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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 29 octobre 1998, n° 98-01170

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Aubesard, Bernadat, Brunel, Peschaud, Toulouse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mmes Marie, Content

Avocats :

Mes Perrin, Bachelard, Goldberg.

TGI Paris, 31e ch., du 19 déc. 1997

19 décembre 1997

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré W Ian coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, courant 1996, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 Code de la consommation

et, en application de ces articles, l'a condamné à amende: 100 000 F,

a ordonné la confusion avec la peine prononcée le 08/10/97 par la Cour d'appel de Paris (13e chambre),

le tribunal l'a dispensé de la mesure de publication du jugement.

Sur l'action civile: le tribunal a reçu Paul Brunel, Henri Peschaud, Eric Bernadat, Nadine Aubessard et Yvonne Toulouse en leur constitution de partie civile et a condamné Ian W à payer à:

- Paul Brunel la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

- Henri Peschaud la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

- Eric Bernadat la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

- Nadine Aubessard la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts,

- Yvonne Toulouse la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur W Ian, le 24 décembre 1997 contre Monsieur Brunel Paul, Monsieur Peschaud Henri, Madame Toulouse Yvonne, Madame Aubessard Nadine, Monsieur Bernadat Eric

M. le Procureur de la République, le 24 Décembre 1997 contre Monsieur W Ian

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention;

W Ian demande à la cour de dire et juger qu'il a déjà fait l'objet de poursuites et de nombreuses condamnations devenues définitives pour les opérations Le Grand Jeu X, tirage d'avril 1996, de constater en conséquence que compte tenu de la règle "non bis in idem" il n'y a pas lieu de le condamner. Il expose à cet effet qu'il a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Paris, antérieurement pour les mêmes faits, qu'il a fait l'objet de condamnations intervenues le 6 janvier 1997 et le 7 février 1997, que les affaires le concernant ont été évoquées devant la chambre des appels correctionnels le 2 juillet 1997, les décisions rendues le 8 octobre 1997, qu'elles sont devenues définitives, qu'il s'agit incontestablement du même message publicitaire, par le tirage organisé au mois d'avril 1996, qu'il est de jurisprudence constante que le délit de publicité mensongère de nature à induire en erreur, même s'il se manifeste lors de chaque communication publique d'une telle publicité, constitue une infraction unique, qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu'une seule fois dès lors qu'il s'agit d'allégations identiques, contenues dans le même message publicitaire et diffusées simultanément, que la Cour d'appel de Rouen a consacré le même principe le 20 janvier 1997, que cette décision rappelle que les documents, à l'exception du numéro personnel, sont exactement semblables dans les deux dossiers, qu'ils devaient aboutir au même résultat; le sentiment affirmé par la plaignante d'avoir gagné une maison, que dans ces conditions, la Cour de Rouen a considéré que les faits, la prévention et la partie poursuivante devant la Cour d'appel de Poitiers et la Cour d'appel de Rouen étaient exactement identiques, qu'il convenait de constater que l'autorité de la chose jugée mettait obstacle à ce qu'il y ait d'autres poursuites, il rappelle à cet effet que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a également repris ce principe.

Le Ministère public demande à la cour de ne pas accorder à W Ian le bénéfice de la confusion des peines, en raison des multiples procédures dont il a fait l'objet et d'une procédure qui viendra prochainement devant la Cour d'appel de Paris, il fait remarquer que si les poursuites sont identiques, les victimes sont chaque fois différentes, il sollicite en conséquence la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné W Ian mais en faisant une peine distincte.

Brunel Paul, partie civile, demande à la cour de rejeter l'exception proposée et de confirmer l'individualité de l'infraction poursuivie sur laquelle aucune défense au fond n'est plus présentée, c'est pourquoi il expose que:

Persuadé qu'il avait gagné le lot de 35 000 F il a passé commande, comme l'invitait la lettre lui annonçant son gain, d'articles dont il n'avait pas besoin et qui au surplus étaient facturés à un prix supérieur au commerce de proximité.

