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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 14 octobre 2003, n° 01-05349

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCOP Disposelec (SA)

Défendeur :

Publi G (SA), Dupont (ès qual.), Kendis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pellegrin

Conseillers :

MM. Derdeyn, Grison

Avoués :

SCP Jougla-Jougla, SCP Divisia-Senmartin, SCP Argellies-Travier-Watremet

Avocats :

Mes Menard, Dabiens, Rolland.

T. com. Vannes, du 8 juin 1994

8 juin 1994

Faits et procédure

Le 10 mars 1993, par acte sous seing privé, la société Kendis concluait avec les sociétés Publi G et Disposelec un contrat de partenariat pour l'exploitation à Vannes d'un magasin d'électroménager télé vidéo et Hifi à l'enseigne Keny.

Par ce contrat la société Kendis, qui obtenait l'entrée dans le réseau Keny, la possibilité d'utiliser l'enseigne, d'obtenir une formation et une assistance commerciale, notamment par une publicité nationale, s'engageait à se fournir exclusivement auprès de la société Disposelec pour les produits référencés par Publi G, et ce, pour 80 % de ses achats.

Rapidement la société Kendis rencontrait des difficultés commerciales et son gérant, Arnaud Dain, après avoir licencié son personnel et liquidé son stock mettait fin à ses activités.

Par jugement du 8 juin 1994 du Tribunal de commerce de Vannes, la société Kendis était placée en redressement judiciaire, puis, par jugement du 6 juillet 1994 de la même juridiction, elle était déclarée en liquidation judiciaire, la SCP Roubenne et Dupont étant nommée liquidateur. Me Dupont était ensuite substitué à cette SCP.

Sur assignation délivrée à la requête de Me Dupont tendant à voir prononcer la nullité du contrat de partenariat sur le fondement des dispositions de la loi du 31 décembre 1989, dite loi Doubin, le Tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement avant dire droit du 28 juillet 1999, désigné M. Trabe en qualité d'expert.

A la suite du dépôt du rapport de l'expert le Tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement du 4 novembre 2001:

- prononcé la nullité des relations commerciales ayant existé entre la société Kendis et les sociétés Publi G et Disposelec,

- condamné solidairement les sociétés Publi G et Disposelec à payer à Me Dupond, ès qualités, la somme de 569 500 F outre intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1997,

- ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

- rejeté la demande de compensation formée par la société Disposelec,

- condamné solidairement les sociétés Publi G et Disposelec à payer à Me Dupont la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 17 décembre 2001 la société Disposelec a relevé appel de cette décision à l'encontre de la société Publi G et de Me Dupont, ès qualités.

Prétentions et moyens des parties

Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 11 décembre 2002 par Me Dupont, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Kendis, le 25 avril 2003 par la société Disposelec et le 4 juin 2003 par la société Publi G.

La société Disposelec demande à la cour de réformer le jugement déféré, à titre principal, de débouter Me Dupont de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, d'ordonner la compensation entre les sommes allouées à Me Dupont avec sa créance déclarée à la liquidation judiciaire, de débouter Me Dupont de sa demande de capitalisation des intérêts, et, en toute hypothèse, de condamner Me Dupont à lui payer la somme de 9 147 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions la société Disposelec soutient, à titre principal, que l'information précontractuelle a été régulièrement donnée et qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, pas plus qu'à la société Publi G, la déconfiture de la société Kendis ne résultant que des fautes de gestion commises par son gérant.

Subsidiairement, la société Disposelec soutient que la compensation doit être ordonnée puisque la créance de dommages et intérêts qui serait allouée à Me Dupont serait directement liée avec le contrat qui a entraîné sa propre créance déclarée à la liquidation judiciaire à la société Kendis.

La société Publi G demande à la cour de réformer le jugement déféré, à titre principal, de dire nul le rapport de l'expert Trabe et de débouter Me Dupont, ès qualités, de ses demandes, à titre subsidiaire, de condamner la société Disposelec à la relever et garantir des condamnations qui pourraient être mises à sa charge et, en toute hypothèse, de condamner Me Dupont à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes la société Publi G fait valoir, à titre principal, que l'expert s'est prononcé sur des appréciations d'ordre juridique et qu'en conséquence, par application de l'article 232 du nouveau Code de procédure civile, son rapport doit être annulé.

