TPICE, 5e ch. élargie, 10 avril 2003, n° T-369/00
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Département du Loiret, Scott (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cooke
Juges :
M. Garcia-Valdecasas, Mme Lindh, MM. Forwood, Legal
Avocats :
Mes Carnelutti, Peretz, Griffith.
Cadre juridique
1. Le règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1) établit les règles procédurales en matière d'aides d'État.
2. L'article 15 dudit règlement dispose: "Délai de prescription"
1. Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.
2. Le délai de prescription commence le jour où l'aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d'aide individuelle ou dans le cadre d'un régime d'aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l'égard de l'aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l'objet d'une procédure devant la Cour de justice des Communautés européennes.
3. Toute aide à l'égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante."
3. L'article 30 du règlement n° 659-1999 prévoit:
"Entrée en vigueur"
Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes."
Faits à l'origine du litige
4. La ville d'Orléans (France), le requérant et la société Scott Paper Company (ci-après "Scott") ont conclu un accord le 31 août 1987, à la suite d'offres présentées par la ville d'Orléans à Scott. Par cet accord, Scott a décidé d'établir une usine dans le département du Loiret, sur un terrain de 48 hectares de la zone industrielle de La Saussaye. Cet accord portait notamment sur l'acquisition dudit terrain et sur la redevance d'assainissement qui devait être calculée selon un taux préférentiel, correspondant à 25 % de la redevance la plus basse payée par les autres industries. La ville d'Orléans proposait également la gratuité des aménagements du site.
5. Cet accord prévoyait par ailleurs que le requérant et la ville d'Orléans contribueraient pour un montant maximal de 80 millions de francs français (FRF) aux travaux d'aménagement du site en faveur de Scott. Enfin, le prix d'achat du terrain avec les aménagements était fixé à 31 millions de FRF.
6. En novembre 1996, la Cour des comptes française a publié un rapport public intitulé "Les interventions des collectivités territoriales en faveur des entreprises" (rapport public particulier de la Cour des comptes, novembre 1996, Paris). Par ce rapport, elle entendait attirer l'attention sur un certain nombre d'aides éventuelles octroyées par les collectivités territoriales françaises en faveur de certaines entreprises, et en particulier le transfert d'un terrain de 48 hectares de la zone industrielle de La Saussaye à Scott.
7. À la suite de la publication de ce rapport, la Commission a reçu une plainte, par lettre datée du 23 décembre 1996, concernant les conditions préférentielles auxquelles la ville d'Orléans et le Conseil général du Loiret auraient vendu ces 48 hectares de terrain à Scott et le tarif dont cette dernière aurait bénéficié en ce qui concerne la redevance d'assainissement.
8. Par lettre du 17 janvier 1997, la Commission a demandé des informations complémentaires aux autorités françaises. Il sen est suivi un échange de correspondance entre les autorités françaises et la Commission, entre janvier 1997 et avril 1998, dans le cadre duquel les autorités françaises ont partiellement fourni les informations et précisions demandées notamment par lettres des 19 mars, 21 avril et 29 mai 1997. Le 8 août 1997, la Commission a de nouveau demandé des précisions aux autorités françaises. La Commission a reçu des informations complémentaires de celles-ci le 3 novembre 1997 et du plaignant le 8 décembre 1997, le 29 janvier et le 1er avril 1998.
9. Par lettre du 10 juillet 1998, la Commission a informé les autorités françaises de sa décision du 20 mai 1998 d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE "compte tenu des doutes qui subsistaient sur les conditions dans lesquelles les autorités françaises avaient agi vis-à-vis de [Scott] et sur leur compatibilité avec le traité", et les a invitées à présenter leurs observations ainsi qu'à répondre à certaines questions (ci-après la "décision d'ouverture de la procédure"). Dans cette lettre, la Commission a également demandé aux autorités françaises d'informer Scott de l'ouverture de la procédure ainsi que du fait quelle pourrait avoir à rembourser toute aide illégalement perçue. Les parties intéressées ont été informées de l'ouverture de la procédure et ont été invitées à faire valoir leurs observations éventuelles sur les mesures en cause, par la publication de la lettre susvisée au Journal officiel des Communautés européennes du 30 septembre 1998 (JO C 301, p. 4).
10. Par lettre du 25 novembre 1998, les autorités françaises ont présenté des observations sur la décision d'ouverture de la procédure.
11. Après avoir pris connaissance des observations des autorités françaises et des tiers, la Commission a de nouveau procédé à des demandes d'informations complémentaires auprès des autorités françaises. Celles-ci n'ayant répondu que partiellement, la Commission leur a enjoint, le 8 juillet 1999, de lui fournir les informations nécessaires. Les autorités françaises ont répondu partiellement à cette demande, le 15 octobre 1999.
12. Le 22 mars 1999, le Conseil a adopté le règlement n° 659-1999, lequel est entré en vigueur le 16 avril 1999 conformément à son article 30.
Décision litigieuse
13. Le 12 juillet 2000, la Commission a adopté une décision 2002-14-CE, concernant l'aide d'État mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark (JO L 12, p. 1) (ci- après la "décision litigieuse"), dont l'article 1er prévoit:
"l'aide d'Etat sous forme du prix préférentiel d'un terrain et d'un tarif préférentiel de la redevance d'assainissement, que la France a mise à exécution en faveur de Scott, pour un montant de 39,58 millions de FRF (6,03 millions d'euros) ou, en valeur actualisée, de 80,77 millions de FRF (12,3 millions d'euros), en ce qui concerne le prix préférentiel du terrain [.], est incompatible avec le marché commun."
14. L'article 2 de la décision litigieuse dispose:
"1. La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire l'aide visée à l'article 1er et déjà illégalement mise à sa disposition.
2. La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant quelles permettent l'exécution immédiate et effective de la présente décision. l'aide à récupérer inclut des intérêts à partir de la date à laquelle elle a été mise à la disposition du bénéficiaire, jusqu'à la date de sa récupération. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale."
15. Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que le délai de prescription auquel est soumis son pouvoir en matière de récupération d'une aide illégalement octroyée, en vertu de l'article 15 du règlement n° 659-1999, avait été, en l'espèce, interrompu. En effet, toute mesure prise par la Commission à l'égard de l'aide illégale interromprait le délai de prescription (voir considérant 219 de la décision litigieuse).
16. La Commission a constaté que l'aide litigieuse avait été octroyée le 31 août 1987. La première mesure de la Commission prise sous la forme d'une demande formelle de renseignements aux autorités françaises serait datée du 17 janvier 1997. Dès lors, le délai de prescription aurait été interrompu avant l'expiration du délai de dix ans prévus, de sorte que la Commission aurait le pouvoir de récupérer l'aide en cause (voir considérant 220 de la décision litigieuse).
17. En outre, dans la décision litigieuse, la Commission réfute l'argument de Scott selon lequel le délai de prescription viserait à protéger le bénéficiaire de l'aide et que, par conséquent, il ne serait interrompu que lorsque celui-ci a pris connaissance du fait quelle mène une instruction sur l'aide. En effet, selon la Commission, la question de savoir qui, en définitive, bénéficie du délai de prescription est indépendante de la question du mode de calcul de celui-ci. En outre, elle indique que l'article 15 du règlement n° 659-1999 ne vise pas les tiers et se limite aux relations entre elle- même et les États membres. La Commission ne serait donc pas soumise à une obligation d'information envers les tiers. Ces derniers ne pourraient tirer aucun droit spécifique de l'article 15 dudit règlement. Dans une procédure relative aux aides d'État, ils ne bénéficieraient que de droits procéduraux découlant de l'article 88, paragraphe 2, CE (voir considérants 221 à 223 de la décision litigieuse).
18. Lorsque l'article 15 du règlement n° 659-1999 fait référence au bénéficiaire de l'aide, il ne s'agirait là que d'un moyen de déterminer la date à compter de laquelle le délai de prescription commence à courir, c'est-à-dire "le jour où l'aide illégale est accordée au bénéficiaire" (voir considérant 223 de la décision litigieuse).
19. La Commission rappelle également que le bénéficiaire d'une aide doit vérifier si l'aide qui lui est octroyée a été notifiée. À défaut d'une telle notification et en l'absence d'autorisation, il n'existerait pas de sécurité juridique (voir considérant 224 de la décision litigieuse).
Procédure et conclusions des parties
20. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2000, le requérant a introduit le présent recours. Il a sollicité, dans sa requête, la jonction immédiate de la présente affaire à l'affaire T-366-00, introduite par Scott à l'encontre de la décision litigieuse, le 30 novembre 2000.
21. Par acte déposé au greffe le 19 mars 2001, Scott a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien du requérant.
22. Le 25 avril 2001, le Tribunal a organisé une réunion informelle commune à la présente affaire et à l'affaire T-366-00, en application de l'article 64, paragraphe 3, sous e), de son règlement de procédure, au cours de laquelle ont été discutées la demande de jonction de ces deux affaires, introduite par le requérant dans la présente affaire, et la possibilité de trancher la question de la prescription avant tout débat au fond, demande introduite par Scott dans l'affaire T-366-00.
23. Sur rapport du juge rapporteur et à la lumière des vues exprimées lors de la réunion informelle, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale en la limitant aux moyens d'annulation tirés d'une éventuelle prescription du pouvoir de la Commission d'ordonner la récupération de l'aide d'État octroyée par la France sous la forme du prix préférentiel d'un terrain de 48 hectares de La Saussaye.
24. Par ordonnance du Président de la cinquième chambre élargie, du 10 mai 2001, Scott a été admise à intervenir dans la présente affaire à l'appui des conclusions du requérant.
25. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 26 septembre 2002.
26. Dans le présent arrêt, le Tribunal se limite donc à examiner la demande en annulation de l'article 2 de la décision litigieuse, pour autant que cette demande se fonde sur le moyen tiré de la violation de l'article 15 du règlement n° 659-1999.
27. Dans ce contexte, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler l'article 2 de la décision litigieuse, en tant quelle déclare illégale l'aide d'État accordée sous forme du prix préférentiel d'un terrain et ordonne le remboursement d'un montant de 39,58 millions de FRF (6,03 millions d'euros) ou, en valeur actualisée, de 80,77 millions de FRF (12,3 millions d'euros);
condamner la Commission aux dépens.
28. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours comme non fondé;
condamner le requérant aux dépens.
29. Scott, intervenant au soutien du requérant, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
déclarer le recours fondé;
condamner la Commission aux dépens.
En droit
30. Au soutien de ses conclusions en annulation relatives à la prescription, le requérant soulève un moyen unique tiré de la violation de l'article 15 du règlement n° 659-1999. Ce moyen est divisé en deux branches. La première branche est tirée de l'application du règlement n° 659-1999 à l'espèce, et la deuxième du fait que seul un "acte d'autorité" adopté par la Commission, et non de simples demandes d'information adressées aux autorités françaises, serait susceptible d'interrompre le délai de prescription.
Sur la première branche du moyen, tirée de l'application du règlement n° 659-1999 à l'espèce
Arguments des parties
31. Le requérant fait valoir que l'intervention de la Commission en ce qui concerne la récupération de l'aide relative au terrain de La Saussaye, auprès de son bénéficiaire, à savoir Scott, est prescrite conformément aux dispositions de l'article 15 du règlement n° 659-1999.
32. Il conteste l'argument de la Commission selon lequel le règlement n° 659-1999 n'est pas applicable en l'espèce. Il estime que la Commission a reconnu l'applicabilité du règlement n° 659-1999 dans la décision litigieuse, puisque, après avoir rappelé son contenu, elle a conclu qu'il y avait eu interruption du délai de prescription en raison de l'envoi aux autorités françaises de demandes d'information, notamment le 17 janvier 1997. Or, le contrôle juridictionnel de la légalité de la décision litigieuse devrait porter sur son contenu, tel qu'il résulte de ses termes exprès. À cet égard, le requérant soutient que la Commission a modifié, dans son mémoire en défense, sa propre motivation de la décision litigieuse, puisqu'elle affirme désormais que l'interruption du délai de prescription se justifiait par la décision d'ouverture de la procédure du 20 mai 1998. Cette argumentation, introduite dans le mémoire en défense, mais ne figurant pas dans la motivation de la décision litigieuse, ne devrait donc pas être admise a posteriori.
