CA Limoges, 1re ch. civ., 22 février 1993, n° 1046-92
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sornacoise de pneus remanufactures Laurent (Top Roller) (SA)
Défendeur :
Guillem, Intermarché Bort (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leflaive
Conseillers :
MM. Ody, Payard
Avoués :
Me Baulme, Garnerie, Durand-Marquet
Avocats :
Mes Gaillard, Mo Ins, Couturon
LA COUR
Suivant acte du 1er juillet 1992 Claude Guillem commerçant vulcanisateur a fait assigner la SA Top Roller société Sornacoise de pneus manufacturés Laurent et la société Intermarché Bort en référé devant le Président du Tribunal de commerce de Tulle afin d'entendre:
- ordonner l'arrêt immédiat de la vente au déballage de pneus remanufacturés, pratiquée par la société Top Roller sur le parking Intermarché de Bort Les Orgues, sous astreinte de 2 000 F par jour de retard à compter de la décision à intervenir;
- condamner la société Top Roller et Intermarché solidairement et conjointement à lui payer la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ordonnance du 3 juillet 1992, le juge des référés a dit:
- qu'il était bien en présence d'une vente au déballage effectuée sans autorisation préalable
- en conséquence que celle-ci devrait cesser immédiatement et ce sous astreinte de 2 000 F par jour de retard
- qu'il n'y avait pas lieu à allocation de dommages-intérêts ni à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- mis la société Intermarché hors de cause.
La société Top Roller a relevé appel de cette décision.
Elle soutient tout d'abord que compte tenu de la contestation sérieuse qui existait et en l'absence de trouble illicite, le juge des référés était incompétent.
Elle fait observer par ailleurs, qu'en toute hypothèse elle devait être mise hors de cause puisqu'elle n'était que le fournisseur des pneumatiques lesquels étaient vendus directement au consommateur par Intermarché qui en encaissait le prix.
Elle soutient d'autre part qu'en l'absence de publicité préalable, de tout caractère exceptionnel de la vente et compte tenu de ce que la société Intermarché utilisait une aire privée, les éléments constitutifs d'une vente au déballage ne sont pas réunis.
Elle conclut donc à l'infirmation de l'ordonnance critiquée et au rejet de toutes les demandes de Monsieur Guillem et sollicite la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Intermarché Bort fait valoir quant à elle que la vente promotionnelle ne concernait que les pneus remanufacturés "Top Roller" mais était organisée par elle-même sur l'aire de stationnement du magasin Intermarché de Bort Les Orgues dont elle est propriétaire et à son seul profit, les pneus étant vendus par son personnel et payés à sa caisse et que par conséquence il ne pouvait y avoir vente au déballage.
Elle demande donc à la cour de confirmer en ce qui la concerne au besoin par substitution de motifs l'ordonnance attaquée et de condamner Monsieur Guillem ou la société SPRL ainsi qu'il appartiendra au paiement d'une indemnité de 3 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Claude Guillem soutient que la société Intermarché Bort est particulièrement de mauvaise foi pour prétendre aujourd'hui qu'elle avait organisé la vente sur sa propriété et avec son personnel alors que devant le premier juge elle soutenait sa mise hors de cause en indiquant qu'elle n'avait fait que donner à Top Roller l'autorisation de procéder à cette vente sur son parking;
Que toutefois le fait que la vente soit organisée par Intermarché, sur son parking ne saurait faire obstacle à la qualification de vente au déballage.
Elle fait observer que cette vente qui concerne des produits qui, bien que remanufacturés, doivent être considérés comme des marchandises neuves, avait été précédée d'une publicité sur la voie publique et accompagnée d'une publicité sur le lieu de vente; qu'elle était effectuée sur le parking du supermarché, lieu non habituellement destiné au commerce et présentait un caractère exceptionnel de telle sorte que c'est à juste titre que le Président du tribunal de commerce a constaté qu'il s'agissait d'une vente au déballage et a ordonné la cessation du trouble manifestement illicite puisque l'absence d'autorisation municipale constitue une infraction pénale.
Il sollicite donc la confirmation de l'ordonnance de référé en ce qu'elle a ordonné l'arrêt immédiat de la vente au déballage et demande à la cour, y ajoutant de condamner in solidum la société Top Roller et la société Intermarché à lui payer une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts outre 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Une ordonnance du 25 janvier 1993 a clôturé la procédure.