La société Publi G fait également valoir que l'information précontractuelle a été complète d'autant que le gérant de la société Kendis était un professionnel avisé du secteur, et qu'elle n'a commis aucune faute, puisque c'était à la société Disposelec de fournir cette information.

Me Dupont, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Kendis demande à la cour de confirmer le jugement déféré, sauf à le réformer en ce qu'il a retenu une part de responsabilité à l'égard de la société Kendis et, en conséquence, de condamner solidairement les sociétés Publi G et Disposelec à lui payer la somme de 173 639,43 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation et anatocisme.

Au soutien de ses demandes Me Dupont fait valoir que l'information précontractuelle n'a pas été complètement donnée, qu'elle ne permettait pas à la société Kendis de donner un consentement exempt de vices.

Me Dupont fait également valoir qu'il n'est démontré aucune faute commise par la société Kendis et que, seules les attitudes des sociétés Disposelec et Publi G sont à l'origine du préjudice subi par la société Kendis.

Discussion

* Sur la nullité de l'expertise soulevée par la société Publi G

S'il résulte du jugement du 28 juillet 1999 que la mission donnée à l'expert Trabe pouvait, par sa rédaction, laisser à penser que le tribunal sollicitait l'avis de l'expert sur des appréciations juridiques que les juges devaient seuls porter, il y a lieu, en réalité, de lever l'ambiguïté de la rédaction et de penser que les premiers juges ont sollicité l'expert afin qu'il vérifie les faits concernant la mise à disposition d'éléments d'information, notamment l'exactitude comptable des éléments fournis à la société Kendis, et qu'ils ne se sont pas départis du pouvoir, qui leur est propre, de déterminer si cette information était conforme à la loi et si, éventuellement, elle avait occasionné un préjudice.

De plus, force est de noter, que la nullité des décisions et mesures d'exécution relatives aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure et, que la société Publi G, qui a discuté devant les premiers juges, par plusieurs jeux de conclusions, le rapport de l'expert Trabe, sans jamais alléguer de sa nullité, ne saurait invoquer devant la cour cette nullité, d'autant d'ailleurs, qu'elle ne fait état d'aucun préjudice résultant de cette mesure d'instruction.

* Sur l'information précontractuelle

Il n'est pas contesté par les parties que le contrat, dit de partenariat, signé entre elles, relève des dispositions de la loi Doubin et de son Décret d'application, actuellement article L. 330-3 du Code de commerce et Décret du 4 avril 1991.

C'est vainement que la société Publi G soutient que seule la société Disposelec était débitrice à l'égard de la société Kendis de l'obligation d'information précontractuelle puisqu'il résulte du contrat que les deux sociétés s'engageaient ensemble à l'égard de la société Kendis: Publi G à fournir l'enseigne contre l'engagement d'achat exclusif de Kendis à l'égard de la société Disposelec.

Il apparaît d'ailleurs que le contrat de partenariat est signé par les trois sociétés, Kendis, Publi G et Disposelec sans que ce contrat ne précise le débiteur de l'obligation précontractuelle et, en conséquence, les sociétés Publi G et Disposelec se trouvaient, de concert, tenues de donner à la société Kendis l'information précontractuelle.

L'information précontractuelle visée par la loi doit permettre au créancier de cette obligation, en l'espèce la société Kendis, désireuse d'entrer dans le réseau Keny de s'engager en connaissance de cause en obtenant une documentation sincère et complète.

Il n'est pas réellement contesté par la société Kendis que, dans le délai légal, elle a obtenu un document répondant formellement aux prescriptions légales et réglementaires puisqu'elle n'a pas argué de faux, la photocopie versée aux débats bien qu'elle ait sommé l'appelante et la société Publi G de verser l'original.