33. Le requérant fait valoir que le règlement n° 659-1999, dont la nature procédurale ne fait guère de doute, s'applique aux procédures relatives aux aides d'État qui sont en cours et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision définitive avant son entrée en vigueur. Il relève également que ce règlement se caractérise par l'absence de disposition transitoire. Or, ledit règlement, qui codifie et étaye une pratique constante dans l'application de l'article 88 CE, constituerait "un tout indissociable procédural" qui aurait vocation à s'appliquer immédiatement à toutes les affaires en cours, sauf exception explicite posée par le texte même de ce règlement. Il serait de jurisprudence constante que les règles de procédure seraient généralement censées s'appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur (arrêt de la Cour du 12 novembre 1981, Salumi e.a., 212-80 à 217-80, Rec. p. 2735, point 9). Le requérant relève que la Commission elle-même fait application depuis avril 1999 du règlement n° 659-1999 aux affaires en cours.
34. En outre, le requérant estime que le délai de prescription de dix ans, établi à l'article 15 du règlement n° 659-1999, est de "portée absolue" et qu'une mesure interruptive de prescription doit intervenir dans les dix années à compter du jour où l'aide illégale a été accordée. Si, entre la date d'entrée en vigueur du règlement et la date d'octroi de l'aide, un délai supérieur à dix années s'est écoulé sans qu'un acte interruptif de prescription n'intervienne, la prescription devrait être considérée comme acquise. Par conséquent, l'absence d'injonction de communiquer des informations ou de décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen avant le dixième anniversaire de l'octroi de l'aide interdirait, en vertu de l'article 15 du règlement n° 659-1999, la récupération de l'aide.
35. Le requérant soutient que la présente affaire a revêtu un "caractère extrême" au regard du délai qui s'est écoulé entre la date d'octroi de l'aide, le 31 août 1987, et la date à laquelle les autorités françaises ont été appelées à répondre aux investigations de la Commission en 1997. Ce "caractère extrême" serait d'autant plus marqué que trois années et demie supplémentaires ont été nécessaires pour l'adoption de la décision litigieuse. Il estime que cette durée de trois années et demie doit être reprochée tant aux États membres qu'à la Commission. Ce temps écoulé aurait généré des difficultés pour reconstituer les données économiques de l'époque, pour ne pas dire l'impossibilité de le faire. En effet, l'écoulement d'une période très importante rendrait particulièrement difficile la justification d'une mesure contestée au regard du régime des aides d'État. À cet égard, le requérant estime que dix années constituent un délai de prescription maximal acceptable.
36. De surcroît, le requérant insiste sur les inconvénients majeurs que la procédure "exclusivement bilatérale" relative aux aides d'État présente. En effet, cette procédure s'illustrerait par un dialogue approfondi et satisfaisant entre la Commission et les États membres lorsqu'il s'agit d'aides accordées par l'administration centrale de l'État ou ses démembrements. Toutefois, tel ne serait pas nécessairement le cas lorsqu il s'agit d'aides octroyées par des collectivités territoriales. Dans une telle hypothèse, les collectivités décentralisées subiraient les conséquences du comportement de l'État central lorsque celui-ci ne fait pas preuve de diligence pour répondre à la Commission. Par conséquent, le requérant estime que le dialogue entre la Commission et l'État membre devrait s'étendre systématiquement à la collectivité territoriale, auteur de l'acte contesté.
37. La Commission soutient que l'allégation du requérant selon laquelle l'intervention de la Commission en l'espèce était prescrite est manifestement non fondée. Elle fait observer qu'il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de chercher à savoir si le règlement n° 659-1999 constitue un ensemble de dispositions procédurales, qui s'applique généralement à toutes les procédures pendantes au moment de leur entrée en vigueur, ou un ensemble de dispositions de nature substantielle, qui, dans ce cas, ne s'appliquerait à des situations antérieures que dans la mesure où il ressort de leurs termes, finalités ou économie qu'un tel effet doit leur être attribué.
38. La Commission rappelle qu'au moment où l'aide a été octroyée, à savoir le 31 août 1987, ainsi que tout au long de l'année 1997, au cours de laquelle elle a adressé plusieurs demandes de renseignements aux autorités françaises, aucun délai de prescription n'était fixé par le législateur communautaire en matière d'action de la Commission à l'égard d'aides d'Etat non notifiées. Selon elle, aucun fondement juridique spécifique n'était susceptible d'établir que ses interventions étaient prescrites. Or, il ressortirait de l'arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BFM et EFIM/Commission (T-126-96 et T-127-96, Rec. p. II-3437, point 68), qu'un délai de prescription n'est pas applicable par analogie. Ainsi, la Commission estime que tant les autorités publiques, qui octroient les aides d'Etat, que les bénéficiaires de celles-ci ne pouvaient fonder une confiance légitime en ce que son action soit encadrée par un délai de prescription.
39. La Commission observe également qu'il est constant que, au moment de l'adoption de sa décision d'ouverture de la procédure, à savoir le 20 mai 1998, aucun délai de prescription n'était prévu, de sorte que son intervention n'était pas prescrite. De même, la Commission n'aurait pas été soumise au délai de prescription au moment où elle a notifié aux autorités françaises sa décision d'ouvrir une procédure formelle d'examen, le 10 juillet 1998, et lorsqu'elle a procédé à la publication de cette même décision au Journal officiel des Communautés européennes, le 30 septembre 1998. L'entrée en vigueur, le 16 avril 1999, du règlement n° 659-1999 et de son article 15 n'aurait pas pu avoir pour effet de modifier rétroactivement cette situation. De ces constatations, la Commission conclut que son intervention ne pouvait pas être prescrite lorsqu'elle a adopté la décision litigieuse, le 12 juillet 2000. Elle estime que l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999 et de son article 15 ne pouvait l'empêcher de prendre une telle décision ou d'en tirer toutes les conséquences de droit au regard d'une aide octroyée en violation de l'obligation de notification prévue par l'article 88, paragraphe 3, CE.
