de la contraindre à exécuter elle-même son obligation de régler les factures de marchandises alors qu'elle n'a pas reçu les prestations promises" au titre de la franchise.

L'intimée requiert aussi 6 000 euros de frais non compris dans les dépens et:

- à titre principal, la condamnation ès qualités de Me de Thore sur le fondement de l'article L. 621-32 du Code de commerce, à lui payer 85 655 euros (561 860 F) de dommages et intérêts, augmentés des intérêts au taux légal à compter du 15 août 1999, en réparation des pertes enregistrées,

- à titre subsidiaire, de fixer au même montant, majoré des mêmes intérêts à compter de la même date, sa créance au passif de la liquidation judiciaire.

Intimée ès qualités, Me Marguerite de Thore réplique, aux termes de ses conclusions signifiées le 24 décembre 2002, que la créance alléguée n'est pas véritablement contestée et qu'elle est "certaine, liquide et exigible". Elle estime par ailleurs, qu'il n'est pas nécessaire d'examiner le fond des demandes reconventionnelles de Madame Lecolier, en ce que celles-ci se heurtent aux dispositions des articles L. 621-43 et L. 621-46 (anciens articles 50 et 53 de la loi précitée) qui obligent le créancier à déclarer préalablement ses créances, à défaut de quoi elles sont éteintes.

En revanche, la liquidatrice judiciaire déclare s'en rapporter à justice, en ce qui concerne la demande de résiliation du contrat de franchise.

Me de Thore conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite 4 500 euros de frais non taxables.

Sur ce,

Sur la demande en paiement de Me de Thore ès qualités

Considérant que le quantum de la dette n'est pas discuté, mais que Madame Lecolier prétend échapper à son obligation de payer le prix des marchandises et le solde du remboursement de l'avance de trésorerie en opposant à son créancier l'exception d'inexécution des propres obligations de celui-ci;

Mais considérant que l'exception d'inexécution invoquée, a trait aux obligations réciproques du contrat de franchise lui-même, mais ne porte directement

- ni sur les marchandises livrées, au sujet desquelles l'appelante est silencieuse quant à leur commercialisation et n'offre au demeurant pas de les restituer,

- ni sur l'exécution du prêt objet de l'avance de trésorerie, dont il n'est pas contesté que la société MGR a exécuté son obligation de mise à disposition de la somme correspondante et dont il appartient à Madame Lecolier d'exécuter son obligation corrélative de remboursement selon l'échéancier convenu;

Qu'en conséquence, l'exception invoquée n'étant pas directement en rapport avec les obligations de paiement des marchandises livrées ni de remboursement du prêt, n'est pas pertinente pour s'opposer à la demande en paiement du mandataire liquidateur ès qualités;

Sur la résiliation du contrat de franchise et sa date d'effet

Considérant qu'en appel, Me de Thore ne soulève plus ès qualités, l'irrecevabilité de la demande de résiliation du contrat de franchise et qu'il résulte des pièces du dossier, qu'en cours d'exécution, la société MGR ne s'est pas correctement acquittée vis-à-vis de la franchisée, de ses obligations d'assistance, de conseil et de mise à jour du savoir-faire objet de la franchise, ce que la liquidatrice judiciaire ne conteste plus ès qualités, en se bornant à s'en remettre à la décision de la cour sur la demande de résiliation de la convention;

Que l'urgence peut exceptionnellement obliger le créancier de l'obligation inexécutée d'un contrat synallagmatique à anticiper la résiliation sans intervention préalable du juge, mais en ce cas, avec possibilité du contrôle a posteriori de celui-ci;

Considérant qu'en mettant fin de manière anticipée au contrat de franchise le 15 août 1999, Madame Lecolier l'a, de fait, résilié à cette date, de sorte qu'il convient d'en prendre acte, la cour n'ayant pas à prononcer la résiliation d'un contrat déjà anéanti, mais qu'il y a lieu de déterminer si la résiliation était justifiée et les torts respectifs des parties;

Considérant qu'au moment de la souscription de la franchise en 1996, le franchiseur Marcelle Griffon avait déjà opéré le changement d'image qui lui est aujourd'hui reproché, de sorte que les inconvénients en résultant ne peuvent pas être invoqués par Madame Lecolier;

Mais considérant qu'en présence de l'inexécution non contestée des obligations du franchiseur d'assistance, de conseil et de mise à jour du savoir-faire, la persistance des pertes annuelles sans espoir raisonnable de les compenser ultérieurement par des bénéfices futurs, justifie l'urgence de l'arrêt survenu de l'exploitation du fonds de commerce concerné et la résiliation corrélative de la franchise dont il était l'objet;

Que par ailleurs, cette résiliation est intervenue aux torts exclusifs de la société MGR et, ne résultant pas en l'espèce d'une décision judiciaire mais de la décision unilatérale d'une partie, sa date d'effet est celle de la fin anticipée du contrat de franchise, soit le 15 août 1999;

Sur la demande de dommages et intérêts de Marguerite Lecolier, les frais irrépétibles et les dépens

Considérant, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, qu'il résulte de la lettre du 4 décembre 1997 de Madame Lecolier, que le préjudice dont elle se plaint résultant de la mauvaise exécution du contrat de franchise par le franchiseur, trouve son origine dans des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective de la société MGR;

Qu'il n'est pas contesté que la créance de dommages et intérêts en résultant n'a pas été antérieurement déclarée auprès des organes compétents de la procédure collective, de sorte qu'elle se trouve aujourd'hui éteinte par l'effet de l'article 621-46 du Code de commerce (ancien article 53 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985);

Considérant, par ailleurs, qu'initialement Me Thore était demanderesse ès qualités à l'instance et que Madame Lecolier succombe principalement dans son recours;

Qu'il serait inéquitable de laisser à la liquidation judiciaire la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires que la liquidatrice judiciaire a dû exposer en cause d'appel;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à préciser que le contrat de franchise résilié le 15 août 1999, l'a été à l'initiative de Marguerite Lecolier aux torts exclusif de la société Manufacture Générale Roannaise, anciennement dénommée Marcelle Griffon, Y ajoutant, Condamne Madame Marguerite Lecolier aux dépens d'appel et à verser à Maître Marguerite de Thore ès qualités, 1 000 euros de frais irrépétibles, Admet la SCP Bernabe-Chardin-Cheviller au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.