Le préjudice principal causé à Paul Brunel est celui de la privation du lot promis et des frustrations nées de cette fausse espérance; il ne peut être réparé que par l'allocation de la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts laquelle correspond au montant promis.

Pour obtenir satisfaction Monsieur Brunel a dû s'adresser à la justice et exposer des frais irrépétibles d'un montant de 8 442 F en première instance et de 13 652 F devant la cour, dont il est demandé remboursement en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Il convient d'assurer le règlement effectif de la réparation du préjudice subi par Monsieur Brunel, retraité, âgé de 65 ans et c'est pourquoi il avait été demandé au tribunal de condamner Monsieur W à une peine de prison, assortie du sursis avec mise à l'épreuve avec exécution provisoire et la réparation effective du dommage causé par l'infraction parmi les obligations imposées au condamné,

La société X était intervenue spontanément devant le tribunal se reconnaissant comme civilement responsable de M. W et M. Brunel avait aussi conclu contre cette société en demandant qu'elle soit déclarée civilement responsable des infractions commises par son PDG.

Le tribunal a omis de statuer sur cette demande, laquelle est réitérée devant la cour qui doit réparer cette omission pour assurer la réparation concrète du préjudice éprouvé par les faits délictueux, d'autant plus que M. W n'est plus dirigeant de la société et que le liquidateur amiable de X intervient spontanément ès qualité, au soutien de l'appel de M. W.

Il est demandé à la cour de:

- déclarer Ian W coupable des faits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur qui lui sont reprochés, délit prévu et réprimé par les articles L. 121-1, 121-4, 121-5, 121-6 et 213-1 du Code la consommation et,

rejeter l'exception "non bis in idem" invoquée et statuer ce que de droit sur les réquisitions du Ministère public et l'application des sanctions applicables,

recevoir Paul Brunel en sa constitution de partie civile et,

condamner Ian W à lui payer la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 13 652 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

déclarer la société X civilement responsable des agissements délictueux de son ancien dirigeant Ian W et la condamner à payer les condamnations à intervenir au bénéfice de M. Brunel dans un délai de 2 mois et fixer, le cas échéant, une astreinte ensuite.

Peschaud Henri rappelle à la cour qu'il a reçu par voie postale un document publicitaire établi par la société X dont Ian W est le Président directeur général.

Que ce document annonçait à Peschaud Henri qu'il venait "de gagner le plus gros chèque possible" à ce grand jeu X.

Qu'ainsi il se voyait attribuer une somme de 35 000 F;

Que certain d'avoir obtenu cette somme il a renvoyé le bulletin gagnant.

Que nonobstant la société X ne lui a jamais adressé son lot.

Qu'en effet, la société X a de manière fort habile précisé à Peschaud Henri qu'il n'était pas gagnant du prix en arguant d'une différence entre le "jeu d'avril" et le "grand jeu X".

Que compte tenu de ces faits, Peschaud Henri a porté plainte devant Monsieur le Procureur de la République et s'est constitué partie civile.

Peschaud Henri sollicite la confirmation pure et simple du jugement du tribunal de grande instance du 19 décembre 1997 lequel a condamné Ian W à lui verser la somme de:

- 35 000 F à titre de dommages-intérêts

- 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Peschaud Henri a été contraint d'exposer des frais pour assurer sa défense devant la cour de céans.

Que, dans ces conditions, il sollicite une somme complémentaire de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Qu'en effet, au regard du document publicitaire envoyé il avait la certitude d'avoir acquis la somme de 35 000 F.