40. Selon la Commission, l'application du règlement n° 659-1999 et du délai de prescription prévu à son article 15 à une aide octroyée avant son entrée en vigueur dépend de deux conditions qui doivent être cumulativement satisfaites, à savoir, d'une part, l'écoulement d'une période de dix années à compter de la date d'octroi de l'aide et, d'autre part, l'absence de mesures interruptrices de prescription antérieures à la date d'entrée en vigueur de ce règlement. La Commission admet que dix années se sont écoulées depuis la date d'octroi de l'aide en cause, mais elle estime que différentes mesures interruptrices de prescription sont intervenues avant l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999. En tout état de cause, la décision d'ouverture de la procédure serait intervenue à un moment où aucun fondement juridique ne permettait de considérer que l'intervention de la Commission était prescrite.
41. La Commission estime que le requérant fait une application rétroactive de l'article 15 du règlement n° 659-1999. Or, ce règlement, qui ne comporterait pas de dispositions transitoires et qui serait dès lors d'application immédiate, ne saurait être appliqué rétroactivement. Selon une jurisprudence constante, une règle de prescription, pour pouvoir remplir sa fonction, devrait être fixée à l'avance (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, et du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619). La Commission estime que le règlement n° 659-1999 fixe uniquement une règle de prescription en ce qui concerne les aides illégalement octroyées après son entrée en vigueur. La règle de prescription concernerait les cas "nouveaux" d'aides accordées illégalement et non les cas "anciens" d'aides accordées avant l'entrée en vigueur du règlement. Or, les mesures communautaires ne seraient pas d'application rétroactive, sauf cas exceptionnel, lorsqu'il ressort clairement de leurs termes et de leur économie que telle était l'intention du législateur, ce qui ne serait pas le cas s'agissant de l'article 15 du règlement n° 659-1999. La Commission relève que la seule façon d'assurer une application immédiate de l'article 15 du règlement n° 659-1999 à l'égard des cas "anciens", tout en se gardant de procéder à une application rétroactive illégale, est celle décrite au point 40 ci-dessus.
42. Dans sa duplique, la Commission soutient que le requérant na prouvé ni que la présente affaire revêtait un "caractère extrême" en raison du délai qui sépare la date d'octroi de l'aide, le 31 août 1987, de celle à laquelle il a été appelé à répondre à ses investigations, en 1997, ni que la durée de la procédure en l'espèce se caractérisait par un allongement significatif. Elle soutient, à cet égard, que les trois années et demie qui se sont écoulées après la réception de la plainte sont également dues à l'absence de réponses de la part des autorités françaises, de demandes de délais supplémentaires de leur part et de tenue d'une réunion informelle.
43. La Commission fait également remarquer que toute décision d'ouverture de la procédure doit, conformément aux dispositions de l'article 88, paragraphe 2, CE, être précédée d'un premier examen qui la conduit à acquérir la conviction qu'une aide étatique est incompatible avec le traité. Elle relève, à cet égard, que les éléments quelle avait acquis par ses demandes de renseignements ont abouti à l'adoption de la décision d'ouverture de la procédure le 20 mai 1998, soit moins de 17 mois après le dépôt de la plainte.
44. La Commission indique en outre quelle n'était pas en mesure de formuler une injonction de communiquer des informations au mois d'août 1997 notamment en raison du fait que les autorités françaises n'avaient pas adopté une attitude de refus manifeste de coopération, qui seule aurait pu justifier l'adoption d'une telle injonction. Elle estime ainsi avoir réagi avec diligence en s'adressant, dès le 17 janvier 1997, aux autorités françaises pour leur demander de lui transmettre toutes informations utiles pour l'instruction du dossier.
45. De surcroît, la Commission fait valoir que, si son comportement peut être examiné au titre du respect du principe de bonne administration, la requête ne contient aucun moyen tiré d'une éventuelle violation de ce principe. Si les arguments du requérant soulevés au stade de la réplique et repris au point 35 ci-dessus, relatifs au "caractère extrême" de la présente affaire, devaient néanmoins être considérés comme soulevant un tel moyen, ils constitueraient un moyen nouveau et seraient par conséquent irrecevables.
46. L'allégation du requérant selon laquelle le dialogue entre la Commission et les autorités françaises na été ni approfondi ni satisfaisant, dans la présente affaire, du point de vue des collectivités territoriales ayant octroyé les aides en cause, ne serait pas correcte, puisque la ville d'Orléans, qui est également impliquée dans l'octroi de ces aides, na pas introduit de recours en annulation. En tout état de cause, les lettres des autorités françaises en réponse aux demandes d'information auraient constamment indiqué que les renseignements en cause avaient été recueillis auprès notamment du requérant. En outre, ce dernier n'aurait pas présenté d'observations à la Commission à la suite de la publication au Journal officiel des Communautés européennes de sa décision d'ouvrir la procédure au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE.
47. La Commission estime également que le droit reconnu par le traité de la saisir de toute observation sur les mesures en cause dans le cadre de la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE est le "palliatif direct" des conséquences que le comportement non diligent de l'Etat membre est susceptible d'avoir à l'égard de la collectivité territoriale ayant accordé l'aide en cause comme à l'égard de son bénéficiaire. Elle considère par ailleurs que la collectivité territoriale et le bénéficiaire de l'aide disposent d'une solution juridique dans les voies de droit qui leur sont ouvertes devant les juridictions nationales en vue d'engager la responsabilité de l'Etat central pour son absence de diligence au titre de son devoir de coopération loyale avec la Commission. Selon elle, ce n'est pas sans raison que le traité, dans le cadre du contrôle des aides d'Etat, a défini la situation particulière de l'Etat membre en tant qu'organe de la puissance publique. Les défaillances éventuelles des structures constitutionnelles ou administratives d'un État membre devraient fondamentalement être résolues dans l'ordre juridique interne.
Appréciation du Tribunal
48. Il convient de relever à titre liminaire que, selon une jurisprudence constante, la légalité d'un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existants à la date où l'acte a été adopté (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 octobre 1999, Salomon/Commission, T-123-97, Rec. p. II-2925, point 48, et du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T-126-99, Rec. p. II-2427, point 33).