La société Kendis soutient que l'information reçue n'était pas complète et était non sincère puisqu'en réalité elle était fondée sur des éléments anciens, antérieurs à 1991 alors qu'elle s'engageait en 1993, et que le marché en cause avait connu d'importants changements en 1991 et 1992, tant sur le plan national, que dans la région où elle pensait s'implanter.

Les sociétés Publi G et Disposelec reconnaissent que le document d'information précontractuelle correspond à des chiffres de la période 1990/1991 mais elles affirment que, bien que ce document ait été signé par la société Kendis en février 1993, cette société l'avait obtenu début 1992 et que pendant toute cette année 1992, pendant laquelle des pourparlers ont eu lieu, Arnaud Dain, gérant de la société Kendis, avait été admis aux différentes réunions du réseau Keny et qu'il avait alors obtenu toutes les informations sur l'état du marché et du réseau; qu'en conséquence, son information était complète d'autant qu'il s'agissait d'un professionnel expérimenté sur ce même marché.

Il y a lieu tout d'abord d'écarter l'argument tenant au fait de la connaissance personnelle de Arnaud Dain, gérant de la société Kendis, car professionnel du marché de l'électroménager radio Hifi.

En effet, la loi Doubin a créé une obligation d'information précontractuelle entre professionnels et l'on ne saurait penser que cette information puisse être inexistante ou incomplète parce que le commerçant qui va s'engager aurait déjà des connaissances sur l'état du marché en cause, d'autant que ces connaissances ne sont pas nécessairement directement applicables dans le cadre du marché particulier résultant de l'exploitation dans le cadre du réseau auquel il pense adhérer.

Ne peuvent être retenus comme documents précontractuels d'information les plaquettes publicitaires remises par la société Publi G ou les articles de presse d'un quelconque thuriféraire concernant JC Gaujal président du groupe Elco/Keny publiés dans les revues professionnelles dont il n'est pas démontré qu'elles soient réellement largement distribuées.

Comme le note l'expert Trabe, le document signé en 1993 ne donne que des chiffres dont l'ancienneté est de 2 à 3 ans et, en conséquence, ils ne reflètent pas la réalité de la situation au moment de ce document.

Ainsi, force est de constater que l'évolution du marché dans le document d'information précontractuelle est pour 1990 une hausse de 2 % alors qu'il est établi, qu'en 1992, le marché en cause a connu, au niveau national, une récession ainsi qu'en 1993, même s'il apparaît qu'un renversement de tendance s'est manifesté à compter de 1994 pour rechuter en 1995.

Egalement, selon les documents des sociétés Publi G et Disposelec le marché local aux alentours de Vannes faiblissait en 1992 puisque certains magasins du réseau connaissaient des diminutions de chiffre d'affaires de 5 à 10 % pour le blanc et une baisse plus importante pouvant atteindre 29 % pour le brun.

Le document d'information précontractuelle, comme d'ailleurs les éléments de publicité et les documents joints à la demande adressée à la CDUC, font état d'un groupe Elco/Keny; le document d'information précontractuelle faisant également de nombreuses références à la société Elco, société à l'origine même du groupe, mais dont il n'est dit nulle part qu'elle fut admise au redressement judiciaire en 1992.

Il résulte des pièces versées au débat que l'information précontractuelle fait état dans la région intéressée de six autres membres du réseau Keny alors que des documents de décembre 1992 et janvier 1993, internes à la société Disposelec, mentionnent 13 membres dont certains enregistrent des variations en baisse importante de leur chiffre d'affaires alors, qu'au même moment, un prévisionnel pour la société Kendis fait état d'un chiffre d'affaires de 8 000 000 HT irréalisable aux dires de l'expert.

Les sociétés Publi G et Disposelec soutiennent qu'en réalité M. Arnaud Dain, gérant de la société Kendis, a obtenu le document d'information précontractuelle au début de l'année 1992, date à laquelle ont débuté les pourparlers, et qu'il a connu l'ensemble des éléments d'information puisqu'il était convié et a assisté aux réunions d'information des membres du réseau Keny au cours de l'année 1992 et avait, de plus, suivi un stage chez l'un de ces membres en octobre 1992.

