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Décisions

CAA Paris, 3e ch., 26 février 1998, n° 95PA03026

PARIS

Jugement

PARTIES

Demandeur :

Rouge Petrus le Media Taxi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duvillard

Commissaire du gouvernement :

Mme Heers

Rapporteur :

M. Vincelet

Avocat :

Me Laraize.

CAA Paris n° 95PA03026

26 février 1998

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE PARIS (3ème Chambre),

Vu, enregistrée le 3 août 1995 au greffe de la cour, la requête de la société Rouge Petrus le Média Taxi, présentée par Me Laraize, avocat; la société Rouge Petrus le Média Taxi demande à la cour: 1°) d'annuler le jugement n° 9405586-7 du 22 février 1995 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris, après avoir annulé la décision en date du 8 décembre 1993 par laquelle le Préfet de police de Paris a refusé d'autoriser une campagne publicitaire ayant pour support les taxis, a refusé de l'indemniser du préjudice que lui avait causé cette décision illégale ; 2°) de condamner le Préfet de police de Paris à lui verser une somme de 1 434 410 F en réparation du préjudice matériel, une somme de 500 000 F au titre du préjudice moral ainsi qu'une somme de 20 000F au titre de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel; La société Rouge Pétrus le Média Taxi soutient que le tribunal a, à tort, refusé de l'indemniser du préjudice que lui a causé la décision qu'il a annulée car cette décision lui a occasionné un préjudice certain ; qu'en effet, la requérante respectait scrupuleusement la réglementation et avait informé le Préfet de police de ses intentions en matière de publicité, celui-ci ne voyant pas d'objection de principe ; que la décision lui cause un préjudice représenté par l'impossibilité pour elle de mener quatre campagnes pour lesquelles les clients avaient signé des engagements (Mac Donald's, du 29 novembre 1993 au 19décembre1993, portant sur six Lents taxis moyennant une rémunération de 365 000 F Citeaux Mural, du 21 mars au 4 avril 1994 et du 1er au 15 juin 1994, portant sur trois cents taxis pour 600 000 F Actif Mode, du 1er au 15 avril 1994 et du 2 au 16 mai 1994, pour 750 000 F ; et Carte Bemol, deux périodes de quinze jours pour 500 000 F) ; que la perte globale a été évaluée par son expert-comptable à 1 434 410 F ; que son préjudice comprend l'ensemble des campagnes pour lesquelles l'autorisation a été refusée, la décision du 8 décembre 1993 constituant une décision de principe ayant inspiré tous les refus ultérieurs, le Préfet ayant au demeurant indiqué qu'il se bornerait â demander des avis techniques que le préjudice moral résulte de l'atteinte considérable portée à sa réputation; Vu le jugement attaqué; Vu, enregistré le 26 décembre 1995, le mémoire en défense du ministre de l'Intérieur, tendant au rejet de la requête aux motifs que le jugement du tribunal est parfaitement motivé compte tenu des termes de la requête ; qu'au demeurant, le préjudice commercial ne peut concerner que la première campagne sur laquelle portait la demande et que le refus d'autorisation ne peut pas porter atteinte à la réputation d'une société ; Vu, enregistré le 25 octobre 1996, le mémoire en réplique de la requérante, tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens; Vu l'arrêté interpréfectoral du 8 avril 1980 ; Vu les autres pièces du dossier; Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel; Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987;

Considérant que la société Rouge Petrus le Média Taxi demande l'annulation du jugement n° 9405586 du 22 février 1995 par lequel le Tribunal administratif de Paris, après avoir annulé la décision du 8 décembre 1993 par laquelle le Préfet de police de Paris avait refusé de l'autoriser à mener une campagne publicitaire ayant pour support les taxis, a toutefois refusé de l'indemniser du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de l'intervention de cette décision illégale ; qu'elle demande la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes respectives de 1 434 410 F et de 500 000 F, correspondant à son préjudice commercial et moral;

Sur le principe du droit à réparation: - Considérant, en premier lieu, que la circonstance que la décision litigieuse du 8 décembre 1993 ait été annulée par le premier juge n'ouvre droit à réparation du préjudice qu'elle a pu causer à son destinataire que si ladite décision était insusceptible de trouver un fondement légal dans un autre motif que celui censuré par le tribunal;

Considérant que le ministre de l'Intérieur, qui ne conteste pas l'annulation de la décision, n'invoque, dans ses observations en défense devant la cour, aucun autre motif que celui tenant à la nécessité de prévenir les atteintes à l'ordre public, qui a été censuré par le tribunal ; qu'ainsi, l'intervention de cette décision illégale a causé à son titulaire un préjudice dont il est fondé à demander réparation ; que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la circonstance que la décision en cause ait été prise le 8 décembre sur une demande présentée le 2 novembre précédent ne saurait faire obstacle à l'indemnisation de la requérante, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction et que le ministre n'invoque d'ailleurs pas qu'il aurait disposé d'un délai trop bref pour se prononcer;

Sur le montant du préjudice : - S'agissant du préjudice commercial: - Considérant, en premier lieu, que la décision administrative du 8 décembre 1993, annulée par le tribunal, refusait à la requérante l'autorisation de mener une campagne pour la société Mac Donald's, pour la période du 29 novembre au 19 décembre 1993, et ayant pour support six cents taxis ;que, contrairement aux observations de la requérante, cette décision ne constituait nullement une décision de principe, mais se bornait à statuer sur la seule demande afférente à la période susrappelée ;qu'ainsi cette décision fautive ne peut ouvrir droit à la réparation d'un autre préjudice que celui résultant de l'impossibilité de réaliser la campagne ainsi empêchée par la décision litigieuse ;que, si la requérante entend être dédommagée des préjudices nés des refus ultérieurs de l'autoriser à mener de nouvelles campagnes, elle n 'invoque, par voie d'exception, aucun vice propre aux décisions administratives subséquentes ;

Considérant qu'il est établi que la campagne publicitaire susmentionnée était prévue pour un montant de 365 000 F ; qu'il résulte toutefois des pièces du dossier, notamment du budget prévisionnel produit par l'intéressée, que le bénéfice, qui pouvait être induit par cette campagne et qui seul peut être indemnisé en l'espèce, doit être évalué à la somme de 240 000 F ; qu'ainsi l'Etat doit être condamné à verser cette somme en réparation de son préjudice commercial ; que le surplus de la demande de cette dernière doit être rejeté;

S'agissant du préjudice moral : - Considérant que le préjudice moral invoqué résultant de l'atteinte à la réputation de la requérante n'est pas établi ; que la demande d'indemnisation de ce chef de préjudice doit être rejetée

Considérant, enfin, qu'il y a lieu de condamner l'Etat, partie perdante, à payer à la requérante une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel;

Décide

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9405586 du 22 février 1995 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la société Rouge Petrus le Média Taxi une somme de 240 000 F.

Article 3 : L'Etat paiera à la société Rouge Petrus le Média Taxi 10 000 F sur le fondement de l'article L. 8-l du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Article 4 : Le surplus de la demande de la société Rouge Petrus le Média Taxi est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rouge Petrus le Média Taxi et au ministre de l'Intérieur.