49. De surcroît, il est de jurisprudence constante que, si les règles de procédure sont généralement censées s'appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, il n'en est pas de même des règles de fond. Ces dernières sont habituellement interprétées comme ne visant des situations antérieures à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu'un tel effet doit leur être attribué. Cette interprétation garantit le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en vertu desquels la législation communautaire doit être claire et prévisible pour les justiciables (voir, notamment, arrêts de la Cour, Salumi e.a., précité, points 9 et 10, et du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C-121-91 et C-122-91, Rec. p. I-3873, points 22 et 23).
50. Le règlement n° 659-1999, constituant un règlement de procédure relatif à l'application de l'article 88 CE, a été adopté au vu de la pratique développée par la Commission en ce domaine afin notamment d'assurer le bon fonctionnement et l'efficacité des procédures prévues à cet article et d'accroître la transparence et la sécurité juridique dans leur application (voir considérants 2 et 3 du règlement). Dans son chapitre III, intitulé "Procédure en matière d'aides illégales", sont exposés les pouvoirs de la Commission relatifs notamment à l'examen des aides d'Etat, à la demande de renseignements, aux injonctions de fournir des informations et à la récupération d'une aide illégale. Il y a lieu de considérer qu'il ressort du libellé même de ces dispositions, y compris de l'article 15, quelles sont de nature procédurale et quelles s'appliquent, dès lors, en application de la jurisprudence susvisée, à toutes les procédures administratives en matière d'aides d'Etat pendantes devant la Commission au moment où le règlement n° 659-1999 est entré en vigueur, à savoir le 16 avril 1999.
51. En outre, l'article 15 du règlement n° 659-1999 ne contenant aucune disposition transitoire quant à son application dans le temps, à la différence de l'article 11, paragraphe 2, dernier alinéa, de ce règlement, relatif au pouvoir de la Commission d'ordonner la récupération à titre provisoire d'une aide versée illégalement, il s'applique à toute action en récupération définitive d'une aide qui intervient après la date d'entrée en vigueur du règlement, y compris d'une aide octroyée avant cette date.
52. S'agissant de l'argument de la Commission selon lequel l'application de l'article 15 du règlement n° 659-1999 à une aide octroyée avant son entrée en vigueur dépend de deux conditions qui ne seraient pas cumulativement remplies en l'espèce, il y a lieu de constater, à titre surabondant, qu'il ressort des termes de la décision litigieuse, et notamment de l'analyse de la question de l'application du délai de prescription exposée aux considérants 219 à 224, que, lors de l'adoption de cette décision, la Commission considérait elle-même que son action en matière de récupération de l'aide en cause tombait dans le champ d'application de l'article 15 du règlement n° 659-1999. En outre, le fait que la Commission ait adressé aux autorités françaises, le 8 juillet 1999, une injonction de fournir des renseignements sur la base de l'article 10, paragraphe 3, dudit règlement montre quelle a mené la procédure en matière d'aides d'Etat, ouverte en application de l'article 88, paragraphe 2, CE, le 20 mai 1998, en se basant sur les nouvelles règles procédurales dès l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999, à savoir le 16 avril 1999.
53. Dès lors, la Commission ayant explicitement basé son analyse de la prescription de l'action en récupération de l'aide en cause sur l'article 15 du règlement n° 659-1999 dans la décision litigieuse (voir considérants 219 à 224), elle ne saurait faire valoir d'autres arguments au détriment du requérant qui remettent en cause sa propre analyse, contenue dans la décision litigieuse, dans le cadre de la présente procédure devant le Tribunal.
54. Il s'ensuit que le pouvoir de la Commission d'ordonner la récupération de l'aide en cause était régi par l'article 15 du règlement n° 659-1999.
55. S'agissant de l'argumentation du requérant relative au "caractère extrême" de la présente affaire, il y a lieu de considérer quelle n'est pas fondée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si elle constitue un moyen nouveau comme le prétend la Commission au point 45 ci-dessus.
56. À cet égard, il y a lieu de relever que la question de savoir si le déroulement de la procédure administrative relative à l'aide litigieuse était caractérisé par un retard excessif ne saurait être examinée en prenant en considération, comme le prétend le requérant, le temps qui s'est écoulé entre la date d'octroi de l'aide en cause et celle de l'adoption de la décision litigieuse. En effet, cet examen doit prendre comme date de départ la date à laquelle la Commission a eu connaissance de l'octroi de l'aide en cause. Il est constant que la Commission na été informée de l'octroi de l'aide en cause que le 23 décembre 1996, date du dépôt de la plainte en l'espèce, ou au plus tôt en novembre 1996, date de la publication, par la Cour des comptes française, du rapport sur "Les interventions des collectivités territoriales en faveur des entreprises". Il ressort de la décision litigieuse que la Commission, agissant sur la base de la plainte du 23 décembre 1996, a demandé des informations complémentaires aux autorités françaises le 17 janvier 1997. Il s'en est suivi un échange de correspondance entre les autorités françaises et la Commission dans le cadre duquel cette dernière a essayé, avec certaines difficultés, de compléter son dossier en demandant des renseignements complémentaires jusqu'à sa décision d'ouverture de la procédure, le 20 mai 1998. Dès lors, même après l'ouverture de la procédure administrative, les autorités françaises se sont montrées réticentes à fournir les renseignements demandés par la Commission (voir points 8 à 11 ci-dessus). Au vu de la chronologie des événements survenus entre novembre 1996 et l'adoption de la décision litigieuse (voir considérants 2 à 11 de la décision litigieuse), il ne saurait être reproché à la Commission un retard excessif ou un manque de diligence dans le déroulement de la procédure administrative en l'espèce.
57. En tout état de cause, la récupération des aides illégales, qui vise au rétablissement de la situation antérieure, ne saurait constituer une sanction non prévue par le droit communautaire, même si elle est mise en œuvre longtemps après l'octroi des aides en question (voir arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T-55-99, Rec. p. II-3207, point 164).