Aucun élément versé au dossier ne permet de démontrer les allégations de la société Publi G selon lesquelles, le document d'information précontractuelle aurait été remis au gérant de la société Kendis en fin 1991 début 1992; d'autant qu'on pourrait alors s'interroger sur le point de savoir pourquoi l'accusé de réception serait daté et signé de février 1993.

Il ne résulte pas de l'attestation de Mme Bigot qui a reçu en stage M. Dain que celle-ci ait pu lui donner les informations dont le contenu est fixé au Décret du 4 avril 1991.

Les comptes rendus des réunions auxquelles était présent M. Dain, à compter de septembre 1992, sont par trop succincts pour pouvoir démontrer qu'une information complète sur l'ensemble des éléments visés par la loi Doubin a été donnée et que l'information ainsi reçue était de nature à faire souscrire l'accord de partenariat en connaissance de cause.

Ainsi, seul le compte rendu de la réunion du 14 janvier 1993, dont on ignore d'ailleurs à quelle date il fut rédigé, fait état d'une déprime du marché sans réelles précisions et, de même, les graves difficultés économiques de la société Elco ne sont évoquées que le 9 septembre 1992 en termes généraux, sans indications chiffrées, alors qu'il est établi par un article publié dans "Confortique magazine n° 94" que cet événement a créé, au moins, des remous importants dans le réseau et l'utilisation de la marque Keny.

Les éléments ci-dessus rapportés établissent que le consentement de la société Kendis au contrat de partenariat n'a pas été donné en connaissance de cause etqu'au regard des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce il se trouve vicié, ce vice du consentement entraînant la nullité du contrat par application de l'article 1108 du Code civil.

* Sur les conséquences de la nullité

Le contrat de partenariat se trouvant annulé, il convient de remettre les parties en l'état où elles se trouvaient antérieurement. Toutefois, force est de constater que le contrat a été exécuté pendant quelques mois et que, de fait, la remise en état est impossible en nature, mais qu'elle peut s'effectuer sur le montant des sommes dégagées par l'expert, sommes qui ne sont d'ailleurs pas contestées.

Il convient donc de dire que les sociétés Publi G et Disposelec seront tenues de restituer à la société Kendis la somme globale de 1 139 000 F et la société Kendis celle de 517 215,34 F.

La compensation entre ces dettes réciproques doit être ordonnée puisqu'elles résultent de l'exécution et de l'annulation du même contrat et sont donc connexes. En conséquence, les sociétés Publi G et Disposelec seront condamnées à payer à Me Dupont, ès qualités, la somme de 621 784,70 F.

* Sur l'action en dommages et intérêts

Me Dupont, ès qualités, soutient que, outre le défaut d'information précontractuelle, les sociétés Publi G et Disposelec ont commis des fautes dans l'exécution du contrat, notamment en fournissant des marchandises obsolètes et en faisant une animation médiocre du réseau Keny dans le magasin et la région.

Les affirmations de Me Dupont, ès qualités, ne sont corroborées par aucun élément de preuve. En conséquence, il sera débouté de son action sur ce point.

* Sur les autres demandes

Les intérêts sur la somme restant due seront comptés à partir du jour de l'assignation.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée.

L'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile conduit à allouer à Me Dupont, ès qualités, la somme de 2 500 euros.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel, Au fond, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit nulle la convention de partenariat signée entre les sociétés Kendis, Publi G et Disposelec, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Ordonne la remise en état des parties et pour ce faire condamne in solidum les sociétés Publi G et Disposelec à payer à Me Dupont, ès qualités, la somme de 94 790,47 euros (621 784,70 F), Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1997, Dit que les intérêts se capitaliseront conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, Déboute Me Dupont, ès qualités, de sa demande en paiement de dommages et intérêts, Condamne in solidum les sociétés Publi G et Disposelec à payer à Me Dupont, ès qualités, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne les sociétés Publi G et Disposelec aux entiers dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.