Qu'en effet le document qui lui a été adressé ne laisse subsister aucun doute quant à la certitude de son gain, qu'il lui est en effet indiqué que son numéro est le numéro gagnant,

Qu'il n'est nullement fait allusion à un nouveau tirage ou un éventuel élément faisant douter de la réalité de son gain,

Qu'en conséquence, Peschaud Henri a subi un préjudice personnel et direct dont il est en droit de demander réparation dans la mesure où il a été privé de son gain qui lui avait été annoncé comme futur et certain et non éventuel,

Qu'il subit donc un dommage qui ne saurait être inférieur au montant du gain qu'il était en droit d'attendre compte tenu de la formulation particulièrement incontestable du bulletin.

Bernadat Eric expose à la cour que l'offre de jeu du X du mois d'avril 1996 est erronée que la présentation est volontairement trompeuse en exposant sur le même document l'annonce du gain à un jeu et le règlement d'un autre jeu.

Qu'imprimer le règlement de jeu sur la face interne d'une enveloppe qui a toutes les chances de ne pas être conservée et le mentionner en police minuscule sur le bon de participation qui va être renvoyé deux actes qui traduisent l'intention d'induire en erreur le destinataire.

Que les deux éléments suivants:

"... votre numéro personnel le 2744879 a bel et bien été tiré au sort ce vendredi 26 avril et, vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce grand jeu X"

La date mentionnée est significative.

Que le montant mis en jeu, pour chacun des deux jeux est le même 35 000 F soulignent davantage une intention de nuire en erreur le lecteur, et le persuader au contraire que les deux courriers de X du 24 août 1996 et 6 septembre 1996 entretiennent cette contradiction en ne reconnaissant pas le "grand jeu X" que je mentionnais. La tromperie est alors manifeste.

Que l'article 4 du règlement du "Grand jeu X" stipule que "le règlement complet est adressé à titre gratuit à toute personne qui en fait la demande" Mes courriers datés des 19 août 1996 et 30 août 1996 exprimaient bien cette demande, ainsi que la demande de l'envoi du chèque promis. Dans ses courriers datés des 24 août 1996 et 6 septembre 1996 X commet, à mes yeux, un premier acte de publicité mensongère car ne comprend pas, ou feint de ne pas comprendre de quel jeu il s'agit. Le règlement ne m'a jamais été adressé. X n'a donc pas respecté les termes de cet article 4.

Qu'en ne reconnaissant pas le "grand jeu X" dans ses deux courriers X commet, à mes yeux un second acte de publicité mensongère car ne m'envoie pas le chèque qui m'était si fermement annoncé dans le document de mai 1996. X fait preuve d'une mauvaise foi évidente, car il a joint plusieurs fois une copie complète de ce document à mon courrier.

Bernadat Eric demande, en conséquence la confirmation du jugement entrepris et l'allocation d'une somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle d'une somme de 2 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Toulouse Yvonne expose que malgré son âge elle s'est rendue devant la Cour d'appel de Paris pour exposer qu'elle est une gagnante, l'a annoncé à ses voisins et a espéré un changement significatif de son niveau de vie au mois d'avril 1996, qu'elle demande en conséquence la confirmation du jugement entrepris lui ayant alloué la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts.

Aubessard Nadine ne comparait pas elle a adressé à la cour un certificat médical attestant qu'elle est blessée à la cheville, elle demande la confirmation du jugement entrepris et l'allocation d'une somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle d'une somme de 3 060 F en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale représentant les intérêts donnés par une banque pour la durée d'un prêt de ce montant durant deux années,

Il résulte des débats que la société X dont Ian W a été le Président directeur général a organisé simultanément deux jeux annoncés par le même envoi le tirage d'avril 1996 doté d'un lot de 35 000 F et à titre de lots de consolation, des bons d'achat de 100 F, le tirage étant effectué dès le 26 avril par un huissier de justice, mais les gagnants n'étant avisés individuellement qu'après le 30 juin, date limite pour le renvoi de leur bon de participation.

Le "grand jeu X" dans lequel la somme totale de 35 000 F mise en jeu se trouve divisée entre tous les attributaires ayant renvoyé leur bon de participation sans que le gain minimum puisse descendre au-dessous de 4 F.