58. S'agissant de l'argument du requérant relatif aux inconvénients majeurs que la procédure "exclusivement bilatérale" relative aux aides d'Etat présente pour les collectivités territoriales, il y a lieu de relever que l'article 88, paragraphe 3, CE impose une obligation de notification par l'Etat membre intéressé des projets tendant à instituer ou à modifier des aides d'Etat. En outre, étant donné que, selon une jurisprudence constante, le bénéficiaire d'une aide ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, avoir une confiance légitime dans la régularité d'une aide que si celle-ci a été accordée dans le respect des dispositions de l'article 88 CE (arrêts de la Cour du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5-89, Rec. p. I-3437, point 14, et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169-95, Rec. p. I-135, point 51) et qu'un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s'assurer que cette procédure a été respectée, toutes les parties tierces, y compris les collectivités territoriales, ne sauraient davantage se prévaloir d'une telle confiance légitime ni reprocher à la Commission le fait que la procédure administrative relative à une aide non notifiée se déroule principalement entre cette dernière et l'Etat membre concerné. Si l'administration centrale d'un État membre na pas respecté son obligation de notification, au détriment des collectivités territoriales ou du bénéficiaire d'une aide octroyée par celles-ci, ces circonstances constituent un problème interne aux parties, qui ne sauraient être reprochées à la Commission. En décider autrement aboutirait à faire obstacle ou constituerait une entrave injustifiée à l'accomplissement, par la Commission, de sa mission de veiller au respect des articles 87 CE et 88 CE.
59. Il résulte des considérations qui précèdent que la première branche du moyen doit être rejetée.
Sur la deuxième branche du moyen, tirée de ce qu'une demande d'information ne saurait interrompre le délai de prescription
Arguments des parties
60. Le requérant estime qu'une demande d'information de la Commission ne peut pas interrompre le délai de prescription, prévu à l'article 15 du règlement n° 659-1999, même si elle est assortie de "plusieurs paragraphes types rappelant les conséquences juridiques éventuelles de l'octroi d'une aide illégale". Il serait contraire au principe de sécurité juridique qu'une demande d'information ait un tel effet sur la prescription.
61. Au soutien de ses conclusions, le requérant indique que, dans la plupart des droits nationaux des États membres, dans le domaine du droit économique, "seul un acte d'autorité, effectué en application d'une habilitation juridiquement consacrée dans un texte spécifique à cet effet, [est] de nature à emporter un effet interruptif de prescription".
62. Le requérant relève également qu'en droit communautaire l'article 46 du statut de la Cour, instituant une prescription en matière de responsabilité extracontractuelle, indique clairement qu'une simple demande adressée à l'institution compétente ne peut interrompre le délai de prescription que si elle est suivie de l'introduction d'une requête devant le juge communautaire. À cet égard, il soutient que la solution retenue en matière de mise en œuvre des articles 81 CE et 82 CE dans le règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319 p. 1), fait figure d'exception.
63. Le requérant fait remarquer qu'à l'époque du dépôt de la plainte, le 23 décembre 1996, et jusqu'à l'ouverture de la procédure formelle d'examen, en mai 1998, la Commission ne pouvait se prévaloir d'aucun fondement juridique spécifique de ses demandes de renseignements. En effet, ces demandes, issues de la pratique et adressées aux autorités françaises en 1997, s'inscrivaient, selon le requérant, dans la phase préliminaire d'examen des éventuelles aides d'Etat, phase qui peut rester purement interne ou bilatérale, ou qui peut déboucher sur un classement pur et simple de l'affaire. En outre, la Commission n'aurait pas adopté dans la procédure en cause "d'acte d'autorité d'instruction" qui seul pourrait interrompre le délai de prescription.
64. Le requérant considère que, en tenant compte du contexte et de l'objectif de l'article 15 du règlement n° 659-1999, la thèse de la Commission selon laquelle toute demande d'information interrompt le délai de prescription ne pourrait donner un plein effet utile à cet article. En effet, une telle interprétation aboutirait à une interruption quasi systématique du délai de prescription à la suite d'une plainte.
65. Dès lors, le requérant fait observer que la Commission dispose de moyens "d'autorité" pour permettre l'interruption du délai de prescription. Elle disposerait de deux moyens légitimes. Dune part, la Commission pourrait prendre des décisions qui lui permettent, après avoir mis l'Etat membre concerné en mesure de s'exprimer, d'enjoindre celui-ci de lui fournir, dans un délai quelle fixe, tous les documents, informations et données supplémentaires pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun (arrêt de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C-301- 87, Rec. p. I-307). Le requérant relève, à cet égard, que la Commission avait mis la France en mesure de s'exprimer au cours du premier trimestre 1997, à deux reprises, mais quelle n'avait décidé d'une injonction qu'en 1999. D'autre part, la Commission pourrait interrompre le délai de prescription en adoptant une "décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen". Or, le requérant estime que la Commission a eu la possibilité d'ouvrir cette procédure formelle dès le mois de juin 1997, soit deux mois avant l'expiration du délai de prescription applicable en l'espèce.
66. Une telle interprétation, qui respecterait le principe de sécurité juridique, ne priverait pas la Commission de ses moyens d'agir, mais constituerait plutôt une incitation majeure à accélérer le traitement des affaires dans le respect du principe de diligence et de bonne administration, tel qu'il est exprimé depuis l'arrêt de la Cour du 11 décembre 1973, Lorenz (120-73, Rec. p. 1471).
67. Le requérant conclut que l'interprétation donnant au mécanisme de la prescription son plein effet utile, tout en préservant la capacité d'intervention de la Commission, implique d'admettre que seul un acte d'autorité, matérialisé par l'adoption d'un acte qualifié de décision faisant grief, peut constituer une "mesure" de nature à interrompre la prescription.
68. À l'appui de son interprétation du terme "mesure", le requérant se réfère également aux droits nationaux des États membres. Il estime ainsi que seule l'adoption d'un instrument juridique nommément désigné et constitué en application de la loi interne (loi, décret, arrêté ou acte administratif spécifique expressément prévu) permettrait d'interrompre le délai de prescription. À l'inverse, une demande d'information, sauf cas particulier faisant toujours l'objet de dispositions précises et spécifiques, ne pourrait constituer un acte interruptif du délai de prescription. La Commission n'aurait donc pas, en l'espèce, interrompu le délai de prescription avant son terme. Dans ces conditions, l'aide en cause devrait être considérée comme une aide existante.