Discussion
Si le constat dressé le 3 juillet 1992 par Maître Sarant huissier de justice à Egletons à la requête de la société Top Roller vient établir que la publicité relative à la vente litigieuse a bien été réalisée par la société Intermarché et que cette dernière encaissait par l'intermédiaire de son pompiste le prix des pneus vendus sur son parking, ces éléments ne peuvent suffire à conférer à la société Intermarché la qualité de vendeur, laquelle supposerait d'abord qu'elle ait acquis la propriété de la marchandise revendue.
Or il résulte du modèle de convention versée aux débats et invoquée par la société Top Roller comme régissant pour de telles opérations, ses rapports avec la grande surface qui est son partenaire, que la société Top Roller se charge de la fourniture du chapiteau, du matériel et du stock de pneumatiques ainsi que de la vente par un de ses promoteurs vendeurs, la société Intermarché se contentant pour sa part de réaliser la publicité, de fournir une surface suffisante de son parking et de prendre en charge les encaissements, seuls les pneus vendus lui était facturés dans la semaine suivant la fin de l'opération.
Il apparaît donc que la société Top Roller conserve la totale maîtrise de l'opération et qu'abstraction faite de la présentation comptable de celle-ci la société Intermarché ne fait que recevoir une commission en contre partie de sa prestation de service; c'est donc à juste titre que cette dernière a été mise hors de cause.
La loi du 30 décembre 1906 précisée par le décret n° 62-1463 du 26 novembre 1962 définit la vente au déballage comme, toute vente de marchandise neuve, précédée ou accompagnée de publicité, effectuée sur des emplacements ou dans des locaux non habituellement destinés au commerce considéré et présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel ou exceptionnel.
Bien que pour l'essentiel la vente concerne des pneus remanufacturés, ceux-ci doivent bien être considérés comme une marchandise neuve au sens de la loi du 30 décembre 1906, puisqu'ils n'ont eu aucun autre propriétaire depuis leur rechapage.
Les différents constats d'huissier et les pièces qui y sont annexés, démontrent que l'opération avait été précédée d'une distribution de tracts publicitaires et qu'elle était accompagnée d'une publicité sur le lieu de vente.
La mention "foire aux pneus" - camion sur parking en direct d'usine - jusqu'à épuisement des stocks" figurant sur les tracts publicitaires tend bien à présenter cette vente comme ayant un caractère exceptionnel et occasionnel que l'organisation de 3 ou 4 ventes du même type dans les mois précédents ne saurait lui enlever et qui est encore attesté par l'importance du stock mis en vente.
Enfin le parking de la société Intermarché lieu destiné à recevoir les véhicules de la clientèle, ne peut être considéré comme un emplacement habituel de vente et ce encore moins pour le commerce pratiqué par la société Top Roller.
Il s'ensuit que la vente organisée par la société Top Roller doit bien s'analyser comme une vente au déballage pour laquelle une autorisation municipale est requise. En l'absence d'une telle autorisation dont il est constant qu'elle n'a jamais été sollicitée, le juge des référés était parfaitement compétent en application de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile pour faire cesser le trouble manifestement illicite occasionné par cette vente à Monsieur Guillem, lequel commercialise le même type de produit.
Monsieur Guillem ne pouvant toutefois faire liquider en référé le préjudice qu'il prétend avoir subi, c'est à juste titre que le Président du tribunal de commerce s'est abstenu de se prononcer sur celui-ci et la cour qui en l'espèce ne dispose pas d'autres pouvoirs que ceux du juge des référés ne peut que faire de même.
Si la société Top Roller, mal fondée en son appel et la société Intermarché à qui il n'est pas inéquitable de laisser la charge des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour faire assurer sa défense, doivent être déboutées de leurs demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il convient par contre de faire bénéficier Monsieur Guillem des dispositions dudit article 700 du nouveau Code de procédure civile devant la cour et de condamner la société Top Roller à lui payer la somme de 2 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Reçoit la société Sornacoise de pneus manufactures Laurent - Top Roller en son appel; - Au fond l'y déclare mal fondée; - Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 3 juillet 1992 par le Président du Tribunal de commerce de Tulle; - Y ajoutant : - Rejette la demande en dommages-intérêts formulée par Monsieur Guillem; - Déboute la société Sornacoise de pneus manufactures Laurent Top Roller et la société Intermarché de leur demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - Condamne la société Sornacoise de pneus manufactures Laurent - Top Roller à payer à Claude Guillem la somme de deux mille francs (2 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - La condamne en outre aux entiers dépens et autorise Maîtres Garnerie et Durand-Marquet, avoués à recouvrer directement contre elle ceux dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.