Tout dans la présentation du dépliant, tend à favoriser la confusion, dans l'esprit du client entre ces deux jeux.

Le montant du prix identique dans les deux cas;

L'ordre des pages: à l'ouverture, une lettre personnalisée martelant au destinataire qu'il a d'ores et déjà "gagné le plus gros chèque au grand jeu X" et qu'il s'agit bien du "plus gros chèque mis en jeu" et non d'un lot de consolation; en page 2, le règlement du tirage d'avril face à la page 3 occupée presque intégralement par l'annonce en très gros caractères du montant du 1er prix et un encadré rappelant que son versement est garanti par huissier de justice; en page 4, le bon de commande et le bulletin de participation.

La présence sur un même document, en caractères très apparents, d'indications se rapportant à la particularité la plus attractive de chacun des jeux: pour "tirage d'avril", le montant du premier prix, pour "grand jeu X" la certitude pour le destinataire d'avoir déjà été tiré au sort sans que soit précisé de manière apparente qu'il s'agissait de deux jeux distincts.

Le choix de faire figurer sur le dépliant le seul règlement du "tirage d'avril" celui du "grand jeu X" étant relégué sur la face intérieure de l'enveloppe ayant servi à l'expédition du document.

Le caractère minuscule (un millimètre de hauteur) choisi pour signaler, sur la première page annonçant le gain du "plus gros chèque au jeu X" la présence du règlement à l'intérieur de l'enveloppe, étant précisé que cette mention est apposée perpendiculairement au reste du texte, en bordure de la feuille, ce qui en rend la lecture particulièrement malaisée et la découverte quelque peu aléatoire.

La présentation du bulletin "de demande de prix" (au singulier) qui ne concerne apparemment que le "grand jeu X" mais comporte une case à cocher au bas de la feuille pour valider sa participation au "tirage d'avril 96" l'ambiguïté la plus complète étant ainsi maintenue sur l'existence de deux jeux différents.

En matière de publicité mensongère, de nature à induire en erreur, constituent des publicités distinctes celles qui adressées à des personnes différentes mettent en scène de manière individualisée leurs destinataires, objet de leurs allégations trompeuses. Tel est le cas de bulletins de participation à un jeu, qui si elles ont une forme et un contenu identique sont toutes individualisées par la mise en scène de chacune des personnes à qui elles sont adressées, de telle sorte qu'il existe autant d'infractions que de personnes visées.

L'ensemble des ces éléments, l'habileté rédactionnelle, l'emploi de mots choisis qui attirent l'attention, écrits en caractère gras, l'ambiguïté entretenue sur l'organisation simultanée de deux jeux basés sur des règles différentes, sont de nature à créer la confusion et à persuader le destinataire que son numéro personnel tiré au sort, lui a permis de se voir attribuer un lot d'une valeur de 35 000 F;que le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur est donc établi à l'encontre de W Ian.

Qu'il y a lieu de le condamner à une amende de 100 000 F, sans confusion en raison des différentes poursuites dont il fait l'objet.

Il convient de déclarer civilement responsable de ses agissements la société X, <adresse>Villeneuve Loubet dont le régisseur amiable est M Jean, domicilié <adresse>Villeneuve Loubet.

II y a lieu de le dispenser de la publication du présent arrêt.

Sur l'action civile: Il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Sur l'action publique: Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, L'infirme en répression, Condamne W Ian à cent mille francs (100 000 F) d'amende, Dit n'y avoir lieu à confusion de peines, Dispense W Ian de la mesure de publication du présent arrêt, Déclare la société X <adresse>Villeneuve Loubet dont le régisseur amiable est M Jean civilement responsable, Sur l'action civile: Confirme le jugement en toutes ses dispositions, ayant condamné W Ian à payer à: Brunel Paul la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Peschaud Henri la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Bernadat Eric la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Aubessard Nadine la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts, Toulouse Yvonne la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.