69. Scott soutient que l'action de la Commission n'interrompt pas le délai de prescription à l'égard du bénéficiaire de l'aide, à moins que les demandes de renseignements quelle a adressées à l'Etat membre ne lui soient notifiées.
70. Scott fait également observer que le délai de prescription prévu à l'article 15 du règlement n° 659-1999 est particulièrement long. Il estime que, en fixant, pour les affaires d'aides d'Etat, un délai de prescription aussi long et en conférant un effet aussi prolongé à un événement interrompant la prescription du fait de l'application de cette disposition, le Conseil ne pouvait avoir l'intention de permettre que le délai de prescription soit facilement interrompu.
71. La Commission soutient que les demandes d'informations adressées aux États membres sont des actes ayant pour effet d'interrompre le délai de prescription. En effet, le législateur communautaire ne saurait avoir utilisé le terme "mesure" à l'article 15 du règlement n° 659-1999 par hasard dans un contexte tel que celui de ce règlement adopté en vue d'accroître la transparence et la sécurité juridique ainsi que de codifier et d'étayer la pratique constante développée par la Commission et la jurisprudence de la Cour en matière d'aides d'Etat. La Commission relève que le règlement n° 659-1999 précise les circonstances dans lesquelles elle peut adopter des décisions et des recommandations ainsi que les différentes demandes de renseignements et de communications aux États membres. En outre, les termes utilisés par le législateur dans le cadre du règlement n° 659-1999 répondraient au contexte du contrôle des aides d'Etat, dont la procédure particulière est centrée sur le dialogue entre la Commission et les États membres. Selon une jurisprudence constante, les États membres seraient les seuls destinataires des décisions de la Commission, ce qui serait confirmé par le règlement n° 659-1999. Cette procédure contradictoire entre l'Etat membre et la Commission ne serait pas dirigée contre les bénéficiaires de l'aide illégalement octroyée. Ces derniers disposeraient d'ailleurs de droits circonscrits par les dispositions de l'article 88, paragraphe 2, CE et du règlement n° 659-1999.
72. Selon la Commission, le fait que l'article 15 du règlement n° 659-1999 se réfère à "toute mesure prise par la Commission" signifie qu'il vise l'ensemble des moyens mis à la disposition de la Commission par ledit règlement. Dès lors, les demandes de renseignements que la Commission adresse aux États membres seraient "des instruments tout à fait appropriés pour interrompre le délai de prescription désormais prévu par l'article 15" et informeraient les États membres, tout en respectant le principe de sécurité juridique, que la Commission instruit un dossier sur une mesure.
73. La Commission fait également valoir que l'argument du requérant selon lequel seul un "acte d'autorité" peut constituer une mesure de nature à interrompre la prescription conduit à restreindre considérablement sa capacité d'intervention. En effet, l'adoption d"actes d'autorité" nécessiterait la réunion de plusieurs conditions. Ainsi, une injonction de communiquer des informations ne pourrait intervenir qu'à la suite d'une demande simple de renseignements suivie d'un rappel (voir article 10 du règlement n° 659-1999). De même, pour procéder à l'ouverture d'une procédure formelle d'examen, la Commission doit avoir rassemblé et obtenu au préalable les renseignements appropriés et doit avoir mené un examen préliminaire de la mesure en cause. La Commission estime donc que le requérant a interprété de façon erronée les dispositions de l'article 15 du règlement n° 659-1999.
74. La Commission relève que le requérant, en se référant au régime de la prescription mis en œuvre par le règlement n° 2988-74, a fait valoir que ledit règlement ferait figure d'exception parmi les innombrables exemples qui illustreraient, dans les droits nationaux, l'idée qu'une prescription de l'action d'une autorité publique ne peut pas être interrompue par une demande d'information. Or, le requérant, qui n'a nullement excipé de l'illégalité du règlement n° 659-1999 ou de son article 15, n'aurait nullement cherché à démontrer, ni à établir, que les demandes de renseignements que la Commission a adressées aux autorités françaises ne sauraient constituer une mesure valable d'interruption de la prescription dans le cadre du régime défini par le législateur communautaire au titre du contrôle des aides d'Etat.
75. L'argument de Scott selon lequel le Conseil n'aurait pas eu l'intention de permettre que le délai de prescription soit facilement interrompu, lorsqu'il a choisi d'établir une prescription décennale en matière de récupération d'aides illégalement octroyées, ne découlerait que de l'approche subjective de Scott. En effet, seul le législateur communautaire aurait le pouvoir d'édicter discrétionnairement une norme en matière de prescription et d'en arrêter les modalités procédurales.
Appréciation du Tribunal
76. Il y lieu de relever d'abord que, tel que cela a été constaté dans le cadre de l'examen de la première branche du moyen, le délai de prescription de dix ans établi par l'article 15 du règlement n° 659-1999 est applicable au cas d'espèce et que, par conséquent, l'aide en cause ayant été octroyée le 31 août 1987 et la décision litigieuse ayant été adoptée le 12 juillet 2000, ledit délai devrait être considéré comme dépassé. La Commission a fondé sa décision d'ordonner la récupération de l'aide en cause sur le fait que le délai de prescription aurait été interrompu par des mesures quelle avait adoptées entre janvier et août 1997 et notamment par sa lettre du 17 janvier 1997, dans laquelle elle aurait formellement demandé des renseignements aux autorités françaises (voir considérant 220 de la décision litigieuse).
77. Le requérant invoque des exemples tirés du droit national et du droit communautaire, notamment l'arrêt France/Commission, précité, point 19, pour asseoir l'idée qu'une simple demande d'information ne peut pas interrompre le délai de prescription. Il estime que seul un acte d'autorité, adopté en application d'une habilitation juridiquement consacrée dans un texte spécifique à cet effet, comme une décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE ou une injonction de fournir des informations adressée aux autorités françaises, serait de nature à constituer un acte interruptif de prescription. Il y a lieu de considérer que cette conclusion ne peut pas être tirée de cet arrêt, qui concernait les mesures conservatoires dont la Commission dispose en vue de contrecarrer toute violation de l'article 88, paragraphe 3, CE. Ces mesures résident dans le pouvoir d'enjoindre à l'Etat membre, par une décision provisoire, en attendant le résultat de l'examen de l'aide, de suspendre immédiatement le versement de celle-ci et de fournir à la Commission, dans le délai quelle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun.
78. Dans sa lettre du 17 janvier 1997, la Commission a demandé aux autorités françaises des informations "[a]fin de pouvoir vérifier la véracité des éléments allégués et déterminer si les mesures accordées au bénéfice de la société Scott [constituaient] une aide au sens de l'article [87, paragraphe 1, CE]". En outre, dans cette lettre, la Commission a clairement attiré l'attention des autorités françaises sur la lettre quelle avait envoyée aux États membres le 3 novembre 1983, au sujet de leurs obligations au titre de l'article 88, paragraphe 3, CE, "ainsi que sur la communication publiée au Journal officiel des Communautés européennes n° C 318 p. 3 du 24 novembre 1983 rappelant que toute aide octroyée illégalement est susceptible de faire l'objet d'une demande de remboursement".
79. Il s'ensuit que les autorités françaises, ayant reçu la lettre du 17 janvier 1997, ont été avisées par celle-ci de ce que la légalité de l'aide en cause faisait l'objet d'un examen par la Commission et quelle pouvait, le cas échéant, faire l'objet d'une demande de remboursement.
80. En tout état de cause, il convient de constater que, même si le règlement n° 659-1999 n'était pas applicable le 17 janvier 1997, de sorte que la lettre adressée aux autorités françaises à cette date n'avait pas alors pour effet d'interrompre le délai de prescription, car aucune prescription n'était prévue à l'époque, l'effet juridique de cette lettre doit toutefois être examinée dans le contexte de l'exercice, par la Commission, après le 16 avril 1999, de son pouvoir de récupération de l'aide en cause.
81. À cet égard, il convient de noter que l'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659-1999, tout comme l'article 15 dudit règlement, figure au chapitre III de ce règlement concernant les règles applicables à la procédure en matière d'aides illégales. L'article 10, paragraphe 2, prévoit que la Commission demande à l'Etat membre concerné de lui fournir des renseignements. Il ressort de l'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659-1999, lu en combinaison avec les articles 2, paragraphe 2, et 5, paragraphes 1 et 2, dudit règlement, qu'il impose une obligation immédiate à l'Etat membre concerné de fournir tous les renseignements nécessaires à la suite d'une demande de la Commission. En effet, la Commission, en adressant une demande de renseignements à un État membre, informe ce dernier quelle a en sa possession des informations concernant une aide prétendument illégale et, le cas échéant, que cette aide devra être remboursée.
82. Dès lors, la simplicité de la demande de renseignements na pas pour conséquence de la priver d'effet juridique en tant que mesure susceptible d'interrompre le délai de prescription prévu par l'article 15 du règlement n° 659-1999. Cette interprétation ne vise pas à accorder un effet rétroactif aux articles 10 et 15 de ce règlement, mais simplement à assurer l'application uniforme de ces articles à une série de faits ou d'événements passés et examinés à partir du 12 juillet 2000.
83. S'agissant de l'argument de Scott selon lequel les mesures adoptées par la Commission entre janvier et août 1997 ne pouvaient pas avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription en application de l'article 15 du règlement n° 659-1999, au motif qu'il n'avait pas connaissance de ces mesures à l'époque, il convient d'observer que l'article 15 a introduit un délai de prescription unique pour la récupération d'une aide qui s'applique de la même façon à l'Etat membre concerné, au bénéficiaire de l'aide et aux parties tierces.
84. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la procédure établie par l'article 88, paragraphe 2, CE se déroule principalement entre la Commission et l'Etat membre concerné, les personnes intéressées, dont le bénéficiaire de l'aide, ayant le droit d'être averties et d'avoir l'occasion de faire valoir leurs arguments (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, points 16 et 17). En effet, selon une jurisprudence constante, les intéressés ont essentiellement un rôle de sources d'informations pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE (arrêts du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsvaerftsforeningen e.a./Commission, T-266-94, Rec. p. II-1399, point 256, et du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T-371-94 et T-394-94, Rec. p. II-2405, point 59). Or, la Commission n'est pas obligée d'avertir les personnes potentiellement intéressées, y compris le bénéficiaire de l'aide, des mesures quelle prend à l'égard d'une aide illégale, avant l'ouverture de la procédure administrative.
85. Il s'ensuit que le seul fait que Scott ignorait l'existence des demandes de renseignements faites par la Commission aux autorités françaises à partir du 17 janvier 1997 na pas pour effet de les priver d'effet juridique vis-à-vis de Scott. Par conséquent, la lettre du 17 janvier 1997, envoyée par la Commission avant l'ouverture de la procédure administrative et demandant des informations complémentaires aux autorités françaises, constitue, en application de l'article 15 du règlement n° 659-1999, une mesure qui interrompt le délai de prescription de dix ans, lequel a commencé à courir en l'espèce le 31 août 1987, avant son échéance, même si le requérant et Scott ignoraient à cette époque l'existence d'une telle correspondance.
86. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu d'écarter la deuxième branche du présent moyen.
87. Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le recours en annulation de l'article 2 de la décision litigieuse, pour autant qu'il est fondé sur la violation par la Commission de l'article 15 du règlement n° 659-1999.
Sur les dépens
88. Étant donné que le présent arrêt est limité à la question de la prescription et que la procédure va se poursuivre, il convient en l'état de réserver les dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),
Déclare et arrête:
1°) Le recours en annulation de l'article 2 de la décision 2002-14-CE de la Commission , du 12 juillet 2000 , concernant l'aide d'Etat mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark, est rejeté, pour autant qu'il est fondé sur la violation par la Commission de l'article 15 du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88] du traité CE;
2°) La procédure est poursuivie pour le surplus;
3°) Les dépens sont réservés.